Le Parlement est saisi, depuis le 9 mai 2018, d'un
projet de loi constitutionnelle "
pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace". Comme bien souvent dans la période actuelle, l'intitulé de la loi tient un peu du slogan publicitaire, et on imagine tout de même assez mal que les responsables actuellement aux affaires estiment avoir été élus par une démocratie non représentative, irresponsable et inefficace. La lecture du projet rassure sur ce point, car les modifications envisagées, si elles sont loin d'être négligeables, ne modifient pas de manière substantielle, l'équilibre du régime. L'avis du Conseil d'Etat en témoigne, qui ne voit rien de choquant dans le projet, se bornant finalement à quelques suggestions de détail.
Sur le fond, l'étude sera limitée aux éléments de la révision qui touchent directement aux libertés publiques. Nous ne ferons que mentionner la transformation du Conseil économique, social et environnement (CESE) en une "chambre de participation citoyenne", la consécration de la Corse comme "collectivité à statut particulier", ou l'inscription de "la lutte contre les changements climatiques" dans l'article 34 de la Constitution. En matière de libertés, les dispositions concernent essentiellement l'autorité judiciaire, le Conseil constitutionnel, et le parlement.
La suppression de la Cour de justice de la République
Le président Macron avait annoncé la suppression de la Cour de justice de la République (CJR), dans son
discours au Congrès du 3 juillet 2017, reprenant ainsi une promesse déjà faite par son prédécesseur. Créée à la suite de l'affaire du sang contaminé, la CJR s'est rapidement illustrée par sa mansuétude. Multipliant les
relaxes et les condamnations accompagnées d'une dispense de peine, elle a eu rapidement la réputation d'une juridiction complaisante, d'autant qu'elle était composée de seulement trois juges auxquels s'ajoutaient une douzaine de parlementaires. Ces derniers se jugeaient donc eux-mêmes, ce qui pouvait expliquer cette constante indulgence. Les membres du gouvernement seront donc jugés dans les conditions du droit commun. La seule spécificité résidera dans le maintien d'une commission chargée de filtrer la requête, lorsqu'est mis en cause un acte commis dans l'exercice des fonctions. Il s'agit d'éviter l'instrumentalisation de la justice à des fins partisanes et d'empêcher de prospérer des recours uniquement destinés à déstabiliser un adversaire politique.
Le Conseil supérieur de la magistrature
Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) donne lieu, quant à lui, à une réforme visant à rapprocher le statut des membres du parquet de celui des magistrats du siège. Ils seront toujours nommés par l'Exécutif, mais sur avis conforme du CSM et non plus sur avis simple. Il exercera aussi à leur égard le pouvoir disciplinaire, selon une procédure identique à celle qui existe pour la magistrature assise. Le but est d'assurer un équilibre entre des objectifs opposés, d'une part maintenir la soumission du parquet à l'Exécutif dans la mesure où il doit mettre en oeuvre la politique pénale, d'autre part renforcer son indépendance. On peut se demander si cette réforme suffira à faire évoluer la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Dans son célèbre arrêt
Moulin c. France de 2010, celle-ci avait refusé de considérer les membres du parquet comme des magistrats au sens de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors qu'ils demeuraient hiérarchiquement soumis au pouvoir exécutif. Or, l'évolution du pouvoir de nomination et de la procédure disciplinaire ne met pas fin au droit du ministre de la justice de donner des instructions aux procureurs.
Le Conseil constitutionnel
La suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel s'analyse également comme une réforme attendue. Alors que la création de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a eu pour effet de faire participer le Conseil constitutionnel au contentieux de droit commun, soit devant le juge judiciaire, soit devant le juge administratif, la présence des anciens présidents de la République en son sein devenait de plus en plus indéfendable. L'absurde la situation a culminé avec Nicolas Sarkozy contestant le refus de valider son compte de campagne devant un Conseil constitutionnel dont il était membre de droit... On notera que la mesure ne s'appliquera pas aux membres de droit qui ont siégé au Conseil l'année précédant la délibération du conseil des ministres sur le projet de loi constitutionnelle. Cette formulation permet d'écarter tous les anciens présidents actuellement vivants, dès lors qu'aucun d'entre eux n'a siégé depuis mai 2017.
La proposition de loi constitutionnelle met ainsi fin à cette hérésie juridique que constituait la présence des anciens présidents au sein du Conseil. La question de l'impartialité du Conseil est-elle pour autant réglée ? En l'état actuel des choses, la proposition ne touche pas aux membres nommés. Or ces derniers sont désignés par des autorités politiques, le président de la République et le président de chaque assemblée parlementaire. Les affinités politiques ne sont évidemment pas absentes dans les choix qui sont effectués. Alors même que le Conseil vient de se proclamer "juridiction suprême" en obtenant de pouvoir saisir la Cour européenne des droits de l'homme d'une question préjudicielle, n'est-il pas surprenant de voir son président donner son avis dans les médias sur la politique extérieure de la France ? On a même vu, quelquefois, des membres s'éloigner quelque temps du Conseil pour aller faire une campagne électorale... De toute évidence, l'audace des auteurs de la proposition ne va pas jusqu'à une remise en cause de cette situation.
L'abaissement de soixante à quarante du nombre de parlementaires susceptibles de saisir le Conseil constitutionnel, dans le cadre de son contrôle
a priori, n'appelle pas beaucoup de commentaires. Il s'agit en effet de répercuter la réforme qui sera introduite par une loi organique et qui réduira de 30 % le nombre de parlementaires.
Hitler en colère contre la révision constitutionnelle
Parodie de La Chute de Oliver Hirschbiegel, 2004
Le parlement
Les dispositions relatives au Parlement visent d'abord à discipliner l'exercice du droit d'amendement. Seront systématiquement irrecevables les amendements qui ne sont pas du domaine de la loi ou qui sont "
sans lien direct" avec le texte débattu. Sur ce point, la proposition reprend la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui sanctionne régulièrement des cavaliers législatifs sans rapport avec le texte. C'est ainsi que, dans une
décision du 16 janvier 1991, il avait sanctionné une disposition sur le recrutement des enseignants des écoles d'architecture introduite par amendement dans une loi relative à la santé publique. Désormais, l'irrecevabilité sera opposable à tous les amendements sans lien avec le texte, qu'ils émanent du gouvernement ou du parlement. En cas de conflit, le Conseil constitutionnel aura seulement trois jours pour se prononcer. De manière indirecte, cette contrainte nouvelle devrait aussi permettre une réduction du nombre des amendements. On sait en effet qu'une des techniques les plus utilisées d'obstruction parlementaire consiste à noyer un projet de loi sous une multitude d'amendements, souvent sans aucun rapport avec le texte.
La proposition veut aussi renforcer le rôle des commissions, dans le but d'accélérer le débat en séance plénière. A dire vrai, ce processus avait été engagé dès la révision de 2008 qui permettait de soumettre en séance publique le texte adopté par la commission, et non plus celui présenté par le gouvernement. Aujourd'hui, l'idée est clairement de faire adopter la loi en commission, le droit d'amendement s'exerçant uniquement en son sein. Seuls seront donc appelés en séance plénière les textes justifiant un débat solennel. Le Conseil d'Etat précise, dans son avis, que la loi organique devra affirmer le principe de publicité des débats en commission et définir les règles de vote. Il ajoute que la présence du gouvernement au moment du débat doit être inscrite dans la Constitution.
Enfin, le projet souhaite raccourcir la procédure, en cas d'échec de la commission mixte parlementaire. La nouvelle lecture devant l'Assemblée sera supprimée et le Sénat se prononcera dans les quinze jours sur le dernier texte voté par l'Assemblée. Si le désaccord persiste, l'Assemblée aura le dernier mot, dans un délai qui ne devra pas dépasser huit jours. Le débat parlementaire ne doit pas trainer. C'est toute la logique de la
révision et le Conseil d'Etat reconnait que ces réformes devraient
permettre de "simplifier et d'accélérer" la procédure.
La maîtrise du gouvernement sur l'ordre du jour
Pour assurer le contrôle du gouvernement sur cette procédure, le texte rend à l'Exécutif une maîtrise de l'ordre du jour dont il ne disposait plus. Dans l'état actuel du droit, l'article 48 de la Constitution prévoit que deux semaines de séance sur quatre sont réservées par priorité aux textes dont l'inscription est demandée par le gouvernement, deux autres sont réservées par priorité aux assemblées, dont l'une est consacrée au contrôle du gouvernement et à l'évaluation des politiques publiques.
Précisément, cette semaine de contrôle risque aujourd'hui de passer à la trappe. Certes, le projet ne prévoit pas sa suppression, ce qui serait maladroit. Il se borne à élargir le champ du 3è alinéa de l'article 48 qui permet au gouvernement de demander l'inscription à l'ordre du jour, en dehors des deux semaines qui lui sont réservées, des lois de finances et de financement de la sécurité sociale. Le projet élargit considérablement le champ de cette inscription dérogatoire en l'étendant aux textes "relatifs à la politique économique, sociale ou environnementale". Autant dire que la liste des lois déclarées prioritaires risque de s'étendre à l'infini, et que le temps consacré au contrôle et à l'évaluation risque de se réduire comme une peau de chagrin.
L'article 11 écarté implicitement par le Conseil d'Etat
Ce projet va évoluer et l'avis du Conseil d'Etat ne permet pas de l'apprécier dans toute son ampleur. Il ne porte en effet que sur la proposition de loi de révision, alors qu'il aurait été nettement plus intéressant de lui soumettre en même temps les projets de loi organique et de loi ordinaire. La vision globale fait défaut et l'on ignore encore quelle voie de droit sera utilisée pour faire aboutir ce projet.
En l'état actuel des choses, on peut penser que la procédure prévue par l'article 89 de la Constitution n'a pas beaucoup de chances d'aboutir. Si le gouvernement a une majorité solide et disciplinée à l'Assemblée, il n'en est pas de même au Sénat.. et l'on voit mal, en tout état de cause, le parlement adhérer à une révision qui implique la réduction d'un tiers du nombre de ses membres. Reste donc l'article 11 qui permet au président de la République de faire adopter directement la révision par référendum, comme l'avait fait avant lui le général de Gaulle pour contraindre le parlement à accepter l'élection du président au suffrage universel. Or, dans son avis, le Conseil d'Etat exclut purement et simplement le recours à l'article 11. Il n'a certes pas l'audace de le déclarer clairement, mais il dit qu'"aucune autre consultation" que la sienne "n'est requise sur un projet de révision constitutionnelle avant que le parlement et, le cas échéant, le peuple n'en décident". La phrase est claire : le peuple ne peut pas être saisi directement mais il ne peut être consulté qu'après le vote en termes identiques prévu par l'article 89.. Dans le cas contraire, le Conseil d'Etat aurait invoqué le parlement ou le peuple. Il reste tout de même à se demander sur quel fondement le Conseil d'Etat se permet ainsi d'exclure le recours à l'article 11. Celui-ci s'analyse comme une prérogative du Président de la République, et le Conseil d'Etat n'est pas compétent pour choisir quelle voie de droit peut être utilisée pour réviser la Constitution.
Je ne comprends peut être pas bien la phrase mais VGE siège en DC, donc il pourra continuer à siéger (https://www.lejdd.fr/politique/comment-macron-a-sauve-la-place-de-giscard-au-conseil-constitutionnel-3627179).
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