La Fédération française de football (FFF) annonce qu'elle entend appliquer le principe de neutralité religieuse aux différentes sélections nationales. De manière très concrète, cela signifie que la période de Ramadan ne justifiera aucune modification de l'organisation aussi bien des stages que des matches joués par les équipes nationales. La FFF déclare très officiellement qu'«aucune règle spécifique modifiant l'organisation collective des stages et des matches des équipes n'est prise en lien avec une pratique religieuse». Contrairement à d'autres pays, la France refuse donc d'interrompre les matches pour permettre aux footballeurs de confession musulmane de rompre le jeûne.
Cette déclaration a suscité des commentaires très négatifs, en particulier d'entraineurs et de joueurs qui dénoncent une discrimination liée à leur pratique religieuse. Edwy Plenel lui-même, ancien responsable de Mediapart, dénonce une "décision discriminatoire qui viole l'égalité des droits". Ces propos sont largement repris dans la presse et sur les réseaux sociaux, sans que personne se préoccupe de rechercher si ils ont un quelconque fondement juridique.
Au contraire, l'application du principe de neutralité aux équipes nationales s'analyse comme la simple mise en oeuvre du droit positif.
Les statuts de la FFF
La Fédération française de football est une association fondée en 1919,
et reconnue d'utilité publique en 1922. L'article 1er de ses statuts précise qu'elle est chargée, comme ses organes déconcentrés, "d'une mission de service public déléguée par l'État" et qu'elle "défend les valeurs fondamentales de la République française". Il ajoute que "le respect de la tenue réglementaire et la règle 50 de la Charte olympique "assurent la neutralité du sport sur son lieu de pratique". Cette règle 50 de la Charte olympique, ainsi rappelée dans les statuts de la FFF précise qu'"aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse, ou raciale n'est autorisée dans les stades, les enceintes et autres terrains sportifs".
Le principe de neutralité est donc imposé, tant par la Charte olympique que par les statuts de la FFF. Au plan interne, cette obligation de neutralité ne s'analyse pas comme une discrimination mais, bien au contraire, comme la mise en oeuvre du principe d'égalité devant la loi.
Les footballeurs. Nicolas de Staël. 1952
Le précédent des Hijabeuses
Cette analyse repose sur une jurisprudence administrative récente, qui semble totalement oubliée par ceux qui protestent contre cette obligation de neutralité.
L'arrêt rendu par le Conseil d'État le 29 juin 2023 écarte en effet un recours déposé par les Hijabeuses, auxquelles s'étaient jointes Alliance Citoyenne et la Ligue des droits de l'homme. Il était dirigé contre le refus du président de la FFF d'abroger les statuts interdisant le port de tout signe
religieux durant les compétitions organisées par la Fédération. Les Hijabeuses voulaient pouvoir jouer au football avec un voile, mais elles n'ont finalement pas obtenu satisfaction.
A l'époque pourtant, le rapporteur public, Christian Malverti avait établi une distinction subtile, de nature à donner satisfaction aux requérantes. Il expliquait que l'obligation de neutralité pouvait être imposée aux employés de la FFF et aux joueuses des équipes nationales, mais pas aux simples licenciées de la Fédération. Pour le rapporteur public, les premières sont des agents du service public soumises au principe de neutralité, alors que les secondes sont des usagers que l'on ne saurait contraindre au respect du principe de neutralité. Dès que ces conclusions avaient été publiées, les partisans de l'affirmation de la pratique religieuse durant les matches de football avait exprimé une bruyante satisfaction.
Ils adhéraient totalement à la distinction effectuée par le rapporteur public, entre les joueuses de l'équipe nationale soumises au principe de neutralité, et les simples licenciées qui ne devaient pas, selon lui, se voir imposer une telle contrainte. Pour eux, l'affaire était gagnée et les Hijabeuses allaient bientôt pouvoir taper dans le ballon, en portant le voile.
Il est un peu surprenant de voir que ceux là mêmes qui se réjouissaient de ces conclusions, refusent aujourd'hui d'admettre que les joueurs de l'équipe nationale soient soumis au principe de neutralité et que la rupture du jeûne n'intervienne pas sur le terrain. A moins qu'ils considèrent que la situation des filles de l'équipe nationale est moins importante que celle des garçons ? Derrière la dénonciation d'une discrimination religieuse se cacherait ainsi une autre discrimination au regard du sexe ?
Quoi qu'il en soit, la joie fut de courte durée, car le Conseil d'État, comme cela lui arrive quelquefois, n'a pas suivi son rapporteur public.
Il énumère très soigneusement les fondements juridiques de sa décision. Il cite, bien entendu, l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi que l'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui consacrent la liberté de conscience et de religion. Il invoque aussi l'article 1er de la loi de Séparation du 9 décembre 1905 qui énonce que "la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées pour des motifs d'ordre public". Enfin, elle mentionne le texte le plus récent, la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République qui affirme que "lorsque la loi ou le règlement confie directement l'exécution d'un service public à un organisme de droit public ou de droit privé, celui-ci est tenu d'assurer l'égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public."
Il applique ensuite ces principes. Dans le cas des équipes nationales, le droit applicable est une évidence et sur ce point, il suit son rapporteur. Les statuts de la FFF précisent ainsi que le principe de neutralité s'applique dans la mesure où ces équipes participent au service public. En revanche, le Conseil d'État s'écarte des conclusions du rapporteur dans le cas des licenciés. La neutralité leur est en effet également imposée, cette fois par les règlements de la FFF qui s'appuient à la fois sur l'ordre public et sur le service public.
L'ordre public est mentionné par le Conseil d'État qui affirme que la FFF est fondée à interdire "tout acte de prosélytisme ou manoeuvre de propagande", ajoutant qu'ils sont de nature à "faire obstacle au bon déroulement des matchs". Il précise que le respect du principe de neutralité est de nature à prévenir d'éventuels affrontements "sans lien avec le sport". La notion de service public est également très présente, car la FFF a pour mission d'assurer la sécurité des joueuses et le respect des règles du jeu, la réglementation des équipements et tenues constituant l'exercice normal de ses compétences.
L'arrêt du 29 juin 2023 confirme ainsi la légalité de la pratique réglementaire de la FFF qui impose le respect de la neutralité à la fois aux simples licenciés et aux joueurs des équipes nationales. La décision de ne pas modifier l'organisation des stages ou des matches durant le Ramadan est donc la seule décision que la Fédération pouvait prendre, dans le respect à la fois de la loi et de la jurisprudence du Conseil d'État.
L'agitation, d'ailleurs limitée à un petit groupe de militants religieux et politiques, qui se manifeste à chaque décision intervenue en ce domaine montre toutefois que le principe de laïcité est toujours combattu, et que chaque décision dans ce domaine donne lieu à un discours bien rôdé, invoquant à chaque une prétendue discrimination. Peu importe que la religion musulmane accepte volontiers que les fidèles décalent le jeûne pour tenir compte des contraintes de leur vie professionnelle, ceux qui protestent veulent seulement affirmer leur volonté d'exercer leur culte dans l'espace public. Peu importe aussi le droit en vigueur, la constance d'une jurisprudence, il faut, à chaque fois, rappeler que la neutralité est la condition de l'égalité devant la loi. La pédagogie passe souvent par la répétition.