Andrzej Wajda. Danton. 1983 Gérard Depardieu, dans un rôle de composition |
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« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
lundi 17 décembre 2012
La citation du jour : Danton, l'exil et la patrie
dimanche 16 décembre 2012
Droit de porter des armes et universalité des droits de l'homme
A chaque fois, le débat s'engage aux Etats Unis sur le droit de porter des armes, garanti par le second Amendement à la Constitution américaine : "Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un Etat libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé". De plus en plus nombreux sont ceux qui contestent un système juridique qui autorise le libre achat et la libre circulation des armes. Mais ils se heurtent à un lobby très puissant incarné par la célèbre National Rifle Association (NRA). Ce lobby n'est pas sans arguments juridiques. Il s'appuie au contraire sur une jurisprudence constante qui fait du droit de porter des armes un "droit constitutionnel" (Constitutionnal Right) auquel le législateur, qu'il soit fédéral ou d'un Etat fédéré, ne saurait porter atteinte.
Hobbes et le Far West
Cette perception du port d'armes comme un droit trouve son origine dans la tradition qui veut que la défense du régime constitutionnel repose sur le citoyen américain lui-même. La vision est celle d'un état de nature inspiré de Hobbes, état de nature dominé par la violence, et dans lequel chacun doit assurer sa propre sécurité. L'Amérique d'aujourd'hui revendique ainsi l'héritage du Far West. A une époque où les frontières n'étaient pas nettement délimitées et où la police était peu développée, il était logique de faire du maintien de l'ordre l'affaire de la communauté, et d'autoriser chacun à porter une arme. De la nécessité de garantir la sécurité, le port d'armes s'est cependant peu à peu transformé en un droit politique.
Du droit de résistance à l'oppression...
A l'origine, il s'agissait de protéger les droits du citoyen, de lui permettre de résister à l'oppression, et d'y résister collectivement par l'organisation de milices ou de gardes nationales. Le Second Amendement est directement inspiré du Bill of Rights britannique de 1689 qui énonce que "les sujets protestants peuvent avoir pour leur défense des armes conformes à leur condition et permises par la loi". Ce droit, comme les autres garantis par le Bill of Rights, est accordé "aux fins d'aviser à ce que la religion, les lois et les libertés ne pussent plus être en danger d'être renversées". En Angleterre, il s'agit de lutter contre le despotisme des Stuart, aux Etats Unis, il s'agit de lutter contre toute menace, extérieure ou intérieure, susceptible de porter atteinte au régime. Madison, l'auteur du Second Amendement, le présente d'ailleurs comme le contrepoids à une éventuelle tyrannie.
Helder Battista. Né en 1964. Second Amendement Sculpture |
... Au droit à l'autodéfense
Depuis cette période, les esprits ont changé. Le droit de porter des armes n'a plus aucun caractère collectif, même si certains citoyens n'hésitent pas à l'invoquer pour constituer des milices destinées à protéger leur quartier contre des menaces sécuritaires, réelles ou imaginaires. Il est aujourd'hui revendiqué comme un droit individuel à l'autodéfense. Ce n'est plus l'agression d'un Etat despotique qui est redoutée, c'est celle d'un individu. Le droit de porter les armes n'est plus un droit du citoyen, mais un droit de la personne.
Dans une décision United States v. Cruikshank de 1875, la Cour Suprême a entériné cette évolution. A propos d'un massacre d'esclaves libérés commis en Louisiane par des membres du Klu Klux Klan, la Cour énonce que le port d'armes est un droit dont est titulaire chaque citoyen des Etats Unis, y compris les anciens esclaves. Une solution favorable à la défense des victimes de ces massacres, si ce n'est que la Cour ajoute que les membres du Klan qui veulent interdire aux anciens esclaves de porter des armes ne peuvent pas être poursuivis sur le fondement du Second Amendement. Il protège en effet contre les violations du droit de porter des armes par le législateur, mais pas par les personnes privées.
Depuis cette date, la jurisprudence n'a guère évolué. Certes, la hausse de la criminalité a suscité l'adoption d'une série de lois fédérales destinées, non pas à interdire la possession d'armes, mais à la limiter. Dans un premier temps, on a développé l'idée selon laquelle l'armement devait être interdit aux "classes dangereuses". En témoignent les "Codes noirs" mis en place dans le Sud après la Guerre de Sécession, qui interdisaient le port d'armes aux anciens esclaves. Mais cette démarche a rapidement été censurée par la Cour Suprême, précisément dans l'arrêt Cruikshank. Aujourd'hui, il n'est plus de mise de porter le discrédit sur certaines catégories de population, et le législateur préfère contrôler la vente de certaines armes, jugées particulièrement dangereuses et inadaptées aux exigences de la défense de l'individu. Le National Firearms Act de 1934 soumettait ainsi à un contrôle très strict l'achat d'armes automatiques, particulièrement appréciées par les gangs de la Prohibition. De même le Gun Control Act de 1968 interdit la vente d'armes de guerre importées. Actuellement, le débat se développe sur l'interdiction éventuelle des armes semi-automatiques (assault rifles) considérées comme particulièrement meurtrières. En tout état de cause, la Cour Suprême sanctionne toujours l'initiative d'un Etat fédéré qui s'aventurerait à interdire la détention d'arme. Le District of Columbia, qui avait prohibé la détention d'armes de poing dans un domicile privé, a été ainsi sanctionné par la Cour Suprême, dans l'arrêt D.C. v. Heller de 2008.
Dans ces conditions, il y a bien peu de chances immédiates que la jurisprudence évolue. Et le Président Obama, dont on stigmatise l'abstention, ne peut rien y changer. Tout au plus peut il envisager une loi restreignant encore l'usage de certains armements. Mais elle serait probablement, inefficace, impopulaire, et évidemment combattue par la NRA très puissante, comme les industriels de l'armement qui tirent des ressources substantielles de ce marché. Le site internet de Walmart montre ainsi qu'il est possible d'acheter des armes par internet, en toute simplicité, en même temps que les Corn Flakes ou le nouveau canapé du salon. Ce droit d'acheter des armes, de les détenir dans sa maison, même si le risque est grand que les enfants s'en emparent, apparaît solidement ancré dans le système américain.
En France, un droit de la méfiance
Le contraste est saisissant, par rapport à un droit français qui s'est toujours montré très méfiant à l'égard des armes. Son port n'a jamais été considéré comme un droit ou une liberté publique, au sens de l'article 34 de la Constitution. Les armes sont en fait l'objet d'une police administrative, qui va de l'interdiction pure et simple pour les matériels de guerre au régime d'autorisation ou de déclaration pour les autres armes. La loi du 6 mars 2012 a simplifié ce régime juridique, en définissant quatre catégories d'armes classées en fonction de leur dangerosité. La vente libre est limitée aux armes de foire, aux armes historiques ou objets de décoration. Les armes de chasse sont en général soumises à déclaration. Enfin, toutes les armes, armes de poing ou armes de guerre, font l'objet d'une interdiction de principe, accompagnée de la possibilité de solliciter une autorisation de détention, accordée dans des cas précis après une véritable enquête administrative.
La différence entre les deux régimes juridiques, américain et français, saute aux yeux et suscite la réflexion. N'est il pas d'usage aujourd'hui de louer l'universalisme des droits de l'homme, qui suppose l'adoption d'un véritable standard commun dans ce domaine ? N'est il pas d'usage de considérer que la France et les Etats Unis sont les deux grand pays des droits de l'homme, ceux qui ont adopté, à peu près en même temps des textes à valeur universelle ? Et on loue volontiers la proximité aussi bien historique qu'idéologique entre la Déclaration française de 1789 et les Amendements à la Constitution américaine adoptée en 1791.
Et pourtant, la liberté d'expression n'a pas le même contenu en France et aux Etats Unis, ces derniers continuent à pratiquer la peine de mort et à consacrer le droit de porter des armes. Autant d'éléments qui montrent que l'universalisme des droits de l'homme est, avant tout, un discours sur les droits de l'homme. Il relève de l'idéologie et de la rhétorique mais pas du droit positif. C'est bien triste, mais Charles Péguy affirmait justement "qu'il faut dire tristement la vérité triste".
vendredi 14 décembre 2012
Eloignement des étrangers en Guyane : fin du régime d'exception ? ?
Guyane. Le pont sur l'Oyapock. Frontière avec le Brésil |
mardi 11 décembre 2012
L'Elysée et la séparation des pouvoirs : Plus c'est gros, plus ça passe !
samedi 8 décembre 2012
Les avocats contre Tracfin : la guerre est-elle finie ?
Le droit à un juste procès
Dans un premier temps, les avocats ont invoqué l'intérêt de leurs clients. Les avocats belges ont directement contesté les directives européennes. A leurs yeux, le droit à un juste procès était directement atteint par ces nouvelles dispositions, qui brisent la confiance entre l'avocat et son client, construite précisément sur la garantie que les confidences de ce dernier sont protégées par un secret absolu.
Cet argument a été balayé par la Cour de justice de l'Union européenne, dans une décision du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone. La Cour rappelle à ceux qui n'auraient pas bien lu les textes communautaires que la déclaration de soupçon ne s'impose aux avocats que "dans la mesure où ils assistent leur client dans la préparation ou la réalisation de certaines transactions essentiellement d'ordre financier et immobilier". C'est donc la fonction de conseil qui est directement visée par les directives européennes, et soumise à la déclaration de soupçon. A contrario, toute activité qui se rattache à une procédure judiciaire, ou même qui a seulement pour objet de la prévenir, est déliée de cette contrainte.
Article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme
Renonçant à cet argument, notre requérant se replie sur les intérêts de la profession. Il invoque une violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit le droit de chacun à sa vie privée et familiale, son domicile et sa correspondance. Il s'appuie sur une jurisprudence de la Cour européenne, qui considère qu'il existe un espace privé pour la vie professionnelle (CEDH, 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne). Dans une décision du 26 avril 2002 Société Colas Est, la Cour affirme ainsi que le siège social et les locaux professionnels d'une entreprise bénéficient de la protection juridique attachée au domicile. Est également garantie la confidentialité des "communications privées", y compris dans le cadre professionnel (CEDH, 12 juin 2007, Frérot c. France).
Sur ce fondement, le requérant a d'abord contesté la légalité du règlement du Conseil national des barreaux du 12 juillet 2007 mettant en oeuvre la procédure de déclaration de soupçon et incitant les avocats à faire preuve dans ce domaine d'une "vigilance constante". Le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 23 juillet 2010, a rejeté le recours. Il considère que ce texte ne porte pas une atteinte excessive au secret professionnel et à la confidentialité des échanges avec le client, car il répond à des motifs d'intérêt public que sont la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Dans son arrêt Michaud, la Cour confirme la défaite des avocats pour des motifs très proches de ceux adoptés par le Conseil d'Etat dans son arrêt de 2010. Elle ne conteste en aucun cas l'ingérence dans la "vie privée" des cabinets d'avocats qu'entraîne cette déclaration de soupçon.
La Cour observe cependant que cette ingérence dans la vie privée est "prévue par la loi", au sens de l'article 8 al. 2 de la Convention. Les normes qui imposent la déclaration de soupçon sont suffisamment précises pour imposer une obligation de comportement, excluant notamment cette contrainte pour l'activité liée à une procédure juridictionnelle. Prévue par la loi, l'ingérence dans la vie privée répond aussi à un "but légitime", en l'espèce la lutte contre le blanchiment et le terrorisme. Se fondant directement sur l'arrêt du Conseil d'Etat de 2010, la Cour estime que, compte tenu du but ainsi poursuivi, l'atteinte au secret professionnel et à la confidentialité des relations avec le client n'est pas disproportionnée. Elle rappelle d'ailleurs que la déclaration de soupçon "ne touche pas à l'essence même de la mission de défense", puisqu'elle ne concerne que l'activité de conseil.
Le refus d'appliquer la loi
Cette décision constitue une lourde défaite pour le requérant et l'ensemble d'une profession qui présentait ce recours comme un combat en faveur de l'indépendance de la profession. Tracfin a gagné une bataille, mais a t il pour autant gagné la guerre ?
Les statistiques figurant dans le rapport 2011 de Tracfin, les plus récentes disponibles, révèlent surtout l'hostilité des avocats à cette procédure. Les notaires, également soumis au secret professionnel, également soucieux de garantir la confidentialité des échanges avec leurs clients, ont effectué 1069 déclarations de soupçon en 2011 (+ 59 % par rapport à 2010). Les avocats, en revanche, se caractérisent par "leur absence de participation au dispositif", formule très sévère dans un rapport officiel. C'est d'ailleurs le moins que l'on puisse dire, puisque Tracfin n'a reçu en 2011 qu'une seule et unique déclaration de soupçon émanant d'un avocat. Le rapport de Tracfin prend note que les avocats refusent purement et simplement d'appliquer la loi.
Les choses vont-elles changer après la décision de la Cour européenne ? On pourrait le penser, surtout si l'on considère l'unanimité de l'ensemble des juridictions appelées à se prononcer, Cour de justice de l'Union européenne, Conseil d'Etat, et Cour européenne. Toutes considèrent comme infondées les revendications des avocats.
Rien n'est moins sûr cependant, car la question est alors celle de la sanction. Le droit en vigueur prévoit que le pouvoir de sanction incombe à l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire. Imagine-t-on sérieusement les barreaux sanctionnant un des leurs pour le non respect d'une obligation rejetée par l'ensemble de la profession ? Cette intransigeance pourrait un jour agacer cependant un juge d'instruction. Il pourrait relire le code pénal, aux termes duquel le délit de blanchiment vise "le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit" (art. 324-1 al. 2 c. pén.). Une consultation juridique au profit d'une personne pratiquant le blanchiment pourrait alors être sanctionnée pour complicité.
jeudi 6 décembre 2012
Nationalisations et réquisitions : Sacré droit de propriété !
Le propos n'a rien de nouveau. La Constitution de 1795 n'affirmait-elle pas déjà que "c'est sur le maintien des propriétés que reposent (...) toutes les productions, tout moyen de travail, et tout l'ordre" social" (art. 8 des "devoirs" du citoyen). A l'époque, le droit de suffrage était d'ailleurs réservé aux propriétaires, notamment ceux qui avaient construit des dynasties bourgeoises sur l'achat de biens nationaux.