Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, s'est rendu à Mayotte le 11 février 2024, où il a annoncé "la fin du droit du sol à Mayotte" ajoutant : "Il ne sera plus possible de devenir français si on n’est pas soi-même enfant de parent français ». C'est donc une réforme radicale, une rupture totale avec les règles traditionnelles d'acquisition de la nationalité qui, en France, reposent sur le droit du sol, même s'il s'agit concrètement d'un droit du sol tempéré par certaines adaptations. On sait par exemple que les enfants nés de parents étrangers sur le territoire n'acquièrent pas immédiatement la nationalité française. Ils doivent, entre treize et quinze ans, faire une déclaration de nationalité. Cette procédure déclaratoire ne s'applique que si l'enfant a sa résidence habituelle en France.
Quoi qu'il en soit, les propos du ministre de l'Intérieur suscitent un large débat. Les uns se réjouissent d'une révision constitutionnelle qui, à leurs yeux, serait un premier pas vers la suppression du droit du sol. Les autres refusent au contraire cette suppression, précisément au nom de leur attachement au droit du sol.
Le plus intéressant dans ce débat est qu'il ne porte pas sur la question du recours au référendum. Tout le monde semble considérer comme indiscutable la nécessité d'y recourir. Le doute apparaît pourtant si l'on considère les justifications juridiques, d'ailleurs fort peu nombreuses, du choix de la procédure référendaire.
L'article 73 de la Constitution
La première justification réside dans l'article 73 de la Constitution. Il précise, dans son premier alinéa, que les lois et règlements sont applicables de plein droit dans les collectivités d'outre mer, mais autorise néanmoins des "adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités". Les deux alinéas suivants précisent l'étendue des compétences de ces collectivités. Si elles y sont habilitées par la loi, elles peuvent procéder elles-mêmes à ces adaptations, y compris dans le domaine de la loi. Mais cette autonomie des collectivités d'outre-mer trouve des limites dans l'alinéa 4 : "Ces règles ne peuvent porter sur la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l'état et la capacité des personnes, etc".
Il est donc clair que l'article 73 se borne à énoncer que les collectivités d'outre-mer sont incompétentes pour modifier le droit de la nationalité. Sa rédaction en témoigne clairement. Le droit de l'État est mentionné comme issu des "lois et règlements", alors que le droit initié par les collectivités sur habilitation trouve son origine dans des "règles", terme nécessairement moins précis puisqu'elles peuvent être habilitées à intervenir dans le domaine de la loi comme dans celui du règlement. La volonté du constituant est donc d'interdire aux collectives d'outre mer de modifier à leur seule initiative les conditions d'acquisition de la nationalité, mais il n'est pas question de l'interdire à l'État. On imagine mal d'ailleurs que l'article 73 puisse directement aller à l'encontre de l'article 34 qui place la nationalité dans le domaine de la loi.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel
Les décisions du Conseil constitutionnel interprétant l'article 73 ne font que renforcer cette analyse. Dans sa décision du 6 septembre 2018, il déclare ainsi conformes à la Constitution les dispositions de la loi "pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie" du 10 septembre 2018.
Tout l'intérêt actuel de cette décision réside dans le fait que ce texte modifie le code civil en matière d'acquisition de la nationalité, en instaurant une condition supplémentaire spécifique à Mayotte. Dans le cas d'un enfant né de parents étrangers à Mayotte, le droit du sol est tempéré par une condition qui exige que, au moment de la naissance, l'un des parents réside en France de manière régulière et ininterrompue depuis plus de trois mois. Il est donc évident que ces dispositions instituent une différence de traitement entre les enfants nés à Mayotte et ceux nés ailleurs sur le territoire de la République.
Or le Conseil constitutionnel déclare que cette différence de traitement est conforme à la Constitution. Il convient, sur ce point, de citer le texte même de la décision qui affirme que la spécificité de Mayotte réside d'abord dans l'afflux de personnes de nationalité étrangère en situation irrégulière :
"En premier lieu, la population de Mayotte comporte, par rapport à l'ensemble de la population résidant en France, une forte proportion de personnes de nationalité étrangère, dont beaucoup en situation irrégulière, ainsi qu'un nombre élevé et croissant d'enfants nés de parents étrangers. Cette collectivité est ainsi soumise à des flux migratoires très importants. Ces circonstances constituent, au sens de l'article 73 de la Constitution, des « caractéristiques et contraintes particulières » de nature à permettre au législateur, afin de lutter contre l'immigration irrégulière à Mayotte, d'y adapter, dans une certaine mesure, non seulement les règles relatives à l'entrée et au séjour des étrangers, mais aussi celles régissant l'acquisition de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence en France".
On serait tenté de considérer que si le ministre de l'Intérieur veut réformer une nouvelle fois le droit de la nationalité à Mayotte, rien ne lui interdit de le faire par la voie législative. Il est clair toutefois que ce choix d'une révision constitutionnelle a nécessairement une cause qui ne se trouve pas dans l'ignorance du droit applicable.
Les Compagnons de la peur. René Magritte. 1942
La crainte du Conseil constitutionnel
Depuis la célèbre décision sur la loi immigration et ses désormais célèbres trente-deux cavaliers législatifs, il est clair que le gouvernement redoute le Conseil constitutionnel. La tentation est grande de court-circuiter tout simplement le Conseil en utilisant directement la procédure de révision. Rappelons en effet que le Conseil s'est toujours déclaré incompétent pour apprécier la conformité d'une loi référendaire à la Constitution.
Il est exact que l'on ne peut guère prévoir ce que serait la jurisprudence du Conseil face à une remise en cause totale du droit du sol à Mayotte. Dans une décision du 3 juin 2016, le Conseil livre quelques indices sur les critères qu'il utilise pour apprécier la constitutionnalité des adaptations législatives concernant ce territoire. Il appréciait alors une loi modifiant la composition et l'organisation de la Cour d'assises de Mayotte. Par dérogation aux dispositions du code de procédure pénale, la composition du jury d'assises devait reposer sur la création d'une liste de personnes de nationalité française, âgées de plus de vingt-trois ans, sachant lire et écrire en français et présentant des garanties de compétence et d'impartialité. En prévoyant une liste restreinte avec une condition de maîtrise de langue qui n'est pas exigée sur le reste du territoire français, comme d'ailleurs l'exigence des garanties d'impartialité, le législateur n'a pourtant pas porté atteinte au principe d'égalité devant la justice. Aux yeux du Conseil constitutionnel, ces exigences s'expliquent par la situation particulière de Mayotte, car "une proportion importante de la population de Mayotte ne remplit pas les conditions d’âge, de nationalité et de connaissance de la langue et de l’écriture françaises exigées pour exercer les fonctions d’assesseur-juré."
Cette affirmation de principe n'empêche pas le Conseil d'annuler une large partie du dispositif qui modifiait considérablement la procédure de composition de la Cour d'assises. Les règles du droit commun étaient en effet écartées, sans motif sérieux, en matière d'incompatibilité, de récusation des jurés, et même de conditions de majorité lors du délibéré.