« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 2 juin 2012

La QPC et le temps





L'article 62 de la Constitution confère au Conseil constitutionnel, lorsqu'il est saisi d'une QPC, une certaine forme de maîtrise du temps. La disposition déclarée inconstitutionnelle peut en effet "être abrogée à compter de la publication de la décision (...) ou d'une date ultérieure fixée par cette décision". Cette possibilité de repousser l'effectivité de l'abrogation trouve son origine dans une volonté de garantir la sécurité juridique de ceux qui tiraient des droits des dispositions déclarées inconstitutionnelles, en laissant au législateur un délai suffisant pour les modifier.



La pratique montre que cette louable préoccupation se heurte à une réalité juridique beaucoup complexe que prévu. La "sortie de vigueur", pour reprendre la formule de René Chapus, ne se réduit pas à une sorte de dialogue entre le Conseil et le parlement. D'autres acteurs interviennent, comme la Cour européenne, les juges du fond, voire l'opinion publique. Selon le choix du Conseil constitutionnel en matière d'application dans le temps de sa décision, des difficultés apparaissent, qui n'avaient certainement pas été prévues lors de la mise en oeuvre de cette procédure. 


L'abrogation retardée


L'un des premiers cas d'abrogation "retardée" est celui, bien connu de la garde à vue. Dans sa décision du 30 juillet 2010, le Conseil déclare inconstitutionnelle les dispositions qui ne prévoyaient pas l'intervention d'un avocat dès le début de la garde à vue. Elle repousse toutefois leur abrogation effective au 1er juillet 2011, afin de laisser aux pouvoirs publics le temps nécessaire pour élaborer une nouvelle législation.

Il se trouve cependant que la Cour européenne est intervenue sur le même sujet, par une décision Brusco c. France du 14 octobre 2010. Et lorsque la Cour de cassation fut saisie à son tour d'une demande de nullité d'une garde à vue, le 15 avril 2011, elle a donné satisfaction au requérant, en s'appuyant sur le caractère immédiatement exécutoire de la jurisprudence de la Cour européenne. Dans ce cas, le délai imposé par le Conseil constitutionnel est devenu inutile, pour ne pas dire caduc. Il a cédé devant les efforts conjugués de la Cour européenne et des juges du fond, désireux de mettre en oeuvre la réforme de la garde à vue dans les plus brefs délais.

Nicolas Poussin. La danse sur la musique du temps. 1634


L'abrogation immédiate, mais non applicable aux affaires en cours


Dans une décision du 10 mai 2012, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a tiré les conséquences de l'abrogation par le Conseil constitutionnel des dispositions du code pénal excluant l'enregistrement audiovisuel des auditions des personnes poursuivies pour des infractions relevant de la criminalité organisée. Cette fois, dans sa décision rendue sur QPC le 6 avril 2012, le Conseil s'était prononcé pour une abrogation immédiate, en précisant, toujours pour des motifs de sécurité juridique, qu'elle ne s'appliquerait qu'aux enquêtes et interrogatoires des personnes mises en examen après sa décision.


Le résultat, pour le moins inattendu est que le requérant, celui là même qui a posé la QPC et obtenu la déclaration d'inconstitutionnalité d'une procédure qui le concernait directement, n'a pas pu profiter de ses effets. Par hypothèse, son audition avait eu lieu avant la QPC et ne pouvait donc plus être annulée. La gestion du temps devient alors un obstacle, car quel est l'intérêt de poser une QPC si, par hypothèse, le requérant ne peut en tirer bénéfice ?

L'abrogation immédiate


Il est vrai que le Conseil constitutionnel ne précise pas toujours que l'abrogation ne s'appliquera pas aux affaires en cours. Dans sa décision sur le harcèlement sexuel du 4 mai 2012, il se borne à abroger l'incrimination jugée trop imprécise, décision qui prend immédiatement effet. Cette fois, c'est l'opinion qui s'est insurgée, ou plus exactement cette petite partie de l'opinion que représentent certains mouvements féministes. L'abrogation du délit de harcèlement sexuel contraint en effet les juges à lever les charges pesant sur le requérant de la QPC mais aussi sur tous ceux qui étaient poursuivis pour des motifs identiques. Certains ont alors dénoncé l'impunité désormais acquise au harceleur, en oubliant que d'autres incriminations peuvent être utilisées pour sanctionner son attitude. D'autres ont même proposé une réforme visant à limiter l'accès à la QPC aux seules victimes, suggestion qui vise à supprimer l'égalité des armes et l'égalité devant la justice.  

Le temps ne fait rien à l'affaire.. mais sa gestion en matière de QPC demeure une source d'incertitudes. Que l'abrogation soit immédiate, applicable ou non aux affaires en cours, ou même retardée, aucun procédé n'est à l'abri des critiques. Quoi que fasse le Conseil constitutionnel, le contrôle du temps finit par lui échapper. 


jeudi 31 mai 2012

La mission Lescure et l'avenir d'Hadopi

Le 22 mai 2012, a été annoncée la nomination de Pierre Lescure, l'ancien Président de Canal +, à la présidence d'une mission de concertation sur l'avenir de la loi Hadopi du 12 juin 2009. Les médias ont largement repris l'information. Certains ont insisté sur l'intervention du ministre de la culture, Aurélie Filipetti, qui tient manifestement à gérer ce dossier, écartant de facto la nouvelle ministre de PME et de l'économie numérique, Fleur Pellerin. D'autres ont mis en évidence la personnalité de Pierre Lescure, proche des industriels du secteur. 

L'espace des lobbys

Il est plus difficile de s'interroger sur les éventuelles modifications de la loi Hadopi, susceptibles d'intervenir dans les mois à venir. Les promesses de campagne du Président François Hollande sont restées imprécises sur ce point. Sans doute parce que la gauche est partagée entre les "libertaires" qui souhaitent l'abrogation du texte assortie d'une licence globale taxant les fournisseurs d'accès (FAI), et les acteurs culturels qui veulent, avant tout, la protection des droits des auteurs et créateurs.  

Pour le moment, on peut au moins envisager quelques évolutions possibles, sachant que le premier rapport de l'autorité indépendante instituée par la loi Hadopi se présente, avant tout, comme un instrument de communication destiné à montrer l'efficacité du texte. 

La liberté d'accéder à internet

La disposition la plus discutée de la loi Hadopi est évidemment celle qui permet la suspension de l'accès à l'internet de l'abonné coupable de téléchargements illégaux. Cette mesure est l'ultime sanction après plusieurs avertissements de l'internaute par l'autorité indépendante Hadopi, et s'inscrit dons dans une stratégie connue sous le nom de "riposte graduée".  

Le Conseil constitutionnel a imposé l'intervention du juge judiciaire pour prononcer une telle sanction, dans sa décision du 10 juin 2009, imposant une modification de la loi en octobre 2009. Il estime en effet, "qu'en l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et à l'expression des idées et des opinions", le droit à la libre communication des pensées et des opinions garanti par l'article 11 de la Déclaration de 1789 implique "la liberté d'accéder à internet".   

Méchant pirate victime de la riposte graduée. Walt Disney. Peter Pan. 1953.


Riposte graduée et neutralité du net

Cette "riposte graduée" susceptible d'aboutir à une suspension de l'accès à internet est, par ailleurs, incompatible avec le principe de neutralité du net. D'abord formulé aux Etats Unis, il vise à affirmer l'égalité de traitement des flux de données, excluant toute discrimination à l'égard de la source, de la destination ou de contenu de l'information transmise sur le réseau. Le principe de neutralité interdit donc les restrictions d'accès à internet. Sans avoir stricto sensu, une quelconque valeur juridique en droit français, le principe de neutralité est repris par plusieurs organisations internationales, et notamment l'OSCE

Tous ces éléments concourent à fragiliser cette sanction considérée comme injustement sévère, d'autant qu'elle touche souvent, non pas l'internaute indélicat, mais l'ensemble de son entourage. Là encore, la sanction pèse de manière très différente selon les familles, celles qui ne disposent que d'un seul accès se trouvant plus lourdement pénalisées. La suspension de l'abonnement pourrait donc disparaître de la gamme de sanctions possibles contre les internautes, ce qui ne signifie pas l'abandon de toute répression contre les téléchargements illégaux.

D'autres évolutions, plus conjoncturelles, pourraient intervenir, en particulier dans la composition de l'autorité indépendante. Nul n'ignore que la Présidente d'Hadopi et ses principaux collaborateurs ont dressé un bilan particulièrement optimiste, pour ne pas dire gonflé, des résultats obtenus depuis la création de cette institution. Et ces statistiques ont été largement utilisées lors de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy. La question est alors posée de la pérennité d'une autorité pas très indépendante.

Pour le moment, rien ne permet de penser que la loi Hadopi sera abrogée. Il est probable, en revanche, qu'elle sera modifiée pour mettre en place une nouvelle forme de "riposte graduée". C'est précisément le rôle de la mission Lescure de trouver un consensus. Ce n'est certainement pas chose facile dans un secteur dominé par de puissants lobbies. 



mardi 29 mai 2012

L'affaire Aurore Martin : le recours contre un mandat d'arrêt européen

La Cour européenne a rendu le 25 mai une décision d'irrecevabilité du recours présenté par Madame Aurore Martin, dirigé contre la décision des autorités françaises d'exécuter un mandat d'arrêt européen émis par l'Espagne. On se souvient que Madame Martin fait l'objet d'un tel mandat pour faits de participation à une organisation terroriste, et terrorisme, pour avoir participé en Espagne aux activités du parti basque Batasuna. 

L'irrecevabilité manifeste

Sur le fond, la décision ne faisait guère de doute. Elle n'est guère différente d'autres décisions d'irrecevabilité, notamment celle concernant Robert Stapleton en mai 2010. Elle était alors saisie par un Irlandais soupçonné d'être le banquier de l'IRA et accusé de différents délits de droit commun, qui contestait le mandat d'arrêt européen émis à son encontre par le Royaume Uni. En l'espèce, la Cour considère qu'il y a irrecevabilité manifeste. Le requérant ne démontre pas, en effet que l'exécution du mandat d'arrêt l'exposerait à un "déni flagrant" de ses droits à un procès équitable. En filigrane, on distingue également une certaine réticence à donner satisfaction à un requérant juridiquement en fuite, alors même que les Etats concernés sont évidemment parties à la Convention européenne des droits de l'homme et lui offrent donc la possibilité de contester devant le juge les décisions qui le touchent. 

Mandat d'arrêt et infractions politiques

De même, le caractère "politique" de l'infraction relève davantage du discours militant que de l'argument juridique. Il est vrai que la décision-cadre du 13 juin 2002, qui constitue le fondement du mandat d'arrêt européen, interdit à l’Etat dans lequel le mandat d’arrêt doit être exécuté d’opposer le caractère politique de l’infraction pour refuser la remise de la personne recherchée. Cette disposition heurtait ainsi le principe fondamental reconnu par les lois de la République interdisant précisément l’extradition dans un but politique, et le Conseil d'Etat, dans son avis du 26 septembre 2002, n'a pas manqué de le faire observer. La seule solution était donc de réviser la Constitution, ce qui fut fait avec la loi du 25 mars 2003. L'article 88 de la Constitution comporte désormais un second paragraphe : « La loi fixe les règles relatives au mandat d'arrêt européen en application des actes pris sur le fondement du traité de l'Union européenne ».


Nada. Claude Chabrol. 1974

Mandat d'arrêt et extradition

On pourrait en déduire que le mandat d'arrêt européen est, sur ce point, moins protecteur que l'extradition. Cette dernière concerne cependant l'ensemble des Etats, y compris les moins respectueux de l'Etat de droit.  A ce titre, il n'est pas surprenant que l'on se méfie d'éventuelles demandes formulées par des dirigeants peu scrupuleux et simplement désireux de se faire livrer des opposants politiques.

Le mandat d'arrêt, en revanche, repose sur deux notions fondamentales. La première est l’« espace judiciaire européen », constitué des territoires étatiques de l'ensemble des Etats membres. La seconde la « reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires » au sein de l'Union européenne. En vertu de ce principe, une décision prise par une autorité judiciaire de l'un des Etats membres a plein effet dans tous les autres Etats membres. En conséquence, les autorités de l’Etat membre sur le territoire duquel la décision doit être exécutée doivent prêter leur concours à cette exécution, comme s’il s’agissait d’une décision prise par leurs propres autorités.  Le mandat d’arrêt européen repose ainsi sur la confiance mutuelle entre les Etats membres et implique une véritable coopération judiciaire. Le risque d'une demande pour des motifs purement politiques est donc très réduit. 

Mandat d'arrêt et terrorisme

En Espagne comme en France, les autorités peuvent dissoudre un parti politique parce qu'il participe à des activités terroristes. L'article 3 de la loi du 1er juillet 1901 permet ainsi la dissolution d'une association " qui aurait pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national et à la forme républicaine du gouvernement" (art. 3). Or on sait que les partis politiques ont, en France, le statut d'association, la seule différence avec le droit commun étant l'obligation de constituer parallèlement une seconde association de financement. De même, la participation à un mouvement terroriste peut être sanctionnée par l'infraction d'"association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste"(art. 421-2-1 c. pén.). Cette infraction n'a rien à voir avec un délit d'opinion, dès lors qu'elle suppose un commencement d'exécution, une aide directe apportée à un mouvement terroriste.

Le droit positif ne joue donc pas en faveur de Madame Aurore Martin. Cette constatation n'exclut pas cependant certaines interrogations à l'égard du mandat d'européen. Car cette procédure a les défauts de ses qualités. Sa rapidité n'est pas sans conséquences sur le recours qui s'exerce lui aussi rapidement. La Chambre d'instruction dispose en effet de vingt jours pour statuer lorsque le requérant refuse sa remise aux autorités d'émission du mandat. Cette procédure peut sembler sommaire, du moins si on la compare au droit de l'extradition, qui suppose un double recours, devant le juge judiciaire pour contester l'avis de la Chambre d'instruction, puis devant le Conseil d'Etat pour contester la légalité du décret d'extradition. Sur ce point, la procédure de recours contre le mandat d'arrêt européen apparaît un peu rapide, alors que celle des recours dirigés contre une décision d'extrader est un peu lente. 




vendredi 25 mai 2012

QPC : prélèvement des cellules souches à des fins thérapeutiques

Le 16 mai 2012, le Conseil constitutionnel a rendu une décision sur la conformité à la Constitution de l'article L 1241-1 du code de la santé publique. Ce texte, très récent puisqu'il est issu de la loi du 7 juillet 2011 autorise le prélèvement de cellules souches à des fins scientifiques ou thérapeutiques, évidemment sous certaines conditions. 

Les cellules qui réparent

Ces cellules souches peuvent être définies comme celles qui sont à l'origine de tous les organes du coeur humain. Elles ont la particularité d'être indifférenciées, ce qui signifie qu'elles ne sont pas encore spécialisées. L'embryon, une semaine après la fécondation, dispose ainsi déjà de quelques dizaines de cellules souches qui vont peu à peu fabriquer les différents organes. Une fois l'organisme entièrement constitué, il restera quelques précieux gisements de cellules souches, notamment dans la moelle osseuse. 

Ces cellules souches sont précieuses pour les biologistes, dans la mesure où elles constituent un véritable moteur de régénération cellulaire. Sur l'adulte, les prélèvements de cellules souches dans la  moelle osseuse permettent ainsi de traiter des leucémies. Mais c'est sur l'embryon que les cellules souches sont le plus accessible, soit dans le placenta, soit dans le cordon ombilical. Elles peuvent donc être prélevées lors de l'accouchement. 

Un marché rémunérateur

On l'a compris, les cellules-souches sont aussi un marché très rémunérateur. L'entreprise requérante est précisément spécialisée dans la conservation des cellules-souches. Elle veut offrir aux familles la possibilité de les prélever lors de l'accouchement, et de les conserver pour pouvoir éventuellement les utiliser dans l'hypothèse où un membre de la famille serait un jour atteint d'une maladie grave. 

Le problème est que l'article L 1241-1 du code de la santé publique n'envisage, conformément à la pratique française des dons d'organe, qu'un don anonyme pour un usage allogénique, c'est à dire extérieur à la famille donneuse. Cette utilisation interdit la création de banques de cellules souches, prélevées par les familles et dans leur propre intérêt. C'est précisément ce que conteste la société requérante qui y voit une atteinte à la liberté individuelle garantie par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi qu'au droit à la santé figurant dans le Préambule de la Constitution de 1946.

Renoir. L'enfant au biscuit. 1898.


L'intérêt général et non pas la liberté individuelle

Le Conseil constitutionnel refuse d'entrer dans ce raisonnement. A ses yeux, le législateur n'a jamais envisagé le don d'organe comme une prérogative individuelle exercée à des fins d'intérêt personnel. Au contraire, les lois bioéthiques du 29 juillet 1994, puis du 6 août 1994 ont toujours considéré, par exemple, le don de gamètes comme le don d'un couple fertile à un couple stérile, dans une démarche gratuite et purement altruiste. Seule l'existence d'un projet parental peut justifier la conservation des gamètes du couple donneur, voire la création d'embryons in vitro, 

En l'espèce, la loi du 7 juillet 2011 adopte une démarche sensiblement identique. Le principe est le don anonyme de cellules souches à des fins thérapeutiques pour permettre de traiter certains patients. La seule exception à cet anonymat est l'hypothèse où ce don est indispensable pour traiter un malade déjà identifié dans la cellule familiale. Cette condition fait cependant l'objet de nombreux contrôles médicaux.

Le droit à la santé n'est pas davantage un argument recevable, selon le Conseil constitutionnel. En effet, sauf en de très rares cas, d'ailleurs autorisés par la loi, l'état actuel des connaissances scientifiques ne permet pas de considérer que l'utilisation des cellules souches issues d'un membre de la famille serait plus efficace que celle de cellules provenant d'un donneur anonyme. Le Conseil considère donc sagement qu'il n'a pas à substituer son appréciation à celle des scientifiques. 

Derrière cette décision, parfaitement fondée en droit, on voit apparaître une certaine crainte de la privatisation de ces technologies nouvelles, la volonté de préserver l'égalité devant ces avancées scientifiques porteuses d'immenses espoirs thérapeutiques. Sans que le mot soit prononcé, c'est bien le service public de la santé qu'il s'agit de préserver. 




jeudi 24 mai 2012

Le tribunal correctionnel des mineurs va disparaître

Certains feignent de s'étonner de l'annonce par le Garde des sceaux de la suppression du tribunal correctionnel des mineurs (TCM) créé par la loi du 10 août 1011, entrée en vigueur début 2012. BFM annonce que "Taubira crée la polémique" et Rachida Dati critique une réforme "irresponsable". A dire vrai, c'est plutôt cette surprise qui est surprenante. Tout le monde comprend que l'UMP considère madame Taubira comme "le maillon faible". Quoi qu'elle dise, c'est vers elle qu'il faut donc diriger les attaques. Feindre l'étonnement à l'égard de la suppression des TCM relève du jeu de rôle électoral, auquel personne ne croit, pas même les acteurs.

La suppression de ces TCM, il y en a un dans le ressort de chaque cour d'appel, est l'une des promesses de campagne de François Hollande. Les juges des enfants l'attendaient même avec impatience. A leurs yeux, cette mesure est le premier volet, le signe avant-coureur de la reconstruction de la justice des mineurs (voir, dans ce sens, l'excellent article de J. P. Rozenczveig, sur son blog, ainsi que celui de Christine Bartolomei, publié en mai 2012).

Rappelons que les TCM sont composés de trois juges, un juge des enfants qui en assure la présidence et deux magistrats assesseurs. Ils ont pour mission de juger les mineurs de plus de seize ans qui risquent une peine égale ou supérieure à trois années d'emprisonnement, et qui sont dans une situation de récidive légale. Autant dire qu'ils ne concernent qu'une infime partie de la justice des mineurs, environ 300 cas par ans sur 150 000 dossiers. Sur ce plan, leur suppression passera donc inaperçu. 

Alors pourquoi tant de bruit ? Parce que ces TCM constituent l'élément le plus visible d'une réforme de la justice des enfants, engagée durant le précédent quinquennat et qui a suscité une opposition sans précédent. Pour le Président Sarkozy, un mineur délinquant est d'abord un délinquant, et il doit être jugé dans les mêmes conditions qu'un majeur. 

Leçon de calcul à de jeunes détenus. Maison Centrale de Melun. 1930
Photo d'Henri Manuel


Obstacles à la suppression de la justice des mineurs

Le problème est que ce n'est pas possible. La Convention de New York sur les droits des enfants de 1989, évidemment ratifiée par la France, énonce dans son article 40 que "les Etats parties s'efforcent de promouvoir l'adoption de lois, de procédures, la mise en place d'autorités et d'institutions spécialement conçues pour les enfants suspectés, accusés ou convaincus d'infraction à la loi pénale ". Certes, il ne s'agit pas d'une obligation absolue, puisque les Etats se bornent à "s'efforcer" de mettre en place une justice pénale spécifique pour les mineurs. 

En revanche, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 août 2002, empêche, cette fois très clairement, la suppression de la justice des mineurs. Il consacre comme principes fondamentaux reconnus par les lois de la République d'une part "l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge" et d'autre part "la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées". Autant dire qu'il constitutionnalise la justice des enfants.

Le processus d'asphyxie

Pour contourner ces difficultés, il a été décidé de réduire l'espace de la justice des mineurs, dans un lent processus d'asphyxie. Il s'est engagé avec la loi Perben du 9 septembre 2002 qui abaisse l'âge minimum de la garde à vue (de 13 à 10 ans) et de la détention provisoire (de 16 à 13 ans). La loi du 10 août 2007 réduit les sanctions éducatives, systématise la comparution immédiate, supprime l'excuse de minorité et généralise les peines planchers aux mineurs de 16 à 18 ans récidivistes. La loi du 10 août 2011, et la création des TCM n'est donc que la dernière étape d'un processus dont l'objet final est l'alignement de la justice des mineurs sur celle des majeurs, et la disparition de sa spécificité. 


Pour les juges des enfants, un mineur délinquant est d'abord un enfant, et il doit être jugé en tenant compte de sa situation globale, de son encadrement familial, de son parcours scolaire. La punition n'est pas dissociable de l'éducation. Cette démarche globale est sans rapport avec l'éventuelle fermeté de la peine finalement prononcée. 

L'annonce du Garde des Sceaux était donc très attendue, comme une sorte de réhabilitation de la justice des mineurs. Il demeure cependant difficile de revenir tout simplement au statu quo ante. En effet, dans une décision rendue sur QPC le 8 juillet 2011, le Conseil constitutionnel a considéré comme inconstitutionnel l'article L 251-1 du code de l'organisation judiciaire, qui prévoit que le juge des enfants qui procède à l'instruction est également le président de la formation de jugement. Une réflexion globale sur la justice des mineurs s'impose donc, avec cette fois pour fondement essentiel l'intérêt supérieur de l'enfant.

lundi 21 mai 2012

Québec : La liberté de manifester et le "printemps érable"

On se souvient qu'en mars 2012, les genevois ont adopté par votation une loi autorisant de fortes restrictions à la liberté de manifester. Aujourd'hui, c'est au Québec que le même problème se pose, avec la loi "permettant aux étudiants de recevoir l'enseignement dispensé par les établissement de niveau postsecondaire qu'ils fréquentent", plus connue sous le nom de "loi 78"

Ces textes ont été votés par deux Etats de droit, deux Etats fédérés qui exercent les compétences de maintien de l'ordre face à un Etat fédéral exigeant dans ce domaine depuis le développement de la menace terroriste. La différence essentielle entre les deux textes réside cependant dans leurs conditions d'adoption. Alors que le texte genevois a été voté par la population dans une tranquillité suisse, la loi québécoise se présente comme un texte de circonstance, dont l'objet est de mettre fin au mouvement de protestation engagé depuis plus de trois mois contre la hausse de 82 % des droits d'inscription dans les universités.


Une loi de circonstance

Le gouvernement Charest a finalement fait voter la  loi 78 après avoir hésité à utiliser la législation anti terroriste contre les étudiants. Il assume parfaitement son caractère de circonstance. Le champ d'application de la loi est ainsi limité au domaine de l'enseignement supérieur. On y trouve des dispositions très dérogatoires au droit commun, telle que la réquisition des employés qui doivent "se présenter au travail conformément à leur horaire habituel" le 19 mai à 7 h (art. 10).  On y trouve aussi des dispositions très ponctuelles qui précisent notamment que la reprise des cours dans les collèges aura lieu, au plus tard, le 17 août 2012 à 7 h, sauf dans celui d'Ahuntsic qui ne reprendra que le 30 août à la même heure (section 2 art. 2). 

Une loi d'exception

Ces dispositions pourraient faire sourire si elles ne révélaient pas l'existence d'une législation qui n'est plus seulement de circonstance, mais aussi d'exception. En effet, les étudiants comme leurs professeurs font l'objet d'un traitement à part, au mépris du principe d'égalité de la loi. Cette rupture apparaît très clairement si l'on examine ses dispositions pénales (section 5). Une association d'étudiants qui appelle à la grève peut ainsi être condamnée à une peine de 25 000 à 125 000 $ d'amende, doublée en cas de récidive. Quant à ses dirigeants, ils seront poursuivis à titre personnel, et condamnés à des peines allant de 7 000 $ à 35 000 $, toujours doublés en cas de récidive. A ces dispositions pénales s'ajoute évidemment un principe de responsabilité civile pour tout dommage causé à l'occasion de l'un de ces mouvements (art. 22). 



Manifestation autorisée au Québec, en 1976.

La liberté de manifester, du régime répressif à l'autorisation préalable

La liberté de manifester est évidemment au coeur de ce régime d'exception. Observons d'emblée que le droit québécois, en matière de libertés publiques, est un droit nord-américain. Comme aux Etats Unis, la liberté de manifester relève de la liberté d'expression, du  "Symbolic Speech"qui protège l'expression non verbale. Elle est donc en principe organisée sur la base du régime répressif. Autrement dit, chacun peut manifester librement, sauf à rendre compte d'éventuelles infractions devant le juge pénal ou des dommages causés devant le juge civil. 

En droit français, la liberté de manifester relève davantage de la liberté de circulation, et peut facilement donner lieu à des restrictions pour des motifs d'ordre public. 

C'est précisément ce modèle qu'adopte la loi 78, puisqu'elle met en place un régime de déclaration préalable, très proche de celui que nous connaissons en droit français, toujours régi par un ancien décret-loi du 23 octobre 1935. Les organisateurs d'une manifestation de plus de cinquante personnes doivent ainsi déclarer aux forces de police, au moins huit heures avant son début, l'heure, l'itinéraire et les moyens de transport utilisés. Contrairement au droit français, rien ne les oblige cependant à déclarer les motifs de la manifestation, comme si le législateur québécois ne s'intéressait à rien d'autre qu'au conflit actuel. Quoi qu'il en soit, les forces de police peuvent rejeter la déclaration "en cas de risques graves pour la sécurité publique", exiger un changement de lieu ou d'itinéraire. Les étudiants se heurtent donc au pouvoir discrétionnaire de la police, ce qui revient à transformer le régime de déclaration en régime d'autorisation préalable. 

Vue de la France, cette législation québécoise apparait étrange, en rupture totale avec l'image de cette démocratie vivante qui a longtemps été un centre d'innovation en matière de libertés. Sur ce point, la loi 78 nous montre ce que nous n'aimons pas voir, cette fragilité de l'Etat de droit qui concerne aussi les grandes démocraties. Le phénomène ne concerne pas que nos amis québécois qui ont au moins le mérite de protester. En France, la loi du 2 mars 2010 qui vise à sanctionner les "violences de groupe"est bien proche de la loi 78, et les protestations ne sont guère sorties du cercle des juristes vertueux.