Le principe de participation
Le principe de participation des fonctionnaires trouve son fondement dans le
8e alinéa du préambule de la Constitution de 1946, qui proclame que "
Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises". L'
article 9 du statut de 1983 énonce, quant à lui, que "
les fonctionnaires participent par l’intermédiaire de leurs délégués siégeant dans des organismes consultatifs à l’organisation et au fonctionnement des services publics, à l’élaboration des règles statutaires et à l’examen des décisions individuelles relatives à leur carrière".
La loi portant transformation de la justice se propose de simplifier les procédures en réduisant le nombre d'instances de concertation. Le comité technique (CT) et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) sont remplacés par une instance unique, le comité social. Les commissions administratives paritaires (CAP) se trouvent, quant à elles, recentrées sur le champ disciplinaire. Elles ne sont donc plus consultées sur les questions de mutation, de détachement ou d'avancement. Les auteurs de la saisine voient dans cette restructuration une atteinte au principe de participation.
Le Conseil constitutionnel se borne à affirmer que ce principe ne concerne que la détermination collective des conditions de travail. Or le projet se borne à soustraire à l'examen des CAP certaines décisions individuelles. Au moins, l'analyse est simple, facile à comprendre, même par le lecteur le moins au fait des subtilités de la jurisprudence.
Si ce n'est que l'on aurait aimé que le Conseil réponde aux moyens soulevés, et notamment à celui développé dans la requête déposée par les députés. Ils font remarquer que cette restriction du champ de compétence des CAP s'analyse comme une limitation du champ de la participation elle-même, la liste des décisions individuelles laissées à la compétence des CAP étant laissée au pouvoir réglementaire. De fait, les décisions relatives aux carrières des fonctionnaires sortent du champ de la participation. Pourquoi pas ? Il n'empêche que l'on aurait aimé que le Conseil s'intéresse à cette question, même pour écarter l'objection.
Avoir un bon copain. Le chemin du Paradis Max de Vaucorbeil, 1930
La contractualisation
L'un des objets principaux de la loi est de permettre de recruter soit un fonctionnaire, soit un agent contractuel, sur les emplois de direction de la fonction publique et des établissements publics de l'Etat, voire sur l'ensemble des emplois lors qu'il s'agit de faire appel à des compétences techniques, ou lorsque la procédure de recrutement interne s'est révélée infructueuse. Des contrats annuels pourront également être utilisés pour des missions ponctuelles, même si le contrat peut tout de même être renouvelé six fois. Là encore, on ignore tout des emplois concernés, qui, pour la fonction publique d'Etat, seront définis par décret. Les choses sont bien faites, car la réforme des CAP permet précisément de soustraire ces questions aux procédures de concertation.
Le Conseil constitutionnel déclare cette contractualisation conforme à la Constitution. Il écarte le moyen fondé sur la règle en usage selon laquelle les emplois permanents de la fonction publique doivent être occupés par des fonctionnaires statutaires (art. 3 du statut de 1983). Certes, ces dispositions ont valeur législative, mais précisément, aux termes de l'article 34 de la Constitution, il appartient à la loi de définir les "
garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires publics". Dans une jurisprudence ancienne, mais classique, le Conseil a même refusé, par exemple dans une
décision du 26 juillet 1989 de déclarer réglementaires des dispositions relatives au recrutement des agents publics, estimant qu'elles relevaient de ces "
garanties fondamentales" réservées à la compétence législative.
La question n'est pas évoquée, et le Conseil se borne à invoquer deux motifs pour écarter le moyen. D'une part, il observe que l'article 3 du statut autorise les "dérogations" à la règle qu'il pose. Autrement dit, à titre exceptionnel, on peut recruter sur des emplois publics des personnes privées par la voie contractuelle. Aux yeux du Conseil, la présente réforme se borne donc à établir une "dérogation" de plus. Cette fois, on joue sur les mots, car la "dérogation" s'analyse en fait comme un bouleversement du système : on pourra désormais accéder aux emplois publics, soit par la voie du concours ouvert aux fonctionnaires, soit par la voie contractuelle. Ce n'est pas une dérogation, c'est la création d'un double secteur. D'autre part, le Conseil estime qu'il n'y a pas atteinte au principe d'égalité d'accès à la fonction publique, puisque les intéressés ne sont pas dans une situation identique. Cette fois, il ne joue plus sur les mots mais se livre aux joies du sophisme.
L'indépendance des enseignants-chercheurs
On ne pourrait conclure sans évoquer l'indépendance des enseignants-chercheurs, principe fondamental reconnu par les lois de la République, reconnu par le Conseil constitutionnel, d'abord au profit des professeurs des Universités dans une
décision du 20 juin 1984, puis à celui de l'ensemble des enseignants-chercheurs dans une
QPC du 6 août 2010. Il implique notamment qu'ils soient associés au choix de leurs pairs.
La loi portant transformation de la fonction publique décide que les enseignants-chercheurs ne sont pas suffisamment compétents pour que l'un d'entre eux préside l'instance disciplinaire que constitue le Conseil national de de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER). En effet que pouvait-on trouver de plus compétent, de meilleur, de plus indépendant qu'un Conseil d'Etat ? C'est donc ce qui a été décidé et le Conseil constitutionnel, lui même si proche du Conseil d'Etat n'y voit aucun inconvénient. Sans explications superflues, et avec une concision admirable, il se borne à affirmer que le principe d'indépendance des enseignants-chercheurs "n'impose pas que l'instance disciplinaire qui les concerne soit présidée par un enseignant-chercheur." Les malheureux ne sauront jamais pourquoi.
Ils pourront toutefois constater que la loi allège aussi les règles du pantouflage, et notamment celles gouvernant la saisine de la commission de déontologie. Elle prévoit aussi la création d'un dispositif spécifique de détachement d'office de fonctionnaires dans le cadre d'un
transfert de missions de services publics auprès d'un organisme privé ou
d'un organisme public chargé d'une mission industrielle et commerciale. Bref, la transformation de la fonction publique, c'est d'abord la possibilité d'ouvrir des emplois à des amis, de favoriser la circulation de ceux qui se perçoivent comme de élites.. Tout cela avec la bénédiction du Conseil constitutionnel. Et la bénédiction apporte une onction divine, pas une des explications juridiques.