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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
jeudi 15 mai 2014
Le rapport Imbert-Quaretta, leurre des montres molles
dimanche 11 mai 2014
Autorité parentale et droits des beaux-parents : la loi et les bons sentiments
Les familles recomposées et le droit
Le texte est, en quelque sorte, ce qui reste du projet de loi famille, reporté sine die après la loi sur le mariage pour tous. Les sujets qui fâchent ont été soigneusement retirés, et le droit des couples homosexuels de recourir à la procréation médicalement assistée n'est donc pas évoqué. Que reste-til ? Des dispositions qui visent à adapter le droit à l'évolution des structures familiales.
Les statistiques montrent en effet une croissance considérable du nombre de séparations. Durant l'année 2012, 130 000 divorces ont été prononcés et 27 000 pacs dissous. Aujourd'hui, 1 500 000 enfants vivent dans 750 000 familles recomposées. L'intérêt de ces enfants doit effectivement être davantage pris en considération, d'abord par un renforcement de l'exercice conjoint de l'autorité parentale, ensuite par la reconnaissance de la place croissante des tiers, et notamment des beaux parents, dans l'éducation des enfants.
L'ensemble est pétri de bons sentiments, mais les bons sentiments se heurtent parfois à la dure réalité du droit positif.
L'exercice conjoint de l'autorité parentale
La proposition de loi vise à renforcer l'exercice conjoint de l'autorité parentale. L'objectif principal est d'empêcher le "syndrôme de l'enfant à la fenêtre", c'est à dire l'hypothèse où l'un des deux parents ne participe plus à l'éducation de l'enfant, et finit par s'éloigner de lui plus ou moins définitivement.
Certaines dispositions de la propositions sont purement cosmétiques. Il en est ainsi de l'article 2 qui impose de faire figurer dans le livret de famille des informations relatives aux droits et devoirs des parents à l'égard de l'enfant. Cela rappelle étrangement les livrets de famille des années 1930, dans lesquels figurait un chapitre consacré à l'hygiène de la grossesse et aux avantages de l'allaitement naturel. Tout cela est fort sympathique, mais l'impact réel de telles dispositions demeure très limité.
D'autres dispositions se bornent à rappeler le droit existant. C'est le cas de l'article 3 de la proposition qui impose une obligation d'information réciproque des parents pour tous les éléments importants concernant la vie de l'enfant et de l'article 4 qui énonce que tout acte important lié à l'autorité parentale requiert l'accord des deux parents. Il s'agit là d'une reprise de l'article 372 du code civil qui énonce que "les pères et mères exercent en commun l'autorité parentale".
Les "actes importants"
Le problème réside dans la définition de l'acte "important", celui qui ne peut intervenir qu'avec l'accord des deux parents. Reprenant la définition donnée par la jurisprudence, le rapport de janvier 2014 le définit comme l'"acte qui rompt avec le passé et engage l'avenir de l'enfant ou qui touche à ses droits fondamentaux". Il s'oppose à l'acte "usuel" qui intervient pour gérer la vie quotidienne de l'enfant, comme aller le chercher à l'école s'il est malade ou l'envoyer en vacances, acte usuel qui n'implique aucun changement de sa situation.
Le choix de la résidence "au domicile de chacun des parents"
Contrairement au souhait de certaines associations, la proposition de loi ne dresse pas la liste de ces "actes importants". Le seul qui soit expressément mentionné est le choix de la résidence de l'enfant. Depuis plusieurs années, s'est développé un mouvement en faveur de la résidence alternée paritaire de principe. Dans cette hypothèse, la résidence alternée est impérativement la première option examinée, même s'il est possible d'en choisir finalement une autre. Le parlement n'a pas choisi cette solution, et a préféré laisser aux parents une plus grande liberté de choix.
Concrètement, la proposition récuse les notions de "résidence alternée", de "droit de visite" ou d'"hébergement". Son article 7 pose le principe selon lequel la résidence de l'enfant est fixée "au domicile de chacun des parents", formule qui témoigne de la stricte égalité des parents. Ces derniers ne sont plus placés devant un choix binaire entre résidence alternée ou résidence au domicile de l'un d'entre eux. Ils pourront choisir le rythme de l'alternance, définir leur propre organisation en fonction des besoins des enfants et de leurs souhaits.
Le changement de résidence
Dans cette perspective, le changement de résidence de l'un des conjoints est également un "acte important" qui nécessite l'accord de l'autre. Il s'agit là d'une innovation, dès lors que le droit actuel n'impose qu'une obligation d'information au conjoint qui veut changer de domicile. Conformément à l'article 5 de la proposition de loi, celui qui déménage sans informer l'autre parent risque une amende civile inférieure ou égale à 10 000 € .
Cette règle est conforme au principe de l'exercice conjoint de l'autorité parentale, mais on peut s'interroger sur les atteintes qu'elle porte au principe de libre choix du domicile, principe rattaché au droit au respect de la vie privée. Il s'agit en effet de donner un véritable droit de veto à l'ancien conjoint d'une personne qui pourra s'opposer à tout changement de domicile. Certes, la proposition prévoit une exception lorsqu'il s'agit de s'éloigner d'un ancien conjoint violent, mais il existe d'autres motifs pour lesquels un déménagement peut être envisagé, que ces motifs soient professionnels ou familiaux. En cas de refus de l'ex-conjoint, il faudra alors introduire une demande devant le juge, sur le fondement de l'article 373-2 du code civil. Il appartiendra au Conseil constitutionnel d'apprécier si cette atteinte au libre choix du domicile est proportionnée aux intérêts en cause.
Les beaux-parents
La proposition de loi s'inscrit dans un mouvement général d'accroissement considérable du nombre d'adultes susceptibles d'intervenir dans l'éducation d'un enfant. Celui-ci est désormais au centre d'une famille élargie. Elargie par l'accroissement de la durée de vie, et un enfant qui naît a désormais des grands parents, voire des arrière grands-parents qui veulent le voir grandir et, d'une manière ou d'une autre, participer à son éducation. L'article 371-4 du code civil, issu de la loi du 5 mai 2007, consacre ainsi un droit de l'enfant d'"entretenir des relations personnelles avec ses ascendants", droit qui a conduit à reconnaître aux grands parents un droit de visite et d'hébergement.
Aujourd'hui, la proposition de loi pose la question des relations entre l'enfant et ses beaux-parents. Observons d'emblée que le texte n'emploie pas le terme de "beau-parent", mais préfère se référer au"tiers vivant de manière stable avec l'un des parents", formule qui permet d'exclure toute référence au mariage et s'appuie finalement sur la stabilité d'une relation. C'est la résidence avec l'enfant qui créer le lien avec lui.
La proposition de loi n'a pourtant pas pour objet, contrairement à ce qui a été dit ici et là, de définir un statut juridique des beaux-parents. Elle offre seulement une sorte de "boîte à outils" juridiques permettant une meilleure association du beau-parent à l'éducation des enfants, mais seulement si les parents en sont d'accord.
Pour les actes usuels isolés, le beau-parent est tout simplement considéré comme un "tiers de bonne foi", au sens de l'article 372-2 du code civil. Autrement dit, il existe une présomption d'accord des parents pour les actes usuels, ceux que des parents peuvent naturellement autoriser un tiers à accomplir. Sur ce plan, la proposition de loi ne modifie en rien le droit positif.
Si certaines familles recomposées souhaitent offrir au beau-parent la possibilité d'accomplir quotidiennement les actes usuels relatifs à l'éducation de l'enfant, elles peuvent désormais utiliser la voie contractuelle. Le "mandat d'éducation quotidienne" est un contrat passé sous seing privé ou par acte authentique. Bien entendu, il ne modifie en rien l'autorité parentale qui demeure exclusivement exercée par les deux parents. Et ces derniers doivent tous deux définir le périmètre des prérogatives dont disposera le beau-parent et signer le contrat.
Une vison Bisounours de la famille ?
Sur le fond, ce mandat est certainement une avancée positive dans la reconnaissance du rôle des beaux-parents dans des familles recomposées. La mise en oeuvre de cette réforme risque cependant d'être délicate, et certains commentateurs n'ont pas hésité à ironiser sur une vision "Bisounours" de ces familles. Combien d'époux divorcés sont-ils prêts à accepter l'ntervention du nouveau mari de leur ex-femme dans l'éducation de leur enfant ? Combien d'épouses divorcées signeront-elles le contrat conférant à celle qui leur a succédé dans la vie de leur mari un rôle dans l'éducation de leur enfant ? Le mandat d'éducation quotidienne suppose un divorce pacifié, une relation harmonieuse entre gens de bonne compagnie uniquement soucieux de l'intérêt des enfants. Un rêve...
Derrière cette proposition de loi, on voit apparaître une évolution vers une forme de contractualisation du droit de la famille. Cette évolution présente des aspects positifs, et il est sans doute indispensable d'offrir aux couples une plus large autonomie dans l'organisation concrète de la vie de l'enfant. De la même manière, il n'est pas inutile de mentionner le beau-parent dans une loi, même s'il ne dispose d'aucun statut légal lui permettant de revendiquer telle ou telle prérogative. Dans tous les cas cependant, la loi demeur l'ultime recours lorsque la famille n'est pas cet univers pacifié et harmonieux qu'envisage la proposition de la loi. Il paraît que cela arrive, de temps en temps.
jeudi 8 mai 2014
Le "plaider coupable" devant la Cour européenne des droits de l'homme
Le plaider-coupable, avantages et inconvénients
"Les Ripoux"
"Ripoux contre Ripoux"
Les conditions du plaider-coupable
En soi, une telle procédure n'est pas illicite et la Cour a eu à juger plusieurs affaires de plaider-coupable sans qu'elle voit dans cette procédure une atteinte directe au droit au procès équitable. Tel est le cas, par exemple, dans l'arrêt Slavcho Kostov c. Bulgarie du 27 novembre 2008. Encore faut-il que cette procédure réponde à deux conditions, clairement formulées par la Cour. D'une part, l'intéressé doit accepter le principe du plaider-coupable sur la base d'un consentement éclairé. Il doit donc être parfaitement informé des faits qui lui sont reprochés et des conséquences du plaider-coupable. D'autre part, l'accord européenne doit être homologué par un juge qui apprécie à la fois sa procédure et son contenu.
En l'espèce, la Cour fait observer que le requérant était conseillé par deux avocats et qu'il a pris l'initiative de solliciter un plaider-coupable. A plusieurs reprises ensuite, et notamment devant le juge chargé d'homologuer l'accord, il a affirmé qu'il était d'accord et ne subissait aucune pression. Enfin, dès lors que la peine ne peut être prononcée qu'avec le consentement du prévenu, il n'est pas anormal que la décision d'homologation ne puisse faire l'obet d'un appel. Aux yeux de la Cour, consentir à un plaider-coupable revient à renoncer au droit d'appel. Selon une jurisprudence constante, rappelée dans l'arrêt Krombach c. France du 13 février 2001, les Etats conservent d'ailleurs une grande latitude dans l'organisation concrète du double degré de juridiction.
Ces conditions une fois posées, la Cour admet l'application du plaider-coupable par les juges géorgiens. Mais c'est aussi la conformité à la Convention européenne des droits de l'homme de cette procédure qui est ainsi consacrée.
Le droit français et la loi Perben II
La décision n'est certainement pas sans conséquence pour le droit français. Le plaider-coupable a été introduit dans notre système juridique sous nom de "comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité" par la loi du 9 mars 2004, la même année qu'en Géorgie. Dix ans après, même si les critiques se sont atténuées, la méfiance à l'égard de cette procédure demeure réelle, tant il est vrai qu'elle semble privilégier la rapidité de la justice au détriment de la défense et du droit d'être jugé dans la sérénité.
Observons tout de même que le plaider-coupable à la française ne concerne pas toutes les infractions, même si la loi du 13 décembre 2011 en a étendu le champ. Exclue en matière criminelle, elle s'applique désormais à tous les délits, à l'exception des délits de presse, des homicides involontaires (art. 495-7 cpp), des atteintes à l'intégrité des personnes et des agressions sexuelles punies d'une peine supérieures à cinq d'emprisonnement.
La procédure suivie en France est à l'évidence conforme aux exigences posées par la Cour européenne. En effet, l'intéressé demande lui même le bénéficie de cette procédure, dans une pièce écrite où figure également sa reconnaissance de culpabilité. Dans sa décision du 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel a d'ailleurs exigé que l'intéressé reconnaisse "librement et sincèrement" être l'auteur des faits, ce qui signifie que les juges sont fondés à vérifier le caractère éclairé de son consentement. La proposition de peine formulée par le procureur, et acceptée par l'intéressé, est ensuite homologuée par un juge du siège dans une audience publique. Cette décision peut être frappée d'appel, mais la cour d'appel ne peut prononcée une peine plus élevée que celle approuvée par le juge de l'homologation.
Un instrument de rigueur budgétaire
Le droit français est donc plus protecteur que le droit géorgien, précisément dans la mesure où il autorise l'appel, y compris à l'initiative de la victime. Doit-on en déduire que le plaider-coupable est désormais une procédure incontestable et parfaitement intégrée dans notre droit ? A dire vrai, on n'en sait rien, car il n'existe guère de bilan, après dix années de mise en oeuvre. Certes, le plaider-coupable est désormais très utilisé, mais on peut s'interroger sur les raisons de son succès. S'agit-il de rendre une justice de proximité permettant au coupable de mieux prendre conscience de la faute commise ? S'agit-il de mettre en place une forme de taylorisme de la justice permettant de gérer une délinquance qui s'accroit ? S'agit-il plus prosaïquement de faire des économies en évitant autant que possible de coûteux procès devant le tribunal correctionnel ? Sur ce point, le plaider coupable apparaît d'abord comme une tentative pour concilier bonne administration de la justice et rigueur budgétaire.
mardi 6 mai 2014
Accès au dossier durant la garde à vue : la guerre des lobbies
Statut du suspect
Information du gardé à vue
Un conflit de lobbies
Car, contrairement à ce qu'affirment les avocats, la communication du dossier dès le début de la garde à vue ne trouve aucun fondement sérieux dans le droit positif.
Aucun fondement dans le droit positif
Le droit européen
Selon que vous serez puissant ou misérable...
samedi 3 mai 2014
Le tweet en procès
Tout cela s'est bien mal terminé pour ces joyeux magistrats dont le manège a été dévoilé par un journaliste. Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), saisi dans le cadre de poursuites disciplinaires, propose le déplacement d'office pour l'avocat général et inflige une réprimande à l'assesseur.
Deux modes de sanction
Quoi qu'il en soit, ces deux procédures disciplinaires ont suscité une incroyable réaction sur les réseaux sociaux, surtout sur Twitter évidemment. Inutile de dire que le journaliste a été qualifié de vilain rapporteur. Quant aux deux magistrats, ils sont généralement présentés comme des martyrs de la liberté d'expression. Des mouvements de soutien se sont développés. Des avocats ont diffusé des plaidoiries médiatiques. Certains confrères courageux et n'ont pas hésité à menacer de twitter à leur tour leurs audiences, au risque d'aller croupir sur la paille humide des cachots. Que l'on se rassure, il s'agit évidemment de cachots virtuels.
Reste que l'affaire présente le double intérêt de montrer que la liberté d'expression n'est pas absolue et que Twitter est un média comme un autre, soumis aux mêmes règles et aux mêmes contraintes.
La liberté d'expression : une géométrie variable
Certes, la liberté d'expression est consacrée comme "l'un des droits les plus précieux de l'homme" par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Sa valeur constitutionnelle est réaffirmée régulièrement par le Conseil constitutionnel qui y voit une "garantie essentielle du respect des autres droits et libertés" depuis sa décision du 11 octobre 1984. De son côté, la Cour européenne des droits de l'homme, dans son arrêt Handyside c. Royaume Uni du 7 décembre 1976 en fait "l'un des fondements essentiels de la société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun".
Cette importance de la liberté d'expression dans une société démocratique est donc incontestable et incontestée. Comme est incontestable l'affirmation, tout aussi nette, qu'elle peut faire l'objet de limitations et de restrictions. D'une manière générale, le droit positif consacre ainsi une liberté d'expression à géométrie variable. Selon les lieux tout d'abord, car on ne s'exprime avec la même liberté dans un prétoire et à la buvette. Selon les fonctions exercées, et certaines personnes sont soumises à certaines restrictions, dans les mesures où elles participent à une mission régalienne, armée, police ou justice.
Ces restrictions doivent être prévues par la loi. Dans sa décision du 27 juillet 1982, le Conseil constitutionnel précise ainsi que la liberté d'expression doit être conciliée avec les objectifs de valeur constitutionnelle que sont notamment "la sauvegarde de l'ordre public et le respect de la liberté d'autrui".
Au regard de la liberté d'expression, Twitter est un média ordinaire et les limitations s'y appliquent dans les conditions du droit commun. La loi du 21 juin 2004 sur l'économie numérique définit ainsi la "liberté de communication au public par voie électronique" et pose en principe que les règles de la liberté d'expression s'appliquent sur internet, comme sur n'importe quel autre support.
Edgar Stoebel 1901-2001 L'oiseau bleu |
Le devoir de réserve
Défini par l'ordonnance du 22 décembre 1958, le statut de la magistrature énonce, dans son article 6, que tout magistrat entrant en fonctions prête serment "de bien et fidèlement remplir ses fonctions (...) et de se conduire en tout comme un digne et loyal magistrat". L'article 10 de cette même ordonnance interdit ensuite toute démonstration de nature politique, considérée comme incompatible avec "la réserve que leur impose leurs fonctions".
Le devoir de réserve impose aux magistrats de faire preuve de mesure dans l'expression écrite et orale de ses opinions à l'égard des usagers du service publics de la justice, mais aussi à l'égard des autres magistrats. Le recueil des obligations déontologiques des magistrats, diffusé en 2010 par le CSM, affirme ainsi que "dans son expression publique, le magistrat fait preuve de mesure, afin de ne pas compromettre l'image d'impartialité de la justice, indispensable à la confiance du public". La Cour européenne des droits de l'homme ne raisonne pas autrement, lorsqu'elle affirme, dans son arrêt Wille c. Liechtenstein du 28 octobre 1999, que l'"on est en droit d'attendre des fonctionnaires de l'ordre judiciaire qu'ils usent de leur liberté d'expression avec retenue chaque fois que l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire sont susceptibles d'être mis en cause".
Cette obligation ne concerne pas le contenu des opinions qui, bien entendu demeurent parfaitement libres, mais leur expression. Elle s'applique à la fois dans le service et hors service. En l'espèce, il ne fait aucun doute que menacer, même pour rire, d'étrangler la Présidente de la Cour d'Assises constitue un manquement à l'obligation de réserve. Il suffit que le tweet soit public, ce qui est le cas puisque les comptes twitter des intéressés n'étaient pas verrouillés. Le fait qu'il ait été envoyé pendant l'audience ou à son issue est sans influence sur le manquement au devoir de réserve.
Les magistrats sont-ils des "lanceurs d'alerte" ?
Les soutiens des magistrats twitteurs ont fait observer, et ils ont raison sur ce point, que les réseaux sociaux sont utilisés pour faire connaître la réalité du monde administratif ou judiciaire, en quelque sorte pour dénoncer injustices ou dysfonctionnements. Dans ce cas, il serait peut-être possible d'estimer que ces tweets contribuent au "débat d'intérêt général" au sens où l'entend la Cour européenne lorsqu'elle admet la publications de conversations téléphoniques enregistrées à l'insu des personnes, dans le but de dénoncer des pratiques de corruption (CEDH, 19 décembre 2006, Radio Twiste c. Slovaquie).
La fausse protection du pseudonyme
La proportionnalité de la sanction
mardi 29 avril 2014
Open Data et protection des données personnelles
Sur un plan plus institutionnel, l'Open Data est aujourd'hui une politique publique coordonnée par Etalab, un service du Premier ministre chargé de la mettre en oeuvre, à travers un portail spécifique, data.gouv.fr.
La Commission des lois du Sénat a publié, le 16 avril 2014, un rapport d'information sur l'Open Data, qui offre un bilan de cette démarche de transparence. Les rapporteurs, Gaëtan Gorce (PS) et François Pillet (UMP) suggèrent la mise en oeuvre d'un Open Data plus respectueux des données personnelles, ce qui implique une évolution véritable de sa gouvernance.
Un produit d'importation
Le problème est que cette conception de l'information est surtout répandue dans le monde anglo-saxon. En Europe, et plus particulièrement en France, le droit a toujours admis des restrictions à la liberté d'information dans le but de protéger les données personnelles. On constate d'ailleurs que la loi du 17 juillet 1978 a été précédée de quelques mois par la loi du 6 janvier 1978, qui affirme que chacun a droit à la protection des données personnelles le concernant. Il peut y avoir accès, et exercer un droit de rectification si elles sont erronées, voire de suppression si leur conservation n'est plus pertinente ou attentatoire à sa vie privée.
La situation actuelle est donc celle d'un conflit entre deux tendances. D'un côté, une conception anglo-saxonne de l'Open Data, largement relayée par les internautes qui considère que les données sur le web appartiennent à tout le monde. D'autre part, une conception européenne qui vise à assurer un équilibre aussi harmonieux que possible entre la circulation de l'information et la protection des données personnelles.
Le cadre juridique
Le droit français offre donc un cadre juridique à l'Open Data, avec les lois des 6 janvier et 17 juillet 1978. Certains peuvent considérer que ces textes sont anciens, en tout état de cause antérieurs au développement d'internet. Il n'en demeure pas moins que les trois garanties par ces textes en matière de données publiques demeurent largement d'actualité.
La première garantie réside dans l'interdiction du stockage de données personnelles, sauf exceptions lorsqu'il y a consentement de l'intéressé, obligation légale de publication ou encore anonymisation des données publiées. Ce dernier élément constitue aujourd'hui le pilier essentiel du droit de l'Open Data. Encore doit-on observer qu'il s'agit là d'une procédure coûteuse. L'article 40 du décret du 30 septembre 2005 dispense donc l'administration de cette anonymisation lorsque cette opération entraîne des "efforts disproportionnés". Dans ce cas, les pièces demandées ne sont pas communiquées.
La seconde est constituée par les procédures imposées par la loi du 6 janvier 1978, qui impose l'autorisation de la CNIL pour les traitements de données personnelles. Ces dernières ne peuvent être conservées qu'en respectant le principe de loyauté et en recueillant le consentement de l'intéressé. Par les formalités préalables à la création d'un fichier de données publiques, la CNIL est en mesure de contrôler le respect de ces garanties.
Enfin, la troisième et dernière garantie réside dans l'existence même du pouvoir de sanction de la CNIL. Dans l'hypothèse d'une réutilisation des données non conforme à la loi de 1978, et notamment d'une divulgation illicite de données personnelles, la Commission peut prononcer des sanctions administratives, et même saisir le juge pénal qui peut prononcer des peines allant jusqu'à 100 000 € d'amende et trois années d'emprisonnement (art. 226-22-6 c. pén.).
Ce dispositif juridique a le mérite d'exister, mais le rapport du Sénat insiste sur son indispensable évolution. Aux difficultés techniques s'ajoute en effet la nécessité d'établir une doctrine française en matière d'Open Data et d'imposer une nouvelle gouvernance dans ce domaine.
Les obstacles techniques
Le rapport du Sénat insiste sur le fait que l'anonymisation des données n'est plus une technique infaillible pour empêcher la diffusion d'informations personnelles. Différentes méthodes permettent aujourd'hui de "ré-identifier" des données anonymisées, voire de les croiser pour obtenir d'autres éléments de la vie privée. Le rapport Bras-Loth de 2013 sur l'utilisation des données de santé montre ainsi que 89 % des patients ayant été hospitalisés en 1989 peuvent être identifiés avec le seul croisement des informations suivantes : l'hôpital d'accueil, le code postal du domicile, le mois et l'année de naissance, le mois de sortie et la durée du séjour. Ce chiffre atteint 100 % si le patient a été hospitalisé deux fois la même année.
Une doctrine nouvelle de protection des données
Le rapport sénatorial montre la nécessité d'imposer une doctrine nouvelle, reposant sur la conciliation entre le principe de mise à disposition des données et celui de protection des données personnelles. Cette rupture complète par rapport aux principes développés par les juristes anglo-saxons doit être assumée.
Pour les rapporteurs, la doctrine de l'Open Data "à la française" est donc, avant tout, une doctrine de la protection des données personnelles. Sur ce point, la "Privacy in Design", c'est à dire l'intégration de la préoccupation de respect de la vie privée dès la construction de la base de données, n'est certainement pas inutile. Cette approche préventive ne saurait cependant être suffisante, et elle doit s'accompagner d'une évaluation au cas par cas des projets de réutilisation des données. Le rapport suggère en conséquence de confier à la CNIL le soin d'apprécier ces projets et d'assurer une veille dans ce domaine.
Encore faut-il que les règles gouvernant l'Open Data soient connues et appliquées, ce qui pose le problème de la gouvernance en ce domaine.
Une gouvernance de l'Open Data
Le rapport sénatorial dresse un bilan relativement sévère de la gouvernance de l'Open Data. Le service Etalab n'a qu'un rôle de coordination, mais chaque administration demeure finalement libre d'avoir sa propre politique dans ce domaine. Le résultat est que certaines ont donné une impulsion forte, et que d'autres se sont désintéressées de cette question. Il est donc indispensable de développer le pilotage et l'accompagnement en matière d'Open Data. Cet effort devrait permettre, en même temps, de diffuser des règles de bonnes pratiques en matière de protection des données.
Le rapport sénatorial semble marqué au coin du bon sens, tant il est vrai que la transparence des données publiques et le secret de la vie privée sont des impératifs en apparence contradictoires. Le droit doit donc rechercher un équilibre, et mettre en place les règles et procédures destinées à le garantir.
Il n'en demeure pas moins que les partisans d'une ouverture totale des données publiques vont certainement s'offusquer d'une doctrine qui réintroduit un certain contrôle dans un espace virtuel qu'ils voudraient entièrement libre. Comme dans d'autres domaines, l'Open Data témoigne ainsi de la fin d'un internet libertaire, dans lequel les données de chacun sont les données de tous. On assiste aujourd'hui à une réintroduction du droit dans un espace qui rejetait toute contrainte juridique. Si nous voulons que le droit au respect de la vie privée demeure une liberté effective, il n'y a pas d'autre solution.