Évènement tout-à-fait exceptionnel, le Conseil constitutionnel publie, le 29 juillet 2023, un communiqué par lequel il "infirme de fausses interprétations données à sa décision du 26 juillet 2023 sur la loi visant à protéger les logements contre l'occupation illicite". Depuis la publication de cette décision en effet, les réactions se multiplient. Les uns affirment, en particulier dans Le Figaro, que "un squatteur peut désormais attaquer le propriétaire, si le bien squatté est mal entretenu". Eric Zemmour, quant à lui, déclare sur Twitter que "les petits juges mettent les policiers en prison et libèrent les délinquants. Les grands juges persécutent les propriétaires et protègent les squatteurs". Voilà donc le Conseil constitutionnel accusé de favoriser les squatteurs, et de mépriser le droit de propriété.
Le problème est que ces propos relèvent du discours militant, et il semble que leurs auteurs n'aient même pas cru bon de lire la décision du 26 juillet 2023. C'est bien dommage car cela leur aurait évité de dire n'importe quoi.
La loi du 27 juillet globalement validée
Le Conseil constitutionnel valide en effet l'essentiel de la loi du 27 juillet 2023. Celle-ci s'inscrit dans un mouvement législatif qui s'emploie à faciliter l’expulsion des occupants sans titre. Déjà, la loi du 7 décembre 2020, dite loi ASAP d’accélération et de simplification de l’action publique avait permis au propriétaire d’obtenir une évacuation forcée dans les 48 heures après sa demande.
L'apport de cette loi est de permettre l'expulsion sur le fondement d'une décision administrative prise par le préfet. Cette procédure constitue, en soi, une protection du propriétaire qui n'a plus besoin de solliciter l'intervention du juge judiciaire, avant de solliciter le concours de la force publique, qui était loin d'être toujours garanti. Il peut désormais obtenir une évacuation forcée dans les 48 heures après sa demande. On observe que le Conseil constitutionnel, accusé de protéger les squatteurs, a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) du 23 mars 2023, Mme Nacéra Z.
La loi du 27 juillet 2023, celle qui est à l'origine de la décision du 26 juillet 2023, ne fait que compléter la loi ASAP. Elle durcit les sanctions pénales prononcées contre les squatteurs, portées à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende, et étend la procédure d'expulsion à l’occupation des locaux professionnels et des résidences secondaires. Elle fait disparaître toute possibilité pour un occupant sans titre d'obtenir du juge des délais renouvelables pour faire obstacle à l'expulsion. Enfin, elle réduit de deux mois à six semaines, le délai de la prise d'effet de la clause de résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges ou non-versement du dépôt de garantie.
Toutes ces dispositions ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel et il suffisait de lire la décision pour comprendre qu'elles sont favorables au propriétaire victime d'une occupation sans titre. Hélas, les commentateurs, du moins certains d'entre eux politiquement très actifs, n'ont vu que l'inconstitutionnalité de l'article 7, sorte d'aubaine politique permettant de dénoncer un Conseil constitutionnel méprisant les droits des propriétaires. Sans doute ont ils lu le texte un peu trop rapidement, car ils n'ont pas compris le fondement de cette inconstitutionnalité.
Je ne peux plus rentrer chez moi. Charles Aznavour. 1964
L'article 7 de la loi
L'article 7, désormais annulé, modifiait l’article 1244 du code civil. Il libérait le propriétaire d’un bien immobilier occupé illicitement de son obligation d’entretien et l'exonérait de sa responsabilité en cas de dommage résultant d’un défaut d’entretien de ce bien. Cette disposition avait pour effet de faire peser l'obligation d'entretien sur l'occupant illicite, par hypothèse en situation précaire. De cette situation, les auteurs de la saisine, parlementaires Nupes, déduisaient une atteinte au droit de disposer d'un logement décent, à la dignité de personne. Ils invoquaient aussi une discrimination entre les victimes, locataires ou occupants sans titre.
Le Conseil rend, sur ce point, une décision nuancée. Il rappelle sa jurisprudence classique, formulée dès sa décision du 22 octobre 1982. Elle s'appuie sur l'article 4 de la Déclaration de 1789, selon lequel « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». De cette disposition découle le principe qui veut que "tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer". Le principe de responsabilité a donc un fondement constitutionnel, ce qui n'interdit pas au législateur de lui apporter des limitations. Dans sa décision du 7 septembre 2017, le Conseil précise toutefois que ces limitations ne doivent pas entrainer une "atteinte disproportionnée aux droits des victimes d'actes fautifs" ainsi qu'au droit à un recours juridictionnel effectif.
Le Conseil affirme d'abord que ces exigences ne font pas obstacle à ce que le législateur institue, pour un motif d'intérêt général, un régime de responsabilité de plein droit. Il ajoute qu'en l'espèce, ce régime de responsabilité répond bel et bien à un motif d'intérêt général, puisqu'il voulait faciliter l'indemnisation des victimes de dommages causés par la ruine d'un bâtiment. Mais, appliquant sa jurisprudence antérieure, il précise que cette évolution du droit ne doit pas entraîner une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d'être indemnisées du préjudice subi. Or précisément, la rédaction de cette disposition a pour conséquence une telle atteinte.
Le Conseil observe ainsi que l'article 7 était bien mal rédigé. Le bénéfice de l’exonération de responsabilité était accordé au propriétaire du bien pour tout dommage survenu au cours de la période d’occupation illicite, sans aucune précision sur l'imputabilité. Le défaut d'entretien devait-il être imputable à l'occupant sans titre ? Ce serait logique, mais l'article 7 ne donnait aucune précision sur ce point. De même, la loi était muette sur la question du comportement de l'occupant. Avait-il fait obstacle à la réalisation des réparations nécessaires, ou pas ?
Plus grave encore, l'article 7 ne faisait aucune distinction entre les victimes de dommages. Il ne semble envisager que la situation des occupants sans titre, mais il oublie que des tiers peuvent aussi être victimes, le visiteur occasionnel, le facteur qui apporte le courrier, voire les camarades de classe des enfants. Dans leur cas, l'article 7 devenait une véritable catastrophe : le seul patrimoine responsable était en effet celui du squatteur qui, par hypothèse, est plus ou moins insolvable, et généralement dépourvu d'assurance habitation. Sans oublier, bien entendu que, dans l'hypothèse d'un accident, il risque d'avoir décampé très rapidement après les faits. Dans ce cas, le tiers victime d'un dommage n'aurait plus aucune chance d'obtenir la moindre indemnisation.
L'annulation de l'article 7 a donc pour effet de revenir au statu quo ante, c'est-à-dire à la décision de la Cour de cassation du 15 septembre 2022 qui estime que l'occupation sans titre "ne peut constituer une faute de nature à exonérer le propriétaire du
bâtiment au titre de sa responsabilité". Encore faut-il, bien entendu, que le lien de causalité entre le défaut d'entretien et l'accident soit clairement établi. On est bien loin des commentaires déclarant que le squatteur peut désormais saisir le juge pour faire exécuter toutes les réparations utiles aux frais du propriétaire. Il est donc souhaitable qu'une nouvelle rédaction de l'article 7 soit votée, précisant dans quelles conditions pourra être accordé le bénéfice de l'exonération et prenant en considération l'intérêt des tiers.