La Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 19 avril 2023, rend plus facile la dénonciation d'un harcèlement au travail. Il précise qu'il n'est pas nécessaire d'avoir qualifié les faits subis ou constatés de harcèlement moral pour être ensuite protégé par les dispositions de l'article L 1152-2 du code du travail. Celles-ci interdisent que soient prononcées à l'encontre d'unevictime ou de la personne qui a dénoncé un harcèlement une sanction, un licenciement, ou toute autre mesure discriminatoire. Toute rupture du contrat de travail intervenue en violation de ces dispositions est entachée de nullité.
La Cour d'appel de Caen, dans sa décision du 15 avril 2021 énonce que Mme L., a été recrutée en novembre 2002 en qualité de psychologue par l'association Institution familiale Sainte-Thérèse, qui gère à Caen un foyer d'accueil pour adolescents en difficulté. Les relations de travail se sont peu à peu tendues, car Mme L. a dénoncé des faits de harcèlement commis sur les pensionnaires. En avril 2018, elle a finalement été licenciée pour faute grave, licenciement qu'elle a contesté successivement devant les Prud'hommes, puis devant la Cour d'appel de Caen. Les juges du fond ont considéré que Mme L. avait été licenciée précisément parce qu'elle avait dénoncé des faits de harcèlement dans l'institution, et lui ont accordé 100 000 € de dommages et intérêts, C'est donc l'Institution familiale Sainte-Thérèse qui a déposé le pourvoi en cassation.
Les critères du harcèlement
Le harcèlement s'apprécie à partir de trois critères cumulatifs. D'une part, les conséquences du traitement dont le salarié fait l'objet doivent être évidentes, tant au regard de sa carrière que de sa santé physique ou psychologique. D'autre part, ses conditions de travail doivent porter atteinte à sa dignité, ce qui signifie que le harcèlement s'inscrit toujours dans une relation d'autorité, une volonté d'humilier l'intéressé, le plus souvent dans le but de briser sa volonté pour le conduire à l'arrêt maladie ou à la démission. Sur ce point, il n'est pas rare que le harcèlement soit systématiquement organisé, dans un but de réduction des effectifs. Enfin, dernier critère et le plus important au regard de la décision du 13 février 2013, le caractère répété des agissements de l'employeur.
Dans le cas de Mme L., il n'est pas sérieusement contesté que les critères du harcèlement sont réunis. Toutefois l'Institution familiale Sainte-Thérèse reproche à Mme L. d'avoir certes dénoncé des faits grave, mais sans les qualifier expressément de "harcèlement". Elle s'appuie sur un arrêt de la Chambre sociale rendu le 13 septembre 2017, selon lequel le salarié ne peut bénéficier de la protection de l'article L 1152-2 du code du travail que s'il a dénoncé des faits de harcèlement moral en les qualifiant formellement comme tels.
L'employé penaud ou le patron tyrannique
Pierre de Belair (1892-1956)
La qualification de harcèlement
Précisément, Mme L a dénoncé des faits dont étaient victimes les jeunes en difficultés hébergés dans le foyer, avant de dénoncer d'autres faits de harcèlement dont elle était elle-même victime. Si elle n'a pas employé le terme "harcèlement", il ne fait aucun doute qu'elle était d'une parfaite bonne foi dans sa dénonciation. Or, depuis un arrêt du 7 février 2012, la Chambre sociale considère qu'un salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi. Cette dernière ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits ainsi dénoncés, par exemple lorsque le salarié veut simplement déstabiliser l'entreprise, ce qui n'est évidemment pas le cas en l'espèce. Dès lors que la dénonciation effectuée par Mme L. avait été effectuée de bonne foi, son licenciement pour faute grave était donc entaché de nullité.
L'arrêt du 19 avril 2023 n'est peut-être pas considéré comme un "grand arrêt", mais il constitue une avancée jurisprudentielle qui apporte au salarié une protection réellement efficace. Celui ou celle qui dénonce des mauvais traitements n'est pas nécessairement en mesure de leur donner une qualification juridique. A cet égard, la jurisprudence de 2017, qui imposait cette qualification par le dénonciateur, avait nécessairement un effet dissuasif. N'était-il pas préférable de ne rien dire en cas de doute sur la qualification des faits, plutôt que risquer un licenciement qui serait ensuite validé par les juges ? Mme L. a opéré sa dénonciation dans un but purement altruiste, face à une institution qui voulait avant tout se protéger, et qui n'a pas hésité dans ce but à prononcer son licenciement. L'arrêt du 19 avril 2023 offre au salarié dans ce cas la protection dont il a besoin dans une telle situation, rapprochant ainsi le statut du dénonciateur de celui d'un lanceur d'alerte.