Le requérant, ancien membre d'Action Directe a été condamné à perpétuité pour les meurtres de l'IGA René Audran et du PDG de Renault Georges Besse en 1985 et 1986. Il a bénéficié d'une libération conditionnelle en 2012. En février 2016, interrogé par un radio marseillaise, il déclare que les auteurs des attentats du 13 novembre 2015 "se sont battus courageusement". Il est condamné pour apologie d'acte de terrorisme à trois ans d'emprisonnement, dont dix-huit mois avec sursis. A l'occasion de son pourvoi en cassation, il conteste trois dispositions du code pénal, non seulement l'article 421-2-5 qui punit de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende l'apologie publique d'actes de terrorisme, mais encore les articles 422-3 et 422-6 qui prévoient les peines complémentaires susceptibles d'être prononcées. A ses yeux, ces dispositions portent atteinte aux principes de légalité des délits et des peines, de nécessité et de proportionnalité des peines, ainsi qu'à la liberté d'expression.
Le principe de légalité des délits et des peines
Le principe de légalité des délits et des peines, garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, serait violé, dans la mesure où la loi ne préciserait pas clairement le champ d'application de ce délit. Dans sa décision QPC du 25 février 2010, le Conseil constitutionnel affirme en effet que la définition d'une infraction doit être formulée en termes "clairs et précis", exigence qui s'impose "non seulement pour exclure l'arbitraire dans le prononcé de la peine, mais encore pour éviter une rigueur non nécessaire lors de la recherche de ses auteurs".
En l'espèce, il ne voit aucun manque de précision dans la définition de l'apologie d'acte de terrorisme. D'une part, les actes de terrorisme visés sont ceux explicitement qualifiés comme tels par l'article 421-1 du code pénal, à l'exclusion de toute autre infraction. D'autre part, l'apologie est clairement définie comme l'action consistant à "justifier, excuser ou présenter sous un jour favorable un acte ou son auteur". Elle se distingue de la provocation, car elle n'appelle pas à la commission ou au renouvellement de l'acte. Cette définition est celle donnée par la Cour de cassation, dans un arrêt du 25 avril 2017, confirmant la condamnation d'un individu qui, lors d'une cérémonie d'hommage aux victimes des attentats du 13 novembre 2015, avait brandi une pancarte sur laquelle étaient inscrits d'un côté "Je suis Charlie" et de l'autre "Je suis Kouachi".
Le principe de proportionnalité des peines
La proportionnalité de la peine ne donne lieu qu'à un contrôle de la "disproportion manifeste", dès lors que cette appréciation relève d'abord du législateur (par exemple, décision QPC du 7 juin 2013). En l'espèce, la peine prévue est de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Elle est susceptible d'être portée à sept ans et 100 000 euros lorsque l'infraction a été commise sur internet, l'idée étant de sanctionner plus sévèrement une action visant à l'endoctrinement de futurs terroristes.
En l'espèce, le Conseil observe que ces peines sont modulables "en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur", conformément au principe de droit commun d'individualisation de la peine. En revanche, il note que la peine complémentaire de confiscation des biens, qui est l'un des objets de la présente QPC et qui est prévue par l'article 422-6 du code pénal, ne saurait être prononcée en même temps qu'une peine pour apologie d'acte de terrorisme, car elle est prévue dans un chapitre du code pénal uniquement consacré aux actes de terrorisme, dans lequel l'apologie ne figure pas. Sous cette réserve, le délit d'apologie d'acte de terrorisme n'impose pas une peine disproportionnée.
La liberté d'expression
Pour apprécier si une disposition législative porte atteinte à la liberté d'expression, le Conseil constitutionnel s'assure d'abord qu'elle répond à une finalité conforme à la constitution. En l'espèce, le délit d'apologie d'acte de terrorisme poursuit "l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et des infractions". Dans sa décision du 18 janvier 1995, le Conseil avait déjà affirmé que la prévention des atteintes à l'ordre public et notamment des atteintes à sécurité des personnes et des biens répondait à un objectif de valeur constitutionnelle.
Si elle s'insère dans une jurisprudence déjà ancienne, cette référence à un objectif de valeur constitutionnelle de prévention des infractions contribue, dans le cas présent, à brouiller la distinction entre l'apologie et l'incitation. En effet, la prévention des infractions vise, par définition, à empêcher la commission ou le renouvellement de l'acte, élément de définition de l'incitation, mais pas de l'apologie. Certes, le Conseil constitutionnel prend soin de n'utiliser ce fondement constitutionnel que pour justifier l'atteinte à la liberté d'expression, mais il n'en demeure pas moins que cet amalgame entre les deux notions est gênant.
Se référant à cet objectif de valeur constittuionnelle, le Conseil vérifie qu'il justifie une atteinte à la liberté d'expression, exerçant ainsi un nouveau contrôle de proportionnalité. Il fait observer que l'apologie d'un acte de terrorisme constitue, en soi, un trouble à l'ordre public qui justifie une sanction. Les faits incriminés sont suffisamment précis pour permettre à chacun d'apprécier les faits d'apologie s'analysant comme un comportement illicite. Enfin, le fait que les poursuites ne soient plus soumises à la procédure particulièrement protectrice des infractions de presse n'emporte aucune conséquence excessive pour la liberté d'expression, dès lors que "les actes de terrorisme dont l'apologie est réprimée sont des infractions d'une particulière gravité susceptibles de porter atteinte à la vie ou aux biens".Sur ce point, le Conseil reprend exactement sa jurisprudence relative au négationnisme issue de sa décision QPC du 8 janvier 2016. Il avait alors jugé que l'atteinte à la liberté d'expression était proportionnée dans le cas d'une infraction destinée à sanctionner la négation des crimes contre l'humanité, crimes dont la gravité justifiait un telle mesure.
Comme les crimes contre l'humanité, les actes de terrorisme justifient ainsi la construction d'un droit spécifique. Le Conseil constitutionnel l'admet depuis longtemps, et il reconnaît que ce droit impose des restrictions à des libertés particulièrement protégées, telles que la liberté d'expression. Son contrôle demeure modeste, et ce n'est pas illogique. En effet, il appartient au Parlement, et à lui seul, de choisir où il convient de placer le curseur entre la liberté et la sécurité.
Sur la nécessité de la peine et le terrorisme : Chapitre 4, section 1 § 1 A du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.