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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
dimanche 12 avril 2015
Le droit au logement opposable deviendrait-il.... opposable ?
jeudi 9 avril 2015
QPC : Le contrôle de l'Etat sur les activités privées de sécurité
Le principe d'égalité
La condition de nationalité
Hergé. Tintin en Amérique. 1946 |
Le CNAPS
mardi 7 avril 2015
Vaccination obligatoire : Le Conseil constitutionnel entre débat scientifique et politique publique
Le Conseil constitutionnel écarte purement et simplement la QPC dirigée contre l'article 227-17 c. pén. Celui-ci réprime en effet l'ensemble les carences dans l'exercice de l'autorité parentale, et non pas seulement le seul manquement à l'obligation vaccinale Le Conseil fait d'ailleurs remarquer que les griefs articulés par les requérants ne portent que sur la vaccination obligatoire.
Le droit à la santé
La promotion constitutionnelle du droit à la santé s'arrête là. En effet, il n'a jamais, jusqu'à aujourd'hui, constitué le fondement d'une déclaration d'inconstitutionnalité. Tout au plus permet-il au Conseil d'affirmer, par exemple dans une décision du 12 mai 2010, que le législateur ne peut modifier une loi sans tenir compte de l'exigence constitutionnelle de droit à la santé.
Arman. Seringue. 1977 |
Le débat scientifique
On comprend dès lors que les chances de succès de la QPC posée par les époux L. sont réduites, d'autant plus réduites que le Préambule de 1946 attribue à la "Nation" la compétence garantir ce droit à la santé. Cette formulation signifie clairement que le droit à la santé n'est pas un principe intemporel mais s'incarne dans une série de politiques publiques définies par le législateur.
Il n'appartient donc pas aux citoyens, et notamment aux parents, d'apprécier le bien-fondé de la vaccination obligatoire. L'argument essentiel développé par les requérants repose en effet sur l'inutilité d'une vaccination obligatoire contre des maladies qu'ils considèrent comme définitivement éradiquées.
Pour écarter ce moyen, il mentionne qu'il ne lui appartient pas d'apprécier l'intérêt scientifique de la vaccination obligatoire. Sur ce point, le Conseil se situe dans la ligne de sa décision du 16 mai 2012, dans laquelle il refuse de sanctionner pour atteinte au droit à la santé l'interdiction de prélever des cellules sanguines au sein d'une même famille, pour les conserver dans l'hypothèse d'une éventuelle utilisation thérapeutique ultérieure. Aux yeux du Conseil, l'intérêt scientifique d'une telle pratique n'est pas établi et il ne lui appartient donc pas de se prononcer sur ce point.
Une politique publique
En matière de vaccination comme en matière de transfusion sanguine, le débat scientifique a eu lieu en amont, et le Conseil constitutionnel n'est juge que de la politique publique qui met en oeuvre ses conclusions. Il affirme ainsi "qu'il est loisible au législateur de définir une politique publique" en matière de vaccination. Celui-ci dispose d'une large marge d'appréciation dans ce domaine, et le Conseil note qu'il peut "modifier (...) cette politique publique pour tenir de l'évolution des données scientifiques, médicales et épidémiologiques".
Dès lors, le Conseil n'exerce qu'un contrôle minimum sur la conformité de cette politique de vaccination au droit à la santé. Il note qu'elle a pour objet de "protéger la santé individuelle et collective" et qu'elle a été définie après avis du Haut conseil de la santé publique. Surtout, elle comporte des éléments de souplesse, puisqu'il est prévu par la loi que cette politique publique peut évoluer en fonction de la situation épidémiologique et des connaissances médicales. De même, la vaccination obligatoire peut être écartée dans certains cas particuliers, par exemple en cas de contre-indication médicale. De tous ces éléments, le Conseil déduit que l'obligation vaccinale ne porte aucune atteinte à la protection de santé mais constitue au contraire l'un de ses instruments.
In fine, on peut se demander si l'intérêt de la décision ne réside pas ailleurs que dans son analyse juridique. C'est plutôt l'existence même d'un tel recours qu'il conviendrait d'étudier, sans doute sous l'angle de la sociologie ou de la psychologie sociale. Les époux L. considèrent en effet que les maladies contre lesquelles la vaccination est imposée sont éradiquées. Mais précisément, elles sont éradiquées parce que les autres enfants, du moins sous nos climats, sont vaccinés. Le raisonnement se réduit ainsi à considérer que les bambins des époux L. peuvent être dispensés de vaccination, puisqu'ils sont protégés par la vaccination des autres enfants. Bel exemple d'un égoïsme décomplexé qui démontre, a contrario, la nécessité d'une politique publique dans ce domaine.
jeudi 2 avril 2015
L'expertise psychiatrique devant la Cour européenne
La notion d'"aliéné"
La première question qui se pose est celle de la définition de "l'aliéné", notion historiquement datée. Elle rappelle la célèbre loi française du 30 juin 1838 sur les "aliénés", qui n'a été abrogée que par la loi du 27 juin 1990 relative aux "personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux". En 1838, l'idée même du traitement des malades mentaux n'existait pas réellement, et l'internement servait essentiellement à gérer le danger, réel ou supposé, qu'ils représentaient pour la société.
L'absence d'expertise médicale avant la décision
L'absence d'arbitraire
mardi 31 mars 2015
Apologie de crime d'atteinte volontaire à la vie
"Le sens et la portée"
Goin. Bad Apple. 2012 |
La présentation des crimes sous un jour favorable
Un acte de volonté
La publicité
Incertitudes autour du discours de haine
dimanche 29 mars 2015
De la dignité dans le gâteau
Corpus delicti |
Référé et abstention
Une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale
La dignité... dans la Déclaration de 1789 ?
Par la suite, le Conseil constitutionnel n'utilise plus le principe de dignité que pour affirmer dans sa décision du 19 novembre 2009, puis dans celles rendues sur QPC du 14 juin 2013 et du 25 avril 2014, que le régime disciplinaire ou l'organisation du travail des personnes détenues relève de la compétence législative. Jusqu'à aujourd'hui, aucune décision du Conseil constitutionnel ne déclare une loi non conforme à la Constitution pour non-respect du principe de dignité. Bien entendu, aucune décision ne déclare trouver un fondement au principe de dignité dans la Déclaration de 1789.
Statut Dogon. Circa XVIIè ou XVIIIè s. |
La "tradition républicaine"
Ce fondement se trouverait-il dans la "tradition républicaine" également invoquée par le juge niçois ? On peut en douter si l'on considère la prudence avec laquelle le Conseil constitutionnel utilise cette notion. Il affirme, depuis une décision du 20 juillet 1988 et avec une remarquable constance, que "la tradition républicaine ne saurait être utilement invoquée pour soutenir qu'un texte législatif qui la contredit serait contraire à la Constitution". La seule exception est l'hypothèse où cette "tradition républicaine" a suscité la création d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFLR). Hélas, la dignité n'a jamais été consacrée comme PFLR et la décision du TA de Nice se trouve ainsi dépourvue de tout fondement juridique.
L'origine du raisonnement suivi par le tribunal administratif de Nice se trouverait-elle dans la jurisprudence du Conseil d'Etat, à laquelle il est censé se référer ?
L'influence néfaste de la première décision Dieudonné
On pourrait le penser, et le tribunal de Nice semble directement influencé par la première décision Dieudonné rendue en référé par le Conseil d'Etat le 9 janvier 2014. Contre toute attente, le juge des référés du Conseil d'Etat avait, à l'époque, accepté l'interdiction du spectacle en s'appuyant sur une interprétation particulièrement extensive du concept de dignité employé dans l'arrêt Commune de Morsang-sur-Orge du 27 octobre 1995. Dans son ordonnance du 9 janvier 2014, le juge des référés du Conseil d'Etat avait admis la légalité de l'interdiction, dès lors que le spectacle contenait "des propos de caractère antisémite, qui incitent à la haine raciale, et font, en méconnaissance de la dignité de la personne humaine, l'apologie des discriminations, persécutions et exterminations perpétrées au cours de la Seconde Guerre mondiale".
A l'époque, cette décision avait suscité une très forte opposition de la doctrine. Elle faisait d'abord observer que, dans l'arrêt Morsang-sur-Orge, la dignité en cause était celle d'une personne de petite taille, considérée comme l'objet d'une attraction de mauvais goût appelée "lancer de nain". Dans l'affaire Dieudonné au contraire, la dignité était celle des spectateurs confrontés à des propos racistes et antisémites. Sur ce point, la doctrine faisait observer que le spectacle avait donné lieu à une interdiction préalable, ce qui, en droit, s'appelle la censure. En admettant la légalité d'une telle pratique, le juge des référés du Conseil d'Etat rompait avec soixante-dix ans d'une jurisprudence libérale mise en oeuvre par l'arrêt Benjamin de 1933, et sanctionnant l'interdiction générale et absolue d'exercer une liberté.
De toute évidence, le tribunal administratif s'appuie sur cette ordonnance du 9 janvier 2014 et reprend à son compte cette conception élargie de la notion de dignité. Comme dans l'affaire Dieudonné, la dignité dont il s'agit est celle des spectateurs, ou plutôt celle des passants qui regardent la vitrine du boulanger, ou plutôt celle d'une partie des passants, "les personnes africaines ou d'ascendance africaine".
On peut se demander si, au moment où il statuait, le tribunal avait connaissance des derniers référés intervenus à propos des interdictions par certains maires du spectacle de Dieudonné. L'analyse juridique a changé, et le juge est revenu à une conception plus traditionnelle de la jurisprudence Benjamin. Dans son ordonnance du 6 février 2015, le Conseil d'Etat sanctionne ainsi l'interdiction prononcée par le maire de Cournon d'Auvergne, sans même se référer une seule fois au principe de dignité. Dans une décision du 25 mars 2015, le tribunal administratif de Toulon a repris cette jurisprudence, lui aussi sans se référer à la dignité. Sur ce point, la jurisprudence du tribunal de Nice semble à contre-courant des évolutions récentes.
La condition d'urgence
D'autant plus à contre-courant que la dernière condition du référé, la condition d'urgence, semble elle-même avoir été traitée en urgence. Le problème juridique était pourtant bien présent, puisque personne ne conteste que les gâteaux litigieux étaient fabriqués, exposés et vendus depuis quinze ans par le boulanger. Pour le juge des référés du tribunal administratif, cet élément n'a pas à être pris en considération. Il affirme, avec une grande simplicité, que "compte tenu de la gravité de l'atteinte (à une liberté fondamentale) et de son caractère concret et continu, la condition d'urgence est remplie".
La vente continue...
A l'issue de ce raisonnement juridique aussi simple qu'audacieux, le juge considère que l'exposition des gâteaux doit être interdite alors que leur fabrication et leur vente demeurent licites, si elles ont lieu à l'écart des yeux des passants. La contradiction est de taille. Le tribunal considère en effet que ces pâtisseries constituent une atteinte objective à la dignité des personnes, "en l'absence même d'une volonté malveillante de leur créateur". Autrement dit, même si le pâtissier n'est pas raciste, ses gâteaux le sont objectivement. Dans ce cas, pourquoi le tribunal accepte-t-il leur fabrication et leur vente ? La logique juridique voudrait qu'un produit objectivement raciste soit définitivement retiré du marché.
La décision du tribunal administratif se caractérise sans doute par une volonté sincère d'apparaître comme une juridiction soucieuse de lutter contre le racisme. Mais, comme souvent dans les décisions idéologiques, les fondements juridiques font cruellement défaut. Devant une telle situation, on ne peut que penser que le boulanger aurait tout intérêt à faire appel devant le Conseil d'Etat, c'est-à-dire une juridiction qui développe un raisonnement juridique. A moins qu'il préfère opter pour la solution la plus simple qui consiste à renoncer à des gâteaux de mauvais goût pour privilégier la fabrication de cette délicieuse spécialité de Grasse : la fougassette.