Le Conseil constitutionnel a rendu,
le 24 mai 2019, une décision sur question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déclarant conformes à la Constitution les dispositions de
l'article 7 du code de procédure pénale. Il énonce que la prescription de l'action publique en matière criminelle court à compter du jour où l'infraction a été commise. La Cour de cassation, dans une jurisprudence également déclarée conforme à la Constitution, précise que lorsque l'infraction est continue, c'est-à-dire lorsque l'élément matériel se prolonge dans le temps, ce même délai court à partir du jour où l'infraction a pris fin.
Extradition et nationalité
L'origine de cette QPC se trouve dans un recours déposé par Mario S. contre le décret d'extradition dont il est l'objet. L'Argentine souhaite juger cet ancien responsable de la police politique durant la dictature du général Videla, accusé d'être responsable de la disparition d'un jeune étudiant en architecture, Hernan Abriata. Après la chute du régime, Mario S. est venu en France où il a refait sa vie. Il a même acquis la nationalité française en 1997.
La France a pour principe de ne pas extrader ses ressortissants. Mais l'
article 696-4 du code de procédure pénale précise que "
lorsque la personne réclamée a la nationalité française, cette dernière est appréciée à l'époque de l'infraction pour laquelle l'extradition est requise". A l'époque de la disparition de l'étudiant,
Mario S. n'avait donc pas la nationalité française et son extradition demeure possible. Saisi par ce même requérant d'une précédente QPC, le Conseil constitutionnel avait affirmé,
en décembre 2014, qu'une telle exception n'emporte aucune violation du principe d'égalité devant la loi. Cette différence de traitement est en effet en rapport direct avec l'objet de la loi qui est de faire obstacle à ce que les règles d'acquisition de la nationalité puissent être utilisées pour échapper à l'extradition.
Don't cry for me Argentina. Joan Baez
Le PFLR
Aujourd'hui, le débat est tout autre, et le requérant a l'ambition d'obtenir du Conseil constitutionnel la reconnaissance d'un nouveau Principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFLR).
On sait que la notion de PFLR, qui figure dans le Préambule de 1946 sans que lui ait été attribué un contenu bien précis, joue désormais le rôle d'une sorte de boîte à outils. En fonction des besoins, le Conseil y fait entrer certains droits et certaines libertés qui ont été consacrés par une loi républicaine antérieure à 1946, c'est-à-dire votée à une époque où la loi était la norme suprême, en l'absence de constitution formelle. La qualité de PFLR fut ainsi attribuée, par la grande
décision du 16 juillet 1971, à la liberté d'association. Issue de la célèbre
loi du 1er juillet 1901, la liberté d'association a donc pris en 1971 une sorte d'ascenseur normatif qui lui a permis d'acquérir une valeur constitutionnelle.
Dans le cas présent, Mario S. revendique la reconnaissance d'un PFLR obligeant le législateur à prévoir un délai de prescription de l'action publique en matière pénale, principe qui concernerait les infractions autres que celles qui sont par nature imprescriptibles comme les crimes contre l'humanité. Mais pour qu'il y ait PFLR, il faut que trois éléments soient réunis.
Premier élément, le PFLR doit consacrer un droit ou une liberté. Sur ce point, il n'est peut-être pas impossible de considérer que la prescription relève du droit à l'oubli, qu'elle repose sur la recherche de la paix sociale, et prend finalement acte du reclassement la personne non condamnée dans la société.
Le second élément réside dans l'ancrage textuel du supposé PFLR et la situation devient plus délicate. Le requérant se réfère au code des délits et des peines du 3 brumaire an IV. Les lois de la République peuvent elles être celles du Directoire, alors que ce régime était doté d'une Constitution au sens formel du terme ? Aux yeux du Conseil constitutionnel, les PFLR sont en effet issus de la IIIè République, parfois de la Seconde, mais pas du Directoire. Quant à la référence au code d'instruction criminelle de 1818, référence pourtant mentionnée par l'avocat de Mario S., on remonte cette fois à la première Restauration, sous Louis XVIII, régime encore moins républicain.
Le troisième élément consiste en l'appréciation du caractère continu du principe ainsi consacré. Il faut, en quelque sorte, qu'il ait survécu après 1946 et jusqu'à nos jours. Or, le Conseil constitutionnel, dans la présente décision, fait observer que le législateur, en 1928 et en 1938, a décidé d'écarter la prescription pour les infractions de désertion avec fuite à l'étranger. Le principe de prescription n'est donc pas réellement d'application continue.
Dès lors, la Cour de cassation,
saisie en 2018 d'un pourvoi déposé par ce même
Mario S. contre l'avis favorable à son extradition formulé par la Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, n'a pas violé un PFLR en estimant que la prescription des infractions continues ne court qu'à partir du jour où elles ont pris fin, règle qui n'était pas expressément formulée par le législateur.
Contrairement à ce qu'affirmait l'avocat de
Mario S., le choix fait par la Cour de cassation n'entraîne aucune imprescriptibilité de fait, des lors que des éléments prouvant le décès du jeune étudiant argentin peuvent toujours être retrouvés, éléments d'archives voire découverte de sa tombe. Elle ne contraint pas davantage
Mario S. à s'auto-incriminer , car la détermination du
dies a quo ne repose pas nécessairement sur ses révélations, ce qui d'ailleurs aurait pu effet de renverser la charge de la preuve. Des preuves scientifiques peuvent notamment intervenir, en particulier avec l'entreprise d'identification ADN des victimes de la dictature argentine engagée par les autorités de ce pays.
Un nouveau PGD
S'il ne consacre pas un nouveau PFLR, le Conseil constitutionnel affirme l'existence d'un autre principe constitutionnel qui, selon lui, résulte du principe de nécessité des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que de la garantie des droits affirmée dans son article 16. Ce nouveau principe général est formulé en ces termes : "
Il appartient
au législateur, afin de tenir compte des conséquences attachées à
l'écoulement du temps, de fixer des règles relatives à la prescription
de l'action publique qui ne soient pas manifestement inadaptées à la
nature ou à la gravité des infractions."
Certes, le Conseil s'était déjà penché sur cette question, mais uniquement en matière d'imprescriptibilité, estimant dans sa
décision du 22 janvier 1999, qu'était conforme à la Constitution l'imprescriptibilité «
des crimes les plus graves qui touchent
l'ensemble de la communauté internationale » est conforme à la
Constitution. Il s'agissait alors d'apprécier le traité portant statut de la Cour pénale internationale, et le Conseil considérait que l'oubli légal que constitue la prescription devait être apprécié, dans sa durée, au regard de la gravité des crimes commis.
Contrairement aux PFLR, les PGD n'ont pas pour vocation d'accroître directement les droits et libertés des personnes. Certains d'entre eux imposent au législateur certaines règles gouvernant l'élaboration de la loi. Dans la QPC
Mario S., il est mentionné que les règles relatives à la prescription doivent être proportionnées à la nature et à la gravité des infractions. Et le Conseil affirme qu'en l'espèce, le choix de faire remonter le
dies a quo au moment où l'infraction continue prend fin est parfaitement proportionné à l'infraction concernée. Comme bien souvent en matière d'évolution jurisprudentielle, le Conseil commence donc par reconnaître un PGD, sans le mettre en oeuvre dans cette première décision.
Ce PGD ressemble étrangement à l'article 8 de la
Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Il stipule que le délai de prescription doit être de "
longue durée et proportionné à l'extrême de ce crime", l'article 5 le qualifiant de crime contre l'humanité.
Ce nouveau PGD a aussi pour objet d'affirmer l'étendue du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel lui-même. Car
in fine, c'est lui qui, exerçant son contrôle de proportionnalité, apprécie le choix fait par le législateur. Il s'agit très concrètement de lui poser des bornes et de l'empêcher de bouleverser les règles de la prescription, à chaque fois que change la majorité parlementaire.
Certes, la décision va avoir pour effet immédiat de permettre l'extradition d'une personne demandée par l'Argentine pour répondre d'un crime particulièrement grave et qui, depuis bien des années, use de tous les recours possibles pour ne pas avoir à rendre compte de ses actes devant les juges argentins.
Au-delà de cet élément conjoncturel, on constate que la décision va dans le sens des récentes réformes gouvernant la prescription. On sait que
la loi Tourret du 27 février 2017 fait passer de dix à vingt ans la durée de la prescription en matière criminelle. Ce choix ne repose pas sur une volonté répressive, mais bien davantage sur le désir de tenir d'une évolution considérable intervenue en ce domaine. Contrairement à ce qu'affirmait l'avocat de
Mario S. à l'audience, il est de moins en moins vrai que le temps entraine la disparition des éléments de preuve. Au contraire, la preuve scientifique ne cesse de progresser, parfois extrêmement rapidement. Il n'est pas rare que la culpabilité d'une personne soit démontrée par un traitement de l'ADN qui n'était pas techniquement accessible dix années plus tôt. Les règles de prescription sont ainsi de plus en plus dictées par les nécessités de la preuve plus que par la volonté de garantir un droit à l'oubli aux personnes qui n'ont jamais été poursuivies. De même que la prescription commence à courir à partir du jour où l'infraction a eu lieu, le droit à l'oubli commence à courir le jour où la personne a répondu de ses actes devant un juge et, le cas échéant, a purgé sa peine.