« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 19 septembre 2012

La ronde des jurons, dans le droit positif

L'article 29 de la loi de 1881 définit l'injure comme "toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait presse". C'est précisément cette absence de fait précis qui distingue l'injure de la diffamation, sans pour autant conférer un contenu précis à la notion d'injure.

En dépit de cette imprécision, l'injure suscite aujourd'hui des recours contentieux de plus en plus nombreux. Le cas le plus récent est celui intenté par Bernard Arnault contre Libération. D'autres plaintes sur ce fondement avaient été déposées auparavant contre Jean-Luc Mélenchon et Madonna par Marine Le Pen, ou contre Arnaud Montebourg par les salariés de Sea-France. Mais les politiques et les "people" ne sont que la partie apparente d'un contentieux beaucoup plus étendu. La brutalité actuelle des relations de travail suscite de nombreux recours, de plus en plus souvent fondés sur l'injure. Il est vrai que le droit est un reflet de la société comme un autre, et que l'ancien Président de la République avait donné l'exemple, avec son célèbre "Casse toi pôv' con". 

Injure au Chef de l'Etat ou injure du Chef de l'Etat

En l'occurrence, le délit d'injure est très particulier, lorsqu'il concerne le Chef de l'Etat. Lorsque celui-ci est l'auteur de l'injure, il ne peut être poursuivi en raison de son statut pénal particulier qui le met à l'abri des poursuites, du moins pour les actes liés à ses fonctions. La seule exception réside dans le cas de haute trahison, la vulgarité du langage n'entrant pas dans cette catégorie. En revanche, lorsque le Président de la République est le destinataire de l'injure, il fait l'objet d'une protection particulière par le délit d'offense au Chef de l'Etat. qui trouve son fondement légal dans l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881. Le manifestant qui avait brandi une affichette reprenant "Casse toi pôv' con" au passage de l'ancien Président Sarkozy a été condamné sur cette base, à une amende de 30 €. Cette distinction dans le régime juridique de l'injure, selon que le Président est auteur ou victime des propos incriminés, illustre la difficulté de cerner l'injure comme notion juridique unique.



Georges Brassens. La ronde des jurons. 


Injures dans le travail

Dans l'entreprise, l'injure, qu'elle s'exerce à l'égard d'un supérieur hiérarchique ou d'un collègue de travail, est considérée comme un comportement violent, et peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, voire une faute grave. Cette simplicité n'est qu'apparente, et la jurisprudence fait preuve d'une grande subtilité pour qualifier un comportement d'injurieux.

L'injure est rarement sanctionnée seule, en tant que telle. C'est ainsi que la Cour de cassation écarte, dans une décision du 16 février 1987, la qualification de faute grave, lorsqu'un employé a traité son supérieur de "connard", dès lors que le premier avait une ancienneté de plus de vingt ans dans l'entreprise et bénéficiait, à ce titre, d'une grande liberté de ton à l'égard du second, l'injure ayant fusé lors d'une discussion très animée, en quelque sort dans le feu du débat. En revanche, l'injure est qualifiée de faute grave, lorsqu'elle s'accompagne d'un dénigrement de l'entreprise, par exemple quand elle est proférée en présence de clients (Cass. Sociale, 25 juin 2002). A l'inverse, lorsqu'elle est proférée par un supérieur hiérarchique à l'égard d'un subordonné, voire entre deux collègues de même place dans la hiérarchie, l'injure constitue une faute grave quand son caractère répété s'analyse finalement en harcèlement moral. L'injure est donc le plus souvent l'indice, soit d'un dénigrement, soit d'un harcèlement. 

Injures dans les médias 

La jurisprudence sur l'injure proférée dans les médias se montre tout aussi impressionniste. Les éléments constitutifs de l'injure varient selon son auteur et son destinataire. Dans un premier temps, la jurisprudence a considéré que les propos des hommes ou des femmes politiques et des journalistes doivent être considérés avec davantage d'indulgence, car le débat politique peut être vif, et tolérer des formules qui pourraient sembler injurieuses dans un autre contexte.

Aujourd'hui, cette indulgence s'étend à l'hypothèse dans laquelle l'homme ou la femme politique ou le journaliste n'est plus l'auteur des propos injurieux, mais sa victime.  Lorsqu'un rappeur évoque "ce con d'Eric Zemmour" et déclare mettre "un billet sur la tête" de celui qui le fera taire, il n'est pas condamné pour injure. Pour le juge, la victime étant "un personnage public", une "plus grande tolérance s'impose". Cette évolution trouve son origine dans la jurisprudence de la Cour européenne Prager et Oberschlik c. Autriche de 1995. Elle considère en effet qu'une certaine dose d'exagération et de provocation est admissible dans le débat public, consacrant ainsi l'idée que le pamphlet fait partie du débat politique. 

L'injure publique est donc punie avec une intensité variable selon son auteur et selon la victime. Lorsque cette dernière est une personne privée, que l'injure fait sortir de l'anonymat contre son gré, la sanction est plus lourde. Lorsque la victime est une personne publique, le juge a tendance à considérer que l'injure fait plus ou moins partie du débat public. Il ne reste donc plus qu'à réhabiliter "tous les morbleus, tous les ventrebleus, les sacrebleus et les cornegidouilles, ainsi parbleu que les jarnibleus et les palsembleus ". 


dimanche 16 septembre 2012

La première condamnation Hadopi, et la présomption de culpabilité

Trois ans après son entrée en vigueur, la loi Hadopi du 12 juin 2009 a finalement suscité une première condamnation. Le tribunal de Belfort a condamné un internaute à une amende de 150 € pour le téléchargement de deux chansons de Rihanna. C'est une sanction extrêmement modérée si l'on considère que la peine maximale est de 1500 € d'amende, et que le juge peut également prononcer une peine complémentaire de suspension de l'accès à internet pendant un mois. Cette première condamnation fait déjà l'objet de multiples critiques. 

Un dispositif trop cher ?

La première émane du ministre de la Culture, Aurélie Filipetti, qui constate une "disproportion entre les moyens énormes" de la Commission Hadopi "et le résultat concret". Il est vrai que cette autorité indépendante dispose d'un budget annuel supérieur à onze millions d'euros et emploie plusieurs dizaines de personnes. Hadopi coûte donc très cher à l'Etat, et, du moins pour le moment, rapporte très peu. Aux yeux du ministre, la Commission n'a pas convenablement fait son travail. Au lieu de se concentrer sur une répression pénale bien difficile à mettre en oeuvre, elle aurait dû promouvoir l'élargissement de l'offre légale. En clair, il suffit que l'internaute dispose d'un stock suffisamment important de téléchargements légaux pour que cela le dissuade de télécharger. Cette affirmation relève cependant de la simple hypothèse, et montre surtout que la loi Hadopi n'a pas mis fin au débat sur les différents moyens de protéger les droits liés à la propriété littéraire et artistique sur internet. 

Un dispositif sexiste ? 

La seconde critique vise le principe selon lequel l'abonné à internet est responsable de l'usage qui est fait de son ordinateur. En l'espèce, les téléchargements illégaux avaient été réalisés par l'épouse de l'abonné, ou plutôt l'ex-épouse puisqu'ils ont divorcé depuis cette date. Elle l'a pleinement reconnu, et s'est même rendue au tribunal pour assumer cette responsabilité. Mais le juge a néanmoins condamné le mari, puisque c'était lui le titulaire de l'abonnement à internet. De manière implicite, le juge estime donc que le condamné aurait dû mieux surveiller sa femme. 



Certains dénoncent joyeusement le retour à une vision du couple particulièrement archaïque, dans laquelle le mari assume la responsabilité juridique des agissements d'une femme considérée comme mineure, et qui devrait davantage s'intéresser à ses casseroles qu'à internet. Ils voient dans cette législation le retour à une époque révolue, lorsqu'une femme ne pouvait signer un contrat de travail ou ouvrir un compte en banque sans l'autorisation de son conjoint. Tout cela est certainement très amusant, mais faux. Si une épouse est titulaire d'un abonnement internet, et que son mari réalise des téléchargements illégaux, c'est évidemment elle qui risque une condamnation. Il n'y a donc aucune dimension sexiste dans la législation. 

Hadopi et la présomption de culpabilité

Reste que cette situation pose un problème au regard du principe de la présomption d'innocence. En effet, la loi Hadopi repose sur une présomption de culpabilité du titulaire de l'abonnement internet. Le Conseil constitutionnel admet une telle présomption, depuis sa décision du 16 juin 1999 rendue à propos de la disposition législative qui fait reposer sur le propriétaire d'un véhicule la responsabilité de l'excès de vitesse commis par son conducteur, quel qu'il soit. 

A cette occasion, le Conseil a posé les bornes de cette présomption de culpabilité qui ne peut intervenir que pour des peines contraventionnelles et non pas délictuelles, dès lors que les "faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité", et que les droits de la défense sont respectés. Ces trois conditions ne posent guère de problème pour Hadopi, dès lors que le téléchargement illégal est une contravention, que l'on peut raisonnablement penser que le titulaire de l'abonnement internet est l'auteur de l'infraction, et que la sanction est prononcée par un juge. 

En revanche, le Conseil pose une quatrième condition dans sa décision du 16 juin 1999, et affirme que la présomption de culpabilité doit présenter un caractère "non irréfragable". Cela signifie concrètement que le véritable auteur de l'infraction doit être substitué à l'auteur présumé, lorsqu'il est connu. Dans sa décision du 10 mars 2011, le Conseil sanctionne ainsi une disposition qui créait une présomption irréfragable de culpabilité à l'égard des parents ou tuteurs d'un enfant n'ayant pas respecté le "couvre feu des mineurs". C'est ainsi que lorsque ce n'est pas le propriétaire du véhicule flashé par un radar qui conduit, le conducteur réel peut assumer sa responsabilité, et s'acquitter de la contravention. C'est précisément cette substitution que refuse le juge de Belfort dans cette première condamnation sur le fondement de la loi Hadopi, alors même que l'ex-épouse du condamné assumait sa responsabilité. 

Bien entendu, le condamné pourrait faire appel en se fondant sur cet argument, mais on croit comprendre que son premier désir est d'oublier toute cette affaire, le coût des honoraires d'un avocat dépassant d'ailleurs largement le montant de l'amende. 

On le voit, cette première affaire, loin de démontrer l'efficacité du dispositif Hadopi, en montre plutôt les limites. La riposte graduée ne fonctionne pas réellement, et la Commission Lescure, qui doit réfléchir sur l'avenir de cette législation, devra peut être rechercher d'autres moyens de protéger le droit de propriété sur internet. Ce n'est certainement pas une chose facile dans un domaine largement dominé par les lobbies en tous genres. 


samedi 15 septembre 2012

Mandat d'arrêt européen et non discrimination

La Cour de justice de l'Union européenne a rendu sur question préjudicielle, le 5 septembre 2012, une décision Joao Pedro Lopez da Silva Jorge, condamnant comme discriminatoire une partie du droit français transposant la procédure du mandat d'arrêt européen. Ce dernier, rappelons-le, se définit comme la demande de remise d'une personne formulée par l'autorité judiciaire d'un Etat membre à un autre Etat membre, afin de permettre l'exercice de poursuites pénales ou l'exécution d'une peine. Le principe posé par la décision-cadre du 13 juin 2002, qui met en oeuvre le mandat d'arrêt européen, est que son exécution est obligatoire. 

Une exception au caractère impératif du mandat d'arrêt européen

Dans certains cas exceptionnels, cependant, l'autorité judiciaire peut refuser de remettre la personne à l'Etat demandeur, notamment lorsque le mandat d'arrêt a été émis dans le but de faire exécuter une peine d'emprisonnement. Tel est le cas dans l'affaire Joao Pedro Lopez da Silva Jorge, l'intéressé, de nationalité portugaise, ayant été condamné en 2003 à cinq années de prison par le tribunal criminel de Lisbonne pour trafic de stupéfiants. Sans que l'on sache exactement s'il est venu en France pour échapper à l'exécution de sa peine ou s'il avait déjà des attaches dans notre pays, il s'est ensuite durablement installé en France, s'est marié à une Française et exercé la profession de chauffeur routier dans une entreprise française. Il demande donc à exécuter sa peine sur le territoire français, estimant que son renvoi dans une prison portugaise porterait atteinte à sa vie familiale, ainsi qu'à sa future réinsertion professionnelle. Ces deux éléments constituent les justificatifs essentiels de l'exception ainsi admise par le droit de l'Union européenne.

Or, les autorités françaises refusent au requérant de bénéficier d'une telle mesure, que le droit français, en l'occurrence l'article 695-24 du code pénal, réserve à ses ressortissants. C'est précisément cette restriction qui a fait l'objet de la question préjudicielle posée à la Cour de Justice de l'Union européenne. 

La Convention de 1983

Pour les autorités françaises, cette exception au seul profit des citoyens français repose sur la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées du 21 mars 1983, à laquelle la France est partie, et qui organise la coopération entre Etats, pour que les personnes condamnées puissent purger leur peine dans "leur milieu social d'origine", c'est à dire dans leur pays d'origine. Aux termes de l'article 9 de ce texte, l'Etat auquel est adressé la demande de transfèrement a le choix entre deux voies de droit : soit il transfère la personne vers le pays demandeur, soit il convertit la condamnation, et applique au condamné la sanction applicable, dans son droit pénal,  à l'infraction commise. A cette objection, la Cour de Justice répond cependant que les autorités françaises disposent certes de cette option, mais que rien ne permet d'affirmer que le critère de choix entre les deux procédures est lié à la nationalité de l'intéressé. 

Safe in Hell. William Wellman. 1931

Egalité de traitement entre les personnes extradées et celle qui font l'objet d'un mandat d'arrêt européen

De manière plus indirecte, on distingue dans la législation française une subsistance, dans le droit du mandat d'arrêt européen, du principe selon lequel la France n'extrade pas ses nationaux. Elle a ainsi pris soin de joindre à la Convention du 27 septembre 1996 relative à l'extradition entre les Etats membres de l'Union européenne une déclaration dans laquelle elle maintien son refus d'extrader ses nationaux, dans le cas précis où l'objet de cette procédure est l'exécution d'une peine privative de liberté. L'article 695-24 du Code pénal, qui transpose la décision-cadre sur le mandat d'arrêt européen, a donc pour objet d'assurer l'égalité de traitement entre les personnes extradées et celles qui font l'objet d'un mandat d'arrêt européen. 

Egalité entre les ressortissants européens

La Cour de Justice privilégie, quant à elle, un autre principe d'égalité, entre tous les ressortissants européens. Elle affirme ainsi que le choix du pays dans lequel l'intéressé purge sa peine doit essentiellement être guidé par une appréciation de ses chances de réinsertion, prenant en compte les possibilités de visites de sa famille durant son emprisonnement et ses chances de retrouver un emploi à sa sortie. Ces critères sont sans rapport avec la nationalité de la personne condamnée. 

A travers la sanction du critère de la nationalité, c'est évidemment l'automaticité de la décision qui est sanctionnée. En effet, le droit français impose le transfèrement des personnes étrangères vers le pays de leur condamnation, alors que les Français peuvent purger leur peine en France. De fait, le critère fondé sur la réinsertion n'est plus pertinent. Si le droit en vigueur avait permis aux autorités françaises d'examiner la question,  si elles avaient ensuite considéré comme préférable que le requérant exécute sa peine au Portugal, il est  fort probable que la Cour aurait validé cette décision. Mais le droit français place les autorités dans une situation de compétence liée, puisqu'il est purement et simplement interdit d'accorder aux étrangers le droit d'exécuter leur peine en France.

On pourrait débattre longuement de cette décision. Est il préférable de privilégier l'égalité de traitement entre les personnes extradées et celles faisant l'objet d'un mandat d'arrêt européenne, ou entre les citoyens de l'Union européen, quelle que soit leur nationalité ? La Cour de Justice a choisi la seconde branche de l'alternative. Agissant ainsi, elle renforce le mouvement déjà engagé de dissociation entre le droit de l'extradition et celui du mandat d'arrêt. 




mercredi 12 septembre 2012

De la démocratie dans les partis politiques

L'actualité récente des partis politiques, de droite comme de gauche, met en lumière la question de la démocratie à l'intérieur de ces organisations. A droite, on voit les candidats à la présidence de l'UMP contraints d'obtenir 8000 parrainages de militants pour participer au vote. Le seul problème est que Jean François Copé, candidat "sortant", dispose de l'ensemble des moyens logistiques du parti. Il a le contrôle du site internet de l'UMP, et surtout du fichier des militants, celui qui est indispensable pour obtenir les précieuses signatures. A gauche, on voit le Premier secrétaire, Martine Aubry, désigner tranquillement son successeur. Les statuts du PS prévoient en effet que les militants se prononcent en même temps sur un texte et sur un candidat, lors du Congrès du parti. Pour des motifs reposant sur l'"unité" du parti, il n'y aura donc qu'un seul texte, dont le premier signataire sera logiquement le Premier secrétaire. Dans les deux cas, à droite et à gauche, les militants sont finalement exclus du débat, leur rôle se bornant en entériner une décision qui leur échappe. 

L'Article 4 de la Constitution

La question posée est d'abord celle de la définition constitutionnelle du parti politique. Aux termes de l'article 4 de la Constitution, "les partis politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie". Cette unique mention des partis politique dans la Constitution les rattache à l'exercice du pouvoir démocratique par le droit de suffrage. On observe d'ailleurs un approfondissement régulier du rôle des partis dans l'exercice du droit de suffrage. Les primaires socialistes en témoignent, qui ont permis la désignation démocratique du candidat du Parti Socialiste aux élections présidentielles.  

Rien n'est dit cependant de l'organisation interne des partis, si ce n'est pour affirmer  un principe général de liberté. Au plan constitutionnel, il s'agit seulement de garantir que chacun peut créer un parti politique pour défendre ses idées, et qu'une telle organisation peut librement développer son programme. 

Approche juridique par le financement

Les partis politiques sont donc organisés de la manière la plus banale qui soit, sous la forme d'associations. La Cour européenne considère d'ailleurs que la liberté de créer un politique politique constitue l'une des modalités de la liberté d'association, garantie par  l'article 11 de la Convention (CEDH 30 janvier 1988, Parti Communiste Unifié de Turquie).

La loi du 1er juillet 1901 a  permis le développement immédiat des mouvements politiques, puisque le parti radical a été créé en 1901, et la SFIO en 1905. Il est vrai que le législateur est intervenu, beaucoup plus récemment, pour établir un contrôle sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales. Ces dispositions sont fort utiles, car elles ont pour objet de garantir la soumission des partis à l'Etat de droit. En revanche, elles n'ont en aucun cas pour effet de leur imposer un fonctionnement démocratique.  Ces derniers continuent, sur ce point, à s'organiser comme ils l'entendent.

Militants d'un parti politique, le jour de la désignation des dirigeants
Gustave Caillebotte. Pêcheurs au bord de l'Hyerres. 1878


Absence de contrôle interne

En soi, ce fonctionnement non démocratique n'est donc pas constitutif d'une violation du droit positif, dès lors que les associations s'organisent librement. Le système repose sur l'idée qu'il appartient aux militants de tirer les conséquences d'un fonctionnement peu satisfaisant, soit en faisant évoluer l'organisation, soit en la quittant. Hélas, l'organisation des partis n'est guère contestée par ceux leurs membres. Qu'ils agissent par fidélité à "leur" parti, ou par volonté de saisir, à leur tour, les leviers de commande, tous ont en commun de contester que fort peu le fonctionnement de l'organisation. 

Une intervention du législateur ? 

Si l'amélioration ne peut venir de l'intérieur, est-il possible de l'envisager de l'extérieur, par l'intervention du législateur ? Il est évidemment impossible d'imposer aux partis une sorte de statut-type qui ferait peser une contrainte très lourde, disproportionnée pour les organisations les plus modestes, et trop attentatoire à la liberté de tous. Mais l'Etat demeure fondé à demander à des organisations dont il assure une large partie du financement le respect d'un certain nombre de principes. Parmi ceux-ci, on peut citer l'élection par les militants, le pluralisme des candidatures, l'égalité entre les candidats, le libre accès aux fichiers et aux instruments de communication, écrite ou numérique. Le débat démocratique pourra alors se développer entre des groupements eux-mêmes démocratiques. 



lundi 10 septembre 2012

Pas d'Habeas Data au pays de l'Habeas Corpus

Le 9 mai 2012, dans son discours du Trône, la reine Elisabeth annonçait aux Britanniques l'intention du gouvernement "de proposer des mesures pour maintenir la capacité des agences de renseignement et des autorités à accéder à des données essentielles de communication, sous de strictes conditions (...)". On en sait davantage aujourd'hui, car le Interception of Communications (Admissibility of Evidence) Bill est actuellement débattu au Parlement britannique.

Certains évoquent à son propos un "Mega Big Brother", formule peut être un peu excessive, mais qui a le mérite de mettre en évidence un véritable abandon du principe même de protection des données. Le texte prévoit de contraindre les fournisseurs d'accès à internet (FAI) à conserver les données de leurs clients pendant douze mois. Seraient ainsi archivés les courriels, les appels passés par Skype, et, bien entendu, l'ensemble des pages visitées, y compris sur des sites domiciliés à l'étranger. Certes, le texte affirme que seules seront communicables les "méta-données", c'est à dire la liste des correspondants, le nombre des communications et leur fréquence etc.. Mais les experts du renseignements affirment que ces informations sont largement suffisantes pour établir le profil d'une personne, connaître ses relations et ses opinions.

Habeas Corpus

Ce texte porte une atteinte particulièrement grave au principe d'Habeas Data, qui s'analyse comme une adaptation de l'Habeas Corpus à la société numérique. L'Habeas Corpus, dont la notion même est née au Royaume Uni avec une loi de 1679, se définit comme la mise en oeuvre procédurale du principe de sûreté. Chacun est libre de circuler librement et de vivre paisiblement dans son domicile privé. Les intrusions dans sa liberté de circulation (par une arrestation) ou dans sa vie privée (par une perquisition) doivent être prévues par une loi et décidées par un juge.

L'Habeas Data peut, par analogie, se traduire comme la mise en oeuvre du principe de libre circulation sur internet et de maîtrise de la personne sur ses données personnelles. Toute intrusion des autorités étatiques doit donc être prévue par une loi et autorisée par un juge. Le Interception of Communications Bill, une fois voté, permettra de remplir la première condition, puisqu'une loi autorisera désormais les interceptions. En revanche, la seconde condition, celle liée à l'intervention d'un juge, fait cruellement défaut. En l'espèce, les données sont conservées pour être consultées par les autorités de police et les services de renseignement, dans un but, bien peu précis, de lutte contre le terrorisme et la grande criminalité. Tout cela est fort inquiétant, si ce n'est que le texte paraît extrêmement difficile à mettre en oeuvre.

Un texte impossible à mettre en oeuvre ? 

D'une part, les autorités britanniques peuvent certes contraindre les FAI domiciliés sur leur sol à fournir ces informations, mais il n'en ont guère les moyens à l'égard de ceux qui sont à l'étranger. Les citoyens britanniques auront donc intérêt à changer d'hébergeur. Le fondateur de Wikipedia, Jimmy Wales, a même fait savoir qu'il n'hésiterait pas, si la loi est votée, à crypter les communications entre Wikipedia et  ses utilisateurs britanniques. Même si les services britanniques sont vraisemblablement dotés de services de décryptage, la loi risque de se révéler bien difficile à appliquer, et surtout bien onéreuse car le décryptage coûte cher.

Message crypté, pour échapper à la loi britannique
Hergé. L'île noire. 1965.

D'autre part, et d'une manière plus générale, le texte révèle une volonté de tout surveiller, de tout contrôler. Cette pratique rappelle étrangement l'erreur des agences de renseignement américaines, informées des attaques du 11 septembre par des interceptions électroniques, mais qui n'ont pas su trouver et analyser l'information pertinente parmi des millions d'autres. La vieille histoire de l'aiguille dans la botte de foin. Sur ce point, l'efficacité du fichage systématique reste encore à démontrer.

Le Royaume de l'Habeas Corpus deviendrait il paranoïaque, dominé par la peur, la peur de l'insécurité, la peur du terrorisme ? Souvenons nous que le Royaume Uni fut, en 1679, le premier Etat au monde à envisager la protection des citoyens contre les abus du pouvoir en place. Or cette idée ne semble plus aller de soi. Le "Anti-terrorism, Crime and Security Bill" du 14 décembre 2001 autorisait déjà l'internement par une simple décision administrative de toute personne suspectée d'un lien quelconque avec un groupe terroriste. Aujourd'hui, c'est la protection de la vie privée qui est mise à mal, sans même que les personnes concernées aient la possibilité de saisir un juge. La vidéosurveillance a envahi le pays, le contrôle systématique des communications devient une réalité. Il est vrai que George Orwell était anglais.




samedi 8 septembre 2012

Avocat et garde à vue, une double irrecevabilité

La Cour européenne n'en finit pas de traiter de la présence de l'avocat durant toute la durée de la garde à vue. La question fait le tour des pays du Conseil de l'Europe, et la Cour a successivement condamné la Turquie avec l'arrêt Salduz du 27 novembre 2008, puis la France avec la décision Brusco du 14 octobre 2010

La décision Simons c. Belgique rendu par la Cour le 6 septembre 2012 revient sur cette question par une décision d'irrecevabilité. Le droit belge de l'époque prévoyait que la garde à vue, comme d'ailleurs le premier interrogatoire du juge d'instruction, se déroulaient hors la présence de l'avocat de la défense.  Il était donc passible, a priori, de la même sanction que les systèmes juridiques français et turcs. Mme Simons avait reconnu à la fois devant la police et le juge d'instruction qu'elle avait agressé et blessé à coups de couteau son compagnon. Elle a ensuite contesté sa mise en détention provisoire. A ses yeux, cette dernière repose sur une procédure préalable non conforme à la Convention européenne, puisqu'elle n'a pas pu bénéficier de l'assistance d'un avocat, et n'a pas été informée de son droit de garder le silence. Elle invoque donc une violation du droit au procès équitable consacré par les articles 6 § 1 et § 3 de la Convention et du droit à la sûreté garanti par l'article 5 § 1. 

La Cour rend une décision reposant sur une double irrecevabilité, d'ailleurs sans beaucoup de conséquences sur le droit belge, puisque la loi "Salduz" du 13 août 2011 a consacré le droit à la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue en Belgique. Elle n'a même pas de conséquences pour la requérante, qui a finalement été remise en liberté en attendant son procès.


Georges Mathieu (1921-2012) . Jours de captivité.


Pas de procès équitable sans procès

Ecartons d'emblée la première irrecevabilité, celle portant sur le droit au procès équitable figurant dans l'article 6 § 1 et § 3. En effet, le recours porte sur la procédure d'instruction, en l'espèce la détention provisoire. Selon une jurisprudence constante, et notamment l'arrêt Bouglame c. Belgique du 2 mars 2010, le droit au procès équitable s'apprécie sur l'ensemble d'un procès. Cette appréciation ne peut donc intervenir qu'après la condamnation. En l'espèce, le procès de la requérante n'a toujours pas eu lieu au moment de la décision de la Cour européenne. De cette jurisprudence, on doit donc déduire qu'il incombe au droit belge de préciser les droits des personnes mises en examen avant l'intervention de la loi de 2011.

Un principe de procédure pénale

La seconde irrecevabilité est plus intéressante. La requérante s'appuie en effet sur le principe de sûreté garanti par l'article 5 § 1, qui énonce que nul ne peut être privé de sa liberté que dans les cas qu'il énumère et "selon les voies légales". Elle estime qu'elle a été privée de sa liberté sur la base d'une procédure qui peut être considérée comme non conforme à la Convention européenne, et donc non conforme aux "voies légales" auxquelles se réfère cet article. La Cour reconnaît volontiers que la privation de liberté subie par la requérante relève du principe de sûreté. En revanche, les "voies légales"sont celles définies par la législation nationale, et non pas par le droit de la Convention européenne. Cette solution est d'ailleurs acquise depuis l'arrêt Winterwerp c. Pays Bas du 24 octobre 1979

Cette décision d'irrecevabilité marque très nettement le refus de la Cour de faire du principe des droits de la défense dès le début de la privation de liberté un" principe général". Pour la Cour, le "principe général" est toujours transverse et s'applique à tous les domaines du droit. Figurent notamment dans cette catégorie les principes de sécurité juridique ou de protection contre l'arbitraire. Le droit de la défense durant la garde à vue s'analyse ainsi comme un principe de procédure pénale, auquel il est d'ailleurs possible de déroger dans certains cas particuliers, et qui relève exclusivement du procès équitable. La présence de l'avocat durant la garde à vue est donc un élément de ce procès équitable, un parmi d'autres.