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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
dimanche 19 avril 2015
Les gâteaux de Grasse devant le Conseil d'Etat
vendredi 17 avril 2015
L'amiante et les conditions de la mise en examen
Une première lecture des décisions montre des décisions radicalement différentes, au moins dans leurs conséquences juridiques.
Jussieu et Dunkerque : les affaires suivent leur cours
La Cour de cassation sanctionne ce raisonnement trop rigide. Elle estime que la mise en examen peut être décidée "si des indices graves ou concordants rendent vraisemblable le fait qu'une personne ait pu participer à la commission des infractions reprochées". A la certitude exigée par la Chambre de l'instruction, elle substitue le caractère vraisemblable de l'implication des intéressés, notamment par leur abstention, des mesures destinées à préserver la santé des victimes n'ayant pas été prises.
La Cour casse donc la décision des juges d'appel qui n'ont pas vérifié la présence, ou l'absence, de ces indices "graves ou concordants". La mise en examen n'est pas annulée et ces deux affaires suivent leur cours, et les intéressés sont donc susceptibles d'être jugés devant le tribunal correctionnel.
Condé-sur-Noireau : fin de l'histoire
La part du feu. Emmanuel Roy. 2013. |
L'article 80-1 du code de procédure pénale
Derrière ces différences dans les effets apparaît cependant une véritable unité de la jurisprudence. Par ces trois décisions, la Chambre criminelle de la Cour de cassation donne l'interprétation des dispositions de l'article 80-1 du code de procédure pénale (cpp). Issu de la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes, il dispose : "A peine de nullité, le juge d'instruction ne peut mettre en examen que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi".
L'intention du législateur est d'éviter ou au moins de retarder autant que possible la mise en examen qui suscite la même opprobre sociale que l'ancienne "inculpation". Deux principes sont donc posés par la loi.
Elle précise d'abord que le juge ne peut procéder à la mise en examen que s'il estime ne pas pouvoir recourir à la procédure du témoin assisté, censée être moins humiliante pour l'intéressé. Rien ne lui interdit cependant de commencer par placer une personne sous le statut de témoin assisté, puis, quelques semaines ou quelques mois plus tard selon l'avancement de l'instruction, de la mettre en examen.
Les indices "graves ou concordants"
Le second principe réside dans l'exigence de ces "indices graves ou concordants". Dans sa décision du 1er octobre 2003, la Cour de cassation rappelle que leur absence impose à la Chambre de l'instruction de prononcer l'annulation de la mise en examen. Les trois décisions du 14 avril 2015 s'appuient sur cette jurisprudence, d'autant qu'elle est intervenue sur des faits assez semblables de contamination, ou non, par la maladie de Kreuzfeld-Jacob de clients d'un restaurant. Dans le cas de l'amiante, la Cour de cassation se limite à sanctionner les juges du fond qui n'ont pas recherché l'existence de ces indices, dans les affaires Jussieu et Dunkerque. Ils l'avaient fait en revanche dans l'affaire Condé-sur-Noireau, ce qui explique la confirmation de leur décision par la Cour de cassation.
Reste évidemment à s'interroger sur l'incertitude de cette notion d'"indices graves ou concordants", notion surtout utilisée pour faire un choix entre le statut de témoin assisté et celui de mis en examen. La seule chose certaine en effet est que la réunion d'indices graves ou concordants n'oblige pas le juge à mettre l'intéressé en examen. Elle lui interdit en revanche de l'entendre comme témoin (art. 105 cpp).
Sur le fond, il est bien difficile de connaître les critères de définition des indices graves ou concordants. C'est si vrai que le code de procédure pénale lui-même semble hésiter. Dans l'article 80-1, il évoque des indices graves "ou" concordants. Dans l'article 105, il évoque des indices graves "et" concordants. On peut évidemment se demander si des indices discordants peuvent être graves ou si des indices particulièrement ténus peuvent être pris en considération, dès lors qu'ils sont concordants. La jurisprudence ne donne aucun éclaircissement sur ce point. L'appréciation de la gravité comme de la concordance de ces indices est donc finalement laissée au juge d'instruction, ce qui revient à l'idée qu'il les apprécie "en son âme et conscience", sous le contrôle de la Chambre de l'instruction. La loi se borne finalement à rappeler au juge d'instruction, sans réellement porter atteinte à son autonomie, que la mise en examen ne peut être décidée qu'à partir d'un certain palier de vraisemblance de la culpabilité de la personne.
Les décisions du 14 avril 2015 incitent donc les juges à se montrer rigoureux dans l'appréciation des faits. L'absence de certitude dans l'appréciation du lien de causalité ne doit pas permettre d'écarter systématiquement la mise en examen de responsables coupables d'inertie dans le traitement d'une crise sanitaire. En même temps, la réalité des indices graves ou concordants doit pouvoir être démontrée devant les juges d'appel.
Scandale médiatique ou indemnisation des victimes ?
A leur manière, ces décisions illustrent parfaitement ce que la Cour de cassation cherche précisément à éviter. S'il est incontestable que la contamination par l'amiante cause des dommages qui doivent être réparés, la voie des poursuites pénales n'est peut-être pas la plus efficace même si elle peut se cumuler avec l'action civile. L'association des victimes de l'amiante vient de passer une petite trentaine d'années à essayer d'obtenir la condamnation de décideurs publics, avec un succès pour le moins modeste. Des juges d'instruction ont mis en examen des responsables pour des infractions graves, avant de voir leur dossier s'effondrer.
Considérée sous cet angle, l'affaire de l'amiante ressemble un peu à celle du sang contaminé. La dénonciation très médiatique d'un scandale dans la haute administration, voire dans la sphère gouvernementale, a été privilégiée, pour s'achever dans un demi-échec. Les associations devraient peut-être s'inspirer de leurs homologues américaines, qui cherchent, avant tout, un patrimoine responsable. La démarche peut sembler bassement matérialiste et beaucoup moins médiatique. Mais la recherche d'une indemnisation aussi élevée que possible, de soins médicaux aussi efficaces que possible, n'est-elle pas au coeur de l'intérêt des victimes et de leurs ayants-droit ?
dimanche 12 avril 2015
Le droit au logement opposable deviendrait-il.... opposable ?
Une loi, ou un pléonasme ?
La procédure mise en place en 2007
Le droit à l'exécution d'une décision de justice
Le droit au logement, sans logement
L'échec du dispositif DALO
jeudi 9 avril 2015
QPC : Le contrôle de l'Etat sur les activités privées de sécurité
Le principe d'égalité
La condition de nationalité
Hergé. Tintin en Amérique. 1946 |
Le CNAPS
mardi 7 avril 2015
Vaccination obligatoire : Le Conseil constitutionnel entre débat scientifique et politique publique
Le Conseil constitutionnel écarte purement et simplement la QPC dirigée contre l'article 227-17 c. pén. Celui-ci réprime en effet l'ensemble les carences dans l'exercice de l'autorité parentale, et non pas seulement le seul manquement à l'obligation vaccinale Le Conseil fait d'ailleurs remarquer que les griefs articulés par les requérants ne portent que sur la vaccination obligatoire.
Le droit à la santé
La promotion constitutionnelle du droit à la santé s'arrête là. En effet, il n'a jamais, jusqu'à aujourd'hui, constitué le fondement d'une déclaration d'inconstitutionnalité. Tout au plus permet-il au Conseil d'affirmer, par exemple dans une décision du 12 mai 2010, que le législateur ne peut modifier une loi sans tenir compte de l'exigence constitutionnelle de droit à la santé.
Arman. Seringue. 1977 |
Le débat scientifique
On comprend dès lors que les chances de succès de la QPC posée par les époux L. sont réduites, d'autant plus réduites que le Préambule de 1946 attribue à la "Nation" la compétence garantir ce droit à la santé. Cette formulation signifie clairement que le droit à la santé n'est pas un principe intemporel mais s'incarne dans une série de politiques publiques définies par le législateur.
Il n'appartient donc pas aux citoyens, et notamment aux parents, d'apprécier le bien-fondé de la vaccination obligatoire. L'argument essentiel développé par les requérants repose en effet sur l'inutilité d'une vaccination obligatoire contre des maladies qu'ils considèrent comme définitivement éradiquées.
Pour écarter ce moyen, il mentionne qu'il ne lui appartient pas d'apprécier l'intérêt scientifique de la vaccination obligatoire. Sur ce point, le Conseil se situe dans la ligne de sa décision du 16 mai 2012, dans laquelle il refuse de sanctionner pour atteinte au droit à la santé l'interdiction de prélever des cellules sanguines au sein d'une même famille, pour les conserver dans l'hypothèse d'une éventuelle utilisation thérapeutique ultérieure. Aux yeux du Conseil, l'intérêt scientifique d'une telle pratique n'est pas établi et il ne lui appartient donc pas de se prononcer sur ce point.
Une politique publique
En matière de vaccination comme en matière de transfusion sanguine, le débat scientifique a eu lieu en amont, et le Conseil constitutionnel n'est juge que de la politique publique qui met en oeuvre ses conclusions. Il affirme ainsi "qu'il est loisible au législateur de définir une politique publique" en matière de vaccination. Celui-ci dispose d'une large marge d'appréciation dans ce domaine, et le Conseil note qu'il peut "modifier (...) cette politique publique pour tenir de l'évolution des données scientifiques, médicales et épidémiologiques".
Dès lors, le Conseil n'exerce qu'un contrôle minimum sur la conformité de cette politique de vaccination au droit à la santé. Il note qu'elle a pour objet de "protéger la santé individuelle et collective" et qu'elle a été définie après avis du Haut conseil de la santé publique. Surtout, elle comporte des éléments de souplesse, puisqu'il est prévu par la loi que cette politique publique peut évoluer en fonction de la situation épidémiologique et des connaissances médicales. De même, la vaccination obligatoire peut être écartée dans certains cas particuliers, par exemple en cas de contre-indication médicale. De tous ces éléments, le Conseil déduit que l'obligation vaccinale ne porte aucune atteinte à la protection de santé mais constitue au contraire l'un de ses instruments.
In fine, on peut se demander si l'intérêt de la décision ne réside pas ailleurs que dans son analyse juridique. C'est plutôt l'existence même d'un tel recours qu'il conviendrait d'étudier, sans doute sous l'angle de la sociologie ou de la psychologie sociale. Les époux L. considèrent en effet que les maladies contre lesquelles la vaccination est imposée sont éradiquées. Mais précisément, elles sont éradiquées parce que les autres enfants, du moins sous nos climats, sont vaccinés. Le raisonnement se réduit ainsi à considérer que les bambins des époux L. peuvent être dispensés de vaccination, puisqu'ils sont protégés par la vaccination des autres enfants. Bel exemple d'un égoïsme décomplexé qui démontre, a contrario, la nécessité d'une politique publique dans ce domaine.
jeudi 2 avril 2015
L'expertise psychiatrique devant la Cour européenne
La notion d'"aliéné"
La première question qui se pose est celle de la définition de "l'aliéné", notion historiquement datée. Elle rappelle la célèbre loi française du 30 juin 1838 sur les "aliénés", qui n'a été abrogée que par la loi du 27 juin 1990 relative aux "personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux". En 1838, l'idée même du traitement des malades mentaux n'existait pas réellement, et l'internement servait essentiellement à gérer le danger, réel ou supposé, qu'ils représentaient pour la société.