« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 1 avril 2013

Le principe d'impartialité des juges au coeur de la tourmente

Nicolas Sarkozy est mis en examen. Il n'est pas le premier homme politique dans cette situation, et il ne sera sans doute pas le dernier. Comme toujours dans ce cas, on rappelle que l'intéressé bénéficie de la présomption d'innocence, et que rien ne dit, pour le moment, qu'il comparaîtra effectivement devant le tribunal correctionnel. 

Ses partisans s'appliquent à disqualifier le juge d'instruction, et affirment sur tous les médias que cette mise en examen est profondément injuste, seulement motivée par l'animosité politique. Rien de nouveau dans cette démarche, si ce n'est le ton employé, souvent bien éloigné du respect que chacun doit à la Justice. Henri Guaino affirme que le juge d'instruction "a bien déshonoré la justice ! Il a sali la France en direct et devant le monde entier". Nadine Morano, égale à elle-même, compare cette mise en examen à l'affaire d'Outreau. Quant à l'épouse éplorée, elle considère comme "impensable" le fait que Nicolas Sarkozy ait pu  "abuser de la faiblesse d'une dame qui a l'âge de sa mère". On comprend, en tout cas, que l'intéressé, lorsqu'il était Président de la République, ait souhaité la disparition pure et simple de la fonction de juge d'instruction.

l'impartialité, fonction rhétorique

Derrière ces discours partagés entre la haine et le mauvais mélodrame, transparaît l'idée que le juge d'instruction n'est pas impartial. Alors forcément, on cherche les preuves de sa partialité, et on croit en avoir trouvé une. Le juge Gentil n'a t il pas signé dans Le Monde daté du 27 juin 2012, une tribune intitulée "Agir contre la corruption : l'appel des juges contre la délinquance financière". Peu importe que cet article soit également signé par quatre-vingt-un autres magistrats. Peu importe qu'il ait été publié après la victoire de François Hollande et ne mentionne pas une seule fois le nom de Nicolas Sarkozy, se bornant à demander, de manière abstraite, un renforcement du dispositif de lutte juridique contre la corruption.

Pour les amis de Nicolas Sarkozy, la notion d'impartialité n'a pas besoin de contenu juridique mais a une fonction purement rhétorique. Le seul fait de mettre en examen l'ancien Président de la République révèle, en soi, la partialité de celui qui commet un crime proche du lèse-majesté.

Et pourtant, le principe d'impartialité est juridiquement défini, et donne lieu à une jurisprudence relativement précise.
Morris et Gosciny. Lucky Luke. Le Juge. 1959

Autonomie du principe d'impartialité

Observons tout d'abord que l'exigence d'impartialité est difficilement détachable du principe de l'indépendance des juges, dont elle apparaît comme la conséquence la plus immédiate. Dans sa décision du 29 août 2002, le Conseil constitutionnel fonde le principe d'impartialité sur l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. A l'époque, il rappelle, sans trop les distinguer, que "les principes d'indépendance et d'impartialité sont indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles". Depuis cette date, sa jurisprudence s'est affinée, et accorde désormais une véritable spécificité au principe d'impartialité. Dans sa décision rendue sur QPC du 8 juillet 2011, le Conseil constitutionnel déclare non conforme à l'article 16 de la Déclaration de 1789 le principe traditionnel gouvernant la justice des mineurs depuis l'ordonnance du 2 février 1945, selon lequel le juge chargé de l'instruction est également l'instance de jugement. Pour le Conseil, la direction de l'enquête ne peut qu'influer sur le jugement ultérieur, et emporte donc une atteinte au principe d'impartialité.

De son côté, la Cour européenne des droits de l'homme trouve le fondement juridique du principe d'impartialité dans le droit au procès équitable garanti par l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans sa décision Adamkiewicz c. Pologne du 2 mars 2010, elle précise quelque peu les critères utilisés pour déterminer si une juridiction est impartiale, ou non. Ces critères sont ceux utilisés par les juges français.

Critères de l'impartialité

Le premier critère peut être qualifié de "subjectif" parce qu'il consiste à pénétrer dans la psychologie du juge, à rechercher s'il désirait favoriser un plaideur ou nuire à un justiciable. Dans ce cas, l'impartialité est présumée, jusqu'à preuve du contraire (CEDH, 1er octobre 1982, Piersack c. Belgique). La Cour européenne se montre très rigoureuse à cet égard et ne constate la violation du principe d'impartialité que lorsque la preuve est flagrante. Tel est le cas, dans l'arrêt Remli c. France du 23 avril 1996,  pour un jury de Cour d'assises jugeant un Français d'origine algérienne, dont l'un des jurés a tenu, hors de la salle d'audience mais devant la presse, des propos racistes.

L'animosité à l'égard de l'accusé doit donc être patente, et sa preuve sauter aux yeux. On ne voit pas sur quelle preuve pourrait s'appuyer Nicolas Sarkozy pour prouver la partialité du juge qui l'a mis en examen, ou plutôt des juges puisqu'ils sont trois à instruire l'affaire. Aucun d'entre eux n'a pris une position publique mentionnant une quelconque hostilité à son égard. Quant à la chronique signée par le juge Gentil, elle ne témoigne d'aucune animosité personnelle, puisque le nom de Nicolas Sarkozy n'est même pas mentionné.

Le second critère est présenté comme "objectif", parce qu'il s'agit de contrôler l'organisation même de l'institution judiciaire. Le tribunal doit apparaître impartial, et inspirer la confiance. Sur ce point, la Cour européenne a développé une jurisprudence qui interdit l'exercice de différentes fonctions juridictionnelles par un même juge, dans une même affaire (par exemple : CEDH, 22 avril 2010 Chesne c. France). La Cour de cassation reprend exactement le même principe dans une décision de la Chambre criminelle du 8 avril 2009. Elle y rappelle l'importance de l'impartialité fonctionnelle, qui interdit notamment à un magistrat de connaître d'une affaire pénale, alors qu'il avait déjà eu à juger de son volet civil. Dans ce cas, ce n'est pas le juge qui est en cause, mais l'organisation  judiciaire qui ne satisfait pas au principe d'impartialité. Sur ce point, on ne voit pas quel argument pourrait être utilisé pour contester l'institution même du juge d'instruction, qui, on le sait, instruit à la fois à charge et à décharge.

Ces principes constituent le socle sur lequel sont appréciés les recours mis à la disposition des justiciables qui s'estiment victimes d'un manquement à l'impartialité. La récusation a en effet pour objet de contester l'impartialité d'un magistrat identifié (approche subjective). Le renvoi pour cause de suspicion légitime, quant à lui, met en cause l'impartialité de la juridiction de jugement dans son ensemble (approche objective).

Dans tous les cas, l'analyse juridique suffit à montrer le caractère excessif des propos tenus par les amis de Nicolas Sarkozy, repris avec complaisance par les médias. Le problème est que nul journaliste ne s'est donné la peine de se livrer à une analyse juridique, si modeste soit-elle. C'est dommage, car mettre en cause, sans aucun fondement juridique, l'impartialité d'un juge, ce n'est pas seulement disqualifier une personne, c'est aussi disqualifier la justice.


jeudi 28 mars 2013

Les Keyloggers et la CNIL

La CNIL a énoncé, le 20 mars 2013, un certain nombre de principes portant sur l'utilisation des "Keyloggers" ou "enregistreurs de frappe". Ce terme générique désigne une série de dispositifs de surveillance susceptibles d'être installés sur un ordinateur à l'insu de son utilisateur. Leur objet est d'enregistrer toutes les frappes effectuées sur le clavier, ce qui permet de connaître toutes les activités du poste informatique. 

Instrument d'espionnage

Sur le plan technique, les méthodes sont nombreuses, et vont d'une intervention sur la connectique à l'installation discrète d'un logiciel. Elles présentent le point commun d'offrir un redoutable instrument d'espionnage, d'autant qu'il est possible de recevoir des alertes lorsque le propriétaire de l'ordinateur frappe tel ou tel mot clé, ou des rapports résumant son activité quotidienne. Tout cela pour un coût dérisoire, certains enregistreurs de frappe étant même téléchargeables gratuitement sur internet.

Les enregistreurs de frappe ont essentiellement été utilisés par deux types d'usagers. D'une part, certaines officines spécialisées dans "l'intelligence économique" mandatées par un industriel n'hésitent pas à employer ce type de matériel pour obtenir les informations sensibles d'un concurrent. Il s'agit alors purement et simplement d'espionnage industriel. D'autre part, la cyber-délinquance use de ces technologies pour intercepter des informations relatives à des numéros de compte bancaire,  des codes ou des mots de passe.

Aujourd'hui, les enregistreurs de frappe sortent de la clandestinité propre aux délinquants pour développer leur marché et acquérir une certaine forme de légitimité. Des employeurs ont eu l'idée étrange d'installer ce type de logiciel espion sur les ordinateurs de leur entreprise, enregistrant ainsi toute l'activité informatique de leurs employés, évidemment à leur insu. Depuis 2012, la CNIL a ainsi été saisie par un certain nombre de salariés, faisant part de leur crainte, réelle ou supposée, d'être espionnés par leur employeur. Après contrôle auprès des entreprises concernées, la Commission a  constaté qu'une des plaintes était fondée. Elle a donc rédigé une véritable mise en garde à ceux qui seraient tentés de recourir aux enregistreurs de frappes dans le monde du travail.



Leroy Anderson. Concerto pour machine à écrire et orchestre


Protection de la vie privée et des données personnelles

Le premier principe, le plus fondamental sans doute, est celui de la protection de la vie privée et des données personnelles. Dans un arrêt du 18 mars 2009, la Chambre sociale de la Cour de cassation énonce ainsi qu'il n'est pas interdit à un salarié d'utiliser l'ordinateur mis à disposition par l'entreprise à des fins personnelles, par exemple pour surfer sur internet ou envoyer des courriels, à la condition toutefois de ne pas négliger son travail. L'utilisation d'un enregistreur de frappes conduit donc nécessairement, dès lors qu'il y a captation de l'ensemble de l'activité effectuée sur le poste informatique, à une violation de données personnelles. Qu'il s'agisse de courriels, du code d'une carte bleue, ou du mot de passe pour accéder à un site, tous ces éléments sont transmis à l'employeur espion au milieu des dossiers professionnels.

Absence de consentement

Dès lors que ces informations sont transmises à un tiers, il y a aussi violation du principe du consentement de l'intéressé à la collecte et la conservation de toutes données personnelles le concernant. Cette violation est automatique puisque, par hypothèse, l'enregistreur de frappes agit à son insu.

De cette situation particulièrement grave pour le droit au respect de la vie privée, la CNIL tire une conséquence logique : l'interdiction de principe de l'utilisation des enregistreurs de frappe dans les relations de travail. La seule exception envisagée est l'existence d'un "fort impératif de sécurité", par exemple lorsque le salarié conserve sur son ordinateur des informations sensibles couvertes par le secret industriel et commercial. Dans ce cas cependant, l'utilisation de l'enregistreur ne peut être envisagée qu'après une information des personnels concernés, ainsi avertis du risque de dissémination des données personnelles qu'ils conservent et échangent à partir de leur poste de travail. En tout état de cause, le défaut d'information du salarié constitue une infraction. La loi du 14 mars 2011 punit en effet de 5 ans d'emprisonnement et de 300 000 € d'amende l'utilisation de dispositifs de captation de données informatiques à l'insu des personnes concernées.

L'avertissement de la CNIL sera-t-il suffisant pour faire cesser le développement des enregistreurs de frappes ? Peut être, mais la difficulté essentielle réside dans l'ignorance de l'existence même de ces dispositifs, et dans leur caractère furtif qui rend toute preuve de leur installation sur un ordinateur particulièrement délicate. La solution devrait sans doute être recherchée dans une action préventive, visant l'interdiction de la vente de ces technologies, sauf pour certains usages limitativement énumérés et soumis à autorisation de la CNIL. Les entreprises devraient donc rechercher d'autres moyens de contrôler l'activité des salariés, ce qui est loin d'être impossible. Les officines de sécurité privée, quant à elles, ne pourraient  plus utiliser les enregistreurs de frappes à des fins d'espionnage industriel sans encourir une sanction pénale et le retrait de leur agrément. Une mesure sans doute pas inutile pour moraliser un secteur qui en a largement besoin.


lundi 25 mars 2013

Du bon usage de la liberté de manifester

Les manifestants qui ont désormais l'habitude d'envahir les beaux quartiers pour protester contre le mariage pour tous se livrent aujourd'hui à une opération de communication destinée à les victimiser. N'a-t-on pas osé interdire l'accès des Champs Elysées à d'honnêtes bourgeois, souvent accompagnés de leur charmante progéniture ? Manifestant en faveur de l'intérêt supérieur des enfants, ces papas et ces mamans, aussi hétérosexuels que parfaitement responsables, ont tenté de pénétrer quand même sur la plus belle avenue du monde. Horreur, ils ont été repoussés par les forces de l'ordre. Certes, ces dernières n'ont pas utilisé les canons à eau (qu'aurait-on dit ?), mais elles ont tout de même brandi des aérosols de gaz lacrymogène, suscitant quelques crises de larmes, et même un très médiatique évanouissement. 

Une liberté loin d'être absolue

Le droit positif fait entrer les manifestations dans le domaine des libertés publiques. Mais il ne lui attribue pas de véritable autonomie. Pour le Conseil constitutionnel, la liberté de manifester se rattache au "droit d'expression collective des idées et des opinions" (décision du 18 janvier 1995). Pour la Cour européenne, elle est plutôt liée à la "liberté de réunion pacifique" garantie par l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ces petites divergences sont sans influence sur les éléments de langage développés par les manifestants hostiles au mariage pour tous. Pour eux, le droit de manifester est une liberté, et une liberté absolue. Cette analyse est soutenue avec toute la fougue du néophyte, dès lors que ces mêmes manifestants ne déployaient pas le même attachement aux libertés lorsqu'une "manifestation géante" contestait la réforme des retraites engagée par Nicolas Sarkozy en 2009, ou lorsque les syndicats organisaient un défilé particulièrement contestataire pour le 1er mai 2012, à quelques jours de l'élection présidentielle.

Cette nouvelle revendication en faveur du caractère absolu de la liberté de manifester prend des formes parfois divertissantes. On a vu des participants protester vigoureusement car ils ne pouvaient pas se rendre à l'Elysée pour s'adresser directement à celui qui est l'origine de tous leurs malheurs, le Président de la République. Comme si la loi n'était pas votée par le Parlement : sarkozysme impénitent qui ramène tout, et à tout propos, au supposé chef ? Décidément, la République et la séparation des pouvoirs ont du mal à pénétrer certains esprits. D'autres ont considéré comme une atteinte à leur liberté l'interdiction d'organiser un "sit-in" sur les Champs Elysées. 

Ce n'est plus le principe même de la liberté de manifester qui est en cause, mais son mode d'organisation. Ces discours reposent sur une idée simple : la liberté de manifestation reposerait sur un régime dit "répressif", ce qui signifie que l'on peut exercer librement sa liberté, sauf, peut-être, à rendre des comptes au juge pénal, en cas d'infraction. 

L'exercice de l'Etat. Pierre Schoeller. 2011. Olivier Gourmet


Le droit positif : un régime de déclaration préalable

Hélas, tous ces manifestants auraient dû ouvrir un manuel de droit ou consulter les cent soixante-dix "juristes" signataires d'une lettre ouverte contre le mariage pour tous. Ces derniers leur auraient sans doute confirmé que la liberté de manifestation relève d'un régime dit "de déclaration préalable". Autrement dit, on peut exercer sa liberté après avoir déclaré son intention auprès des autorités compétentes, en l'espèce la préfecture de police. En soi, ce régime de déclaration préalable ne constitue pas une atteinte à la liberté, principe admis dès 1979 par la Cour européenne des droits de l'homme, dans une décision Rassemblement jurassien c. Suisse.

Cette déclaration ne porte pas une atteinte excessive à la liberté d'expression, affirme la Cour européenne, car elle permet aux autorités de s'assurer du caractère pacifique du rassemblement. En droit français, le régime juridique des manifestations relève du décret-loi du 23 octobre 1935. Il prévoit une déclaration auprès du préfet de police par les organisateurs entre trois et quinze jours avant la date prévue. Elle doit mentionner l'objet, le lieu et l'itinéraire de la manifestation. Rappelons que la "manif' pour tous" repose sur un collectif  de trente sept associations, plus ou moins déclarées. Mais, en tout état de cause, rien n'interdit à un groupement de fait d'organiser une manifestation, dès lors que les autorités connaissent l'identité des responsables.

En revanche, le décret-loi de 1935 autorise l’autorité de police à prononcer l’interdiction quand elle estime que « la manifestation projetée est de nature à troubler l’ordre public » (art. 3). Cette possibilité d’interdiction conduit généralement à une négociation avec les autorités de police au moment de la déclaration. C’est ainsi que l’itinéraire d’un cortège revendicatif est négocié, et les organisateurs doivent s’incliner devant les nécessités de l’ordre public. Nul n'ignore que les manifestations sur les Champs-Elysées sont toujours interdites pour des motifs liés aux difficultés de garantir l'ordre à partir des rues étroites qui encadrent l'avenue, à la présence de nombreux sites sensibles, surtout dans une période où le plan Vigipirate est déployé au niveau "rouge". Les manifestants étaient donc parfaitement informés de cette interdiction, et le préfet de police avait d'ailleurs pris un arrêté précisant l'étendue de l'autorisation de manifester.

L'interdiction d'accéder aux Champs Elysées était donc parfaitement normale au regard de la mise en oeuvre de la liberté de manifester, puisque ceux qui ont entrepris d'accéder à l'avenue violaient un arrêté préfectoral. Leurs organisateurs sont aussi fautifs, car ils ont trop longtemps refusé de prendre en considération les nécessités de l'ordre public et d'appliquer la loi républicaine. La liberté de manifester, comme tous les droits, ne comporte pas l'abus de ce droit. Les forces de l'ordre ont donc dû user de la contrainte pour réprimer cette forme particulière de délinquance. Mais les premiers intéressés, les manifestants eux-mêmes, devraient plutôt s'en réjouir. Ils ne pourront plus dire que le pouvoir socialiste ne réprime pas la délinquance...


vendredi 22 mars 2013

Mini-miss : une proposition de loi et un consensus ?

Dans la suite du rapport qu'elle avait remis en mars 2012 à Roselyne Bachelot, Chantal Jouanno, sénatrice UDI de Paris, vient de déposer une proposition de loi "visant à protéger les enfants de l'hypersexualisation".

Derrière cette formulation un peu abstraite apparaissent deux préoccupations très pragmatiques. D'une part, le texte interdit la participation des fillettes de moins de seize ans aux concours de beauté, généralement appelés "mini-miss". D'autre part, il interdit aux entreprises d'employer des mineures comme mannequins pour vendre des produits destinés aux adultes. Sont directement visées les grandes firmes de mode et de cosmétiques, parfois tentées de choisir comme "égéries" de très jeunes adolescentes.

La nécessité de légiférer

On peut regretter qu'il soit nécessaire de légiférer dans ce domaine, car on pourrait penser que le rôle des parents est précisément de protéger leur enfant de ce type d'instrumentalisation. Tous les pédopsychiatres s'accordent  pour affirmer qu'une fillette vêtue d'une mini-robe, chaussée de talons hauts, maquillée comme une voiture volée, et déambulant sur un podium en prenant des poses suggestives, est transformée en "friandise sexuelle", formule employée par Boris Cyrulnik. Cette hypersexualisation risque de susciter des troubles dans son développement psychologique, puisque, devenue objet de désir, elle ne peut plus vivre normalement sa vie d'enfant. Le problème est que les concours de mini-miss sont généralement proposés aux fillettes par des mères inconscientes.

Dès lors que les parents ne protègent pas leurs enfants, le législateur est donc fondé à intervenir. L'article 3 al. 1 de la Convention internationale sur les droits de l'enfant justifie pleinement son intervention, puisqu'il mentionne que "l'intérêt supérieur de l'enfant" doit "être une considération primordiale" dans toutes décisions le concernant. De la même manière, la proposition de la loi se fonde directement sur le droit à la dignité, que le Conseil d'Etat, depuis le célèbre arrêt Commune de Morsang-sur-Orge du 27 octobre 1995, considère comme un élément de l'ordre public, au même titre que la sécurité publique, l'hygiène publique, voire la morale publique. Comme l'affirmait déjà Françoise Dolto, l'enfant est une personne, et a droit au respect de sa dignité au même titre qu'un adulte.

Des zones de non-droit

Jusqu'à aujourd'hui, cette question de l'hypersexualisation restait dans une surprenante zone de non-droit. L'emploi des enfants de moins de seize ans dans des activités de spectacle, de cinéma ou de mannequin est certes soumis à autorisation administrative par l'article  L 7124-1 du Code de travail. Mais les critères d'octroi de cette autorisation ne sont pas clairement précisés, et on vu des magazines de mode l'obtenir sans difficulté pour présenter des photos de jeunes lolitas. La proposition de loi établit désormais des critères plus précis, n'autorisant les enfants à exercer le métier de mannequin que pour assurer la promotion de produits destinés aux enfants.


La Petite. Louis Malle. 1978. Brooke Shields


L'organisation des concours de mini-miss s'est également développée en dehors de toute réglementation. Des contentieux commencent donc à apparaître. Le premier a eu lieu devant le tribunal grande instance d'Auch le 20 février 2012, lorsque l'organisatrice d'une de ces manifestations a demandé réparation du préjudice commercial né du retrait, à la demande du Planning Familial, de l'élection des mini-miss du programme d'une soirée festive. Le juge ne s'est pas vraiment montré compréhensif, et lui a refusé toute indemnité. Il a même condamné la plaignante à rembourser les frais engagés lors du procès par le Planning Familial. D'autres contentieux risquent également d'intervenir, cette fois devant le juge administratif, car il est fort probable que des élus n'hésiteront pas à interdire ce type de manifestation.

La proposition de loi déposée par Chantal Jouanno affirme une position claire, en faisant de l'organisation de concours de mini-miss un délit dont l'auteur peut être condamné à deux années d'emprisonnement et 30 000 € d'amende. Cette peine peut aussi être prononcée à l'encontre des "personnes qui favorisent, encouragent ou tolèrent l'accès des enfants à ces concours". La précision n'est pas sans intérêt, puisque les parents des mini-miss peuvent ainsi être poursuivis. Les associations oeuvrant dans le domaine des droits de l'enfant se voient reconnaître les droits reconnus à la partie civile, ce qui les autorise à exercer une mission de vigilance dans ce domaine.

Il reste au Parlement à adopter ce texte. Il n'a échappé à personne que Chantal Jouanno est sénateur UDI, et que son rapport avait été remis avant l'alternance de juin 2012. Est-il vain d'espérer que, pour une fois, une proposition de loi suscite un consensus entre la majorité et l'opposition, dans l'intérêt supérieur des enfants ? On veut croire que la proposition de loi sera rapidement adoptée, peut-être à l'unanimité.






mardi 19 mars 2013

Baby Loup : la Cour de cassation malmène le principe de laïcité

L'arrêt Baby Loup rendu le 19 mars 2013 par la Chambre sociale de la Cour de cassation était très attendu. L'affaire était, en effet, très médiatisée, par ceux-là même qui voulaient faire reconnaître la supériorité de la liberté d'expression religieuse sur le principe de laïcité. Force est de constater qu'ils y sont parvenus, au moins provisoirement.

On se souvient qu'en 2008 une employée d'une crèche associative de Chanteloup-les-Vignes avait réintégré son emploi, après cinq années passées en congé maternité et en congé parental. A la reprise de ses fonctions, elle était portait le voile islamique durant son activité professionnelle, en violation du règlement intérieur de l'établissement. Après de multiples mises en garde, elle avait été licenciée pour faute lourde. Le Conseil de Prud'hommes de Mantes la Jolie le 13 décembre 2010, puis la Cour d'appel de Versailles le 27 octobre 2011 avaient alors également considéré que le principe de neutralité s'applique aux employés d'une crèche et confirmé la légalité du licenciement.

La Cour de cassation, quant à elle, se borne à rappeler que le règlement intérieur de la crèche énonce que "la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées par Baby Loup". Or, à ses yeux, ce règlement intérieur n'est pas conforme à l'article L 1321-3 du code du travail, qui prohibe toute disposition discriminatoire dans ce type de document. Un raisonnement très simple, pour ne pas dire simpliste, car les questions essentielles ne sont même pas posées. 

Service public et neutralité

La Cour refuse de considérer que la crèche Baby Loup gère un service public. Son refus est toutefois implicite et doit être lu "en creux", par comparaison avec l'autre décision rendue le même jour, concernant cette fois la salariée d'une caisse d'assurance maladie de Seine Saint Denis. Dans son cas, la Cour estime que le principe de neutralité doit s'appliquer, puisque la salariée participe à une mission de service public. A contrario, la Cour considère que l'employée de la crèche Baby Loup n'exerce pas une telle mission, et sa situation relève donc exclusivement du Code du travail. 

Sans doute, mais la Cour d'appel avait pourtant insisté sur la mission de service public de Baby Loup, qui doit " développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé" et s'efforcer " de répondre à l'ensemble des besoins collectifs émanant des familles, avec comme objectif la revalorisation de la vie locale (...) sans distinction d'opinion politique ou confessionnelle". On aimerait tout de même savoir pourquoi la Cour de cassation refuse de considérer ces missions comme relevant du service public. 

La question se pose avant d'autant plus d'acuité qu'un service public peut être assumé par une personne privée, qu'il peut même être payant, tout en restant soumis au principe de neutralité. Surtout, ce raisonnement implicite, qui doit être décrypté à la lumière d'une autre décision, place la Chambre sociale de la Cour de cassation en parfaite contradiction avec la Chambre civile de la même juridiction, ce qui peut sembler fâcheux. Dans une décision du 21 juin 2005, cette dernière a en effet estimé que le règlement intérieur d'un établissement d'enseignement privé géré par une association est tout à fait fondé à interdire le port du voile dans l'enceinte du collège. Une association gérant une crèche n'est pas un service public et n'est pas soumise au principe de neutralité. La même association gérant un collège est un service public et est soumise au principe de neutralité. Le critère de distinction demeure évidemment d'une totale obscurité. 

















  
John Franklin Koenig (1924-1988) Composition abstraite. 
Tentative d'explication de la jurisprudence de la Cour de cassation. 
Collection particulière

Etat et laïcité

La Cour de cassation affirme que "le principe de laïcité instauré par l'article 1er de la Constitution n'est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public". Autrement dit, pour la Cour, la laïcité est un simple synonyme de la neutralité, et les deux termes sont plus ou moins interchangeables. 

Si la neutralité est un principe d'organisation du service public, la laïcité, quant à elle, est un principe d'organisation de l'Etat. Elle impose la séparation entre la société civile et la société religieuse. La laïcité ne suppose pas seulement la neutralité de l'Etat, mais aussi, et surtout l'indépendance de la société civile à l'égard des institutions religieuses. La laïcité consiste donc à faire passer la religion de la sphère publique à la sphère privée. Même si l'on considère que la crèche Baby Loup n'est pas un service public, l'exigence de laïcité n'est pas pour autant nécessairement écartée. 

Liberté de conscience et laïcité

La Cour de cassation l'écarte pourtant, en faisant prévaloir la liberté de conscience et de religion. Là encore, elle procède par affirmation, sans davantage de justification. La Cour déclare pourtant fonder sa décision sur le strict respect de la hiérarchie des normes. Le règlement intérieur de la crèche est donc écarté pour absence de conformité à la norme supérieure, en l'espèce le code du travail qui a valeur législative. Certes, mais pour quel motif la laïcité, qui figure dans l'article 1er de la Constitution est-elle écartée au profit de la liberté de conscience qui figure dans l'article 10 de la Déclaration de 1789 ? Nul n'ignore qu'il n'existe aucune hiérarchie entre les normes de valeur constitutionnelle. Comme toujours lorsqu'il y a conflit de normes, le choix est donc effectué de manière discrétionnaire, pour ne pas dire arbitraire, par le juge. 

On le voit, la décision de la Cour de cassation est le reflet d'un choix du juge, choix qui aurait pu être différent en s'appuyant sur d'autres dispositions constitutionnelles. Heureusement, la liberté de manifester sa religion, comme toute liberté, s'exerce dans le cadre des lois qui la réglementent. Il serait peut-être temps de se demander ce qu'est devenue la proposition de loi déposée en octobre 2011 par madame Françoise Laborde, sénatrice de Haute-Garonne (parti radical). Son objet était "d'étendre l'obligation de neutralité aux structures privées en charge de la petite enfance et d'assurer le respect du principe de laïcité". La loi a été adoptée en première lecture par le Sénat en janvier 2012, puis transmise à l'Assemblée en juillet de la même année. Depuis cette date, nul n'a plus entendu parler d'elle. On attend désormais du législateur qu'il rétablisse un peu de cohérence dans le droit positif.

samedi 16 mars 2013

"Casse toi pôv' con" devant la Cour européenne

L'arrêt de la Cour européenne du 13 mars 2013 Eon c. France n'est pas passé inaperçu, en raison des faits qui l'ont suscité. Souvenons-nous qu'en août 2008, M. Eon, militant altermondialiste, a brandi, sur le passage de Nicolas Sarkozy à Laval, une pancarte où était écrit : "Casse-toi pôv'con". La formule était déjà célèbre puisque le Président lui-même l'avait employée au Salon de l'Agriculture, en février de la même année, à l'adresse d'un visiteur qui refusait de lui serrer la main.

Les déboires de M. Eon devant la justice française

Il n'empêche que le militant a été poursuivi devant la justice pour offense au Président de la République, délit réprimé par l'article 26 de la célèbre loi sur la presse du 29 juillet 1881. S'il est vrai que la peine prévue peut atteindre 45 000 €, le tribunal correctionnel de Laval a fait le service minimum en prononçant une condamnation à 30 € d'amende, peine assortie du sursis. La Cour d'appel d'Angers a ensuite confirmé la condamnation le 24 mars 2009. Le condamné n'a pu se pourvoir efficacement en Cassation, car l'aide juridictionnelle lui fut refusée au motif que sa requête était dépourvue d'un moyen sérieux. Son avocat, dans un geste aussi loyal que désintéressé, a ensuite renoncé à déposer un mémoire pour contester cette décision, dès lors que, faute d'aide juridictionnelle, il n'était pas rémunéré.

Le requérant a donc finalement saisi la Cour européenne et celle-ci s'est déclarée compétente, estimant que, dans ces conditions, il était possible de considérer que M. Eon avait effectivement épuisé les voies de recours internes. 

Sur le fond, la Cour déclare la peine infligée à M. Eon non conforme à l'article 10 de la Convention européenne, qui garantit la liberté d'expression. De cette décision, la plupart des commentateurs retiennent le ridicule de la situation de l'ancien Président de la République. La Cour, en effet, n'hésite pas à rappeler que le requérant n'a fait que "reprendre à son compte une formule abrupte, utilisée par le Président de la République lui-même, largement diffusée par les médias puis reprise et commentée par une vaste audience de façon fréquemment humoristique". Le comique de la situation ne saurait cependant cacher le fait que la décision est beaucoup moins audacieuse qu'elle aurait pu l'être.


Manifestante du salon de l'agriculture, poursuivie pour offense au Chef de l'Etat

Offense au Chef de l'Etat et diffamation

Le délit d'offense au Chef de l'Etat se distingue de la diffamation par l'absence d'exception de vérité. L'auteur des propos incriminés ne peut s'exonérer de sa responsabilité en prouvant la vérité des faits qu'ils mentionnent, dès lors que ces faits concernent le Président de la République. Dans l'affaire Eon, la mise en oeuvre du droit de la diffamation aurait ainsi conduit à une discussion, certainement fort intéressante, sur le point de savoir si Nicolas Sarkozy était, ou non, un "pôv' con". On comprend, dès lors, que l'existence même du délit d'offense au Chef de l'Etat s'explique par la volonté de ne pas susciter, lors d'un procès, des débats qui auraient pour conséquence de porter atteinte, non pas à l'individu, mais à la fonction présidentielle.

La Cour aurait cependant pu faire observer que la notion d'"offense" n'est pas clairement définie par le législateur. Cette incertitude dans la définition de l'incrimination semble  ainsi aller à l'encontre du principe de légalité des délits et des peines, qui exige, au contraire, une grande précision dans ce domaine. De même, dès lors que la personne poursuivie ne peut s'exonérer par l'exception de vérité, la Cour aurait pu considérer que le principe d'égalité des armes, garanti par l'article 6 § 1 de la Convention n'était pas respecté. C'était d'ailleurs exactement le raisonnement suivi dans l'arrêt Colombani et autres c. France, rendu le 25 septembre 2002, à propos de l'offense à un chef d'Etat étranger. A la suite de cette décision, le délit d'offense à un chef d'Etat étranger avait été purement et simplement abrogé par la loi Perben du 9 mars 2004.

Une décision identique concernant l'offense au président de la République française n'aurait probablement choque personne, d'autant que ce délit n'était plus utilisé depuis la fin de la guerre d'Algérie. Depuis lors, aucune Président n'avait engagé de poursuites sur ce fondement... jusqu'à ce que Nicolas Sarkozy, bien connu pour son attachement à la liberté d'expression, ressuscite l'offense au Chef de l'Etat.

La Cour européenne a pourtant préféré ne pas contester l'existence même de ce délit, considérant implicitement qu'il n'est  pas anormal qu'un système juridique octroie au Chef de l'Etat une protection particulière.

Contrôle de proportionnalité sur la sanction

Elle a préféré exercer son contrôle de proportionnalité à l'égard de la peine infligée à M. Eon.  Elle observe ainsi que sa condamnation s'analyse comme une "ingérence des autorités publiques" dans son droit à la liberté d'expression. Conformément à l'article 10 § 2 de la Convention, cette ingérence peut donc être licite si elle est "prévue par la loi" et "nécessaire dans une société démocratique".

La première condition ne pose aucune difficulté puisque l'offense au chef de l'Etat figure dans l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881.  En revanche, la seconde condition est plus problématique. Conformément à sa jurisprudence Chauvy et autres c. France du 29 juin 2004, la Cour recherche si les motifs invoqués par les autorités françaises pour justifier l'ingérence dans la liberté d'expression de M. Eon sont "pertinents et suffisants" et si la sanction est "proportionnée aux buts légitimes poursuivis".

En l'espèce, la Cour admet que le "Casse-toi, pôv'con" de M. Eon est effectivement offensant pour la président de la République, d'autant que ces propos sont parfaitement prémédités et ne répondent pas, à chaud, à un propos blessant du chef de l'Etat. Elle admet également que le requérant ne saurait invoquer la protection de la liberté de presse, contrairement à l'affaire Colombani, dans laquelle l'offense à un chef d'Etat étranger résultait d'un livre mettant en cause l'entourage du roi du Maroc dans le trafic de drogue qui se développe dans ce pays. M. Eon, lui, se borne à exercer sa liberté de manifester, dans une démarche purement individuelle et ne participe donc pas directement au débat public.

La Cour recherche ensuite si la sanction infligée à M. Eon ne porte pas une atteinte excessive aux exigences de la liberté d'expression, et c'est précisément sur ce point qu'elle sanctionne les autorités françaises. D'une part, elle constate que la critique formulée par le requérant est effectivement de nature politique, faisant observer que M. Eon est connu comme militant altermondialiste particulièrement investi dans la défense des sans-papiers. D'autre part, la Cour fait observer "que la satire est une forme d’expression artistique et de commentaire social qui, de par l’exagération et la déformation de la réalité qui la caractérisent, vise naturellement à provoquer et à agiter". Le pamphlet ou la satire font donc l'objet d'une protection particulière, notamment depuis l'arrêt Vereinigung Bildender Künstler c. Autriche du 25 janvier 2007.  Enfin, la Cour fait suavement observer qu'un homme politique, fût-il président de la République, sait qu'il peut être soumis à des critiques parfois virulentes, et qu'il doit faire preuve à leur égard d'"une plus grande tolérance". La Cour parvient donc à la conclusion que la sanction infligée à M. Eon est excessive au regard des nécessités de la protection de la liberté d'expression. 

On peut certes en déduire que Nicolas Sarkozy a raté une occasion de ne pas saisir le juge, mais il n'en demeure pas moins que la décision Eon c. France n'impose pas l'abrogation immédiate du délit d'offense au chef de l'Etat. La Cour n'exclut pas qu'il puisse être utilisé, par exemple dans l'hypothèse d'une injure adressée au président, dans sa vie privée ou familiale. Quoi qu'il en soit, dès lors que le droit positif français a su se passer de ce délit pendant une bonne quarantaine d'années avant que Nicolas Sarkozy le ressuscite, il serait peut être temps de s'interroger sur son maintien dans l'ordre juridique. Cela éviterait au moins aux présidents de la République des années futures de se ridiculiser, ou plutôt de ridiculiser leurs fonctions, dans des actions contentieuses aventurées.