Le 1er août dernier, le professeur Serge Sur, intervenant comme Invité de LLC, a publié un article intitulé "De la permanence de l'esprit canular chez les Normaliens, ou l'affaire Trayvon Martin racontée à Suzette", commentaire d'un article publié dans Le Figaro du 26 juillet, signé de Messieurs Romain Zamour et Charles Merveilleux du Vignaux et intitulé "En Floride, la légitime défense n'est pas un "permis de tuer". Ces derniers ont demandé l'exercice du droit de réponse, que nous leur avons bien volontiers accordé et que nous publions ci dessous.
L'article initial du Figaro, à l'origine de cette disputatio, est publié sous le présent droit de réponse, en commentaire. Les lecteurs de LLC sont donc ainsi en mesure de prendre connaissance de l'ensemble des documents utiles.
Consulté, le professeur Sur nous indique que, pour ce qui le concerne, le débat est clos.
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Le 1er août, le
blog Liberté, Libertés chéries, a
publié un pamphlet signé par un éminent professeur émérite, M. Serge Sur. Dans
ce pamphlet, M. Sur s’attaque à un article que nous avons publié dans Le Figaro du vendredi 26 juillet,
intitulé En Floride, la légitime défense
n’est pas un « permis de tuer ». Les références littéraires et
les traits d’esprit de M. Sur font parfois sourire. Dans ce texte, nous nous
contentons de répondre au noyau rationnel de son pamphlet.
Ce noyau est
constitué de quatre thèses.
Premièrement,
notre article est de mauvaise foi, car nous nous attaquons à un ennemi
imaginaire : la critique de Stand Your
Ground.
Deuxièmement,
notre article prouve le contraire de ce que son titre énonce ; à cause du
mécanisme de la charge de la preuve, le droit de la légitime défense en Floride
est un « permis de tuer ».
Troisièmement, ce
n’est pas George Zimmerman qui était en état de légitime défense, mais Trayvon
Martin.
Quatrièmement,
notre article présente en fait une thèse cachée : « le droit
américain [est] tellement supérieur au nôtre ».
Ces quatre thèses
sont fausses.
Dans notre article
du vendredi 26 juillet, nous nous attaquons à la thèse selon laquelle Stand Your Ground (« Faites
face ») est la clef de voûte de l’affaire et du droit de la légitime
défense en Floride. On le sait, ce type de loi permet à une personne en état de
légitime défense de faire face à la menace, alors même qu’elle a la possibilité
de fuir en toute sécurité. Le titre de notre article fait écho à un article de
M. Philippe Bernard, publié dans Le Monde
du vendredi 19 juillet et intitulé La
Floride et son « permis de tuer ». Dans cet article, M. Bernard
affirme que Stand Your Ground « exonère
de poursuites quiconque aura défendu son droit de demeurer là où il se trouve ».
Selon M. Bernard, c’est Stand Your Ground
qui « a enclenché l'engrenage de l’acquittement ». Cette erreur n’est
pas propre à la France : dans son discours du vendredi 19 juillet sur
l’affaire, le Président Obama a lui aussi mis en cause Stand Your Ground, qui n’a pourtant joué aucun rôle dans
l’acquittement. Ainsi, notre argument ne consistait pas à « s’emparer d’un
argument latéral pour détruire la thèse principale », comme le dit M. Sur.
Notre argument visait une contre-vérité réelle et cherchait à clarifier les
termes d’un débat qui méritait d’avoir lieu, mais qui n’avait été jusqu’à
présent qu’un dialogue de sourds.
En deuxième lieu,
M. Sur a raison d’affirmer que l’élément décisif de l’affaire n’était pas Stand Your Ground, mais bien la question
de la charge de la preuve. Il a tort lorsqu’il affirme que la distribution de
la charge de la preuve transforme le droit de la légitime défense en
« permis de tuer ».
En Floride et dans
tous les autres Etats américains sauf un, c’est au procureur de prouver que les
conditions d’exercice de la légitime défense ne sont pas réunies, et ce sans
laisser subsister de doute raisonnable. Ce principe est un corollaire de la
présomption d’innocence, telle qu’elle est comprise aux Etats-Unis. Il est faux
d’affirmer, comme le fait M. Sur, qu’il « appartient à la victime de prouver
qu’elle est bien victime » : aux Etats-Unis, la victime n’a rien à
prouver, car elle n’est pas partie au procès pénal. Lorsqu’elle est morte et
que l’accusé se prévaut de la légitime défense, elle n’est pas là pour
contredire la version des faits que l’accusé propose. Cela rend la tâche du
procureur difficile, mais pas impossible. Cette difficulté est propre à tous
les cas d’homicide : la victime n’y est jamais présente, et l’accusation
doit toujours combattre une version des faits présentée par l’accusé seul.
Faudrait-il alors parler de « permis de tuer » dans tous ces
cas ? L’absence au procès de la victime d’un meurtre n’a jamais
catégoriquement empêché les procureurs de faire condamner les coupables, car
ils ont le plus souvent accès à d’autres moyens de preuve que les témoignages
de l’accusé et de la victime : témoignages de tiers, enregistrements de
conversations téléphoniques, extraits de vidéosurveillance. Sans compter que
l’interrogatoire de l’accusé à l’audience permet au procureur de le décrédibiliser.
La distribution de
la charge de la preuve avantage donc l’accusé, mais en aucun cas ne l’immunise.
Elle ne fait pas de la légitime défense un « permis de tuer ».
En troisième lieu,
M. Sur suggère que ce n’est pas Zimmerman qui était en état de légitime
défense, mais Martin ; que l’agresseur était Zimmerman. Il fait écho à M.
Bernard, qui déjà dans son article du Monde
affirmait : « Comme si George Zimmerman jouissait d'un droit à la
légitime défense dont Trayvon Martin ne disposait pas. »
Il est exact qu’en
Floride « l’agresseur initial » ne peut généralement pas se prévaloir
de la légitime défense. Selon Gibbs v.
State, une décision de la quatrième division de la Cour d’appel de Floride
datant de 2001, l’accusé n’est « agresseur initial » que s’il commet
une infraction ou provoque la victime par « force ou menace de
force ». Dans l’affaire, le procureur a tenté d’argumenter que Zimmerman était
l’agresseur initial. Le juge a refusé de poser une question au jury sur ce
point : il a considéré que le simple fait de suivre une personne n’est ni
infraction, ni force, ni menace de force. La question n’est donc pas de savoir
si Martin « a pu se sentir menacé », comme le dit M. Sur, mais bien
si le simple fait de suivre une personne constitue une menace de force au
regard du droit. La réponse est non, et heureusement. La liberté de mouvement
est à ce prix.
Enfin, d’après M.
Sur, le but secret de notre article serait d’exalter la procédure accusatoire
du droit américain, aux dépens du système français et de sa procédure
inquisitoire.
Notre propos était
tout autre : nous entendions présenter de manière claire et objective le
droit de la légitime défense appliqué en Floride. Ambition bien modeste,
assurément, et proportionnée aux connaissances limitées de « deux jeunes
Normaliens », comme dit M. Sur. Bien loin de prendre fait et cause pour le
système accusatoire américain, nous écrivons même qu’ « il est légitime
d’être choqué par un droit de la légitime défense qui heurte notre conception
de la proportionnalité et de la charge de la preuve ». Quant à comparer
les mérites respectifs des procédures pénales américaine et française, voilà
une tâche bien ardue, que nous laissons à des auteurs mieux versés que nous
dans les arcanes des deux systèmes.
M. Sur grandit
donc la portée de notre réflexion, ce qui n’étonne guère de la part d’un
professeur émérite, habitué aux débats élevés. Ce faisant il se rend lui-même
coupable du crime dont il nous accusait : il crée un adversaire imaginaire
et s’ingénie à le pourfendre. Il a vu dans notre article une occasion de
combattre l’influence de la procédure accusatoire et de défendre le système
judiciaire français, auquel tout comme lui nous tenons. Son combat, il le livre
aux mauvaises personnes : expliquer le droit de la Floride n’est pas se faire
le suppôt de l’impérialisme juridique américain.
Dans son pamphlet,
le professeur émérite bâtit un épouvantail puis s’efforce de le pourfendre. En
chemin, il sème imprécisions et erreurs. Alors même que la position qu’il
attaque n’est bien souvent pas la nôtre, nous nous sommes efforcés dans cette réponse
de corriger les erreurs de M. Sur. « Deux jeunes Normaliens »
qui corrigent les erreurs d’un « professeur émérite » ? En voilà
« une bonne blague ».
Romain Zamour
ENS et diplômé de
la Yale Law School
Charles
Merveilleux du Vignaux
ENS et élève
avocat à l’Ecole de Formation du Barreau