Le ministre du Logement, Cécile Duflot, n'exclut pas de réquisitionner certains logements vacants. C'est du moins
ce qu'elle a déclaré : "
S'il est nécessaire, je ferai appel à l'ensemble des moyens disponibles, la réquisition fait partie de cette panoplie". Comme il fallait s'y attendre, cette annonce a suscité l'enthousiasme de l'association Droit au Logement (DAL), et l'irritation des associations de professionnels de l'immobilier. Certains d'entre eux menacent même, si une telle mesure était adoptée, de faire un recours dans le but de déposer une question prioritaire de constitutionnalité.
Une pratique ancienne
La disposition qui serait alors contestée est l'ordonnance du 11 octobre 1945, aujourd'hui codifiée par l'
article L 641-1 du code de la construction et de l'habitation. Ce texte autorise le préfet, à la demande du service municipal du logement et après avis du maire, à procéder à la réquisition de logements vacants pour une durée d'un an renouvelable, en vue de les attribuer aux sans-logis. Ce texte a largement été utilisé, d'abord en 1945 après son adoption, lorsque le pays était confronté à la pénurie de logements, conséquence des destructions de la seconde guerre mondiale. Plus tard, la réquisition a de nouveau été utilisée, assez largement, durant la crise du logement des années soixante. Enfin, en 1995, après différents actions menées par l'association DAL, le gouvernement a réquisitionné 1200 logements vacants appartenant à des banques et compagnies d'assurance. Il est vrai que, dans ce dernier cas, l'action était surtout symbolique.
Aujourd'hui,
la loi du 29 juillet 1998 de lutte contre les exclusions vise plus directement les réquisitions de biens des investisseurs institutionnels. Dans leur cas, elle autorise des réquisitions qui peuvent s'étaler sur douze années, lorsque les logements sont vacants depuis plus de dix huit mois et nécessitent de gros travaux de remise en état.
Il est vrai que la constitutionnalité de l'article L 641-1 du code de la construction n'a jamais fait l'objet d'un contrôle de constitutionnalité. Ce dernier n'existait pas en 1945, et la QPC n'était pas ouverte aux propriétaires qui s'estimaient lésés par une telle mesure en 1960 ou en 1995. Il ne fait donc aucun doute qu'un recours contre des décisions de réquisitions actuelles pourraient donner l'occasion d'un contrôle de constitutionnalité.
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Utrillo. Maison de banlieue. 1911 |
Un droit absolu dans sa formulation
La
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 accorde certes une grande importance au droit de propriété, qualifié de "
naturel et imprescriptible" par l'article 2 et d'"
inviolable et sacré" par l'article 17. La célèbre
décision du 16 janvier 1982 rendue par le Conseil, à propos de la loi de nationalisation, affirme que ces dispositions de la Déclaration de 1789 ont "
pleine valeur constitutionnelle (...) en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue l'un des buts de la société politique, et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l'oppression". L'
article 544 du code civil ne fait que confirmer cette approche "absolutiste", en définissant le droit de propriété comme "
le droit de jouir et disposer des choses de la façon la plus absolue".
Le droit positif, et plus particulièrement le droit constitutionnel, n'a pas abandonné cette conception qui assimile le droit de propriété à l'exercice d'une véritable souveraineté sur une chose. Dans une
décision du 30 septembre 2011,
consorts M. et a., rendue sur QPC, le Conseil constitutionnel s'est ainsi prononcé sur les dispositions mêmes de l'article 544 du code civil. Saisi précisément par des associations militant pour le droit au logement, il a réaffirmé le droit du propriétaire de s'adresser au juge pour expulser les occupants sans titre d'un bien immobilier. Le droit de propriété implique donc, non seulement le droit de jouir de son bien, mais encore celui d'exclure les tiers de la jouissance de celui-ci.
Si l'on s'en tenait à ces définitions du droit de propriété, on pourrait certes considérer que la QPC dirigée contre la procédure de réquisition de logements vacants a quelques chances de prospérer. La réquisition ne consiste-t-elle pas à priver un propriétaire de l'exercice de son droit de propriété ? L'atteinte concerne d'ailleurs aussi bien l'
usus, défini comme le droit de jouir de son bien, que le
fructus, celui d'en percevoir les fruits et enfin l'
abusus, celui d'en disposer.
L'analyse est cependant beaucoup trop simple, car la définition absolutiste du droit propriété, perçu comme un fondement de la société libérale, s'accompagne d'un régime juridique beaucoup plus souple, qui admet de nombreuses restrictions à son exercice.
"Nécessité publique" et restrictions au droit de propriété
Ces limitations au droit de propriété figurent déjà dans le même article 17 de la Déclaration de 1789. Il admet qu'il peut être porté atteinte au droit de propriété en cas de "
nécessité publique légalement constatée et sous la condition d'une juste et préalable indemnité". Quant à l'article 544 du code civil, il consacre certes le droit de jouir de son bien, mais sous la réserve de ne pas en faire "
un usage prohibé par les lois ou les règlements." Dans sa
décision du 8 avril 2011, le Conseil constitutionnel confirme ainsi que le législateur peut apporter des limites à l'exercice du droit de propriété, à la condition qu'elles soient "
justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi".
Une étude historique du droit de propriété montrerait que ses restrictions sont devenues de plus en plus importantes. Le Conseil constitutionnel reconnaît, dans sa
décision du 25 juillet 1989, que "l
es finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont subi une évolution caractérisée (...) par des limitations exigées au nom de l'intérêt général". En l'espèce, on imagine mal le Conseil constitutionnel ne pas reconnaître le logement des sans-abri comme une préoccupation d'intérêt général.
Quant au contrôle de proportionnalité, il consiste, pour le Conseil, à apprécier la "
nécessité publique" de la réquisition. Observons cependant que la Déclaration de 1789 précise que cette "nécessité publique" doit être "
légalement constatée". Il appartient donc au législateur de définir quel intérêt général justifie une atteinte au droit de propriété. Il y a donc de fortes chances que le Conseil estime qu'il n'a pas, sur ce point, à se substituer au parlement.
Reste que toute atteinte au droit de propriété doit s'accompagner d'une "
juste et préalable indemnité" (art. 17 DDHC). Et le Conseil constitutionnel se montre exigeant sur ce point, puisque, à ses yeux, une indemnité est "juste", lorsqu'elle couvre l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain. Autrement dit, la collectivité qui décide d'une réquisition un logement vacant doit non seulement le remettre en état à ses frais, mais encore payer au propriétaire une indemnité égale au versement d'un loyer auquel s'ajoute encore l'indemnisation du dommage causé par l'immobilisation du bien.
Le coût de l'opération
La question posée est donc celle de la procédure utilisée pour garantir le droit au logement. La réquisition a la préférence des associations, pour des raisons d'ordre symbolique. Ne s'agit il pas, au moins en théorie, de "faire payer les riches", ceux qui ont des biens immobiliers vacants ? L'expropriation, en revanche, n'est guère envisagée. Et pourtant, elle permettrait aux collectivités publiques d'accroître, de manière pérenne, le parc de logements sociaux, à un coût sans doute pas beaucoup plus élevé que des réquisitions qui imposent des indemnisations coûteuses pour les deniers publics, et qui se traduisent finalement, par un retour du bien à son propriétaire.