La puissance des cellules-souches
A dire vrai, le débat sur la question des cellules-souches est presque aussi ancien que le premier bébé éprouvette, Amandine, née en 1982 d'une fécondation in vitro réalisée par le Docteur René Frydman. La fécondation in vitro est utilisée pour aider les couples qui rencontrent des difficultés de fécondation, mais dont la femme peut, sans difficultés particulières, porter un enfant. On va donc créer un embryon en éprouvette avant de le réimplanter dans l'utérus de la femme du couple demandeur, et c'est elle qui mènera la grossesse à son terme. Sur le plan génétique, toutes les combinaisons sont possibles : l'enfant peut être biologiquement celui du couple demandeur, mais il peut aussi être le résultat d'un don de sperme ou d'ovule, voire d'un double don. Quoi qu'il en soit, cette technique se traduit souvent par la création d'embryons en nombre supérieur par rapport à ceux qui seront effectivement réimplantés. Ces "embryons surnuméraires" sont donc congelés et réutilisés par le couple, s'il désire d'autres enfants. Lorsque le couple renonce à son projet parental, ces embryons font quelquefois l'objet d'un don à un couple infertile. Si tel n'est pas le cas, ils doivent, en principe, être détruits à l'issue d'un délai de cinq ans (art L 2141-4 csp).
Les chercheurs s'intéressent beaucoup à ces embryons qui ont, il convient de le préciser, entre cinq et sept jours. En effet, ils sont composés d'un ensemble de "cellules souches", particulièrement précieuses pour la recherche scientifique. En schématisant quelque peu, on peut définir la "cellule souche" comme une cellule non différenciée qui a pour fonction d'engendrer d'autres cellules. Cette capacité suscite de grands espoirs en matière médicale, notamment pour la thérapie génique. Si les cellules souches ne sont pas tout à fait absentes chez l'adulte, par exemple dans la moelle osseuse, elles y sont moins puissantes que chez l'embryon. Les cellules embryonnaires sont "pluripotentes", ce qui signifie qu'elles sont susceptibles de former tous les tissus de l'organisme, sans pour autant aboutir à la formation d'un individu complet. Les chercheurs estiment ainsi que ces cellules embryonnaires devraient permettre de formidable progrès dans le traitement de certaines maladies, comme la dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) ou la maladie d'Alzheimer.
Encore faut-il pour cela avoir le droit d'effectuer de telles recherches, et cette autorisation est précisément l'objet de la loi du 6 août 2013.
Génétique. Dessin de Puig Rosado |
Ce texte met fin à une certaine hypocrisie de la loi dans ce domaine. La loi de bioéthique du 6 août 2004 posait en effet un principe d'interdiction de la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Mais elle l'accompagnait de la possibilité d'y déroger, "à titre exceptionnel", avec l'accord du couple concerné, lorsque les recherches envisagées "sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs" et qu'aucune méthode alternative ne peut être envisagée, en l'état des connaissances scientifiques. Ce régime dérogatoire ne devait s'exercer que durant cinq années, mais la loi bioéthique du 7 juillet 2011 a maintenu ce statu quo sans susciter un réel débat sur le sujet.
La loi de 2013 inverse totalement le principe. On passe de l'interdiction, sauf exception, à l'autorisation étroitement encadrée. Il ne s'agit évidemment pas d'autoriser n'importe quelle recherche, et le législateur maintient la condition imposée en 2004, selon laquelle seules seront autorisées les recherches qui ne peuvent pas être développées par d'autres moyens. De même, l'accord du couple à l'origine de la création de ces embryons est toujours exigé par la loi. Ces conditions sont contrôlées par l'Agence de la biomédecine qui donne l'autorisation de recherche, en appréciant évidemment les objectifs de la recherche et les compétences de ceux qui l'entreprennent.
Ce régime d'autorisation présente l'avantage de mettre fin à une hypocrisie législative, qui reposait sur la recherche d'un équilibre entre les aspirations légitimes des chercheurs et les réticences des milieux catholiques qui considèrent qu'un embryon de cinq jours est déjà une personne humaine. Mais il s'agit là d'un argumentaire difficilement défendable devant le Conseil constitutionnel : par hypothèse, les embryons sur lesquels ces recherches sont autorisées ne donneront jamais lieu à un projet parental, soit parce que techniquement ils ne peuvent pas être réimplantés, soit parce que le couple ne le souhaite pas. Ils ne deviendront donc jamais des personnes humaines. Le recours s'est donc fondé sur des arguments plus classiques, facilement écartés par le Conseil. Il a ainsi observé que les garanties prévues par la loi lors de la délivrance des autorisations ne portent pas atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne. Elles sont en outre suffisamment claires pour répondre aux exigences de clarté et de lisibilité de la loi.
Débarrassés d'entraves qui n'avaient pas d'autre origine que religieuse, les scientifiques français vont donc pouvoir développer des recherches dans des domaines porteurs de grands espoirs et reprendre la place qui est la leur dans un secteur extrêmement concurrentiel. Il est juste temps, car les chercheurs des autres pays, ont pu, quant à eux, avancer leurs travaux sans être entravés par la loi de leur propre pays et par les préjugés des uns ou des autres.