Dans un arrêt Baret et Caballero c. France du 14 septembre 2023, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) met fin aux espoirs de deux femmes qui espéraient encore pouvoir bénéficier d'une assistance médicale à la procréation, après le décès de leur conjoint.
La première requérante avait bénéficié, début 2019, d'une insémination avec les paillettes de sperme déposée par son mari au Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) de l'hôpital de la Conception à Marseille. Cette première tentative avait échoué, et la seconde a été interrompue par le décès du mari, diagnostiqué d'une tumeur cérébrale en 2016. Dans son testament, celui-ci déclarait avoir décidé de la conservation de ses paillettes pour précisément que son épouse, si elle le désirait toujours, « puisse avoir recours à la procréation post mortem, peut-être dans un autre pays ». Mais le CECOS, puis l'Agence de biomédecine, ont rejeté sa demande d'exportation vers l'Espagne, pays dans lequel l'insémination post mortem est licite.
La seconde requérante est sensiblement dans la même situation, si ce n'est que le couple avait procédé à une fécondation in vitro à Brest. Alors que le mari était atteint d'une leucémie, une première grossesse par FIV avait été menée à terme. Après son décès, sa veuve demande l'exportation de ses embryons également vers l'Espagne, afin de bénéficier d'une nouvelle réimplantation. Elle aussi s'est heurtée à un refus.
Toutes deux ont contesté ces décisions de rejet devant le juge administratif français qui les a confirmées. Elles se tournent vers la CEDH et invoquent une atteinte au droit à la vie privée, garanti par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
La décision de la CEDH était attendue, car le droit français avait fait preuve d'hésitations en matière d'exportation des gamètes dans un but d'insémination post mortem.
A l'époque des faits, les dispositions pertinentes se trouvaient dans l'article L 2141-2 du code de la santé publique. La première condition pour pouvoir bénéficier d'une assistance médicale à la procréation (AMP) était clairement rédigée : "L’homme et la femme formant le couple doivent être vivants". Par la suite, la rédaction a été modifiée pour tenir compte de l'ouverture de l'AMP aux femmes seules ou en couple. Mais la prohibition de l'insémination post mortem est demeurée identique. Il est désormais précisé que "lorsqu'il s'agit d'un couple, fait obstacle à l'insémination ou au transfert des embryons le décès d'un des membres du couple".
Une jurisprudence compréhensive
Si le principe de l'interdiction de l'insémination post mortem était affirmé en droit français, la jurisprudence se montrait plus tolérante dans le cas d'exportation des gamètes et des embryons vers un État dans lequel cette pratique était légale.
Dans une ordonnance du 31 mai 2016, le juge des référés du Conseil d'État a autorisé l'exportation des gamètes du mari décédé de la requérante. Il s'appuyait alors sur deux éléments. D'une part, l'épouse vivait certes à Paris, mais elle était de nationalité espagnole et avait épousé un Italien. Les gamètes de son mari étaient donc exportés vers le pays d'origine de la veuve qui entendait bénéficier d'une insémination, conformément au droit de son pays. D'autre part, l'époux décédé avait pris soin de faire un testament manifestant son désir de permettre à son épouse d'utiliser les paillettes de sperme. Le juge affirmait certes le caractère exceptionnel de l'autorisation, mais il témoignait tout de même de sa volonté de faire de chaque affaire d'insémination post mortem un cas particulier.
Quelques mois plus tard, dans une ordonnance de référé du 11 octobre 2016, le tribunal administratif de Rennes a délivré une injonction au CHU de Rennes. Elle ordonnait l'exportation vers l'Espagne des paillettes de sperme du mari défunt de la requérante. Les deux membres du couple étaient pourtant de nationalité française, mais, profitant de l'ouverture offerte par le Conseil d'État, le juge rennais s'était appuyé sur le caractère exceptionnel du dossier. En effet, le projet parental de deux époux s'était concrétisé par une grossesse intervenue sans aucune assistance médicale en novembre 2015. En dépit de sa maladie, l'époux avait suivi cette grossesse et il avait pu connaître le sexe de son enfant le 14 janvier 2016, avant de s'éteindre le 27 janvier. Hélas, à la suite du traumatisme causé à sa mère par le décès de son époux, la petite fille était elle-même décédée in utero en avril 2016. C'est donc l'histoire de ce bébé perdu, témoignage de l'existence d'un véritable projet parental, qui constitue, aux yeux du juge, la "circonstance particulière" de nature à justifier l'exportation des gamètes.
Malgré cette évolution jurisprudentielle, et malgré un avis favorable du Comité consultatif national d'éthique, l'insémination post mortem a été écartée dans la dernière loi bioéthique du 2 août 2021. Le législateur s'est en effet refusé à toute modification de l'article L 2141-2 du code de la santé publique.
My man is gone now, Air de Serena. Porgy and Bess. Gershwin
Latonia Moore. Metropolitan Opera 2019
La CEDH et l'autonomie des États
On attendait donc avec beaucoup d'intérêt la décision de la CEDH, mais celle-ci ne se prononce guère sur le fond, préférant affirmer que les États disposent d'une large autonomie dans ce domaine.
La CEDH applique en effet sa jurisprudence Pejrilova c. République tchèque du 8 décembre 2022. Elle considère qu'il n'y a pas d'atteinte à la vie dans le refus d'exportation des gamètes du mari décédé de la requérante, le droit tchèque interdisant l'insémination post mortem. Mais la situation est tout de même différente, car le droit tchèque n'interdit pas totalement l'exportation qu'elle subordonne au consentement préalable de l'époux, exprimé par exemple dans son testament. Sur ce point, le droit français se montre plus rigoureux, car il veut éviter le contournement de la prohibition de l'insémination post mortem que constitue le recours à cette technique dans un pays étranger qui l'autorise.
La décision de la CEDH s'appuie donc finalement sur l'absence de consensus européen sur ce point. Même au sein de l'Union européenne, pourtant plus étroite que le Conseil de l'Europe, les États sont divisés sur l'insémination post mortem. Les uns l'interdisent comme la France, l'Allemagne, la Bulgarie, le Danemark, la Finlande, la Grèce, l'Italie ou le Portugal, les autres l'autorisent selon des modalités variables comme l'Espagne, la Belgique, Chypre, l'Estonie, la Hongrie, la Lituanie, La Lettonie, les Pays Bas, sans oublier la République tchèque qui l'autorise, dans certains cas, à l'étranger.
La décision n'aurait rien pour surprendre, si ce n'est, tout de même, l'analyse assez déroutante de la légitimité de cette interdiction de l'insémination post mortem. La Cour affirme ainsi qu'elle "découle de la conception de la famille, telle qu'elle prévalait à l'époque des faits litigieux". Elle ajoute que la "conception posthume soulève des questions éthiques mêlées à des considérations d'intérêt public pouvant se rattacher, entre autres, à la situation des enfants à naître". A ses yeux, l'interdiction ainsi prononcée répond au but légitime de "protection de la morale". Ce discours est à rapprocher des propos du rapporteur du projet de loi bioéthique, Aurore Bergé. Elle affirmait alors que l'insémination post mortem n’était pas « éthiquement souhaitable », sans davantage de précision.
Sur le fond, ces justifications semblent faibles. La "conception de la famille", la "protection de la morale", ces notions victoriennes ne sont guère convaincantes aujourd'hui. La même loi bioéthique qui interdit l'insémination d'une veuve avec le sperme de son mari défunt l'autorise pour une femme seule avec le sperme d'un donneur. Comment justifier ce traitement différencié ? En quoi l'enfant à naître sera-t-il plus malheureux dans un cas que dans l'autre ? Et ce droit de "faire famille" si souvent invoqué dans le cas des personnes homosexuelles ne peut-il être invoqué par une veuve ? Sur ce point, la décision laisse l'impression d'une rigueur dont on cherche vainement le fondement.