Une QPC contre une dérogation
A l'occasion du recours contre cette décision, les avocats du requérant déposent une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui est renvoyée au Conseil constitutionnel par le Conseil d'Etat le 6 juillet 2016. Elle porte sur la conformité à la Constitution de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (ceseda) relatif à la procédure d'expulsion. Encore faut-il préciser que les requérants ne contestent pas l'ensemble de l'article L 522-1 ceseda mais seulement la dérogation qu'il contient.
Une jurisprudence ancienne
De fait, les avocats de Nabil F. s'appuient sur d'autres moyens, et notamment sur l'absence de droit au recours. Il est vrai que l'argument peut sembler étrange et il a d'ailleurs donné lieu à une scène tout à fait charmante durant l'audience. Questionné par Madame Bazy Malaurie, Maître Spinosi a été contraint de reconnaître que la QPC a bel et bien été déposée à l'occasion d'un recours contre la décision d'expulsion en urgence absolue, ce qui le mettait en position un peu délicate pour invoquer précisément l'absence de droit au recours.
Quoi qu'il en soit, l'avocat s'appuyait sur l'arrêt De Souza Ribeiro c. France rendu par la Cour européenne des droits de l'homme le 13 décembre 2012. A propos des mesures d'éloignement des étrangers en Guyane, mesures qui donnent lieu à des règles spécifiques, la Cour européenne rappelle que lorsque la décision porte atteinte à la vie privée et familiale des personnes, les dispositions combinées de l'article 13 (droit au recours) et de l'article 8 (droit à la vie privée) exigent que "l'Etat fournisse à la personne concernée la possibilité effective de contester la décision d'expulsion (...)".
Le moyen apparaît séduisant, mais il repose sur un double contresens. D'une part, et c'est une évidence, le Conseil constitutionnel n'est pas lié par une décision de la Cour européenne des droits de l'homme. La Convention européenne des droits de l'homme est un traité qui ne saurait avoir une valeur supra-constitutionnelle. Affirmer le contraire relève d'un sympathique militantisme juridique qui ne risque guère d'emporter la conviction du Conseil constitutionnel.
Droit au recours et caractère suspensif
Il est vrai que Nabil F. n'a pas eu le temps de saisir le juge administratif avant son éloignement et que le recours n'a été déposé par ses avocats qu'après son expulsion en urgence absolue. Pour le requérant, et son avocat, l'atteinte au droit au recours est donc constituée et le Conseil constitutionnel "n'a guère de choix : il doit annuler" la disposition contestée. Le second contresens apparaît alors particulièrement évident, car le requérant confond le recours et son caractère non suspensif.
Or, un recours non suspensif demeure un recours, et c'est exactement dans ce sens que statue le Conseil constitutionnel.
Observons d'emblée que cette affirmation ne va pas à l'encontre de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Dans la même décision De Souza Ribeiro c. France, quelques lignes avant la citation retenue par le requérant, on en trouve une autre, qu'il n'a pas mentionnée : "S'agissant d'éloignements d'étrangers contestées sur la base d'une atteinte alléguée à la vie privée et familiale, l'effectivité ne requiert pas que les intéressés disposent d'un recours de plein droit suspensif ". Le droit au recours peut donc être respecté, quand bien même ce recours n'est pas suspensif. La jurisprudence du Conseil constitutionnel ne dit pas autre chose, par exemple dans la décision QPC du 2 décembre 2011 qui énonce très clairement que "le caractère non suspensif d'une voie de recours ne méconnaît pas, en lui-même, le droit à un recours juridictionnel effectif (...)". Ajoutons que ce caractère non suspensif n'empêche pas la saisine du juge des référés, l'éventuelle suspension de l'arrêté permettant alors à l'intéressé de revenir sur le territoire français.
Encore est-il nécessaire que cette absence de caractère suspensif soit une mesure proportionnée aux objectifs poursuivis. En l'espèce, le Conseil constitutionnel affirme que le législateur a opéré "une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit au respect de la vie privée et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et des infractions".
Les chances d'obtenir l'annulation de l'article L 522-1 ceseda étaient donc très minces et on peut penser que personne ne se faisait d'illusion sur l'issue de cette QPC. Sauf peut-être le requérant qui doit aujourd'hui se demander pourquoi d'autres dispositions n'ont pas été contestées. C'est ainsi que l'exécution d'office de l'arrêté d'expulsion est évoquée devant le Conseil constitutionnel, au détour d'une phrase, mais le grief est inopérant car il ne vise aucune disposition législative. Dommage pour lui, mais une défense de rupture est toujours risquée.
Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CEDH/HFJUD/GRANDCHAMBER/2012/CEDH001-115497
Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CEDH/HFJUD/GRANDCHAMBER/2012/CEDH001-115497
Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CEDH/HFJUD/GRANDCHAMBER/2012/CEDH001-11549