L'initiative n'avait évidemment pas d'autre finalité que de montrer à un électorat niçois toujours tenté par les thèses du Front National que le maire de Nice, lui aussi, sait montrer de la fermeté à l'égard des supporters de football. Sont particulièrement visés, quoique non mentionnés dans l'arrêté, les supporters de l'équipe algérienne dont les débordements violents, notamment à Lyon, avaient suscité des inquiétudes. Depuis les 30 juin, les choses ont cependant évolué. D'une part, l'équipe d'Algérie comme celle de France ont été éliminées de la coupe du monde de Football. D'autre part, le tribunal administratif (TA) de Nice, saisi par différentes associations de protection des droits de l'homme, a pris, le 4 juillet 2014, une ordonnance de référé suspendant l'exécution de l'exécution de l'arrêté.
Une décision d'urgence
Il s'agit là d'une mesure d'urgence qui ne conduit pas à l'annulation de ce texte, mais seulement à sa suspension. Se fondant sur le fait que la décision au fond n'est pas intervenue, Christian Estrosi a annoncé son refus de mettre en oeuvre cette décision de justice.
Certes, compte tenu de son caractère provisoire reconnu par l'article L 511-1 cja, une décision rendue en référé, ne bénéficie pas de l'autorité de chose jugée (par exemple, CE 4 septembre 2007, ministère de la Jeunesse c. Soc. Vacances éducatives). En revanche, elle produit des effets jusqu'à ce que le juge du fond rende une décision passée en force de chose jugée, c'est à dire qui n'est plus susceptible d'autre recours qu'un pourvoi en cassation. Si elle n'a pas autorité de chose jugée, l'ordonnance de référé demeure obligatoire et elle doit être mise en oeuvre. Christian Estrosi ne peut donc refuser de suspendre l'exécution de son arrêté, pas plus d'ailleurs qu'il ne peut reprendre un autre arrêté identique (C.E. 5 novembre 2003, Association "Convention vie et nature pour une écologie radicale". En refusant d'appliquer la décision du TA, il engage donc sa responsabilité.
Observons tout de même qu'au moment où le TA se prononce, l'arrêté de Christian Estrosi n'a déjà plus beaucoup d'intérêt pratique. Les supporters algériens ne risquent plus de se manifester et ceux des autres pays encore dans la compétition ne devraient causer qu'une fort modeste agitation sur la Promenade des Anglais. On doit déduire que le TA de Nice a eu besoin de quelques jours pour statuer sur la question posée, délai très long si on le compare aux quelques heures dont a eu besoin le Conseil d'Etat dans l'affaire Dieudonné pour sortir une ordonnance de référé parfaitement rédigée et précédée de multiples visas.
L'effet pervers de la jurisprudence Dieudonné
La comparaison avec cette décision ne s'arrête pas là, et les réactions du maire de Nice témoignent des conséquences perverses de la jurisprudence Dieudonné. En effet, Christian Estrosi annonce qu'il déposera prochainement une proposition de loi « instaurant pour le maire la faculté de prendre toute mesure préventive dans le but de prévenir toute atteinte à l'ordre public et ce eu égard aux circonstances locales ». Comme dans l'affaire Dieudonné, l'élu veut donc établir un régime préventif, c'est à dire interdire l'exercice d'une liberté avant même que le trouble à l'ordre public se produise. Une simple hypothèse suffit donc à justifier la censure préalable, négation même du système répressif, celui sur lequel s'est construit le régime républicain. Ce dernier repose en effet sur le libre arbitre : chacun exerce sa liberté mais doit rendre compte, a posteriori et devant un juge, d'éventuels abus et comportements illicites.
Les conditions du référé
Heureusement, le TA de Nice n'a pas entendu introduire la censure préalable dans ce domaine. Pour ordonner la suspension de l'arrêté en référé, deux conditions devaient être réunies, d'une parte que "l'urgence le justifie", d'autre part que les requérantes invoquent un moyen "propre à créer (...) un doute sérieux" sur la légalité du texte (art. L 521-1 cja).
Pour le TA, la condition d'urgence est à l'évidence remplie, dès lors que l'arrêté de Christian Estrosi est d'application immédiate et limité à la durée de la coupe du monde. Autrement dit, il prend fin le 13 juillet 2013, date très proche qui exige donc du juge une intervention aussi rapide que possible. La seule condition qui mérite d'être débattue a donc trait au "doute sérieux" qui doit exister sur la légalité du texte.
Observons que personne ne conteste que l'arrêté entraine une atteinte aux libertés. En droit français, aucune règle n'interdit en effet de brandir un drapeau étranger. Les seules règles relatives au drapeau concernent en effet l'emblème national. C'est ainsi que la loi du 18 mars 2003 crée un délit d'outrage au drapeau (art. 433-5-1 c. pén.) puni d'une amende de 7500 €. Le décret du 21 juillet 2010 sanctionne ensuite la diffusion de ce type d'outrage. Les drapeaux étrangers échappent, quant à eux, à cette réglementation. Leur utilisation dans des rassemblement n'a pas besoin, comme en droit américain, d'être rattachée à la liberté d'expression, au titre du "Symbolic Speech". Il suffit tout simplement de s'appuyer sur l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du ctioyen qui énonce que "la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui".
Le principe de non discrimination écarté par le juge
Le TA de Nice n'envisage pas du tout la décision du maire de Nice à l'aune du principe de non discrimination. Christian Estrosi s'est en effet efforcé de donner à son arrêté l'apparence de la légalité. Il n'a pas visé formellement le drapeau algérien, mais a interdit l'ensemble des emblèmes étrangers. Le caractère proprement discriminatoire d'une telle mesure est donc bien difficile à démontrer, d'autant que le drapeau français et les drapeaux étrangers sont placés dans une situation juridique différente. Le premier est protégé des outrages par le législateur, pas les seconds.
Il est surtout beaucoup plus simple de montrer que l'arrêté du maire est disproportionné. Le juge se pose donc la question de l'adéquation entre la mesure prise et l'objectif poursuivi. Pour le maire, c'est du moins ce qu'il affirme, l'objet de l'arrêté est de préserver l'ordre public. Sur ce point aussi, il s'est aussi efforcé de sauvegarder une apparence de légalité. C'est ainsi que l'arrêté ne prononce pas une interdiction générale et absolue touchant l'ensemble de la ville, mais seulement son "hyper-centre" et pour une durée limitée.
Le retour de la jurisprudence Benjamin
Certes, mais Christian Estrosi se rapproche tout de même de Pierre Dac. Ce dernier n'a t il pas déclaré : "On dit toujours : fermez la porte, il fait froid dehors. Mais une fois que l'on a fermé la porte, il fait toujours aussi froid dehors". De le même manière, l'élu niçois interdit les drapeaux étrangers pour empêcher les atteintes à l'ordre public.. L'interdiction des drapeaux empêche-t-elle de casser les vitrines du centre-ville ? Où voit-on un lien de causalité entre l'absence de drapeau et la protection de l'ordre ? D'une manière générale, le maire a d'ailleurs la possibilité de prendre des mesures pour protéger l'ordre public, que ceux qui lui portent atteinte brandissent, ou non, des drapeaux.
C'est précisément cette absurdité que sanctionne le tribunal administratif. Certes, il ne se prononce pas au fond, mais il considère néanmoins qu'il existe un "doute sérieux" sur la proportionnalité de la mesure. Il fait observer que l'ordre public peut être assuré par d'autres moyens, à la fois moins contraignants et plus efficaces. Sur ce point, le juge du TA de Nice reprend la désormais célèbre jurisprudence Benjamin de 1933, dans laquelle le Conseil d'Etat appréciait très concrètement les moyens dont dispose un élu pour garantir l'ordre sans porter atteinte à la liberté d'expression. Il ne fait guère de doute, en l'espèce, que la ville de Nice a les moyens techniques de protéger son centre contre les débordements de certains supporters, sans qu'il soit nécessaire de leur interdire le port de drapeaux.
Finalement, on devrait remercier Christian Estrosi. Son opération de communication, car c'est bien de cela dont il s'agit, a au moins permis de réaffirmer la jurisprudence Benjamin, si malmenée dans l'affaire Dieudonné. Et sans doute de montrer aux élus que leur revendication en faveur d'un régime de censure préalable risque tout de même de se heurter à la résistance des juges. Il est vrai qu'il est plus facile de sanctionner l'arrêté d'un maire que celui d'un Premier ministre.