Dans une décision du 29 février 2024, la Cour administrative d'appel (CAA) de Versailles met un frein à une pratique destinées à contourner l'application du principe de neutralité dans l'Université publique. Il confirme en effet qu'une "aumônerie étudiante" ayant des activités cultuelles n'a pas droit à un agrément accordé par l'Université aux associations étudiantes. En effet, cet agrément donne accès à des avantages matériels qui s'analysent comme des subventions. La CAA confirme ainsi le jugement du tribunal administratif de Versailles qui, le 4 février 2021, avait confirmé la légalité de la décision du président de l'Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines refusant l'agrément à l'association Bethel.
Le droit des aumôneries
Dans le cas particulier des aumôneries, la situation des Universités est différente de celle d'autres services publics. En effet l'alinéa 1 de l'article 2 de la loi de Séparation du 9 décembre 1905 énonce que "la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte". Mais l'alinéa 2 de cette même disposition ajoute immédiatement que pourront toutefois, à titre d'exceptions, être prises en charge sur un budget public "les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons".
Les universités ne figurent donc pas dans cette liste. Au contraire, l'article L146-1 du code de l'éducation énonce avec fermeté que "le service public de l'enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique". Ces dispositions interdisent la création d'associations ayant des activités cultuelles dans une enceinte universitaire. Ce n'est guère surprenant si l'on considère que le législateur de 1905 n'envisageait les aumôneries que dans les lieux clos. Une certaine forme d'enfermement des élèves, des prisonniers ou des patients justifie que l'autorité publique rende possible l'exercice du culte. Pour les mêmes raisons, les aumôniers ont été introduits dans l'armée. En revanche, l'Université n'est pas un endroit d'enfermement, et chaque étudiant est livre de pratiquer sa religion à l'extérieur de ses murs.
Pierre Henry. Maurice Béjart 1967
CNDP Angers
Les critères d'obtention de l'agrément
A l'Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines, l'aumônerie étudiante Bethel s'est présentée comme une association ordinaire demandant un agrément pour pouvoir exercer ses activités sur le campus. En l'espèce, cet agrément donne surtout droit à un bureau équipé. La jurisprudence du Conseil d'État se montre souple sur ce point, et reconnaît que les relations entre un établissement universitaire et les associations étudiantes ne reposent pas sur des considérations de principe. Elles sont aussi liées à la situation matérielle de l'Université, à la nécessité notamment de gérer des locaux souvent bien étroits par rapport au nombre d'étudiants.
Dans un arrêt du 9 avril 1999, rendu à propos d'une demande de bureau faite par une association active à Paris-Dauphine, le Conseil d'Etat affirme ainsi « qu'eu égard au nombre limité de locaux
susceptibles d'être mis à la disposition des usagers du service public
de l'enseignement supérieur, il appartient au président de l'Université de définir après consultation du conseil des études et de la vie
universitaire et sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir les
conditions d'utilisation de ces locaux, en tenant compte non seulement
des nécessités de l'ordre public mais également d'autres critères et,
notamment, de la représentativité des associations d'usagers ». Il n'existe donc pas de droit des associations étudiantes d'obtenir un local, qu'elles soient ou non des aumôneries. D'une manière générale, les présidents tiennent compte des résultats obtenus aux élections universitaires pour assurer la répartition des bureaux.
Sans doute, mais le respect du principe de neutralité est également un critère dans le choix de délivrer, ou non, un agrément à l'association. Dans une ordonnance du 6 mai 2008 Mouhamed Bounemcha, le juge des référés du Conseil d'État affirme qu'un Centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS) doit « respecter tant les impératifs d'ordre public, de neutralité du service public et de bonne gestion des locaux que le droit de chaque étudiant à pratiquer, de manière individuelle ou collective et dans le respect de la liberté d'autrui, la religion de son choix ». En l'espèce, il s'agissait de la mise à disposition d'une salle au profit d'une association d'étudiants musulmans dans une résidence universitaire où ils habitaient. Même dans ce cas, le juge précise toutefois que la neutralité du service public est un élément qui doit être pris en considération.
La liberté de culte pas menacée
Devant la CAA, l'association Béthel se présente comme n'ayant aucun objet cultuel. Elle faisait état d'activités et de sorties culturelles, d'actions de solidarité etc. Elle déclarait ne pas organiser de culte mais se borner à informer ses adhérents des cérémonies ayant lieu à l'extérieur de l'établissement. Sans doute, mais le juge a regardé le site internet de l'association, et il y a vu tout autre chose. Il note ainsi qu'elle propose "la participation à des messes, des temps de prières, des pèlerinages, à une manifestation relative à la vénération de la sainte couronne d'épines, à une action de carême ou à l'ordination d'un prêtre, en prenant part à l'organisation de ces manifestations". De toute évidence, l'exercice du culte n'est pas étranger à ses activités.
Surtout, la Cour reprend une motivation classique, selon laquelle l'absence d'agrément ne porte aucunement atteinte à la liberté de culte des étudiants. Ces derniers ne sont pas prisonniers de leur institution, et peuvent donc pratiquer leur religion tout-à-fait librement, à l'extérieur.
La décision de la CAA de Versailles donne ainsi une lecture claire du principe de neutralité au sein des établissements universitaires, du moins dans le domaine des aumôneries. Surtout, elle interdit une certaine forme de contournement, consistant pour une association à gommer sa pratique religieuse pour s'introduire dans les universités de manière plus ou moins subreptice. Il restera ensuite à organiser la neutralité dans le domaine particulier du port des signes religieux. Dans l'état actuel du droit, le port d'un signe religieux est autorisé à un étudiant à l'Université, alors qu'il est interdit à un étudiant du même âge d'une classe préparatoire, parce les enseignements ont lieu dans un lycée. Cette fois, c'est au législateur de rétablir l'égalité entre les étudiants.
La neutralité dans l'enseignement public : Chapitre 11 Section 1 § 2 du manuel sur internet