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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
jeudi 27 décembre 2018
La Cour européenne écarte la Charia
samedi 22 décembre 2018
Fake News : les réserves du Conseil constitutionnel
Le nouveau référé
Il aurait pu s'appuyer sur le fait que le juge unique est appelé à se prononcer sur des notions au contenu incertain, puisqu'il doit apprécier la diffusion sur internet de "fausses informations" définies comme "des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d'un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir". Comment devra-t-il définir une "allégation" ou une "imputation" ? La fausse information sera-t-elle celle qui est totalement inexacte, ou seulement en partie ? Peut-elle être constituée lorsque les propos sont tenus par un humoriste sous forme de caricature ou de pastiche ? Surtout, et c'est sans doute la plus grande des incertitudes, le juge des référés est invité à se prononcer sur l'impact de ces fausses informations sur la sincérité d'un scrutin "à venir". Or la notion de sincérité du scrutin a toujours été appréciée a posteriori, sur un scrutin qui à eu lieu et dont le résultat est contesté. Et cette appréciation est toujours effectuée au regard de l'écart des voix entre les candidats. Or la loi ne donne aucune indication sur les critères que le juge des référés pourrait prendre en considération pour apprécier la sincérité d'un scrutin qui n'a pas eu lieu, l'écart des voix n'étant, par hypothèse, pas utilisable.
Le Conseil constitutionnel aurait donc pu annuler ces dispositions au motif qu'elles allaient à l'encontre du principe de clarté et de lisibilité de la loi. Dans sa décision du 10 mars 2011, il avait déjà sanctionné sur ce fondement un article de la Loppsi qui définissait l'activité d'intelligence économique comme celle aidant les entreprises à se protéger des risques pouvant menacer leur activité et à "favoriser leur activité en influant sur l'évolution des affaires ou leurs décisions". Le Conseil avait alors constaté l'imprécision tant dans la définition de ces activités que dans la finalité justifiant le régime d'autorisation. Or les notions employées par la loi sur la manipulation de l'information pour justifier l'intervention du juge des référés ne sont pas réellement plus précises.
Limitation du champ d'application
Le Conseil interprète le champ d'application de la procédure de référé de manière aussi étroite que possible, Il précise d'abord, ce qui ne figurait pas dans le texte législatif, qu'elle ne saurait être utilisée à l'encontre "d'opinions, de parodies, d'inexactitudes partielles ou d'exagérations". Sur ce point, le Conseil se situe dans la ligne de la Cour européenne des droits de l'homme qui rappelle que l'article 10 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme "ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d'expression dans le domaine du discours politique". (par exemple : CEDH, 9 janvier 2018, Damien Meslot c. France, § 40).
Le Conseil ajoute que seules sont susceptibles de donner lieu à référé les "allégations dont il est possible de démontrer la fausseté de manière objective". Cette fois, il se rattache à la jurisprudence des juges internes en matière de "fausse nouvelle", jurisprudence à laquelle le législateur souhaitait pourtant échapper en se référant à la "fausse information". La Cour d'appel de Paris, dans une décision du 7 janvier 1988, déclarait ainsi que la "fausse nouvelle" est celle "qui est mensongère, erronée ou inexacte dans la matérialité des faits". Autrement dit, la preuve de l'inexactitude doit être immédiate et facile. Cela peut sembler évident, mais on doit néanmoins se demander comment il sera possible d'apporter cette preuve. En matière pénale, il appartient au ministère public d'apporter la preuve de l'infraction. Mais devant le nouveau référé civil, le plaignant sera dans une situation délicate car il devra fournir des éléments de preuve purement négatifs. Comment prouver que l'on n'a pas de compte aux Bahamas ? Comment démontrer qu'il n'existe pas de cabinet noir chargé de détruire votre réputation ? Considérée sous cet angle, la décision du Conseil constitutionnel devrait inciter les victimes de Fake News à se tourner vers la bonne vieille action en diffamation, finalement plus efficace.
Enfin, le Conseil constitutionnel rappelle que la diffusion de la fausse information doit répondre aux trois conditions fixées par le législateur : être artificielle ou automatisée, massive et délibérée. Certes, la loi les mentionnait, mais il n'est pas inutile de préciser que ces conditions sont cumulatives, ce qui limite en pratique le champ d'application du texte aux fausses informations diffusées par des robots, c'est à dire à celles qui font l'objet d'un traitement de masse.
Le rôle du CSA
L'article 5 de la loi permet au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) de s'opposer à la conclusion d'une convention de diffusion d'un service de radio ou de télévision s'il comporte "un risque grave d'atteinte à la dignité de la personne humaine, (...) à la sauvegarde de l'ordre public, aux besoins de la défense nationale ou aux intérêts fondamentaux de la Nation, dont le fonctionnement régulier de ses institutions". Le Conseil constitutionnel ne fait que mentionner cet article sans s'interroger sur sa constitutionnalité. La question aurait tout de même pu être posée de la compétence d'une autorité indépendante pour apprécier la notion d'intérêts fondamentaux de la Nation ou de fonctionnement régulier des institutions. Le dossier sera-t-il établi par les services du renseignement extérieur ? Si tel est le cas, nous sommes à l'évidence dans la théorie des actes du gouvernement, et il peut sembler surprenant que le domaine des relations extérieures de la France soit géré par le CSA.
L'article 6 suscite davantage l'intérêt du Conseil constitutionnel. Il attribue à ce même CSA le pouvoir de suspendre une convention existante de diffusion d'un service de radio ou de télévision "conclue avec une personne morale contrôlée par un État étranger ou placée sous l'influence de cet État" en cas de diffusion de fausses informations en période électorale. Là encore, le principe de clarté et de lisibilité de la loi aurait pu être utilisé, tant les notions employées semblent obscures. Avec le talent pour l'Understatement qui le caractérise, le Conseil d'Etat, dans son avis, avait estimé que la référence à l'influence exercée par un État sur un service constitue un critère "inédit et plus incertain dans ses contours". Il est vrai que ce même Conseil d'État déclarait que la décision du CSA serait placé sous son propre contrôle, ce qui signifie qu'il se débrouillerait bien pour trouver des "éléments concrets et convergents" prouvant que la personne morale est sous l'influence d'un Etat étranger. Le Conseil constitutionnel, toujours respectueux à l'égard du Conseil d'État a sans doute pensé la même chose..
Quoi qu'il en soit, le Conseil constitutionnel se borne finalement à poser une réserve identique à celle déjà mentionnée à propos de l'action en référé. Il précise que la décision de suspension ne peut intervenir que si le caractère inexact ou trompeur des informations diffusées est manifeste, de même que le risque d'altération de la sincérité du scrutin. On attend avec impatience de voir comment le CSA appréciera l'influence des informations diffusées par Russia Today ou Sputnik sur une élection qui n'a pas encore eu lieu.
Certains regretteront sans doute que le Conseil constitutionnel n'ait pas eu l'audace, ou simplement le courage, de déclarer inconstitutionnelles les dispositions les plus marquantes d'une loi mal écrite, simple produit du désir de régler quelques comptes après une campagne présidentielle de 2017 marquée par la multiplication des Fake News, visant en particulier, mais pas seulement, Emmanuel Macron. Agissant ainsi, il laisse subsister dans le droit positif des dispositions qui, si elles sont jamais appliquées, risquent fort d'être sanctionnées pour violation de différentes conventions internationales qui affirment que la liberté de l'information s'exerce "sans considération de frontières".
Mais le Conseil a choisi une voie plus discrète, moins susceptible de donner immédiatement lieu à des réactions politiques. Cette voie plus discrète est aussi efficace, car il s'agit de rendre la loi parfaitement inapplicable; de siphonner son contenu normatif pour en faire une sorte de coquille vide. Les contraintes liées au caractère "manifeste" de la fausse information et de l'altération à la sincérité du scrutin, sont en effet telles que ne seront désormais susceptibles d'être sanctionnées que les Fake News tellement énormes, qu'elles entreront immédiatement dans l'exception tirée de l'opinion purement politique ou du caractère parodique du propos. On se réjouit donc que le principal bénéficiaire de la décision du Conseil constitutionnel soit... le Gorafi.
lundi 17 décembre 2018
La vérité sur l'Affaire Blanquer
Des formulations... républicaines
L'exposé des motifs affirme ainsi vouloir "transmettre les savoirs fondamentaux à tous les élèves", savoir définis comme "lire, écrire, compter et respecter autrui". Nul ne conteste un tel objectif qui était déjà à la base de l'enseignement obligatoire mise en place par la loi Jules Ferry du 28 mars 1882, même si, à l'époque, il s'agissait de soustraire l'enseignement à l'emprise des congrégations. Le texte actuel précise ensuite que "ce projet s'inscrit dans la tradition républicaine des lois scolaires de la République". Et comme décidément, on aime beaucoup la République, on ajoute une référence à la "geste républicaine pour la liberté, l'égalité et la fraternité".
Derrière ces formulations que l'on pourrait qualifier de... républicaines, apparaissent des dispositions qui, il y a encore quelques années, auraient été regroupées dans une loi "portant diverses dispositions relatives à l'enseignement". La disposition la plus notable est sans doute celle qui impose l'obligation scolaire aux enfants, dès l'âge de trois ans. A cela s'ajoute un nouveau mécanisme d'évaluation de l'école qui s'incarnera dans une nouvelle institution : le Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO). Le reste, sans doute pas inutile, se ramène à une série de dispositions techniques qui vont du contrôle de l'enseignement dispensé au sein de la famille à la création d'un rectorat à Mayotte, en passant par la modification des modalités de recrutement des directeurs d'école.
"Engagement et exemplarité"
Parmi cet ensemble un peu disparate, une disposition doit être remarquée, parce que, sous des dehors sympathiques, elle peut donner lieu à une utilisation pour le moins inquiétante. L'article 1er du projet introduit dans le code de l'éducation un article L 111-3-1 ainsi rédigé : "Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l'établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l'éducation (...)". A priori, la disposition semble totalement dépourvue de contenu juridique, ce qui n'est pas rare dans les projets de loi actuels. Une lecture un peu rapide laisse penser qu'il s'agit de flatter l'ego un peu meurtri des enseignants, de rendre hommage à leur "engagement" et à leur "exemplarité" dans leurs relations avec leurs élèves et leurs familles, ainsi qu'avec leur hiérarchie. C'est vrai qu'ils ont du mérite et on se réjouit que le législateur rende ainsi hommage à ceux qui sont précisément chargés de transmettre les "savoirs fondamentaux".
Le problème est qu'une formulation gratifiante peut aussi servir d'autres buts moins clairement avoués. Il est en effet absolument nécessaire de lire l'étude d'impact du texte pour mieux comprendre l'article 1er du projet de loi. Les termes "engagement et exemplarité" prennent en effet un tout autre sens. Il est en effet précisé que la confiance que doit inspirer la "communauté éducative" est "intimement liée à ses comportements". L'étude d'impact ajoute que les juridictions administratives ont eu l'occasion de souligner l'importance de ce lien de confiance qui doit unir les personnels du service public aux élèves et à leurs familles et "en ont tiré toutes les conséquences, notamment en matière disciplinaire".
L'usage à des fins disciplinaires
On comprend cette fois que l'article 1 n'a hélas pas pour objet de rendre hommage au travail difficile des professeurs mais a plutôt pour finalité de permettre d'engager à leur encontre des poursuites disciplinaires. Le projet de loi reprend en effet la formulation qui est celle du Conseil d'Etat dans un arrêt du 18 juillet 2018. A propos d'une sanction de mise à la retraite d'office infligée à un professeur de lycée, le juge s'appuie en effet sur "l'exigence d'exemplarité et d'irréprochabilité qui incombe aux enseignants dans leurs relations avec les mineurs, y compris en dehors du service". Cette formule a déjà été reprise dans deux décisions, l'une de la Cour administrative d'appel de Marseille du 27 novembre 2018, l'autre de la Cour administrative d'appel de Douai du 18 novembre 2018. Certes, ces trois décisions ont pour point commun de porter sur des sanctions justifiées par des faits très graves, notamment des atteintes sexuelles sur mineur, mais l'intégration de ces notions dans la loi autorise un élargissement de leur champ d'application.
C'est d'ailleurs exactement ce que prévoit l'étude d'impact. Elle affirme que l'arrêt du 18 juillet 2018 portait sur des faits "portant atteinte à la réputation du service public", oubliant sans doute que les premières victimes étaient d'abord des mineurs victimes d'abus sexuels. Quoi qu'il en soit, la loi propose d'étendre les poursuites disciplinaires aux cas dans lesquels les personnels de l'éducation nationale "chercheront à dénigrer auprès du public par des propos gravement mensongers ou diffamatoires leurs collègues et, de manière générale, l'institution scolaire". Comme tous les fonctionnaires, les enseignants sont soumis aux obligations de discrétion et de réserve. La discrétion figure dans l'article 25 du statut de la fonction publique. Elle impose la non-divulgation de faits, informations ou documents dont l'agent a connaissance dans l'exercice de ses fonctions. La réserve, quant à elle d'origine jurisprudentielle, impose une certaine retenue dans l'expression, et interdit d'utiliser ses fonctions pour d'autres finalités que celles qui lui sont attachées. L'obligation de réserve est ainsi intimement liée à l'obligation de neutralité du service public.
La lutte contre l'expression #Pasdevagues
Cette fois, on comprend mieux où les rédacteurs du projet de loi veulent en venir. En effet la nouvelle obligation d'"exemplarité" pourrait parfaitement être utilisée pour sanctionner les milliers d'enseignants qui ont réagi, en octobre 2018, sur les réseaux sociaux, après qu'un lycéen de Créteil a menacé une enseignante avec une arme, dont on a su ensuite qu'elle était factice. Sous le hashtag #Pasdevagues, ils se sont plaints de l'absence de soutien de leur hiérarchie dans des faits comparables, violences ou agressions verbales par leurs élèves ou les familles de leurs élèves. Le manquement à l'obligation de réserve ne pouvait pas leur être reproché car ils s'exprimaient en dehors de leurs fonctions. Quant à la discrétion, elle ne concerne que les informations non communicables dont l'agent a connaissance lors de son activité, c'est à dire la divulgation des secrets du service à des personnes non habilitées à en connaître. L'obligation de discrétion pèse ainsi essentiellement sur les magistrats, les militaires ou les policiers. Les enseignants, quant à eux, n'y sont soumis que pour des données particulières, par exemple les dossiers personnels des enfants.
L'obligation d'exemplarité est suffisamment imprécise pour permettre de contrôler l'expression des enseignants en dehors du service, pour renforcer le poids de la hiérarchie qui avait été accusée de ne pas suffisamment protéger ses agents lors de l'affaire de #Pasdevagues. Pour le moment, ces dispositions du projet de loi avancent masquées, derrière une formulation volontairement ambiguë, sans doute dans l'espoir qu'elles passeront inaperçues et que le vote sera, lui aussi, acquis "sans vagues". Il ne reste plus qu'à espérer que les parlementaires verront le piège et mettront la question sur la place publique.
vendredi 14 décembre 2018
Le référendum d'initiative citoyenne
Démocratie représentative et démocratie directe
Cette remise en cause radicale de l'effectivité de l'article 6, même si elle est dépourvue de tout fondement juridique, constitue tout de même un témoignage intéressant de la crise que traverse notre système démocratique. Certes des élections ont lieu, élections disputées et pluralistes, et ceux qui sont élus ne sont aucunement dépourvus de légitimité. Mais la loi elle-même est mise en cause. Pervertie par les lobbies, dénaturée par un Exécutif qui a tendance à l'utiliser à des fins de communication, la loi n'est plus perçue comme l'expression de la volonté générale. Le référendum d'initiative populaire apparaît alors comme une solution.
La nostalgie de 1793
Contrairement à ce qu'affirment certains de ses promoteurs, l'idée est loin d'être nouvelle. La Constitution montagnarde de l'an I comportait un article 59 qui énonçait que les lois votées par le Corps législatif n'entreraient en vigueur qu'à l'issue d'une période de quarante jours. Durant ce délai, il était possible à au moins 1/10e des assemblées primaires, dans la moitié des départements, de faire opposition pour qu'un référendum national soit organisé. Le peuple pouvait donc opposer un véritable veto à la loi votée.
Comme on le sait, la constitution de 1793, "suspendue jusqu'à la paix", ne fut jamais appliquée. Elle a disparu avec ses promoteurs, lors de la chute de la Montagne, le 9 Thermidor an II. Mais elle est demeurée une icône de la gauche et lors du débat constitutionnel de juillet 2018, les députés de France Insoumise suggéraient même d'inscrire la Déclaration des droits de l'homme de 1793 dans l'actuel bloc de constitutionnalité aux côtés de la Déclaration de 1789.
L'idée d'un référendum d'initiative citoyenne va évidemment bien au-delà du dispositif de 1793. Il s'agit cette fois de leur offrir à la fois l'initiative et le vote de la loi. Cette revendication s'inscrit aussi dans une histoire beaucoup plus récente,
Le référendum d'initiative partagée
La révision constitutionnelle initiée par Nicolas Sarkozy a conduit en effet à une modification de la rédaction de l'article 11, la disposition qui précisément a trait au référendum. A l'époque, le Président de la République avait annoncé vouloir "redonner la parole au peuple français", mais la procédure adoptée ne correspondait guère à la présentation qui en avait été faite.
L'article 11 était modifié par l'ajoute des dispositions suivantes : "Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d'une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an". Cette procédure ne peut intervenir que dans le champ de l'article 11, ce qui signifie que la consultation populaire ne peut concerner que l'organisation des pouvoirs publics, ou les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale.
Adoptées par la révision de 2008, ces dispositions sont demeurées lettre morte durant tout le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Une loi organique et une loi ordinaire destinées à assurer leur mise en oeuvre ont bien été votées en première lecture, en janvier 2012, soit quatre ans après la révision. Mais la procédure n'a été achevée qu'après l'alternance, durant le quinquennat de François Hollande. Les parlementaires ont alors adopté la loi organique et la loi ordinaire du 7 décembre 2013 sans aucun enthousiasme.
L'examen de la procédure ne peut que décevoir les partisans du RIC. L'initiative n'appartient pas aux électeurs mais au parlement dont 1/5è des membres doivent déposer une proposition de loi, dans les conditions du droit commun. Le peuple n'intervient qu'ensuite, pour appuyer l'initiative parlementaire par une sorte de droit de pétition modernisé. Pour qu'un référendum ait lieu, il faut en effet le soutien d'1/10e de l'électorat, soit environ 4 500 000 électeurs.
Mais cela n'est pas encore suffisant, car le parlement conserve le contrôle de la procédure. Si le nombre de 4 500 000 signatures est atteint, le Conseil constitutionnel publie au Journal officiel une décision mentionnant que l'initiative parlementaire a obtenu le soutien du 1/10e des électeurs. A l'issue d'un délai de six mois après cette publication, le Président de la République la soumet à référendum... sauf si le parlement en décide autrement. Cela peut sembler compliqué, mais c'est très simple. Le texte exige seulement que le parlement "examine" le texte une fois (art. 9 de la loi organique). Il n'a pas besoin de susciter un vote, mais doit seulement inscrire le texte à l'ordre du jour et susciter un unique débat dans chaque assemblée. Une fois cette procédure respectée, la proposition de référendum peut tranquillement être enterrée par le parlement, comme sont enterrés les espoirs de ceux qui auraient eu la naïveté de croire que cette réforme avait pour but de "redonner la parole au peuple".
Dans de telles conditions, la procédure n'a guère séduit. Elle est d'autant moins attractive que l'initiative ne peut intervenir hors du champ d'application du référendum de l'article 11, ce qui interdit toute intervention dans le domaine des libertés publiques. Il est en outre pratiquement impossible de réunir la signature d'1/10e des électeurs. On se souvient que les groupes hostiles au mariage des couples de même sexe, pourtant extrêmement mobilisés, ne sont parvenus qu'à 690 000 signatures, nombre bien éloigné des 4 500 000 exigées par le texte.
Le référendum d'initiative partagée est donc un leurre et les Français sont certainement conscients d'avoir été dupés. La revendication d'aujourd'hui témoigne de cette frustration et rend nécessaire une nouvelle réflexion sur le sujet. Il existe des pays comme la Suisse, où le référendum d'initiative populaire existe, dans une organisation pacifiée et consensuelle. Ce nouveau débat est d'autant plus urgent que ces thèmes ne doivent pas demeurer le monopole de mouvements politiques qui confondent la démocratie avec le pouvoir de la rue. Le Président Macron a, quant à lui, souhaité une révision constitutionnelle. Le débat sur ce projet a commencé à l'Assemblée, mais il a été interrompu il y a plusieurs mois après une première discussion désultoire et peu convaincante. Pourquoi ne pas reprendre la discussion en mettant à l'ordre du jour le référendum d'initiative citoyenne ? La réforme présenterait bien des avantages, muscler la révision existante, renforcer la démocratie et accessoirement donner satisfaction aux Gilets Jaunes sans aucune ponction budgétaire.
lundi 10 décembre 2018
La Déclaration universelle des droits de l'homme a 70 ans
La Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH) fête ses soixante-dix ans. Le 10 décembre 1948, elle était en effet adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unis, au Palais de Chaillot. Il était important, surtout après les très graves violations des droits de l'homme intervenues durant le second conflit mondial, de rappeler la nécessité de leur garantie par les États. La démarche s'inscrit dans la droite ligne de la Charte des Nations Unies pour laquelle le respect des droits de l'homme est un instrument destiné à "créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales". A l'époque, les droits de l'homme ne sont pas tant un objectif à atteindre à travers une reconnaissance universelle qu'un instrument au service de la paix.
La perception de la DUDH a aujourd'hui considérablement évolué. On oublie volontiers les conditions de son adoption pour affirmer qu'elle constitue le socle du droit international des droits de l'homme. On dénonce volontiers les violations de la DUDH, on la présente comme un texte impératif qui s'impose aux États. Le seul problème est que tout cela est faux. La DUDH n'a pas grand chose à voir avec le droit positif, ce qui ne l'empêche pas d'être un texte de référence, au plan purement symbolique.
Valeur juridique de la DUDH
C'est ainsi que la DUDH ne saurait servir de fondement à une décision de la Cour internationale de Justice. Ses dispositions ne peuvent pas davantage être utilement invoquées devant les juridictions internes. Dans une formulation toujours identique, le Conseil d'Etat affirme ainsi que "la seule publication faite au Journal Officiel du 9 février 1949 du texte de la Déclaration (...) ne permet pas de ranger cette dernière au nombre des textes diplomatiques qui, ayant été ratifiés et publiés en vertu d'une loi, ont aux termes de l'article 55 de la Constitution, une autorité supérieure à celle de la loi". La DUDH n'est donc pas un texte susceptible d'être invoqué à l'appui d'une procédure devant les tribunaux français.
Un texte de compromis
Le résultat a été un texte de compromis, marqué par des formules ambiguës et des silences pesants. Au nombre des premières, figure le droit de propriété, l'article 17 énonçant que son titulaire peut être "toute personne, aussi bien seule qu'en collectivité". Autant dire qu'un États peut renoncer à la propriété privée et ne garantir que la propriété collective, concession de nature à satisfaire l'URSS de l'époque. Une constatation identique peut être réalisée à propos de l'article 21 qui prévoit des "élections honnêtes", formulation dépourvue de sens juridique et qui autorise les États du bloc soviétique de considérer comme "honnête" une consultation organisée autour d'un parti unique. Car des élections "honnêtes" ne sont pas des élections "pluralistes"... Quant aux silences pesants, il suffit de mentionner l'absence du droit de grève, de la liberté du commerce et de l'industrie, et même de la liberté de presse.
Toutes ces concessions ont pourtant été vaines, car le consensus n'a pas été obtenu. Au moment du vote, huit États se sont abstenus, dont l'URSS et un bon nombre de pays de l'Est. Comptaient également parmi les abstentionnistes l'Afrique du Sud, à l'époque pratiquant un régime d'Apartheid qui refusait l'égalité sans distinction de race figurant dans la DUDH, ainsi que l'Arabie Saoudite qui n'avait pas de sympathie pour la liberté religieuse garantie dans l'article 18. Au moment où elle est votée, la DUDH ne reflète donc pas un consensus.
Ce consensus existe-t-il aujourd'hui ? Au moment du vote de la DUDH, les États membres de l'ONU sont 58, et ils sont aujourd'hui 193. Les 2/3 des États n'ont donc jamais voté la DUDH et s'ils déclarent généralement l'accepter, il s'agit là de propos qui n'emportent aucun engagement particulier. Sur le plan strictement juridique, rien n'interdit donc de proclamer son immense respect pour la DUDH tout en violant allègrement les droits qu'elle consacre.
La dimension symbolique des droits de l'homme
Doit-on pour autant rejeter la malheureuse DUDH en la considérant comme un simple leurre destiné à proclamer les droits de l'homme sans pour autant être tenu de les respecter ? Pas totalement, car sa faiblesse même permet de mesurer le travail réalisé depuis 1948. C'est parce qu'elle n'avait pas de puissance obligatoire que des traités ont ensuite été négociés, d'abord les pactes de 1966, le premier sur les droits civils et politiques, le second sur les droits sociaux. S'ils ne disposent pas de systèmes de garanties réellement efficaces, ils présentent tout de même l'intérêt de lier les États qui les ont signés et ratifiés. D'autres conventions portant sur des domaines particuliers ont suivi, mais le plus important réside dans l'effort réalisé au plan régional.
La convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme a été signée à peine deux ans après le vote de la DUDH, le 4 novembre 1950 et il faut bien reconnaître qu'elle apparaît comme étant d'une extraordinaire modernité par rapport à la Déclaration. Alors que la DUDH se veut universelle mais se montre incapable d'imposer le respect des droits qu'elle garantit, la Convention européenne n'a qu'une ambition régionale mais repose sur un contrôle effectué par une juridiction, la Cour européenne des droits de l'homme. Alors que la DUDH proclame des principes flous et lacunaires, la Convention européenne consacre des droits précis. Si l'on compare les deux instruments internationaux, la DUDH assure ainsi la dimension symbolique et déclaratoire des droits de l'homme, alors que le Cour européenne offre une garantie efficace, mais limitée au plan européen. Autant dire que l'universalité des droits de l'homme, telle qu'elle s'incarne dans la DUDH, est d'abord un beau mythe que chacun s'efforce de faire vivre, sans oublier que l'efficacité est ailleurs.
vendredi 7 décembre 2018
Les reculs de la transparence administrative
L'Open Data par défaut
Le premier exemple réside dans une articulation particulièrement étrange entre la loi du 17 juillet 1978 et la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016. Celle-ci introduit dans le code des relations avec le public un article L 312-1-1 qui prévoit l'"Open Data par défaut". L'idée en est fort simple : un document déjà communiqué à un administré sur le fondement de la loi sur la transparence administrative doit ensuite être mis en ligne, afin qu'il soit accessible à toute personne intéressée.
Précisément, X. Berne, responsable de NextInpact a obtenu communication en avril 2017, sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978, d'un rapport d'évaluation de l'usage des caméras-piéton portées par certains policiers. Le chef d'entreprise, très investi en faveur de l'Open Data par défaut, a ensuite demandé au ministre de l'intérieur la publication en ligne de ce document, conformément à l'article L 312-1-1 du code des relations avec le public. En l'absence de réponse du ministre, une décision implicite de rejet est née, que X. Berne a contestée devant le tribunal administratif de Paris.
Sa requête a toutefois été déclarée irrecevable, alors qu'il ne demandait que l'application de la loi. L'article 13 de cette même loi pour une République numérique offre en effet la possibilité "de saisir la CADA pour avis en cas de refus de publication d'un document administratif". Le tribunal administratif en déduit donc que toute demande de publication doit être précédée d'un nouveau recours à la CADA. Cela signifie que le malheureux demandeur devrait saisir une seconde fois la CADA pour obtenir la simple application de la loi. A cela s'ajoute le fait qu'il n'a plus intérêt à agir puisque, par hypothèse, il a déjà obtenu communication, à titre personnel, du document dont il demande la mise en ligne. La décision de rejet fait ainsi prévaloir une loi de procédure (les dispositions qui imposent la saisine préalable de la CADA) sur la loi numérique qui pose un principe général de transparence. Et le problème est que la procédure imposée à l'administré vide de son contenu le devoir imposé à l'administration.
S'agit-il d'une atteinte volontaire au principe de transparence administrative ? Peut-être pas, et il est possible que le législateur n'ait pas vu cette difficulté d'application des textes. Il n'empêche que ni la CADA ni le tribunal administratif n'ont observé que cette saisine préalable de la CADA imposait à l'administré une procédure préalable à l'application d'une loi qui entendait imposer un devoir de publication à l'administration, en l'absence de toute demande.
La directive secret des affaires
La seconde restriction à la transparence réside dans la mise en oeuvre de la directive secret des affaires du 8 juin 2016 par la loi du 30 juillet 2018. Dans le cadre de l'enquête sur l'affaire Implant Files menée par un consortium de journalistes et portant sur d'éventuelles lacunes dans le contrôle des implants médicaux, Le Monde s'est adressé à la filiale médicale du Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE), établissement public industriel et commercial placé auprès du ministère de l'industrie et organisme certificateur, y compris en matière médicale. Le journal voulait obtenir la communication de la liste des dispositifs ayant obtenu une certification ainsi que celle des dispositifs ne l'ayant pas obtenu. Ces éléments étaient à l'évidence précieux dans le cadre d'une enquête sur la certification des implants. Le LNE refuse pourtant cette communication, au nom du secret des affaires.
Le Monde se tourne donc vers la CADA qui, le 25 octobre 2018, rend un avis défavorable. Certes, elles reconnaît que l'organisme de certification, le LNE, remplit une mission de service public. Même si, en l'occurrence, la certification est effectuée par une filiale qui a le statut d'entreprise, l'intégralité de ses actions est détenue par LNE. De ces éléments, la CADA déduit que les documents demandés ont bien un caractère administratif.
Mais la directive secret des affaires réduit considérablement le champ des informations communicables. Dans sa rédaction issue de la loi du 30 juillet 2018, l'article L 311-6 du code des relations avec le public affirme que "ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents dont la communication porterait atteinte au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles". L'accès des tiers, et donc de la presse, est donc désormais impossible, car la CADA estime que les informations demandées font apparaître "le nom des fabricants de ces dispositifs". Observons ainsi qu'il ne s'agit pas de protéger les savoir-faire et en particulier les brevets, mais simplement de garantir l'anonymat des entreprises qui fabriquent les implants. Un tel avis développe une conception extrêmement large du secret des affaires et empêche purement et simplement l'activité des journalistes d'investigation.
Le Monde annonce un recours contentieux devant le juge administratif pour contester ce refus de communication. Mais force est de constater que le droit positif ne lui est pas nécessairement favorable. Certes, l'article L 151-8 du code de commerce prévoit que "à l'occasion d'une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n'est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue (...) pour exercer le droit à la liberté d'expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse". Cette même disposition élargit la protection aux lanceurs d'alerte. Certes, mais en l'espèce, Le Monde n'est pas poursuivi pour avoir diffusé une information couverte par le secret des affaires. Il se voit seulement opposer un refus de communication, en l'absence de toute diffusion. Le résultat est, une fois encore, digne de Kafka, car la liberté de presse serait mieux traitée si le journal avait obtenu l'information par une source anonyme. Il pourrait alors invoquer à la fois l'article 151-8 du code de commerce et le secret des sources.