Le Parquet national financier a ordonné une enquête préliminaire sur d'éventuels détournements de fonds publics susceptibles d'être commis par le sénateur Michel Mercier lorsqu'il employait sa fille comme collaboratrice parlementaire. Rien que de très banal après le PenelopeGate, l'emploi des filles de Bruno Le Roux, le recours à des assistants parlementaires rémunérés par le Parlement européen pour exercer des fonctions au Modem ou au Front national. Dans tous les cas, les intéressés ont fini, parfois rapidement, parfois dans la douleur, par renoncer, soit à briguer un mandat, soit à exercer une fonction.
En dehors des faits reprochés à l'ancien Garde des Sceaux, l'affaire Mercier met en lumière deux dérives graves de notre système constitutionnel. D'une part, on observe une tendance à considérer la Constitution comme un ensemble de dispositions "à la carte". On accepte les unes, on écarte les autres, et c'est précisément ce que vient de faire le Président du Sénat en refusant purement et simplement qu'une perquisition soit effectuée dans ses locaux. D'autre part, les conditions de désignation de Michel Mercier au Conseil constitutionnel révèlent les conséquences éventuellement catastrophiques de nominations fondées sur des préférences politiques, et qui ne font l'objet d'aucun contrôle réel.
La Constitution "à la carte"
Gérard Larcher, nous dit-on, a refusé aux enquêteurs envoyés par le PNF l'autorisation de perquisitionner au Sénat. A l'appui de ce refus, il affirme que le demande était "floue, pas précise". Le seul problème est qu'une perquisition judiciaire n'est pas soumise à l'autorisation du président de l'assemblée parlementaire où elle doit se dérouler.
La seule compétence dont dispose le Président du Sénat est un pouvoir de police mentionné à l'article 90 du règlement, selon lequel il "
veille à la sûreté intérieure et extérieure du Sénat", ajoutant que les forces militaires sont placées sous ses ordres. Derrière l'imprécision d'une telle disposition, on perçoit qu'il s'agit plutôt d'organiser la résistance face à un éventuel coup d'Etat que d'interdire l'entrée à des enquêteurs envoyés par un juge. Certes, ces derniers ont pris l'habitude de demander "l'autorisation" du Président avant de pénétrer dans le Palais du Luxembourg mais il s'agit d'une pure formule de courtoisie, le Président n'ayant aucun titre de compétence pour leur opposer un refus.
Les observateurs notent d'ailleurs que, depuis 1958, six perquisitions ont eu lieu à l'Assemblée nationale, de décembre 1976 après l'assassinat de Jean de Broglie au 31 janvier 2017 dans le cadre du PenelopeGate. Dans tous les cas, le Président de l'Assemblée nationale ne s'est jamais opposé à ces procédures. Au Sénat, on se souvient que Gérard Larcher n'a mis aucun obstacle à la
perquisition menée le 3 février dans cette même affaire Fillon. Les enquêteurs ont même pu consulter les pièces détenues par les services du Sénat et non pas seulement celles conservées dans le bureau de l'intéressé.
Sur ce point, aucune immunité ne peut être invoquée. Un bâtiment public, qu'il s'agisse ou non d'un Palais national, ne peut, en tant que tel, être soustrait aux investigations judiciaires.
La loi de programmation militaire (LPM) du 29 juillet 2009 avait eu l'idée étrange de permettre la classification secret défense de bâtiments entiers, faisant ainsi échec aux perquisitions. Mais le Conseil constitutionnel, dans une décision du 10 novembre 2011 a estimé disproportionnée une disposition qui visait à soustraire une "
zone géographique" aux pouvoirs d'investigation de l'autorité
judiciaire. Il est donc à peu certain que le fait de considérer que le Sénat comme une zone de non-droit à l'abri des juges est inconstitutionnel.
Quant à l'immunité de Michel Mercier, elle est encore plus improbable. Rappelons que l'immunité des parlementaires est mentionnée dans la Constitution elle-même, dans
son article 26 al 1 : "
Aucun
membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu
ou jugé à l'occasion des opinions ou votes émis par lui dans l'exercice
de ses fonctions". S'il existe bien une irresponsabilité juridique
des parlementaires, elle ne concerne que les actes directement
rattachés à l'exercice du mandat, et pas ceux qui en sont détachables.
Elle concerne dont les propos ou les votes tenus en séance, en
commission, ce qui constitue le coeur de la fabrication de la loi. Elle ne saurait donc être invoquée pour s'opposer à des investigations sur d'éventuels détournements de fonds publics. La défense de François Fillon, après avoir invoqué ce moyen de défense, y a d'ailleurs rapidement renoncé. Pour ce qui est de Michel Mercier, l'immunité parlementaire est d'autant plus exclue qu'il a été nommé au Conseil constitutionnel par un décret du 2 août 2017 publié au Journal officiel du lendemain. Or les juges se sont présentés au Sénat le 4 août, c'est-à-dire à un moment où l'intéressé n'est plus membre du parlement mais membre du Conseil constitutionnel. Cette qualité s'apprécie en effet à la date de nomination, quand bien même il n'a pas encore prêté serment ni pris ses fonctions.
Le refus opposé par Gérard Larcher s'analyse donc comme une violation de la Constitution par celui-là même qui a pour fonction de la servir, comme autorité constituée. On rappellera à ce propos que le Président de la République "veille au respect de la Constitution", selon son article 5. Peut-être pourrait-il intervenir pour rappeler au Président du Sénat ses obligations constitutionnelles ? Il ne faudrait pas que les rappels à l'ordre ne visent que les militaires qui n'ont commis aucune atteinte à la Constitution.
Réunion de la Commission des lois du Sénat
Réunion d'amis. Eustache Le Sueur. circa 1640
Le Conseil constitutionnel
Michel Mercier est donc membre du Conseil constitutionnel, et c'est, en soi, un problème. Rappelons en effet qu'il a été nommé à l'issue d'une procédure de confirmation dérogatoire par rapport au droit commun de l'article 13 de la Constitution. Selon ces dispositions, la nomination des titulaires des emplois les plus élevés de la fonction publique, dont la liste est fixée par une loi organique, est soumise à un avis public de la commission permanente de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut alors procéder à la nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission, Assemblée et Sénat, représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. On peut déjà observer qu'une majorité parlementaire solide peut empêcher toute mise en cause d'une nomination. Mais dans le cas du Conseil constitutionnel, l'avis n'est demandé qu'à la commission des lois de l'Assemblée dont le président est autorité de nomination. Autrement dit, la nomination de Michel Mercier n'a été soumise qu'à la commission des lois du Sénat.
L'audition fut particulièrement réjouissante, et on se souvient que l'intéressé s'est borné, en propos liminaire, à annoncer qu'il produirait des pièces justifiant le travail de sa fille. Personne n'a relevé ses propos qu'elle exerçait ses fonctions "localement". Travaillait-elle pour le Sénat ou pour une collectivité locale ? Peu importe aux yeux des membres de la commission. Personne n'a suggéré non plus de suspendre le vote jusqu'à la production de ces pièces justificatives. On a parlé d'autre chose et la nomination de l'intéressé a été confirmée par 22 voix contre 7. Il est vrai que la situation n'était pas vraiment compliquée puisque Michel Mercier était lui-même membre de la Commission des lois, le Président Larcher ayant sans doute décidé, une bonne fois pour toutes, qu'il ne pouvait trouver des membres du Conseil constitutionnel ailleurs qu'au Palais du Luxembourg. La procédure de confirmation s'est donc déroulée entre soi, à la satisfaction générale et dans une parfaite connivence.
Le problème est que désormais la protection du Conseil constitutionnel ne peut plus être garantie que par l'institution elle-même. Dans un
communiqué extrêmement concis et ne mentionnant jamais le nom de Michel Mercier, le Conseil constitutionnel rappelle les dispositions du
décret du 13 novembre 1959. Il énonce que ses membres doivent "
s'abstenir de tout ce qui pourrait compromettre l'indépendance et la dignité de leurs fonctions". Nul doute qu'une mise en examen constituerait à l'évidence un évènement de cet ordre. Surtout, le Conseil insiste sur l'article 5 du même décret qui affirme que si un de ses membres a manqué à ses obligations, le Conseil se prononce et peut constater sa démission d'office. La menace est à peine voilée et elle est suffisante. Il n'a pas été nécessaire de mener à terme cette procédure pour pousser Roland Dumas à la démission en février 2000, à l'époque où il était mis en examen dans l'affaire Elf. On observe d'ailleurs que le communiqué du Conseil émane du "Conseil constitutionnel" lui-même et non de son président seul, ce qui signifie qu'il a été délibéré par ses membres.
En dehors du cas particulier de Michel Mercier, l'affaire conduit à s'interroger sur la procédure de désignation des membres du Conseil. Est-il tout-à-fait normal qu'un membre du Conseil constitutionnel soit appelé à délibérer sur la conformité à la Constitution d'un texte qu'il défendait comme sénateur quelques semaines plus tôt ? Sur ce point, l'impartialité de l'intéressé n'est pas en cause, et on peut penser que les membres du Conseil constitutionnel souhaitent exercer leurs fonctions en toute indépendance d'esprit. En revanche, l'impartialité objective de l'institution qu'est le Conseil
constitutionnel est posée. Rappelons que, aux yeux de la Cour
européenne, le procès équitable suppose une institution qui paraît
impartiale et qui, à ce titre, inspire confiance au justiciable.
Certes,
on objectera que le Conseil constitutionnel n'est pas une juridiction,
au sens français du terme. En droit européen cependant, c'est l'ensemble
de la procédure contentieuse qui doit présenter des garanties
d'impartialité. Or la QPC constitue désormais une étape essentielle dans
une telle procédure, et la Cour européenne a déjà accepté d'apprécier
une QPC, dans
un arrêt Renard du 25 août 2015.
En l'espèce, la contestation ne portait que sur le filtre des
juridictions suprêmes, mais rien ne lui interdirait de s'interroger sur l'impartialité objective de l'institution.
On peut se réjouir que la suppression des membres de droit, c'est-à-dire des anciens Présidents de la République soit désormais envisagée mais la question de l'impartialité du Conseil concerne aujourd'hui l'ensemble de sa composition et des conditions de sa nomination. Si le cas de Michel Mercier pouvait conduire à une vraie réforme, il aurait finalement rendu service à l'institution...
Sur le conseil constitutionnel : Chapitre 3 section 2 § 1 du manuel de libertés publiques sur internet