Ce texte a été diffusé sur Liberté, libertés chéries, le 17 juillet 2024, sous l’intitulé Une victime collatérale de la dissolution : la constitution.
C’était un mois avant la tribune de LFI, publiée dans La Tribune Dimanche le 18 août. Cette dernière appelle à lancer une procédure de destitution contre le président Macron. Le texte du 17 juillet évoquait la même perspective, mais pour des raisons bien différentes. La tribune du 18 août se réfère surtout au refus de nomination d’un premier ministre issu des rangs du Nouveau Front Populaire, présenté comme vainqueur de la récente élection à l’Assemblée.
Une telle demande n’a en effet aucune raison d’aboutir, parce que mal fondée aussi bien en droit qu’en fait. En droit, il n’appartient pas aux partis de désigner un premier ministre. C’est la prérogative exclusive du président. En fait, d’abord parce que cette prétention repose sur une double imposture : non seulement le NFP n’a nullement gagné cette élection qui le laisse très minoritaire, mais en outre ses élus sont des élus du Front républicain et non de lui-même, puisqu’ils ont bénéficié largement et décisivement au second tour des désistements des candidats des partis du centre et de la droite. Ensuite, fonder une demande de destitution sur le refus de se soumettre à LFI est la condamner à un échec certain, et contre-productif. Qui va soutenir une telle demande ? Seul le NFP, et encore pas tout entier. Cet échec renforcerait donc la position présidentielle.
Comme l’expose le texte republié ci-dessous, il existe cependant des motifs plus solides et plus consensuels pour une perspective de destitution. On peut ne pas la souhaiter, mais dans certaines circonstances une crise présidentielle est préférable à une crise de régime.
Le président Macron a toujours pratiqué une lecture désinvolte de la constitution. Il l’a volontiers pliée à ses conceptions, pour ne pas dire à ses caprices. C’est ainsi qu’il a absorbé le premier ministre, contourné le conseil des ministres, pris des initiatives législatives alors même qu’il n’en a pas la compétence. Rien toutefois n’égale le festival, la nuit de Walpurgis de la constitution qui a suivi la dissolution du .. juin 2024. Non qu’elle ait été contraire à la constitution, bien au contraire, puisqu’il s’agit d’une prérogative discrétionnaire du chef de l’Etat. Il ne s’agit pas non plus de ses engagements politiques, qu’il lui est loisible de prendre. On ne traite ici que des transgressions constitutionnelles. Certaines lui sont imputables, d’autres proviennent des partis, voire du gouvernement. On peut en retenir cinq, certaines indiscutables, d’autres qui peuvent être débattues mais sortent clairement du texte de la loi fondamentale. Elles concernent soit les procédures, soit les principes, soit les responsabilités constitutionnelles.
- La première concerne la procédure de la dissolution. Aux termes de l’article 12, le président peut dissoudre après consultation du premier ministre et des présidents des assemblées. Or il est patent que ces consultations n’ont pas eu lieu. Il s’est agi de la simple information des autorités concernées d’une décision déjà prise. Même des journalistes ont été avertis avant le premier ministre de la dissolution… La présidente de l’assemblée nationale a même protesté et demandé un entretien particulier qui ne lui avait pas été proposé. On peut considérer ces procédures comme symboliques. En réalité elles sont révélatrices d’un dédain, pour ne pas dire d’un mépris complet des institutions républicaines, et du règne affiché du bon plaisir.
- La deuxième concerne la démission du gouvernement, remise après l’élection de la nouvelle mandature. Le président est-il libre de la refuser ? Certainement pas, si l’on en croit le texte de l’article 8. Il met fin aux fonctions du premier ministre « sur présentation par celui-ci de la démission du gouvernement ». Le premier ministre n’est pas un domestique, et s’il démissionne le président doit en prendre acte, sauf à le renommer s’il le souhaite et si l’autre l’accepte. Le seul précédent invocable concerne le refus par le président de Gaulle en 1962 d’accepter la démission du gouvernement Pompidou qui venait d’être renversé par une motion de censure. Mais la situation était différente, puisque, parallèlement au refus, le président prononçait la dissolution de l’assemblée, ce qui faisait du corps électoral l’arbitre du conflit. Ici il n’en est rien, puisque l’assemblée vient d’être élue et ne peut être dissoute. C’est même cette élection qui accentue la faiblesse du gouvernement et qui rend nécessaire sa démission : elle a pour seul intérêt de prévenir une inévitable motion de censure. Là encore, accepter ou refuser la démission du gouvernement relève du bon plaisir du président Macron, ce qui n’est pas conforme à la constitution.
Macron ne lâche rien. Les Goguettes en trio mais à quatre. juillet 2023
- Une troisième violation est imputable aux partis politiques qui se réclament du Nouveau front populaire. Ils prétendent en effet, sur la base du nombre de leurs députés, désigner un premier ministre que le président n’aurait qu’à nommer, en vertu d’une prétendue compétence liée. Or il n’en est rien, et la constitution le laisse libre de son choix. La prétention des partis est pleinement inconstitutionnelle : le rôle des partis politiques est prévu par l’article 4 : « ils concourent à l’expression du suffrage », point. Il ne leur appartient pas, même en coalition électorale de désigner le premier ministre, d’autant moins qu’ils prétendent transformer ladite coalition électorale en regroupement parlementaire. Or ce n’est pas le cas. Le parlement ne connaît que les groupes parlementaires, qui n’épousent pas nécessairement les frontières des partis politiques. Et les différents groupes parlementaires issus du Nouveau front populaire sont d’une part distincts, d’autre part loin d’être les premiers à l’assemblée, dépassés à la fois par ceux du Rassemblement national et de Ensemble pour la République, ex-Renaissance.
- Une quatrième violation résulte du refus du président de nommer rapidement un nouveau premier ministre et un nouveau gouvernement. Cette violation est à tiroirs, parce qu’elle en implique d’autres. Prenons d’abord ce refus, contraire tant à l’article 8 qu’à l’article 5. Article 8 : le président « nomme le premier ministre ». C’est un pouvoir, un pouvoir propre, non soumis au contreseing, mais c’est aussi une obligation, qui résulte de l’article 5, celui qui lui demande d’assurer « par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat ». Maintenir en fonctions un gouvernement démissionnaire, même et surtout avec des pouvoirs restreints, la gestion des « affaires courantes », c’est violer ce double commandement, porter atteinte au fonctionnement régulier des pouvoirs publics et ne pas assurer la continuité de l’Etat. Le président a donc l’obligation, et non la simple option, de nommer un premier ministre dans un délai raisonnable, qui ne saurait excéder quelques jours. Il est juste qu’il attende l’organisation de la nouvelle assemblée, l’élection de son président et la constitution de ses organes, mais il ne peut aller au-delà. L’idée d’un gouvernement démissionnaire en fonction pour plusieurs mois est contraire à la constitution.
Ceci d’autant plus que le statut de gouvernement démissionnaire n’est prévu par aucun texte, et ne relève pas de l’ordre constitutionnel, simplement de la commodité administrative. La notion d’affaires courantes est évanescente et n’a jamais pu être définie. Tout ce que fait un tel gouvernement est précaire et ne saurait s’inscrire dans la continuité de l’Etat. S’y ajoute que certains juristes – il s’en trouve toujours pour soutenir les thèses les plus complaisantes – affirment qu’un tel gouvernement démissionnaire ne peut être renversé par une motion de censure émanant de l’assemblée. Où ont-ils vu cela ? Le premier ministre reste premier ministre, les ministres restent ministre, ils n’ont ni présenté leur démission devant l’assemblée, ni même ne l’ont informée. L’assemblée peut parfaitement constater que le banc des ministres est occupé et donc adopter une motion de censure contre un tel gouvernement, ne serait-ce que parce qu’il prétend rester en fonction.
- S’ajoute encore une cinquième violation, qui provient cette fois du gouvernement démissionnaire. Ses membres qui sont en même temps députés prétendent voter à l’assemblée tout en restant sur le banc des ministres. C’est directement et clairement contraire à l’article 23, qui dispose que « les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire… ». Que ledit gouvernement soit démissionnaire ne change rien à cette interdiction, puisque, même de façon diminuée, il est toujours en fonction. L’atteinte est ici double : formellement à la constitution, substantiellement à la séparation des pouvoirs. Rappelons que l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, intégrée dans le préambule de la constitution, pose que « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de constitution ».
Point de constitution, en l’occurrence c’est trop dire, mais constitution violée de façon « délibérée, voulue, réfléchie et outrageante », pour reprendre les termes de Gaston Monnerville en 1962, président du Sénat. Sans doute cette formule est mieux fondée aujourd’hui qu’elle ne l’était à l’époque parce que nul pouvoir institué ne saurait s’opposer à l’expression directe de la souveraineté nationale, qui appartient au peuple. Simplement, aujourd’hui on pourrait parler du crime de l’Orient Express, parce que comme on l’a vu ce n’est pas seulement le président mais aussi les parlementaires et le gouvernement qui contribuent à ces violations démultipliées. Les deux dernières sont heureusement aisément remédiables : il n’y aura pas de premier ministre désigné par les partis, et le gouvernement reste exposé à la censure parlementaire.
Certains se réjouissent de cet imbroglio constitutionnel qui rappelle les poisons et délices de la IVe République, et aspirent ouvertement au retour du régime des partis et de l’absolutisme parlementaire. Que l’on nous préserve de ce désastre, l’ajout d’une crise institutionnelle à tous les clivages que connaît déjà le pays, alors même que la constitution de 1958 est la moins mauvaise que la France a connu depuis la Révolution, c’est-à-dire la meilleure. Il faut à l’inverse revenir à la constitution, à l’exercice régulier des compétences des différents pouvoirs, sortir du solipsisme constitutionnel d’un président sans Surmoi, alors que la Constitution doit être le Surmoi de tous les pouvoirs institués. C’est donc lui qui est à l’origine de la confusion actuelle et qui doit être tenu responsable du non-exercice de ses pouvoirs, qui l’obligent autant qu’ils l’investissent.
Le président n’est responsable devant aucun organe institué, et il n’entend pas engager sa responsabilité devant le peuple par un referendum. Reste une seule solution : la Haute Cour. Le président peut être destitué « pour manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », suivant les termes de l’article 68. La Haute Cour est saisie par les deux chambres, et statue dans le délai d’un mois à la majorité des deux tiers. Le déférer en Haute Cour ne serait pas porter atteinte aux institutions, mais au contraire les laver des excès et transgressions dont elle a été trop longtemps victime. S’ajoute que – mais là on sort du sujet pour entrer sur le terrain politique – un nouveau président ne pourrait sans doute pas dissoudre moins d’un an avant l’actuel, mais il pourrait recourir au referendum, moyen de faire doublement le corps électoral juge et solution de la crise.