« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 4 novembre 2016

Le fichier des honnêtes gens, saison 2

Le décret du 28 octobre 2016 autorise la création d'un traitement intitulé "titres électroniques sécurisés" (TES). Il s'agit de réunir, dans un fichier unique, les données à caractère personnel relatives aux passeports et aux cartes d'identité. Soixante millions de Français ont donc vocation à figurer dans ce fichier et ce gigantisme suscite un tel émoi médiatique que le ministre de l'intérieur se voit contraint de développer quelques éléments de langage pour justifier sa mise en oeuvre. 

Comme bien souvent, les critiques sont dirigées vers ce qui est le plus visible, mais pas nécessairement le plus dangereux pour les libertés publiques. Observons ainsi que le TES ne fait qu'agréger deux fichiers antérieurs, l'un concernant les passeports, l'autre les titres d'identité. Surtout, le nombre de personnes fichées, aussi important soit-il, n'est pas le seul élément pour apprécier une atteinte aux droits des personnes. C'est ainsi que le fichier de sécurité sociale conserve des données sur l'ensemble de la population française, sans provoquer d'émoi particulier. Le danger d'un fichier réside, non pas dans le nombre des personnes fichées, mais dans les garanties qu'il leur offre au regard de la protection de leurs données personnelles et dans les finalité qu'il poursuit.

La conséquence de la décision du 22 mars 2012


Le décret du 28 octobre 2016 est la conséquence directe de la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 22 mars 2012, censurant une large partie de la loi relative à la protection de l'identité, texte qui prévoyait une première mouture du fichier TES. A l'époque, le Conseil n'avait pas considéré comme illicite la finalité du fichier, celui-ci étant présenté comme un instrument de nature à faciliter la lutte contre les usurpations d'identité. En revanche, il avait considéré que les moyens mis en oeuvre étaient disproportionnés par rapport à cette finalité. A ses yeux, il était en effet possible de déceler une usurpation d'identité sans recourir à la conservation dans un fichier unique des données biométriques très complètes de l'ensemble de la population. La CNIL comme le Sénat proposaient d'ailleurs qu'une puce contenant ces informations soit intégrée au titre d'identité, permettant à la victime de l'usurpation d'identité de faire reconnaître l'infraction par comparaison avec une seule empreinte conservée sur les fichiers des titres d'identité, tout en conservant la maîtrise de ses données personnelles.

Aujourd'hui, le TES revient sous forme d'un décret. Il reprend la même finalité, affirmant que ce traitement automatisé sera utilisé « pour procéder à l'établissement, à la délivrance, au renouvellement et à l'invalidation des cartes nationales d'identité (…) et des passeports (…) ainsi que prévenir et détecter leur falsification et contrefaçon ». En revanche, le décret précise, cette fois très nettement, que le TES ne pourra être utilisé pour identifier une personne à partir de ses données biométriques, mais seulement pour vérifier que les données contenues sur la pièce d'identité correspondent à celles figurant dans le fichier.

La grosse différence entre la proposition de loi et le décret est que la première permettait aussi l’exploitation de cette base pour identifier une personne à partir de ses données biométriques. Le décret se limite à l’authentification du document, à savoir s’assurer que les informations du document d’identité correspondent aux informations de la base.

La foule. Jean-Michel Folon. 1979

Le choix de la voie réglementaire


Reste que cette précision risque d'avoir une efficacité limitée, tout simplement parce que les dispositions législatives annulées par le Conseil constitutionnel sont remplacées par un simple décret. Contrairement à ce que certains ont affirmé, le choix de la voie réglementaire ne porte pas atteinte au partage des compétences définies par la Constitution. L'article 27 de la loi du 6 janvier 1978 relative aux fichiers, à l'informatique et aux libertés énonce que les traitements de données personnelles mis en oeuvre pour le compte de l'Etat et qui portent sur des données biométriques nécessaires pour contrôler ou authentifier l'identité des personnes font l'objet d'une autorisation par décret en Conseil d'Etat. La loi de 1978 imposait donc, en principe, la voie réglementaire.

Certes, mais il n'était pas pour autant illicite de choisir la voie législative, comme en 2012. Depuis sa décision du 30 juillet 1982, le Conseil constitutionnel estime qu'une loi peut comporter des dispositions à caractère réglementaire, sans que cela entraine nécessairement leur inconstitutionnalité. En effet, le gouvernement pouvait opposer leur irrecevabilité durant le débat parlementaire, au motif que le texte législatif empiétait sur les compétences de l'Exécutif. S'il ne l'a pas fait, il est donc supposé avoir accepté cette ingérence. En clair, si le parlement et le gouvernement sont d'accord pour adopter une règles par la voie législative, le Conseil constitutionnel n'y voit pas d'inconvénient.

Dans le cas du fichier TES, on peut néanmoins regretter l'absence d'un nouveau débat parlementaire, d'autant qu'il se serait nécessairement accompagné d'une étude d'impact et que la voie réglementaire n'offre pas des garanties identiques.

Prenons par exemple cet engagement formulé dans le décret, selon lequel le TES ne sera utilisé qu'à des fins de lutte contre l'usurpation d'identité. Il risque de se heurter à certaines dispositions législatives, en particulier celles de la loi renseignement du 24 juillet 2015. Elle définit de manière très large les données accessibles aux services, englobant finalement toutes celles échangées par les utilisateurs connectés et toutes celles susceptibles de les identifier ou de les repérer. Les dispositions d'un décret empêcheront-elles d'utiliser le TES à des fins d'identification ou de repérage ? Imagine-t-on un instant que l'on puisse renoncer à interroger un tel fichier lorsqu'il s'agit de repérer une personne soupçonnée de préparer un attentat terroriste ? Il serait sans doute plus sain d'envisager clairement une telle utilisation, afin de définir des garanties associées à un tel usage.

Au lieu de cela, on feint de croire que le TES est un fichier administratif ordinaire, destiné à lutter contre les usurpations d'identité. On refuse d'admettre qu'il offrira aux services administratifs et judiciaires une formidable base de données de l'ensemble de la population française et qu'ils seront évidemment tentés de l'utiliser à d'autres fins. Pour le moment, le débat agite les experts, et seulement eux. Le choix entre le recours à une puce électronique ou à un fichier centralisé a été imposé sans aucun contrôle démocratique. Il serait pourtant intéressant de savoir ce qu'en pensent les Français et leurs représentants. Sont-ils si hostiles à la création d'un tel fichier et à son utilisation à des fins d'identification ? Nul n'en sait rien parce qu'on les traite comme des enfants incapables de comprendre les enjeux d'un tel fichage.


lundi 31 octobre 2016

Le registre des trusts et la vie privée

Le 21 octobre 2016, le Conseil constitutionnel saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par Helen S., a déclaré non conforme à la Constitution le second alinéa de l'article 1649 AB du code général des impôts (cgi). Ces dispositions concernent la publicité du registre des trusts, fichier accessible à tout contribuable titulaire d'un numéro fiscal français. L'une des originalités de cette QPC est de ne porter que sur un seul mot : ce n'est pas le registre qui est contesté car il peut être fort utile aux juges chargés de la délinquance financière et aux agents du fisc. Ce qui est en cause devant le Conseil constitutionnel est le caractère "public" du registre, qui est considéré comme portant une atteinte disproportionnée à la vie privée des personnes dont le nom y figure.

La seconde originalité de cette QPC est de trouver son origine dans un renvoi du juge des référés du Conseil d'Etat. En effet, la requérante, Helen S., demandé la suspension de l'exécution du décret du 10 mai 2016 relatif au registre public des trusts et qui précise les informations qu'il collecte et conserve. Ce texte met en oeuvre la loi du 6 décembre 2013 qui prévoit ce nouveau fichier géré par la Direction générale des finances publiques, dans le but de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales.

Le trust, outil de planification successorale


On ne doit pas en déduire que le trust s'analyse purement et simplement comme un instrument de fraude. S'il arrive qu'il soit détourné, il n'en demeure pas moins un instrument juridique fort utile, instrument de droit anglo-saxon. Aux Etats-Unis, le trust est un instrument de gestion patrimoniale et de planification successorale. Le Settlor, constituant du trust, se dessaisit de la propriété de certains de ses biens auprès d'une personne en laquelle il a confiance : le Trustee. Celui-ci reçoit les biens dans un patrimoine distinct du sien, qu'il va gérer au profit des bénéficiaires désignés par le Settlor. Le système est fort utile, dans la mesure où il permet de protéger un patrimoine sur plusieurs générations et par exemple de protéger des bénéficiaires vulnérables, en particulier des enfants handicapés après le décès de leurs parents. 

Le droit français est si peu opposé au trust qu'il en s'en est inspiré avec le contrat de fiducie, qui s'en distingue néanmoins précisément parce que le ou les bénéficiaires sont parties au contrat. De la même manière, l'assurance-vie est assez proche du trust : une personne investit des fonds dans un contrat, et la compagnie d'assurances devra ensuite remettre ses fonds au bénéficiaire au décès de l'assuré. La différence réside cependant dans le fait que le trust, contrairement à l'assurance-vie, ne se dénoue pas au décès du Settlor

Il n'empêche que le trust peut être détourné de son objet initial. Il peut être utilisé comme un espace de droit américain permettant d'accueillir des capitaux que l'on veut soustraire au fisc français. C'est la raison pour laquelle, depuis 2011, un trust peut être soumis aux impôts français, en particulier ISF et droits de succession, s'il implique un contribuable ou des actifs français. Pour faire respecter ces dispositions, la loi impose la déclaration de certains éléments du trust sur un registre spécial.

De toute évidence, ce registre s'analyse comme un traitement de données à caractère personnel, et ce n'est pas la première fois que le Conseil constitutionnel est appelé à se prononcer sur un tel fichier. Dans sa décision du 22 mars 2012, il avait déjà affirmé que "la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en oeuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif". A partir de ces critères, il a ainsi admis la conformité à la Constitution de fichiers recensant les contrats de capitalisation tels que les assurances-vie (décision du 29 décembre 2013) ou les crédits aux particuliers (décision du 13 mars 2014).

Le Conseil constitutionnel apprécie donc, non pas la conciliation entre des exigences constitutionnelles divergentes, mais la proportionnalité entre la finalité du fichier et l'atteinte à la vie privée. 
 
Trust in me. Le Livre de la Jungle. Walt Disney. 1967
 

Finalité du fichier

 
Dans le cas présent, il ne fait aucun doute que la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales constitue un objectif d'intérêt général. Lors des débats parlementaires, il a été mentionné que 80 % de l'évasion fiscale transitait par ce type de montage juridique. Il est vrai que ce chiffre est fourni par une ONG, Transparency International et qu'il n'est pas possible d'en contrôler l'exactitude. Plus sérieusement, le Groupe d'action financière (GAFI), créé par le G7 en 1989, suggérait aux Etats dès 2004 de prendre des mesures pour faciliter l'accès aux informations sur les trusts. 
 
Le Conseil constitutionnel n'éprouve donc aucune difficulté à affirmer que la création d'un registre des trusts poursuit "l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales".  Il se situe ainsi dans la ligne de sa jurisprudence qui avait déjà affirmé que l'absence de recours contre l'ordonnance autorisant la visite des agents de l'administration fiscale (décision QPC du 30 juillet 2010) ou la décision de soumettre à l'impôt une rémunération versée à l'étranger dans le seul but d'éluder l'imposition (décision QPC du 26 novembre 2010) poursuivaient un tel objectif à valeur constitutionnelle.

Contrôle de proportionnalité


Si le registre des trusts poursuit un objectif de valeur constitutionnelle, sa mise en oeuvre n'a pas été réalisée "de manière adéquate et proportionnée à cet objectif". 
 
Le Conseil constitutionnel observe d'abord l'importance de l'atteinte à la vie privée. Le registre comporte en effet, non seulement les noms du Settlor et du Trustee, mais aussi ceux des bénéficiaires du trust. Or, le trust est une institution qui peut comporter des dispositions testamentaires. C'est précisément le cas de celui constitué par la requérante, Helen H., une Américaine de 89 ans. Sans descendance, elle désire organiser sa succession et a fait figurer parmi les bénéficiaires du trust les personnes auxquelles elle veut dispenser certaines libéralités. Mais elle ne souhaite pas que ces dispositions, de nature testamentaire, puissent être connues de ces bénéficiaires avant son décès, par une simple consultation du registre. Pour le Conseil constitutionnel, la publicité du registre fournit "des informations sur la manière dont une personne entend disposer de son patrimoine", atteinte incontestable au droit au secret de la vie privée. 
 
C'est donc l'importance de la publicité du registre qui fait pencher la balance du côté de la disproportion. Le législateur a ainsi posé un principe général de transparence des données, sans limiter le nombre de personnes ayant accès au registre ni les motifs pour lesquels il peut être consulté. Tout contribuable peut prendre connaissance du registre des trusts et les organismes financiers peuvent même utiliser ces informations dans d'autres traitements automatisés. Autant dire que le registre des trusts vise à mettre sur la place publique les trusts existants, sorte de pilori informatique désignant tous ceux qui recourent à cette technique comme des fraudeurs fiscaux.

Le Conseil constitutionnel n'a sans doute pas été insensible à une certaine forme de stupidité législative largement dénoncée par les avocats de Helen H. à l'audience. En effet, ne figurent sur le registre des trusts que ceux qui ont été déclarés au fisc français depuis la loi de 2013. Or ce ne sont évidemment pas les trusts utilisés pour l'évasion fiscale qui ont été déclarés, situation qui conduit à stigmatiser les settlors honnêtes et à ne rien faire à l'encontre de ceux qui ne se sont pas soumis à ce régime déclaratoire.
 

La transparence a changé de camp

 
De manière plus générale, cette mise à disposition du grand public de données de nature testamentaire conduit à s'interroger sur la notion de transparence. 
 
Souvenons qu'il y a une quarantaine d'années, les lois de la "Troisième génération des droits de l'homme" visaient à accroître la transparence de l'Etat en organisant l'accès aux documents administratifs (loi du 17 juillet 1978), aux fichiers de l'administration (loi du 6 janvier 1978) et à ses archives (loi du 3 janvier 1979). En même temps, la loi du 17 juillait 1970 consacrait le droit au respect de la vie privée comme une liberté publique.  

Aujourd'hui, la démarche est inversée. L'Etat revendique une action secrète, en particulier en matière de renseignement et de collecte des données sensibles. Quant aux personnes, elles voient des éléments de leur vie privée jetés en pâture aux médias, livrés sous forme de Big Data aux réseaux sociaux. Certes, les juges, et en particulier le Conseil constitutionnel, s'efforcent de contenir cette évolution. Mais ils sont bien forcés de constater que la transparence a malheureusement changé de camp.

Sur la protection des données personnelles  : Chapitre 8 section 5 du manuel de libertés publiques sur internet.

vendredi 28 octobre 2016

Insémination post mortem : les "circonstances particulières" se précisent


Dans une ordonnance de référé du 11 octobre 2016, le tribunal administratif de Rennes délivre une injonction au CHU de Rennes. Saisi par une jeune femme, Mme H., qui souhaite pouvoir bénéficier d'une insémination avec les gamètes de son mari décédé, il ordonne à l'hôpital d'autoriser, dans un délai de huit jours, leur exportation vers un Etat de l'Union européenne qui accepterait de pratiquer une telle intervention.

L'ordonnance de mai 2016


Cette décision est la première après l'ordonnance de référé du Conseil d'Etat rendue le 31 mai 2016. On se souvient que c'était alors l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (APHP) et l'Agence de la biomédecine qui avaient dû exporter vers une clinique espagnole les gamètes du mari décédé d'une jeune femme désirant bénéficier d'une insémination. Le juge des référés avait alors insisté sur le caractère exceptionnel de l'affaire.

L'interdiction de principe

 

La loi française interdit en effetl'insémination post mortem.  L'article L 2141-2 du code de la santé publique réserve en effet les techniques d'assistance médicale à la procréation, et l'insémination artificielle en est une, à la "demande parentale d'un couple". Force est de constater qu'une veuve ne forme plus un "couple", et l'alinéa 3 du même article se montre encore plus explicite :  "l'homme et la femme formant le couple doivent être vivants". Par voie de conséquence, le droit français n'autorise l'exportation de gamètes que pour utilisation conforme au droit français. 

Le critère lié au pays d'exportation


Dans l'ordonnance rendue par le Conseil d'Etat en mai 2016, la requérante était une jeune femme espagnole dont le mari italien était tombé gravement malade à Paris, ville de résidence du couple. Sachant que son traitement pouvait le rendre stérile, il avait congelé des paillettes de sperme dans un Centre d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humains (CECOS). Après son décès, sa veuve avait donc pu obtenir du Conseil d'Etat une ordonnance permettant l'exportation des gamètes vers son pays natal. Le juge des référés avait alors précisé que sa décision avait un caractère exceptionnel, "eu égard à l’ensemble des circonstances de la présente affaire". On avait alors considéré que ce caractère exceptionnel résidait précisément dans la nationalité de la requérante, dès lors que l'Espagne autorisait l'insémination post-mortem et que l'on pouvait considérer comme discriminatoire le fait de lui refuser l'accès à une technique parfaitement licite dans le système juridique auquel elle est assujettie.

C'est manifestement ce qu'a compris le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse qui, le 13 octobre 2016, c'est-à-dire deux jours après la décision rennaise, a refusé l'exportation des gamètes à une requérante, au motif qu'elle n'alléguait aucun lien avec l'un des pays autorisant les inséminations post mortem ni d'aucun projet de s'y installer.

Dans le cas rennais, Mme H. est de nationalité française comme son mari décédé. Lui aussi était atteint d'une très grave maladie, et lui aussi, craignant de devenir stérile, avait déposé ses gamètes dans un CECOS. Sa veuve demande l'exportation des gamètes vers un autre pays de l'Union européenne, non pas parce qu'elle en a la nationalité, mais tout simplement parce qu'elle cherche un système juridique qui autorise ce type d'assistance médicale à la procréation. Elle n'a évidemment pas l'intention de s'y installer.

A priori, le droit français devrait s'appliquer à Rennes comme à Toulouse, dans toute sa rigueur. Le juge des référés accepte pourtant de considérer que des circonstances particulières peuvent justifier l'exportation.

Louis Valtat (1869-1952). Louis le poupon.

Le critère de la compassion


 Comme le juge des référés du Conseil d'Etat le 31 mai 2016, celui de Rennes écarte purement et simplement la loi française en s'appuyant sur des "circonstances particulières". Pour réaliser une telle opération, il fait intervenir l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme qui garantit le droit à la vie privée et familiale. Il affirme alors que, dans certains cas, "l'application de dispositions législatives peut constituer une ingérence disproportionnée" dans ce droit.

En l'espèce, ce caractère disproportionné repose sur les faits, et plus précisément sur l'histoire personnelle de la requérante. En effet, le projet parental de deux époux s'était concrétisé par une grossesse intervenue sans aucune assistance médicale en novembre 2015. En dépit de sa maladie, M. H. avait suivi cette grossesse et il avait pu connaître le sexe de son enfant le 14 janvier 2016, avant de s'éteindre le 27 janvier. Hélas, la petite fille est elle-même décédée in utero en avril 2016. C'est donc l'histoire de ce bébé perdu, témoignage de l'existence d'un véritable projet parental, qui constitue, aux yeux du juge, la "circonstance particulière" de nature à justifier l'exportation des gamètes.

Une réponse et des questions


Certes, le juge administratif fait preuve de compassion, qualité rare dans la juridiction administrative accusée d'être un peu trop désincarnée. On ne saurait trop l'en louer. En même temps, si l'ordonnance apporte une réponse à Mme H., elle pose des questions nouvelles. 

Sur le plan humain, on ne peut s'empêcher de penser à la requérante de Toulouse qui n'a pas pu commencer de grossesse. Va-t-elle regretter de n'avoir pas eu la "chance" de perdre un enfant pour prouver au juge l'existence d'un projet parental ? Le simple dépôt des gamètes dans un CECOS ne devrait-il pas être suffisant pour apporter cette preuve ? Ces questions méritent d'être posées, car elles conditionnent le respect du principe constitutionnel d'égalité devant la loi, ou plutôt devant la dérogation à la loi.

Sur le plan plus strictement juridique, cette utilisation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme pour écarter la loi française est-elle réellement satisfaisante ? Elle accroît certes le pouvoir de juge qui peut, à son gré et selon les situations d'espèce, moduler son appréciation des circonstances particulières de nature à justifier une dérogation. En même temps, le simple fait que l'on recherche désormais de telles dérogations révèle l'inadaptation de la loi actuelle, à une époque où l'insémination post mortem est pratiquement dans bon nombre de pays proches. Il est sans doute temps que le parlement engage une réflexion nouvelle sur l'insémination post- mortem.

Sur l'insémination post-mortem : Chapitre 7 section 3 du manuel de libertés publiques sur internet.




lundi 24 octobre 2016

Surveillance par voie hertzienne : la censure minimaliste

Le 21 octobre 2016, le Conseil constitutionnel a rendu, sur question prioritaire de constitutionnalité, (QPC) une décision censurant une disposition de la loi renseignement du 24 juillet 2015.  Il s'agit de l'article L. 811-5 du code de la sécurité intérieure (csi) qui énonce : « Les mesures prises par les pouvoirs publics pour assurer, aux seules fins de défense des intérêts nationaux, la surveillance et le contrôle des transmissions empruntant la voie hertzienne ne sont pas soumises aux dispositions du présent livre, ni à celles de la sous-section 2 de la section 3 du chapitre Ier du titre III du livre Ier du code de procédure pénale ». Autrement dit, les interceptions de communication par la voie hertzienne ne sont soumises, ni au régime établi par la loi renseignement pour les interceptions administratives, ni à celui figurant dans le code pénal pour les interceptions judiciaires. 

Ce statut tout-à-fait particulier fait ainsi échapper les transmissions par voie hertzienne à tout contrôle. Sur ce point, la loi renseignement de 2015 ne fait que reprendre l'ancienne loi du 10 juillet 1991, aujourd'hui abrogée, et qui concernait exclusivement les interceptions téléphoniques. A l'époque, on avait jugé cette exception indispensable, dans la mesure où les communications hertziennes ne concernaient pas, du moins en principe, des particuliers. Elles visaient essentiellement les transmissions radio des sous-marins, des avions, des militaires ou des services de police et de secours. 

Pour les associations requérantes dirigées par La Quadrature du Net, cette disposition s'analyse comme une brèche permettant de rouvrir le contrôle de constitutionnalité de la loi renseignement.  En effet, dans sa décision du 23 juillet 2015, le Conseil constitutionnel, saisi de la loi dans le cadre de son contrôle a priori, ne s'est prononcé que sur les dispositions qui lui ont déférées par le Président de la République et par les parlementaires requérants, parmi lesquelles ne figurait pas l'article L 811-5 csi. 

La procédure de renvoi


Les requérants devaient cependant, et c'était une difficulté, engager un recours susceptible de servir de vecteur à une QPC. Ils ont en fait choisi de contester la légalité des quatre décrets d'application de la loi renseignement et ont donc déposé quatre QPC qui, toutes les quatre, ont été renvoyées devant le Conseil constitutionnel par le Conseil d'Etat.

Parmi ces textes réglementaires, le décret du 28 septembre 2015 pose un problème tout à fait particulier. Il se borne  à énumérer les services de renseignement autorisés à recourir aux techniques d'interception soumises à la procédure prévue par la loi de juillet. Il est donc très probable que les associations requérantes n'ont aucun intérêt à agir contre un acte réglementaire qui ne modifie en rien la situation juridique de leurs membres et que le recours devant le Conseil d'Etat est irrecevable. Mais dans son arrêt de renvoi du 21 octobre 2016, le Conseil d'Etat prend soin d'affirmer qu'il n'est pas tenu de statuer sur la recevabilité du recours avant de se prononcer sur la QPC. Il décide donc de renvoyer aussi cette QPC, sans ignorer que, quel que soit son résultat, elle ne modifiera en rien la décision d'irrecevabilité.



Exemple de communication hertzienne
Y-a-t-il un pilote dans l'avion ?  Jim Abrahams. 1989


Le contrôle de proportionnalité


Dans sa décision de renvoi, le Conseil d'Etat mentionnait l'existence d'un moyen sérieux d'inconstitutionnalité, résidant dans un cas d'incompétence négative, formule employée pour désigner la situation dans laquelle le législateur est demeuré en-deçà de sa compétence. En ne prévoyant aucune garantie ni administrative ni judiciaire en matière d'interception de communications hertziennes, le législateur aurait ainsi porté atteinte aussi bien au droit au respect de la vie privée qu'au droit au recours.

Le Conseil constitutionnel, quant à lui, va au plus simple. Il exerce son contrôle de proportionnalité et il n'est pas bien difficile de considérer que la disposition contestée entraine une atteinte disproportionnée à ces deux droits.

Il affirme d'abord qu'elle autorise les pouvoirs publics à prendre des mesures de surveillance de toute communication par voie hertzienne, sans qu'ils soient parvenus à démontrer, de manière convaincante, que les particuliers n'étaient pas concernés. Il n'est donc pas possible de déduire l'absence d'atteinte au secret des correspondances et au droit au respect de la vie privée.

Le Conseil s'interroge ensuite sur la proportionnalité des motifs invoqués pour justifier ces dispositions dérogatoires au droit commun. La "défense des intérêts nationaux" est certes un motif parfaitement licite, mais il serait plus efficace s'il s'accompagnait d'une interdiction formelle d'utiliser ces interceptions hertziennes à d'autres fins. Aux yeux du Conseil, il ne suffit donc pas de s'appuyer sur de bons motifs, il faut aussi exclure les mauvais.

Enfin, dernier point et sans doute le plus important, le Conseil observe que ces interceptions ne sont soumises à aucune condition de fond, à aucune garantie de procédure, à aucun recours.

En soi, toutes ces conditions de licéité des interceptions n'ont rien de nouveau. Elles figuraient déjà dans la décision du 23 juillet 2015 sur la loi renseignement et dans celle du 26 novembre 2015 sur la loi relative à la surveillance des communications électroniques internationales. Le seul élément surprenant réside dans cette accumulation d'incertitudes qui rendait la déclaration d'inconstitutionnalité extrêmement prévisible. On peut même se demander si le Conseil constitutionnel ne s'est pas réjoui de trouver une disposition aussi manifestement inconstitutionnelle, qui lui permettait de donner satisfaction aux associations de protection des droits de l'homme, sans pour autant entraver sérieusement l'activité des services de renseignement.

Une abrogation différée


En effet, le Conseil constitutionnel ne prononce pas l'abrogation immédiate de l'article déclaré inconstitutionnel, ce qui aurait eu pour conséquence d'empêcher toute interception des communications par voie hertzienne. Il renvoie cette abrogation au 31 décembre 2017, délai de quatorze mois qui laisse largement le temps au législateur de modifier le texte. Il est toutefois précisé que, durant cette période, ce type d'interception devra être soumis, selon les cas, soit aux garanties prévues par le code pénal, soit à celles organisées par la loi renseignement. .

Lorsque les médias saluent la "censure de la loi renseignement" réalisée par cette décision du 21 octobre 2016, ils font plaisir à leurs lecteurs et se présentent comme de grands protecteurs des droits de l'homme. En réalité, la décision a pour effet de réintégrer la surveillance hertzienne dans le droit commun, celui-là même qui est défini par la loi renseignement qu'ils ont combattue avec la plus grande énergie...

Ces effets d'annonce occultent pourtant un problème plus grave. Comment a-t-on pu laisser subsister dans un texte aussi longuement préparé que la loi renseignement une disposition héritée d'un texte ancien et dont il était impossible d'ignorer le risque lié à son inconstitutionnalité ? A une époque où n'importe quelle loi est précédée d'études multiples, y compris celle du Conseil d'Etat intervenant dans sa fonction consultative, une telle erreur peut sembler surprenante. En tout cas, elle au moins permis au Conseil d'Etat, cette fois en formation contentieuse, au Conseil constitutionnel, et aux associations requérantes de montrer leur attachement aux droits de l'homme, à peu de frais.


Sur la loi renseignement : Chapitre 8 section 5 du manuel de libertés publiques sur internet.

vendredi 21 octobre 2016

Contrôle des techniques de renseignement : premières décisions

Le 19 octobre 2016, la "formation spécialisée" du Conseil d'Etat chargée du contrôle des techniques de renseignement a rendu pas moins de quinze décisions. Ce sont les premières depuis la loi renseignement du 24 juillet 2015 qui met en place cette procédure nouvelle. Elles étaient donc très attendues, même si leur lecture révèle à la fois l'organisation et les limites du contrôle effectué par la formation spécialisée du Conseil d'Etat.

Rappelons que la loi de juillet 2015 fait du renseignement une politique publique et définit un cadre juridique à l'action des services. En même temps, elle constitue le point d'aboutissement d'un mouvement engagé dès le Livre Blanc sur la défense et la sécurité de 2008, visant au resserrement du renseignement autour de l'Exécutif. 

Une police administrative


Cette qualification de politique publique s'est révélée fort utile pour exclure le juge judiciaire de la procédure de contrôle en matière d'interceptions. Dans sa décision du 23 juillet 2015, le Conseil constitutionnel affirme ainsi : "Le législateur s'est fondé sur l'article 21 de la Constitution pour confier au Premier ministre le pouvoir d'autoriser la mise en oeuvre des techniques de recueil de renseignement dans le cadre de la police administrative". Ayant pour objet l'ordre public, le renseignement est donc une police administrative. Par conséquent, les interceptions de sécurité sont autorisées par le Premier ministre, et le contrôle incombe au Conseil d'Etat. 

La procédure d'autorisation ressemble beaucoup à celle qui existait en matière d'écoutes téléphoniques, sur le fondement de l'ancienne loi du 10 juillet 1991. Etendu à l'ensemble des interceptions électroniques, le dispositif repose sur la compétence du Premier ministre qui les autorise pour une durée de quatre mois, à la demande des ministres compétents. L'autorisation est délivrée après un avis purement consultatif de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Le Premier ministre peut donc ne pas suivre cet avis. Il peut même s'en affranchir entièrement en invoquant l'urgence absolue. Dans ce cas, la CNCTR est seulement informée a posteriori de l'autorisation donnée, information accompagnée de quelques éléments de motivation justifiant qu'elle ait été écartée de la procédure.

Contrôle et secret défense


Le contrôle a posteriori est exercé par le Conseil d'Etat. Il peut être saisi par la CNCTR, dans l'hypothèse où la Commission estimerait que son avis n'a pas été suivi d'effet, en particulier lorsque le ministre n'en a pas tenu compte. A dire vrai, cette situation est bien improbable, et les quinze décisions du 19 octobre concernent toutes l'autre mode de saisine ouvert à "toute personne souhaitant vérifier qu'aucune technique de renseignement n'est irrégulièrement mise en oeuvre à son égard". Quinze personnes ont donc développé de tels soupçons et ont saisi le Conseil d'Etat. C'est une "formation spécialisée" qui statue. Elle ressemble à une formation de jugement ordinaire, si ce n'est que ses cinq membres peuvent se faire communiquer toutes les pièces utiles à leur mission, y compris celles couvertes par le secret de la défense nationale. 

Cette habilitation n'a rien de négligeable, si l'on considère qu'elle a toujours été refusée au juge judiciaire. Souvenons-nous d'une époque où la loi de programmation militaire avait même prévu de leur interdire certains lieux protégés, en tant que tels, par le secret défense. Toute perquisition devenait alors imposssible, et le juge d'instruction risquait d'être poursuivi pour compromission du secret de la défense nationale. Certes, le Conseil constitutionnel a annulé ces dispositions dans une décision du 10 novembre 2011, mais le fait même qu'elles aient été votées témoigne d'une réelle méfiance à l'encontre du juge judiciaire. De toute évidence, les conseillers d'Etat semblent bénéficier d'une confiance d'autant plus grande. 

Les conseillers d'Etat, mais pas les requérants. Car il faut observer que ces informations secret défense ne figurent pas dans le dossier qui leur sont transmis, la loi organisant ainsi une dérogation au principe du contradictoire. Elles ne peuvent davantage apparaître durant l'audience ou dans le texte de la décision, ces deux étapes du recours s'analysant ainsi comme deux exercices de langue de bois, d'abord orale puis écrite.



 Secret Défense. Philippe Haïm. 2008

Les recours après vérification de la CNIL


La lecture des décisions du 19 témoigne de cette situation. Douze d'entre elles sont identiques, ou à peu près et sont rendues dans le cadre de la compétence que détient le Conseil d'Etat en tant que juge des recours relatifs à la mise en oeuvre des fichiers intéressant la sûreté de l'Etat.

Le recours vient alors d'un requérant qui pense être fiché par un service de renseignement militaire ou civil et qui demande l'accès aux données le concernant.  Dans un premier temps, il a saisi la CNIL sur le fondement de l'article 41 de la loi du 6 janvier 1978  qui ouvre un"droit d'accès indirect" aux données conservées sur ce type de fichier. Dans ce cas, la CNIL délègue un de ses membres chargés de procéder aux vérifications nécessaires. Il s'assure alors de l'existence du fichage et, le cas échéant, de sa licéité. A l'issue de la procédure, l'intéressé est seulement informé que les vérifications ont été effectuées. Cette procédure ne lui confère donc aucun droit d'accès, même indirect, et il ignore même si le fichage a existé, ou pas.

Cette frustration est à l'origine des recours devant la formation spécialisée du Conseil d'Etat, car le requérant conteste devant le juge le refus opposé par la CNIL de lui donner accès aux données. Les juges de la formation spécialisée vont alors effectuer exactement le même travail que la CNIL : ils vont effectuer les vérifications, sans pour autant donner accès aux données conservées sur les fichiers de renseignement. Dans douze décisions sur quinze, la décision mentionne qu'il "résulte de l'examen par la formation spécialisée que les conclusions du requérant doivent être rejetées".

Les recours après vérification de la CNCTR


Dans les trois autres décisions, le requérant s'est directement adressé à la CNCTR pour qu'elle s'assure qu'aucune technique de renseignement le concernant n'est irrégulièrement mise en oeuvre ou que, si elle est mise en oeuvre, son usage n'est pas illégal. Là encore, la formation spécialisée du Conseil d'Etat se prononce au vu des éléments fournis par la CNCTR qui précise au juge l'ensemble des vérifications auxquelles elle a procédé. Les trois décisions s'achèvent par une conclusion identique : "la vérification a été effectuée et n'appelle aucune autre mesure de la part du Conseil d'Etat".

Dans les deux cas, la frustration du requérant est donc identique. A l'issue de la procédure, il n'en sait pas davantage qu'au début. Il est prié de faire confiance au Conseil d'Etat, dont on lui dit que c'est le gardien le plus efficace des libertés publiques.

Pour le moment, les quinze décisions rendues témoignent certes de l'existence d'un contrôle, même sommaire, des fichiers de sécurité et d'un effort pour concilier le droit au recours et le secret de la défense nationale. En revanche, elles révèlent aussi les limites du droit au recours dans ce domaine, droit au recours bien éloigné du droit commun. On peut comprendre, évidemment, que les services de renseignement doivent travailler dans la confidentialité, mais le recours ainsi organisé repose sur la confiance absolue du requérant à l'égard de la formation spécialisée du Conseil d'Etat. Cette confiance existe-t-elle ? On peut en douter si l'on considère que le juge judiciaire a été exclu du dispositif au profit d'une procédure dominée par le Conseil d'Etat, aussi bien au niveau de la CNCTR qu'à celui du recours contentieux.

Nous devrons attendre d'autres décisions, en espérant qu'un jour la formation spécialisée du Conseil d'Etat constatera une illégalité, annulera une autorisation de recourir à une technique de renseignement, ordonnera la destruction ou la rectification de la fiche concernée et indemnisera un préjudice subi par un tel fichage. Car elle dispose de ces compétences.. Les utilisera-t-elle un jour ?



Sur le fichage par les services de renseignement : Chapitre 8 section 5 du manuel de libertés publiques sur internet.



mardi 18 octobre 2016

QPC : Droit au recours et expulsion en urgence absolue

Dans une décision QPC du 5 octobre 2016, le Conseil constitutionnel déclare conforme à la Constitution les dispositions organisant l'expulsion en urgence absolue. Le requérant, Nabil F., ressortissant algérien entrée en France à l'âge de un mois, a été condamné à plusieurs reprises par le tribunal correctionnel, en particulier pour des infractions de droit commun commises avec Amedy Coulibaly. Le ministre de l'intérieur, par un arrêté du 11 janvier 2016, décide son expulsion en urgence absolue, au motif qu'il est susceptible, à tout moment, de commettre ou de soutenir une action terroriste en France. La décision d'expulsion lui est notifiée le 19 janvier à 9 h 05, et il est contraint d'embarquer dans un avion qui décolle pour l'Algérie à 13 h 30 le même jour.

Une QPC contre une dérogation


A l'occasion du recours contre cette décision, les avocats du requérant déposent une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui est renvoyée au Conseil constitutionnel par le Conseil d'Etat  le 6 juillet 2016. Elle porte sur la conformité à la Constitution de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (ceseda) relatif à la procédure d'expulsion. Encore faut-il préciser que les requérants ne contestent pas l'ensemble de l'article L 522-1 ceseda mais seulement la dérogation qu'il contient. 

Ces dispositions formulent en effet les garanties procédurales qui accompagnent la procédure d'expulsion de droit commun, garanties qui s'appliquent "sauf en cas d'urgence absolue". C'est donc l'absence de notification et de procédure préalable devant une commission départementale d'expulsion qui est mise en cause, procédures qui ne s'appliquent pas lorsque l'éloignement repose sur des motifs "d'urgence absolue", c'est-à-dire sur  "la nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique", ou encore sur "un comportement de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat".

Une jurisprudence ancienne


L'expulsion en urgence absolue n'a rien de nouveau et les dispositions qui l'organisent ont déjà été déférées au Conseil constitutionnel qui les a validées. La plus importante est la décision ancienne du 13 août 1993 intervenue à propos de la loi Pasqua. A l'époque, les parlementaires auteurs de la saisine invoquaient une violation de la liberté individuelle, moyen qui n'avait pas été retenu par le Conseil. Exerçant son contrôle de proportionnalité, celui-ci avait considéré qu'"eu égard aux (...) exigences impérieuses de l'ordre public", les modalités spécifiques de l'expulsion en urgence absolue "ne portent pas à la liberté individuelle des atteintes excessives".

De fait, les avocats de Nabil F. s'appuient sur d'autres moyens, et notamment sur l'absence de droit au recours.  Il est vrai que l'argument peut sembler étrange et il a d'ailleurs donné lieu à une scène tout à fait charmante durant l'audience. Questionné par Madame Bazy Malaurie, Maître Spinosi a été contraint de reconnaître que la QPC a bel et bien été déposée à l'occasion d'un recours contre la décision d'expulsion en urgence absolue, ce qui le mettait en position un peu délicate pour invoquer précisément l'absence de droit au recours.

Quoi qu'il en soit, l'avocat s'appuyait sur l'arrêt De Souza Ribeiro c. France rendu par la Cour européenne des droits de l'homme le 13 décembre 2012.  A propos des mesures d'éloignement des étrangers en Guyane, mesures qui donnent lieu à des règles spécifiques, la Cour européenne rappelle que lorsque la décision porte atteinte à la vie privée et familiale des personnes, les dispositions combinées de l'article 13 (droit au recours) et de l'article 8 (droit à la vie privée) exigent que "l'Etat fournisse à la personne concernée la possibilité effective de contester la décision d'expulsion (...)".

Le moyen apparaît séduisant, mais il repose sur un double contresens. D'une part, et c'est une évidence, le Conseil constitutionnel n'est pas lié par une décision de la Cour européenne des droits de l'homme. La Convention européenne des droits de l'homme est un traité qui ne saurait avoir une valeur supra-constitutionnelle. Affirmer le contraire relève d'un sympathique militantisme juridique qui ne risque guère d'emporter la conviction du Conseil constitutionnel.


 Jacques Higelin. Pars. 1978

Droit au recours et caractère suspensif


Il est vrai que Nabil F. n'a pas eu le temps de saisir le juge administratif avant son éloignement et que le recours n'a été déposé par ses avocats qu'après son expulsion en urgence absolue. Pour le requérant, et son avocat, l'atteinte au droit au recours est donc constituée et le Conseil constitutionnel "n'a guère de choix : il doit annuler" la disposition contestée. Le second contresens apparaît alors particulièrement évident, car le requérant confond le recours et son caractère non suspensif.

Or, un recours non suspensif demeure un recours, et c'est exactement dans ce sens que statue le Conseil constitutionnel.

Observons d'emblée que cette affirmation ne va pas à l'encontre de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Dans la même décision De Souza Ribeiro c. France, quelques lignes avant la citation retenue par le requérant, on en trouve une autre, qu'il n'a pas mentionnée : "S'agissant d'éloignements d'étrangers contestées sur la base d'une atteinte alléguée à la vie privée et familiale, l'effectivité ne requiert pas que les intéressés disposent d'un recours de plein droit suspensif ". Le droit au recours peut donc être respecté, quand bien même ce recours n'est pas suspensif. La jurisprudence du Conseil constitutionnel ne dit pas autre chose, par exemple dans la décision QPC du 2 décembre 2011 qui énonce très clairement que "le caractère non suspensif d'une voie de recours ne méconnaît pas, en lui-même, le droit à un recours juridictionnel effectif (...)". Ajoutons que ce caractère non suspensif n'empêche pas la saisine du juge des référés, l'éventuelle suspension de l'arrêté permettant alors à l'intéressé de revenir sur le territoire français.

Encore est-il nécessaire que cette absence de caractère suspensif soit une mesure proportionnée aux objectifs poursuivis. En l'espèce, le Conseil constitutionnel affirme que le législateur a opéré "une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit au respect de la vie privée et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et des infractions". 

Les chances d'obtenir l'annulation de l'article L 522-1 ceseda étaient donc très minces et on peut penser que personne ne se faisait d'illusion sur l'issue de cette QPC. Sauf peut-être le requérant qui doit aujourd'hui se demander pourquoi d'autres dispositions n'ont pas été contestées. C'est ainsi que l'exécution d'office de l'arrêté d'expulsion est évoquée devant le Conseil constitutionnel, au détour d'une phrase, mais le grief est inopérant car il ne vise aucune disposition législative. Dommage pour lui, mais une défense de rupture est toujours risquée.


te un grief défendable selon lequel une expulsion risque de porter atteinte au droit de l’étranger au respect de sa vie privée et familiale, l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 8 exige que l’Etat fournisse à la personne concernée une possibilité effective de contester la décision d’expulsion ou de refus d’un permis de séjour et d’obtenir un examen suffisamment approfondi et offrant des garanties procédurales adéquates des questions pertinentes par une instance interne compétente fournissant des gages suffisants d’indépendance et d’impartialité (M. et autres c. Bulgarie, no 41416/08, §§ 122 à 132, 26 juillet 2011, et, mutatis mutandis, Al-Nashif c. Bulgarie, no 50963/99, § 133, 20 juin 2002).

Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CEDH/HFJUD/GRANDCHAMBER/2012/CEDH001-115497

En revanche, s’agissant d’éloignements d’étrangers contestés sur la base d’une atteinte alléguée à la vie privée et familiale, l’effectivité ne requiert pas que les intéressés disposent d’un recours de plein droit suspensif. Il n’en demeure pas moins qu’en matière d’immigration, lorsqu’il existe un grief défendable selon lequel une expulsion risque de porter atteinte au droit de l’étranger au respect de sa vie privée et familiale, l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 8 exige que l’Etat fournisse à la personne concernée une possibilité effective de contester la décision d’expulsion ou de refus d’un permis de séjour et d’obtenir un examen suffisamment approfondi et offrant des garanties procédurales adéquates des questions pertinentes par une instance interne compétente fournissant des gages suffisants d’indépendance et d’impartialité (M. et autres c. Bulgarie, no 41416/08, §§ 122 à 132, 26 juillet 2011, et, mutatis mutandis, Al-Nashif c. Bulgarie, no 50963/99, § 133, 20 juin 2002).

Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CEDH/HFJUD/GRANDCHAMBER/2012/CEDH001-115497

te un grief défendable selon lequel une expulsion risque de porter atteinte au droit de l’étranger au respect de sa vie privée et familiale, l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 8 exige que l’Etat fournisse à la personne concernée une possibilité effective de contester la décision d’expulsion ou de refus d’un permis de séjour et d’obtenir un examen suffisamment approfondi et offrant des garanties procédurales adéquates des questions pertinentes par une instance interne compétente fournissant des gages suffisants d’indépendance et d’impartialité (M. et autres c. Bulgarie, no 41416/08, §§ 122 à 132, 26 juillet 2011, et, mutatis mutandis, Al-Nashif c. Bulgarie, no 50963/99, § 133, 20 juin 2002).

Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CEDH/HFJUD/GRANDCHAMBER/2012/CEDH001-11549

Sur l'expulsion en urgence absolue : chapitre 5 section 2 du manuel de libertés publiques sur internet.