Les risques de contradictions jurisprudentielles
Sur le fond, le contentieux est né de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe. Ce texte permet en effet l'adoption de l'enfant de l'un des deux conjoints par l'autre conjoint du même sexe. En revanche, le droit de la procréation médicalement assistée n'a pas été modifié, et l'accès à ces techniques demeure réservé aux couples hétérosexuels. La conséquence de cette situation est que les couples homosexuels partent à l'étranger pour bénéficier d'une AMP, pratique qui n'est pas illicite dans le pays où elle est pratiquée mais qui n'est pas conforme à l'ordre public français.
Raymond Woog. Portrait de bébé. Circa 1920 |
La fraude à la loi
Certains juges voyaient dans cette pratique une fraude à la loi, qui "consiste à éluder une règle obligatoire par l'emploi à dessein d'un moyen efficace, qui rend ce résultat inattaquable sur le terrain du droit positif". Il convient à ce propos de rappeler que la fraude à la loi est aussi vieille que la loi, et cette notion est précisément apparue dans un arrêt du 18 mars 1878, une Princesse de Bauffremont, s'étant installée en Saxe-Altembourg et ayant acquis la nationalité de cet Etat dans le seul but d'échapper à la loi française interdisant alors le divorce.
Cette affaire montre que la fraude à la loi a toujours trouvé son terrain de prédilection dans le droit international privé. Elle se produit généralement lorsqu'une personne, soumise à une loi qui la dérange, préfère se placer sous l'empire d'une législation plus complaisante. La sanction juridique d'une telle pratique demeure relativement modeste, puisqu'elle consiste à considérer que la situation juridique créée à l'étranger n'est pas opposable en droit français.
La jurisprudence, jusqu'à aujourd'hui, est surtout concentrée dans le domaine de la gestation pour autrui (GPA), que la Cour de cassation considère comme fraude aussi bien lorsqu'elle est pratiquée au profit de couples hétérosexuels comme dans l'affaire Mennesson du 17 décembre 2008, que de couples homosexuels comme dans l'arrêt du 13 septembre 2013. Dès lors que la naissance est l'aboutissement d'un processus frauduleux comportant une convention de GPA, tous les actes qui en résultent sont, pour la Cour, entachés d'une nullité d'ordre public. Cette sévérité résulte d'une application rigoureuse de l'adage "Fraus omnia corrumpit", qui permet au juge de prononcer la nullité de tous les actes issus d'une fraude. Observons tout de même que la qualification de fraude, dans le cas d'une insémination avec donneur (IAD) peut sembler particulièrement sévère. Contrairement à la GPA, l'enfant est porté par sa mère biologique et c'est évidemment elle qui le met au monde.
C'est sans doute la raison pour laquelle la Cour écarte, dans ce cas, la fraude à la loi. Car si le droit français interdit la GPA pour l'ensemble des couples, hétérosexuels ou homosexuels, il ne prohibe pas l'IAD en tant que technique mais se borne à en interdire le bénéfice aux femmes homosexuelles. Le fait qu'elles se rendent à l'étranger pour obtenir ces inséminations n'est donc pas considéré par la Cour comme une fraude, dès lors qu'il n'y a pas volonté de contourner le droit français mais plutôt de profiter de ce qu'il autorise aux autres femmes, celles qui sont hétérosexuelles.
Le droit à la vie familiale
Cette recherche de l'égalité s'appuie sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Dans on arrêt Schalk c. Autriche du 24 juin 2010, elle a considéré que la notion de vie familiale, protégée par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme peut être invoquée par un couple homosexuel. Par la suite, dans les arrêts Mennesson et Labassee du 26 juin 2014, intervenus à propos du défaut de reconnaissance par le droit français de la filiation d'enfants nés par GPA à l'étranger, elle a de nouveau affirmé que l'intérêt supérieur des enfants nés dans ces conditions est d'avoir un état civil français, élément de leur identité au sein de la société de notre pays.
L'intérêt supérieur de l'enfant
L'intérêt supérieur de l'enfant, qui est d'avoir une vie privée et familiale normale, l'emporte donc sur toute autre considération. Certes, la Cour européenne reconnaît que le droit français peut interdire l'accès des couples homosexuels à certains techniques de PMA (CEDH, 15 mars 2012 Gas et Dubois), mais une fois l'enfant né, son intérêt est d'avoir un état civil.
En appliquant la jurisprudence de la Cour européenne, la Cour de cassation se réfère aussi à l'article 3-1 de la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant qui dispose que "dans toutes les décisions qui concernent les enfants (...), l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale". Depuis un arrêt de principe du 18 mai 2005, la Cour de cassation considère que cette disposition est d'application directe devant les juridictions françaises.
En l'espèce, cela signifie que la situation de l'enfant né de l'IAD doit être appréciée in concreto. Il importe peu que sa mère biologique ait contourné la loi française pour aller se faire inséminer en Belgique, d'autant que la Cour ne considère pas qu'il s'agit d'une fraude à la loi au sens juridique du terme.
Reste que les deux avis laissent une impression d'inachevé. Car si l'intérêt supérieur de l'enfant doit primer sur toute autre considération, pourquoi la Cour réduirait-elle cette analyse au seul cas des enfants nés par IAD ? Ceux né par gestation pour autrui, même s'il s'agit d'une technique entièrement prohibée en droit français, sont-ils moins innocents ? Leur intérêt supérieur n'est-il pas également de bénéficier d'une filiation qui ferait d'eux des enfants ordinaires ? A suivre...