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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
lundi 10 novembre 2014
La liberté d'expression de l'historien devant la Cour européenne
samedi 8 novembre 2014
La diffamation non publique et plus ou moins confidentielle
Une infraction de presse ?
La publicité, comme absence de confidentialité
D'une manière générale, l'étude de la jurisprudence révèle surtout la rareté de la jurisprudence positive. La diffamation non publique est bien plus souvent écartée qu'admise, comme si le juge s'en méfiait. Dans un jugement du 3 avril 2008, la Cour d'appel de Paris a considéré comme constitutive d'une dénonciation non publique une profession de foi électorale envoyée par la CGT au personnel de l'entreprise UGC. Ce document, ensuite repris dans la presse, annonçait un plan social comportant 800 licenciements et la fermeture de nombreux cinémas. Or ces informations étaient fausses et ont eu pour effet de faire chuter l'action de l'entreprise. La Cour d'appel reconnaît la diffamation, dès lors que la CGT s'est montrée incapable de démontrer la vérité des faits allégués. En revanche, elle considère qu'il s'agit d'une diffamation non publique, puisque ces professions de foi ont une diffusion limitée aux salariés de l'entreprise, et qu'il n'est pas démontré que les fuites aient été organisées par le syndicat défendeur.
La confidentialité à géométrie variable
La confidentialité, pour le juge, n'a donc rien à voir avec le nombre de personnes partageant l'information litigieuse. Dans l'affaire UGC c. CGT, la profession de foi avait été envoyée à 1500 personnes, alors que, dans l'affaire Dr Z., les propos avaient été échangés entre deux personnes. Le critère essentiel est celui de la volonté des auteurs des propos ou écrits litigieux. Ont-ils voulu les faire sortir de l'espace dans lequel ils devaient être confinés ? Si la preuve de cette volonté est apportée, le juge considère que la diffamation non publique est caractérisée.
Reste que c'est alors la distinction avec la diffamation publique qui devient délicate à appréhender, et le critère essentiel semble alors être celui de l'utilisation des médias. Autrement dit, on en revient au principe selon lequel la diffamation publique relève du régime juridique des délits de presse, alors que l'infraction de diffamation non publique relève du droit commun. Autant dire que la nature de l'infraction est définie par son régime juridique, ce qui n'est guère satisfaisant pour l'esprit.
mercredi 5 novembre 2014
Le silence vaut acceptation : Vers un risque d'épidémie de phobie administrative ?
Une révolution culturelle
Ce système était ancré solidement dans le droit positif, au point que le Conseil constitutionnel, dans deux décisions du 26 juin 1969 et du 18 janvier 1995, avait affirmé que "d'après un principe général de notre droit, le silence gardé par l'administration vaut décision de rejet", et qu'il ne pouvait donc y être dérogé que par une norme législative. Toujours prudent, le Conseil d'Etat considérait, quant à lui, que cette règle n'était pas un principe général du droit dans un arrêt Commune de Bozas de 1970, A ses yeux, il s'agissait d'une simple règle réglementaire à laquelle il était possible de déroger par la même voie réglementaire.
Cette révolution a été largement préparée. Dès la loi du 12 avril 2000, le délai d'obtention d'une décision implicite de rejet avait été réduit de quatre à deux mois, et des pans entiers de l'action administrative avaient été placés sous le régime d'une décision implicite valant acceptation, en particulier dans le domaine des autorisations d'urbanisme. La loi du 12 novembre 2013 reprend ainsi un principe qui était déjà dans les moeurs administratives.
Alors pourquoi est-il si délicat à mettre en oeuvre ? Tout simplement parce qu'il est impossible d'établir un principe uniforme et généralisé selon lequel le silence vaudrait toujours acceptation. Il existe ainsi un certain nombre d'exceptions et de dérogations, précisément énumérées dans les décrets d'application.
Balzac. Physiologie de l'Employé. Vignettes de Louis Joseph Trimolet. 1841 |
Les exceptions
Les exceptions concernent les cas dans lesquels le principe ancien est maintenu, ce qui signifie que le silence de l'administration vaut toujours rejet.
La première exception repose sur la notion de bonne administration. Elle recouvre essentiellement les demandes d'accès aux documents et de concours de la force publique, tout simplement parce que l'administré qui obtiendrait une décision implicite d'acceptation dans ce domaine n'en tirerait aucun bénéfice concret. Que faire d'une décision accordant la communication d'un document si celui-ci ne vous est pas communiqué ? Que faire d'une acceptation du concours de la force publique si les policiers ou les gendarmes ne viennent pas ? Il est bien préférable pour le citoyen d'être alors titulaire d'une décision de rejet qu'il peut, le cas échéant, contester devant la juridiction administrative.
La seconde série d'exceptions trouve son origine dans la volonté du législateur, et la loi du 12 novembre 2013 en fait une énumération formelle. Il s'agit d'abord des demandes qui ne concernent pas une décision individuelle, par exemple celles demandant la modification, l'abrogation ou le retrait d'un acte réglementaire. On peut comprendre qu'une décision de portée générale ne puisse être menacée par une demande formulée par un citoyen isolé. Elles visent aussi les demandes "ne s'inscrivant pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire", c'est-à-dire, au premier chef, les réclamations plus ou moins fantaisistes, celles qu'il a été impossible de prévoir dans un texte. Enfin, figurent également parmi ces exceptions les demandes de nature financière, c'est-à-dire visant à faire naître une dette ou une créance à la charge de l'administration sollicitée. Il s'agit évidemment de protéger les finances publiques, mais force est de constater que cette exception fait sortir du champ de la procédure nouvelle la plupart des réclamations adressées aux administrations fiscales et douanières.
Enfin, le dernier type d'exception repose sur les nécessités de respecter les "normes supra-législatives". Sont d'abords visées les normes constitutionnelles, et plus précisément la jurisprudence issue de la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 18 janvier 1995. Celle-ci énonce que le législateur peut déroger à ce qui était alors la norme, c'est à-dire au principe selon lequel le silence de l'administration vaut rejet, à la condition toutefois de ne pas porter atteinte à un principe constitutionnel. L'installation d'un système de vidéo-surveillance était ainsi considéré comme entraînant une menace trop lourde pour les libertés publiques pour justifier un régime d'autorisation implicite. Dans un arrêt du 21 mars 2003, le Conseil d'Etat a adopté une position analogue pour les décisions d'occupation du domaine public, dans la mesure où chaque décision intervenue dans ce domaine doit prévoir des règles destinées à garantir la circulation publique et à protéger la voirie. Au-delà des principes constitutionnels, cette protection des normes supra-législatives vise aussi les engagements internationaux de la France et notamment le droit de l'Union européenne.
Les dérogations
De la bureaucratie
Pour l'administré, la situation risque de se révéler inconfortable car le système ancien de la décision valant rejet avait au moins le mérite d'être simple. La demande qu'il formule aujourd'hui va-t-elle conduire à la mise en oeuvre du nouveau principe général d'acceptation ? Il ne saurait en être certain, si l'on considère la liste des exceptions et dérogations. Il devra donc consulter les décrets, retrouver la décision qu'il cherche dans les multiples tableaux, et attendre le temps qu'il faut pour obtenir soit une acceptation, soit un rejet. Pendant tout ce temps, il risque de développer une phobie administrative, maladie aujourd'hui diagnostiquée mais qui ne connaît à ce jour aucun traitement efficace.
vendredi 31 octobre 2014
Les animaux, "êtres vivants doués de sensibilité" : la réforme inachevée
Approche pénale de l'animal
Chanson des vautours : "That's what friends are for"
Une réforme minimaliste
Lobbies et maintien du statu quo
mercredi 29 octobre 2014
Le droit de se promener nu n'existe pas
Le vêtement, élément de la liberté d'expression
L'absence de consensus
En l'espèce pourtant, la Cour observe que la nudité ne peut être envisagée au seul prisme de la liberté d'expression. En tant que telle, elle est généralement sanctionnée par le droit pénal, mais la Cour constate, sur ce point, une absence de consensus au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe.
Certains, comme la France, pénalisent la nudité à la condition toutefois que l'élément moral de l'infraction soit avéré. Dans une décision du 28 septembre 1989, la Cour d'appel de Douai a ainsi annulé la condamnation pour outrage public à la pudeur d'un individu qui, entièrement dévêtu, a sauté dans l'eau du port de Boulogne et nagé jusqu'à un navire britannique en partance pour l'Angleterre. Repêché, il a été remis à la police française, dans la même tenue. En l'espèce, la Cour d'appel prononce une relaxe, car l'intéressé n'avait pas, sur ce point, d'intention coupable. Non sans malice, le commentateur au Recueil Dalloz faisait ainsi observer que le nageur s'était seulement "couvert de ridicule, et d'un mouchoir prêté par un marin".
Nu descendant un escalier. Marcel Duchamp. 1912 |
La morale, élément de l'ordre public
D'autres Etats se placent sur le terrain de l'ordre public, voire de la morale considérée comme un élément de l'ordre public. Tel est le cas du droit écossais qui prohibe la nudité, non pas pour des raisons climatiques, mais parce qu'il considère que l'atteinte à l'ordre public est constituée lorsqu'une personne adopte une conduite suffisamment provocatrice pour inquiéter son entourage ("cause alarm to ordinary people") et semer le désordre dans la communauté ("serious disturbance to the community").
Dès lors qu'il n'existe pas de réel consensus sur la manière dont le droit appréhende la nudité, la Cour en déduit, comme toujours, que les Etats conservent une large autonomie dans ce domaine. L'ingérence dans la liberté de se vêtir, ou de ne pas se vêtir, est donc possible, aussi bien pour des motifs de droit pénal que d'ordre public. Les Etats peuvent même intégrer la morale dans l'ordre public. Dans l'arrêt Müller c. Suisse de 1988, la Cour européenne a ainsi admis la condamnation d'un artiste-peintre qui avait exposé trois grandes toiles représentant, de manière extrêmement réaliste, des relations sexuelles. L'exposition d'art contemporain était ouverte à tous, sans droit d'entrée ni limite d'âge. Tout en regrettant qu'il n'existe pas une seule définition de la morale, les juges de Strasbourg n'ont pas trouvé déraisonnable la condamnation à une amende du peintre et des responsables de l'exposition sur le seul fondement de la morale, sachant que les images étaient de nature à "blesser brutalement" les visiteurs.
Les conditions de l'ingérence
A partir de ces éléments, la Cour européenne, statuant dans l'affaire Gough, considère que les conditions d'une ingérence dans la liberté d'expression sont remplies. D'une part, la possibilité d'interdire la nudité est prévue par la loi, ou plus exactement par la jurisprudence des juridictions écossaises. D'autre part, cette interdiction poursuit un but légitime, dès lors qu'il s'agit de garantir l'ordre public, dont le contenu est défini par le droit écossais.
Enfin, la Cour s'assure que cette interdiction de la nudité est effectivement "nécessaire dans une société démocratique", ce qui la conduit à apprécier la proportionnalité entre l'atteinte portée à la liberté d'expression vestimentaire et l'objectif d'ordre public poursuivi. En l'espèce, la Cour observe que la nudité en droit écossais ne fait pas l'objet d'une réglementation spécifique. Elle n'est poursuivie que lorsqu'elle est constitutive d'une atteinte à l'ordre public. Encore est-elle poursuivie de manière très peu coercitive, et la Cour fait remarquer que le requérant a d'abord été condamné, à plusieurs reprises, à des "blâmes", sortes de rappel à la loi sans contenu coercitif, avant que les peines prononcées s'alourdissent sous l'effet de la récidive. Aux yeux de la Cour, le droit écossais n'est donc pas disproportionné au regard de l'atteinte qu'il porte à la liberté d'expression, et c'est l'intransigeance du requérant qui l'a finalement mené en prison pour une durée très longue. La disproportion de la peine par rapport au caractère mineur de l'infraction trouve ainsi son origine dans le comportement, lui-même disproportionné, du requérant.
Quant à l'atteinte à la vie privée, également invoquée par celui-ci, elle est rapidement rejetée par la Cour. Le respect de la vie privée n'implique pas, en effet, un droit absolu de se vêtir comme on l'entend. Certes, ce droit existe dans l'abri du domicile privé, où chacun peut s'habiller, ou se déshabiller comme il l'entend, dès lors que la nudité demeure invisible aux yeux des voisins. Mais ce droit disparaît dans l'espace public, dans lequel le vêtement est perçu comme un élément de la vie sociale. Dans ce cas, l'Etat est parfaitement fondé à poser des règles gouvernant l'apparence des personnes. C'est ainsi que, dans une jurisprudence constante, la Cour considère que les Etats ont le droit d'imposer le port de l'uniforme à certains fonctionnaires, ou d'interdire d'arborer des signes religieux (CEDH 27 mai 2013 Eweida et autres c. Royaume-Uni). A fortiori, peuvent ils prohiber le fait de ne pas porter de vêtements du tout. La nudité n'est donc pas un droit, tout juste une tolérance, dans le domicile privé ou dans des lieux situés à l'abri du regard d'autrui. La vie privée trouve ainsi sa limite dans le regard d'autrui : "Cachez ce sein que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées et cela fait venir de coupables pensées".
dimanche 26 octobre 2014
Destitution du Président de la République ou comment changer l'équilibre du régime
L'impossible équilibre
La destitution, une responsabilité politique
Dessin de Jean Robert. 1877 |
Une procédure volontairement complexe
Destitution et fait majoritaire
Sabre de bois ou bombe à retardement
Présentée comme une mesure technique, la procédure de destitution impose en réalité une mise en cause de l'équilibre du régime, suscitant un renforcement des pouvoirs du parlement et un affaiblissement corrélatif de la fonction présidentielle. Alors que la Vème République repose sur l'irresponsabilité politique du Président, irresponsabilité d'ailleurs affirmée dans la Constitution, on voit apparaître subrepticement une responsabilité politique entièrement liée au fait majoritaire. Derrière le discours affirmant le renforcement de la fonction présidentielle apparaît ainsi en filigrane la nostalgie du régime parlementaire, version IIIè République.
Supposons un instant un Président impopulaire qui, confronté à une fronde de la majorité, préfère exercer son droit de dissolution. Cette dissolution risque fort de conduire à une période de cohabitation. Et si l'opposition dispose de la majorité des 2/3è dans chaque assemblée, et donc à la Haute Cour, ne risque-t-elle pas de s'engager dans une procédure de destitution ? Et les faits reprochés au Président seront alors définis par le parlement lui-même. Une telle situation n'est pas tout à fait une hypothèse d'école mais un danger bien réel pour l'équilibre de nos institutions. Il reste à attendre la décision du Conseil constitutionnel, obligatoirement saisi des lois organiques.