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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
dimanche 2 juillet 2017
La CJUE et le Concordat
mercredi 28 juin 2017
L'étrange avis du Comité d'éthique
Libéralisme : l'ouverture de l'IAD aux homosexuelles
La lecture de l'avis montre que le Comité est parfaitement conscient du caractère sensible de cette demande, à un moment où des lobbies issus de La Manif pour Tous ou de Sens Commun s'efforcent d'empêcher l'accès des homosexuels à l'AMP. Il reprend donc toutes les critiques d'ordre général adressées à l'assistance médicale à la procréation : rupture avec les origines, risque de grandir sans père, coût du traitement et rareté des dons de gamètes, risque de marchandisation du corps humain etc.
Ces arguments sont tous écartés par le CCNE. Il fait observer que les études portant sur les enfants élevés par des femmes seules, ou d'une manière générale par des familles mono-parentales ne permettent pas de déceler des effets négatifs pour les enfants. Au demeurant, le CCNE fait observer qu'il n'est pas interdit à une femme seule de concevoir un enfant qu'elle entend élever seule. De même, s'il est vrai que les dons de gamètes sont insuffisants, les interdire aux couples d'homosexuelles ou aux femmes seules revient à favoriser la création d'un marché de la procréation qui se développerait en dehors de tout cadre juridique. Déjà 2000 à 3000 femmes seules se rendent à l'étranger chaque année pour bénéficier d'une IAD. In fine, le Comité s'appuie sur l'autonomie des femmes : la décision de concevoir un enfant seule ou au sein d'un couple homosexuel est un projet réfléchi, programmé, concerté. Dès lors, la loi doit tenir compte de la diversification des formes de vie de famille et éviter de stigmatiser les couples homosexuels en leur refusant l'accès à l'AMP.
Certes, mais ce libéralisme du CCNE ne porte que sur l'insémination avec donneur (IAD) et non pas sur l'assistance médicale à la procréation en général, contrairement à ce qui est affirmé dans la presse. Or l'IAD n'est qu'une technique parmi d'autres, technique déjà ancienne et très facile à mettre en oeuvre. C'est si vrai que, jusqu'à présent, les femmes seules ou les couples d'homosexuelles se rendaient tout simplement dans un pays proche, par exemple la Belgique, pour obtenir une IAD. Elles rentraient ensuite tranquillement en France pour faire suivre leur grossesse et accoucher dans les conditions du droit commun. D'une certaine manière, le CCNE valide ce qui existe déjà depuis bien longtemps.
Ce libéralisme disparaît cependant si l'on considère les deux autres techniques d'AMP étudiées dans l'avis.
Statu quo : l'autoconservation des ovocytes
Rigueur : La GPA
dimanche 25 juin 2017
Le FNAEG, le parapluie et le dialogue des juges
Un coup de parapluie
Une atteinte à l'article 8
La réserve du Conseil constitutionnel et le dialogue des juges
jeudi 22 juin 2017
Les supporters de football : une menace particulière et un droit spécifique
L'ensemble de ce dispositif est contesté devant le Conseil constitutionnel, et l'Association nationale des supporters n'est pas dépourvue de moyens juridiques susceptibles d'appuyer sa QPC.
Accès au stade et pouvoir de police
En attribuant aux organisateurs de matchs une compétence les autorisant à interdire l'accès au stade des supporters violents, l'article 332-1 du code du sport semble leur déléguer un véritable pouvoir de police. Dès sa décision du 29 août 2002 sur la loi d'orientation et de programmation pour la justice, le Conseil constitutionnel a pourtant précisé que si l'Etat peut déléguer à des personnes privées la construction d'établissements pénitentiaires, il ne saurait leur déléguer des compétences attachées à sa mission de souveraineté. Ce principe est déduit de l'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui affirme que "la garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée".
Plus tard, dans sa décision du 10 mars 2011, le Conseil constitutionnel a mis en oeuvre cette jurisprudence. Il a ainsi annulé une disposition législative permettant aux collectivités publiques de confier à des opérateurs privés une mission générale de surveillance de la voie publique par un système de vidéoprotection. Cette mission générale de surveillance constitue en effet une "compétence de police administrative générale inhérente à l'exercice de la force publique, nécessaire à la garantie des droits".
En l'espèce, le Conseil constitutionnel se borne à affirme, de manière un peu laconique, que la compétence dévolue aux organisateurs ne s'analyse pas comme une mesure de police générale. Bien qu'il n'élabore pas, on peut penser qu'il s'appuie sur le fait que ces derniers ne font qu'interdire l'accès du stade à des personnes nommément désignées et figurant dans un fichier spécifique. Ils ne sont donc pas compétents pour protéger, à eux seuls, l'ordre public dans l'enceinte sportive.
Joueurs de Foot-Ball. Le Douanier Rousseau. 1908 |
L'atteinte à la vie privée
Reste la question essentielle de ce fichier. Avant la loi de 2016, les organisateurs ne disposaient que de la liste des interdits de stade (qu'il s'agisse d'une interdiction administrative ou judiciaire) transmise par le préfet. Ils pouvaient donc refuser de vendre des billets à ces personnes, mais seulement à elle. Le problème est que ce fichier pouvait concerner aussi bien des personnes qui avaient été condamnées pour violence que celles qui avaient utilisé un abonnement de manière frauduleuse ou qui avaient développé une activité commerciale illicite dans le stade. Le texte de 2016 réoriente le dispositif en autorisant les organisateurs à refuser la vente de billets à une personne ou à un groupe de personnes pour des seuls motifs tirés de la sécurité, c'est-à-dire concrètement pour la violation du règlement intérieur.
Surtout, la loi de 2016 est intervenue pour garantir l'efficacité du système et rendre conforme aux exigences du Conseil d'Etat le traitement automatisé de données à caractère personnel recensant les supporters violents. En effet, dans un arrêt rendu 21 septembre 2015, le Conseil d'Etat a partiellement censuré le fichier STADE qui précisément permettait la transmission aux organisateurs de manifestations sportives du nom des personnes interdites de stade. Mais cette censure reposait sur le caractère général et indifférencié de cette transmission. Il devenait donc indispensable d'envisager la création d'un fichier, à l'initiative des clubs sportifs eux-mêmes, et ne conservant que les données strictement nécessairement à l'exercice de leur mission de sécurité. C'est exactement le sens de la loi de 2016.
L'association requérante voit dans ce fichier une atteinte au droit au respect de la vie privée, que le Conseil constitutionnel garantit en le fondant sur l'article 2 de la Déclaration de 1789. Dans sa décision du 22 mars 2012, rendue à propos du "fichier des honnêtes gens", le Conseil constitutionnel déclare que "la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et mis en oeuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif". Autrement dit, le Conseil s'autorise à exercer un contrôle de proportionnalité, contrôle auquel il se livre immédiatement en déclarant inconstitutionnel le fichier "Titres électroniques sécurisés" qui conservait un grand nombre de données biométriques dont la plupart n'étaient pas indispensables à la lutte contre l'usurpation d'identité, seule finalité officiellement déclarée du fichier. De même, dans une QPC du 21 octobre 2016, le Conseil a déclaré inconstitutionnel le registre des trusts dont la finalité, parfaitement légitime, était la lutte contre la fraude fiscale, mais qui, à cette fin, stockait des données mentionnant les dispositions testamentaires de personnes toujours vivantes. Cette conservation a été jugée excessive par rapport à la finalité poursuivie.
Dans le cas du fichier des organisateurs de matchs de football, le Conseil se livre au même contrôle de proportionnalité, mais parvient à une conclusion inverse. Il fait observer que le traitement ne peut recenser que les personnes qui contreviennent aux conditions générales de vente des billets ou du règlement intérieur relatif à la sécurité de la manifestation sportive. Il ne peut être utilisé à d'autres fins que le refus d'accès au stade, mesure certes désagréable mais dépourvue de conséquences graves. De fait, le Conseil estime que le traitement de données personnelles est "mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à l'objectif d'intérêt général poursuivi".
Sur la police spéciale des supporters : chapitre 5, section 1 § 1 du manuel de libertés publiques sur internet.
mardi 20 juin 2017
Le maire de Mandelieu et le voile chez H&M
Le pouvoir de police générale
En l'espèce, aucune menace d'atteinte à l'ordre public n'est mentionnée à Mandelieu La Napoule, l'élu lui-même se bornant à évoquer "de nombreuses plaintes d'administrés et de clients", c'est-à-dire un nombre non précisé de démarches individuelles qui ne sauraient constituer un mouvement collectif et organisé.
Le pouvoir de police du maire doit, d'une manière générale, se concilier avec la liberté d'entreprendre. Le Conseil d'Etat en avait déjà jugé ainsi dans l'arrêt Daudignac de 1951, rendu à propos d'un arrêté du maire de Montauban soumettant à autorisation l'exercice de la profession de photographe-filmeur sur le territoire de la commune. Le juge avait alors considéré qu'une interdiction générale et absolue d'exercer une profession portait une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre. Or, dans l'affaire Daudignac, il s'agissait d'autoriser l'occupation du domaine public, ce qui justifiait la compétence de l'élu, même si, en l'espèce, elle s'était exercée avec une rigueur excessive. Dans le cas du port de signes religieux chez H&M, le caractère proportionné de l'exercice du pouvoir de police doit être envisagé de manière encore plus rigoureuse dès lors qu'il porterait atteinte à la fois à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété. Il s'analyserait comme une intervention intempestive du maire dans une relation de travail qui n'entre pas réellement dans le champ de sa compétence, sauf troubles violents qui n'existent pas en l'espèce.
Deux femmes assises. Henri Hourtal 1877-1944 |
La jurisprudence de la Cour de Justice
Le maire de Mandelieu est sans doute conscient des limites de son pouvoir de police, et il invoque la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne. Il affirme ainsi que, "le 14 mars dernier", elle a "estimé que le règlement interne d'une entreprise peut, sous certaines conditions, prévoir l'interdiction du port visible de signes religieux ou politiques, comme le foulard islamique". Ce n'est pas faux. Dans deux décisions du 14 mars 2017, Samira Achbita et autres c. G4S Secure Solutions N.V.), et Asma Bougnaoui et Association de défense des droits de l'homme c. Micropole S.A. la CJUE a effectivement constaté que l'interdiction du port de signes religieux en entreprise n'est pas, en soi, discriminatoire, à la condition que le règlement intérieur qui l'impose "traite de manière identique tous les travailleurs (...) en leur imposant, de manière générale et indifférenciée, le respect de la neutralité vestimentaire".
D'une manière générale, la CJUE admet ainsi une politique de neutralité "objectivement justifiée par un objectif légitime". Ce dernier peut résider dans des nécessités de sécurité, par exemple lorsque le port du voile se révèle dangereux pour certaines activités professionnelles, ou dans une volonté d'imposer la neutralité "politique, philosophique, et religieuse" dans les "relations avec les clients". Cette jurisprudence n'est guère éloignée du code du travail français, qui énonce dans son article L1321-2-1, que "Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché.»
Contrairement à ce qu'affirme Libération dans son analyse de la lettre du maire de Mandelieu, ces deux conditions ne sont pas cumulatives mais alternatives. H&M pourrait donc parfaitement mettre en oeuvre une politique de neutralité en invoquant "les nécessités du fonctionnement de l'entreprise" dans sa relations avec les clients. Elle ne le souhaite pas, ce qui est son droit et ce qui n'est pas surprenant si l'on considère qu'il s'agit d'une entreprise suédoise, pays traditionnellement attaché à une certaine forme de communautarisme. On se souvient d'ailleurs que les magasins H&M avaient été parmi les premiers à commercialiser le burkini, s'appuyant sur le multiculturalisme pour pénétrer un marché nouveau. En tout état de cause, la décision d'accepter ou non le porte de signes religieux par son personnel appartient à H&M, et pas au maire de Mandelieu La Napoule. N'oublions pas cependant qu'elle appartient aussi et surtout au consommateur, libre d'aller acheter ses vêtements chez H&M... ou ailleurs.
Sur le port du voile en entreprise : Chapitre 10 section 1 du manuel de libertés publiques sur internet