« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 13 septembre 2023

Don de gamètes et accès aux origines


La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), dans un arrêt Gauvin-Fournis et Silliau c. France du 7 septembre 2023, déclare que le dispositif d'accès aux origines des personnes nées d'un don de gamète n'emporte pas une ingérence excessive dans leur droit à la vie privée.

Les requérants sont nés, dans les années 80, d'une assistance médicale à la procréation (AMP) impliquant un don de gamètes par un tiers. Parvenus à l'âge adulte, chacun a demandé au Centre d'étude et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS) dans lequel l'opération s'était déroulée des informations sur le donneur à l'origine de leur conception, dans les deux cas un donneur de sperme. Ils demandaient des éléments non identifiants comme son âge, sa situation professionnelle, sa description physique, le nombre de personnes conçues à partir de ses gamètes, ainsi que ses antécédents médicaux. Mais ils demandaient aussi l'identité du donneur, ce qui signifiait une remise en cause radicale du principe d'anonymat gouvernant le don des produits du corps humain. A l'époque, aucun d'entre eux n'a donc obtenu satisfaction. 

 

L'intervention de la loi bioéthique du 2 août 2021

 

Mais le droit a changé avec la loi bioéthique du 2 août 2021, applicable à partir de septembre 2022. Elle prévoit l'intervention d'une Commission d'accès aux données non identifiantes et à l'identité du tiers donneur (CAPADD). Saisie par les personnes nées d'un don de gamètes, elle a pour mission de prendre contact avec le donneur pour lui demander s'il consent à ce que des données identifiantes ou non soient communiquées au demandeur. L'accès aux origines relève donc d'un accord de volontés entre les deux parties concernées. 

Observons que les requérants ont tous deux épuisé les voies de recours internes avant l'intervention de la loi nouvelle.  L'un d'entre eux a engagé une nouvelle procédure et saisi la CAPADD, mais il n'a pas obtenu satisfaction, car il lui a été répondu que le tiers donneur était décédé et qu'il était donc impossible de solliciter son consentement à une levée de son anonymat. L'autre n'a pas engagé de procédure sur le fondement de la loi nouvelle. 

La Cour refuse toutefois de considérer la requête comme irrecevable, au motif que les recours internes n'ont pas été épuisés. En effet, les contentieux initiés sur le fondement du droit antérieur se sont traduits par un rejet des moyens fondés sur la violation du droit à la vie privée garanti par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Ils peuvent donc toujours se considérer comme victimes d'une violation d'un droit, au sens de l'article 34 de la Convention.

 


 Bébé assis. Henri Ottman (1877-1927)


L'accès aux origines, un accord entre deux volontés


Le droit français ne considère pas vraiment l'accès aux origines comme un droit, mais plutôt comme une possibilité, lorsqu'il existe un accords de volontés entre les deux parties. La question s'est d'abord posée pour les enfants nés sous X. La loi du 22 janvier 2002 a mis en place une autorité indépendante, le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP) dont la mission est de permettre l’accès, par les personnes à la recherche de leurs origines, au dossier détenu par les services départementaux ou les œuvres privées d’adoption. Cet accès est cependant subordonné à l’accord de la femme ayant accouché sous X. La loi du 2 août 2021 fait une transposition exacte de cette procédure pour l'appliquer aux enfants nés d'un don de gamètes.

Ce dispositif législatif ne saurait être analysé comme créant un "droit" d'accès aux origines, dès lors que son exercice est conditionné par l'accord du donneur. C'est d'ailleurs ce qu'affirme le Conseil constitutionnel, dans une décision QPC du 16 mai 2012 Mathieu E. Il constate en effet que le droit d’accès aux origines n’a pas d’existence juridique. Il estime en revanche que l’accouchement sous X poursuit un objectif de valeur constitutionnelle. En voulant « éviter le déroulement de grossesses et d'accouchements dans des conditions susceptibles de mettre en danger la santé tant de la mère que de l'enfant et prévenir les infanticides (…) », le législateur répond à une préoccupation de santé publique. A propos cette fois de l'anonymat des donneurs de gamètes, le Conseil précise, dans une décision Frédéric L. du 9 juin 2023 que le don de gamètes "n'a pas pour vocation de créer un lien familial".

Le droit français continue donc à reposer sur le principe de l'anonymat du donneur, figurant d'ailleurs, avec valeur législative, dans l'article L 1211‑5 du code de la santé publique. Il permet en effet de garantir le respect de la vie privée du donneur, ou de la mère dans le cas de l'accouchement sous X. Il repose aussi sur la volonté de protéger le principe de gratuité, en rendant presque impossible la recherche d'un donneur contre rémunération. L'accès aux origines ne s'analyse que comme une procédure dérogatoire qui ne peut aboutir sans l'accord des deux personnes concernées.

La CEDH ne raisonne pas différemment dans sa célèbre décision Odièvre c. France du 13 février 2003. Elle déclare en effet, à propos de l'accouchement sous X, que la vie privée de la mère doit être protégée et qu'elle est fondée à demander un anonymat absolu. Si elle reconnaît la procédure d'"accès aux origines", elle se garde bien de la qualifier de droit. Depuis cette date, sa jurisprudence a quelque peu évolué, car elle sanctionne, dans l'arrêt Godelli c. Italie du 25 septembre 2012, le système juridique italien qui connaît également l'accouchement sous X, mais qui n'a prévu aucune procédure permettant l'accès aux origines.

L' arrêt Gauvin-Fournis et Silliau c. France ne fait finalement que transposer la jurisprudence Odièvre au cas du don de gamètes. L'accès aux origines apparaît ainsi comme une procédure exceptionnelle, une dérogation au principe de l'anonymat du donneur. On pourrait certes considérer que la Cour fait un choix entre deux facettes du droit à la vie privée. La connaissance des informations identifiantes sur le donneur de gamètes est en effet un élément de la vie privée de la  personne qui en est issue. Mais le donneur, quant à lui, et surtout à l'époque où il a fait ce geste altruiste, comptait sur un anonymat absolu, et c'est aussi sa vie privée. Surtout, derrière sa vie privée, préoccupation incontestable, apparaît aussi un intérêt de santé publique. Avec la dernière loi bioéthique qui ouvre l'AMP aux femmes, seules ou en couple, les inséminations se multiplient et le nombre de donneurs doit aussi s'accroître. La reconnaissance d'un droit d'accès aux origines dans ce domaine aurait pour effet immédiat de dissuader les dons et d'empêcher l'accès à l'AMP de toute une série de personnes. Or le désir d'enfant est aussi un élément de la vie privée.





1 commentaire:

  1. Une fois de plus, la Cour européenne des droits de l'homme pratique son sport favori, le louvoiement juridique qui lui permet de faire ce que bon lui semble. Et cela à plusieurs titres.

    - Au titre de la recevabilité d'une affaire, les critères qu'elle applique sont des plus flous hormis les cas flagrants d'irrecevabilité. Bien malin qui pourrait affirmer avec certitude la théorie du greffe (son rôle est très important à Strasbourg !) en la matière.

    - Au niveau du droit, elle en accepte (des droits) tout en ne les reconnaissant pas. Cela défie l'entendement pour une juridiction qui se veut rationnelle, indépendante et impartiale. Selon quels critères ? De quelle marge d'appréciation dispose-t-elle? Tout ceci est pifométrique.

    - Au niveau de l'opportunité, on sent la Cour plus en flèche sur les problèmes sociétaux (elle va dans le sens de la mode) que sur les questions régaliennes (elle est d'un conservatisme dur). Est-ce son rôle ?

    Faire confiance à la Cour pour appliquer strictement le droit positif, c'est confier le volant à un conducteur inexpérimenté ou sous l'emprise de substances illicites. On imagine le résultat. Une réforme d'ampleur s'imposerait pour la mettre sur le droit chemin du droit.

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