« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


dimanche 22 juillet 2012

Les Raëliens devant la CEDH : tout ce que vous voulez savoir sur les sectes sans oser le demander

Dans sa décision du 13 juillet 2012, Mouvement Raëlien c. Suisse, la Cour européenne saisit l'opportunité de préciser sa position à l'égard des dérives sectaires. Une telle décision s'imposait, alors qu'un précédent arrêt, du 30 juin 2012, avait été présenté comme condamnant la France pour avoir refusé aux Témoins de Jéhovah le statut fiscal accordé aux religions. Certains avaient alors estimé que tout mouvement sectaire pouvait bénéficier de cette jurisprudence, se voir reconnaître le la qualité de religion, et bénéficier des avantages qui y sont attachés, qu'il s'agisse du statut fiscal ou de la protection particulièrement importante de la liberté d'expression.

Les Raëliens

En l'espèce, le requérant est  le mouvement Raëlien, association implantée en Suisse, et dont l'activité principale consiste à établir des contacts avec les extra-terrestres. Il conteste le refus des autorités de police de Neuchâtel d'autoriser une campagne d'affichage représentant, comme il se doit, des petits êtres verts et des soucoupes volantes, illustrations accompagnées du numéro de téléphone du mouvement et de l'adresse de son site internet. Ce refus n'est évidemment pas motivé par le désir de la secte de communiquer avec les martiens, activité finalement assez bénigne.Il repose aussi sur des objectifs non conformes à l'ordre public suisse, notamment la promotion d'une société fondée sur la domination de ceux ayant un fort quotient intellectuel, appelés à se reproduire par le clonage humain. Surtout, les autorités suisse reprochent à ces amoureux des extra terrestres des activités nettement plus terre à terre, plusieurs plaintes pour pédophilie ayant été enregistrées à l'encontre des responsables Raëliens.

Absence de violation de l'article 10

Tenant compte de ces éléments, la Cour européenne estime que cette interdiction d'affichage ne constitue qu'une ingérence limitée dans la liberté d'expression de l'association Raëlienne. Rien ne lui interdit en effet de s'exprimer par d'autres moyens, comme son site internet, ou la distribution de tracts. Cette ingérence n'est donc pas disproportionnée et les autorités suisses n'ont pas violé l'article 10 de la Convention. La Cour ajoute que cette restriction à la liberté d'expression répondait à un "besoin social impérieux", dès lors que l'association développe un programme favorable au clonage humain, et que plusieurs décisions de la justice suisse l'avait considérée comme une "secte à caractère dangereux", en raison de dérives sexuelles possibles à l'égard des mineurs.


Les Envahisseurs. Série télévision. 1967
Secte, ou dérive sectaire ?

Comme le droit français, la Cour européenne refuse, dans cette décision, d'utiliser la notion de secte,  extrêmement dangereuse dans la mesure où elle est généralement définie par la doctrine à l'aune de la notion de religion. Autrement dit, une religion serait une secte qui a réussi, et une secte serait une religion en devenir. Cette définition, adoptée aux Etats Unis, constitue en réalité un moyen pour les sectes d'affirmer leur légitimité, en se présentant comme un groupe de fidèles réunis autour d'une foi partagée. Tel est le cas des Témoins de Jéhovah qui parviennent, peu à peu, à obtenir le statut de religion, avec l'aide de la Cour européenne.

Accepter que les Témoins de Jéhovah soient considérés comme une religion ne conduit cependant pas à étendre ce statut à tous les groupements dirigés par des gourous plus ou moins allumés, plus ou moins dangereux pour les adeptes, parfois fort peu nombreux.

C'est la raison pour laquelle le droit français se réfère à la notion de dérive sectaire, qui s'applique lorsqu'un groupement "poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités". Cette formulation, issue de la loi About-Picard du 12 juin 2001, donne ainsi une définition pénale de la dérive sectaaire. Il n'y a pas de lutte contre les sectes, mais une lutte très affirmée contre la manipulation mentale, l'abus de faiblesse, l'escroquerie, la pédophilie, et autres pratiques illicites. 

Sur ce point, la Cour européenne semble infléchir quelque peu  une jurisprudence qui reposait traditionnellement sur la notion de "secte à caractère religieux". Le groupement ainsi qualifié pouvait bénéficier du statut de religion. Celui qui ne recevait pas cette qualification pouvait voir son activité soumise à restrictions en raison du danger qu'il représente. En l'espèce, la Cour ne reprend pas cette distinction, et se borne à rappeler la légitimité de la lutte des autorités suisses contre un mouvement sectaire considéré comme dangereux. Sur ce point, elle se rapproche de l'approche réaliste du droit français, et contribue à légitimer la lutte contre les dérives sectaires.



jeudi 19 juillet 2012

Euthanasie, droit de mourir dans la dignité : l'état du droit

Dans ses engagements électoraux, le candidat François Hollande avait souhaité que "toute personne majeure en phase avancée ou terminale d'une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d'une assistance médicalisée pur terminer sa vie dans la dignité". Aujourd'hui, le Président François Hollande confie au professeur Didier Sicard la présidence d'une commission chargée de rédiger un rapport sur cette délicate question, avant la fin de l'année 2012. Elle devra dresser le bilan de la pratique existante, c'est à dire concrètement de la mise en oeuvre de la loi Léonetti du 22 avril 2005.

Au regard de son étymologie, l'euthanasie est définie comme une "mort douce". Cette définition renvoie cependant à deux pratiques bien différentes, dont la distinction constitue le socle du droit positif et sera au coeur des réflexions à venir. Alors que l'euthanasie passive est licite, sous certaines conditions, l'euthanasie active demeure interdite.

Licéité de l'euthanasie passive

L’ euthanasie passive être mise en oeuvre sans le consentement du patient. Elle se définit comme une renonciation du corps médical, lorsque les soins sont sans espoir de guérison et incapables d’apaiser les souffrances d’un malade en fin de vie. Il s’agit alors pour le médecin d’administrer des doses massives de sédatifs qui calmeront la douleur, même s’ils doivent écourter la vie, ou d’arrêter l’alimentation par sonde d’un patient plongé dans un coma irréversible. 

La loi du 22 avril 2005 va dans ce sens, en affirmant que "les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris". Le champ d'application de l'euthanasie est donc assez large, puisqu'elle peut concerner aussi bien les personnes en fin de vie que celles atteintes d'une pathologie sans espoir de guérison.

En 2008, le rapport de la mission parlementaire chargée de dresser un premier bilan de la loi Léonetti, avait mis l'accent sur une grave lacune de cette procédure, liée au recueil du consentement du patient. Le décret du 29 janvier 2010, a donc organisé formellement une procédure de suspension de soin, qui distingue selon que le patient est ou non conscient, et susceptible de faire connaître sa volonté. Lorsque c'est le cas, il peut demander cette suspension, et les médecins sont alors tenus de respecter sa volonté. Lorsqu'en revanche, il est inconscient, cette volonté peut avoir été préalablement recueillie par des "directives anticipées" ou par la désignation d'une "personne de confiance" chargée de prendre cette difficile décision. Si aucune de ces procédures n'a été choisie, l'équipe médicale s'adresse alors aux proches, qui peuvent prendre la décision d'interrompre le traitement.



Georges Brassens. Le Testament

Illicéité de l'euthanasie active

L'euthanasie active consiste à injecter un produit mortel avec le consentement du patient, et s’analyse comme un « suicide assisté ». Jusqu'à aujourd'hui, elle demeure illicite, et la loi Léonetti n'y fait pas référence. La Cour européenne elle même, dans une décision Diane Pretty c. Royaume Uni, du 29 avril 2002, a refusé d'admettre sa conformité à la Convention. Elle était saisie par une Britannique atteinte d'une grave maladie dégénérative, avec pour seule perspective un décès relativement rapide dans de grandes souffrances, et qui considérait que cette fin de vie constituait un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3 de la Convention. La Cour a certes reconnu "éprouver de la sympathie pour la crainte de la requérante de devoir affronter une mort pénible". Elle a pourtant refusé, avec force et à l'unanimité, que les dispositions de la Convention puissent être utilisées pour conduire un Etat à "cautionner des actes visant à interrompre la vie".

Pour le moment, le droit français reste dans cette ligne. Le décret du 19 février 2010 a ainsi décidé la création de l'Observatoire national de la fin de vie. Son objet est précisément de privilégier l'accompagnement en fin de vie, de préserver la patient de la douleur, afin de le maintenir dans un certain confort physique et moral. Le premier rapport de cet Observatoire, remis au ministre de la santé en février 2012, va évidemment dans ce sens, sans exclure toutefois une évolution des mentalités dans ce domaine.

Sommes nous actuellement en train de connaître une telle évolution ? C'est ce que devra évaluer la commission présidée par le Professeur Sicard. 

Une pratique in-nommable

Il est frappant de constater cependant que, aussi bien le Chef de l'Etat que ceux qui sont chargés de réfléchir sur cette question se montrent très prudents, au moins sur le plan de la terminologie employée. Le mot "euthanasie" n'est jamais prononcé, comme s'il était possible de mettre en oeuvre une pratique, sans la nommer. Ce caractère in-nommable révèle certainement un malaise, sans que l'on puisse en préciser la nature. S'agirait il d'un sentiment d'impuissance, dès lors que la norme juridique, même législative, semble un instrument bien dérisoire pour organiser les rapports entre la vie et la mort ?


mercredi 18 juillet 2012

Le harcèlement moral échappe à la QPC

La Chambre criminelle de la Cour de cassation vient, dans une décision du 11 juillet 2012, de mettre fin aux espoirs de ceux qui souhaitaient  réunir dans une sorte de "pack" d'inconstitutionnalité les délits de harcèlements sexuel et moral. La loi punissant le harcèlement sexuel a effectivement été déclaré inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel, dans une décision du 4 mai 2012, et a déjà donné lieu à un projet de loi, proposant une nouvelle rédaction aussi floue que la première. La notion de harcèlement moral, en revanche, restera inchangée, la Cour de cassation ayant refusé de transmettre la QPC au Conseil. 

Le harcèlement moral, élément de la relation de travail 

La harcèlement moral est défini par l'article 222-33-2 du code pénal qui punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € "le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel". Il a également été introduit dans le code du travail par la loi du 17 janvier 2002, dite de modernisation sociale, qui reprend la même formulation. Le harcèlement moral est devenu un élément-clé des relations de travail, souvent invoqué devant le juge du contrat de travail, mais aussi devant le juge pénal. 

Le harcèlement moral, politique de l'entreprise

On voit aujourd'hui se développer une nouvelle forme de harcèlement moral, mis en oeuvre non par un individu isolé, mais par une entreprise qui veut provoquer le départ de ses salariés. L'ex PDG de France-Telecom, Didier Lombard, a été mis en examen sur ce fondement, soupçonné d'avoir fait du harcèlement moral l'objet d'une politique de relations "humaines" dans l'entreprise. Cette évolution montre que cette infraction, qui a donné lieu à une jurisprudence abondante, peut être utilisée dans des cas très divers. Le juge a  ainsi  peu à peu élargi son champ d'application et assoupli les règles d'administration de la preuve.

A ce titre, le harcèlement moral s'appose au harcèlement sexuel, peu invoqué, sans doute parce qu'il est extrêmement difficile d'en apporter la preuve.


 Charles Chaplin. Les Temps Modernes. 1936

Des dispositions déjà examinées par le Conseil

La Chambre criminelle fonde son refus de transmission de la QPC sur le fait que les dispositions relatives au harcèlement moral ont déjà été déclarées conformes à la Constitution, dans la décision du 12 janvier 2002 rendue par le Conseil constitutionnel, précisément sur la loi de modernisation sociale. Aucun élément ne permet d'envisager un changement de circonstances de fait ou de droit depuis cette décision, qui justifierait un nouvel examen par le Conseil constitutionnel. La Cour refuse donc de considérer que l'intervention de la décision sur le harcèlement sexuel constituait un changement de circonstances de droit, et récuse également l'amalgame de plus en plus fréquent réalisé entre les deux formes de harcèlement. 

Invoquant ce précédent examen, la Chambre criminelle aurait pu déclarer tout simplement irrecevable la demande de transmission de la QPC, et arrêter là son analyse. 

Quelques précisions en forme d'avertissement

Elle offre cependant quelques précisions supplémentaires, en mentionnant que la définition du harcèlement moral n'est pas floue, et qu'elle ne saurait donc être sanctionnée pour manquement au principe de légalité des délits et des peines, garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. La Cour rappelle que "les faits commis doivent présenter un caractère répété et avoir pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail (...)". Le harcèlement moral est donc défini à travers les conséquences de l'acte sur la situation de la victime, sur sa dignité et sur sa santé notamment. Tel n'était pas le cas pour le harcèlement sexuel, dont la définition était réduite à son objet, qui est "d'obtenir des faveurs de nature sexuelle". Les conséquences sur la situation de la victime n'étaient pas évoquées, pas plus d'ailleurs que le caractère répétitif de ce comportement.

Sur ce dernier point, on ne peut s'empêcher de considérer que la décision de la Cour comporte une certaine forme d'avertissement pour le législateur. En insistant sur le caractère répétitif du harcèlement, elle stigmatise, en creux, la définition du harcèlement sexuel figurant dans le projet de loi actuellement débattu au parlement. Ne s'agit il pas, en effet, de considérer comme du "harcèlement" un acte isolé ?

Le harcèlement moral n'a rien à voir avec le harcèlement sexuel, affirme la Cour de cassation. Elle laisse cependant entendre qu'étant mieux rédigé et mieux interprété, il pourrait servir de référence à ceux qui cherchent une définition opératoire pour le délit de harcèlement sexuel.



dimanche 15 juillet 2012

QPC : Mariage et acquisition de la nationalité

Après le dispositif de lutte contre les mariages forcés, validé par le Conseil constitutionnel le 12 juin 2012, c'est aujourd'hui la législation visant à empêcher les mariages blancs qui fait l'objet d'une décision rendue sur QPC le 13 juillet 2012.

Durée du lien matrimonial

Les années récentes ont vu l'intervention de lois de plus en plus sévères, visant à empêcher que l'union matrimoniale ait pour seul objet l'acquisition de la nationalité française par l'un des époux. Le code civil, dans son article 21-1 affirme ainsi que le mariage n'exerce de plein droit aucun effet sur la nationalité.

La loi exige désormais une communauté de vie effective, une durée de stabilité du lien matrimonial, à l'issue de laquelle le conjoint étranger peut décider, par déclaration, d'acquérir la nationalité. Cette durée est passée de une année en 1998 à deux en 2003, pour finalement atteindre quatre ans en 2006, voire cinq lorsque les époux n'ont pas résidé durablement en France depuis le mariage (art. 21-2 c.civ.). Le procureur de la république peut cependant refuser l'enregistrement de cette déclaration, lorsqu'il constate notamment une absence de communauté de vie qui laisse présumer un "cas de mensonge ou de fraude" (art. 26-4 c. civ.).

Dans une décision du 30 mars 2012, M. Omar S., le Conseil avait déclaré constitutionnelle la rédaction de l'article 21-2 du code civil issue de la loi du 26 mars 1998, imposant un délai d'une année avant la déclaration de nationalité. A l'époque, le recours portait essentiellement sur l'exercice des droits de la défense, dès lors que la procédure prévoit une présomption de fraude lorsque la communauté de vie a cessé durant le délai imposé. Dans l'affaire Saïd K. du 13 juillet 2012, la QPC porte cette fois sur la rédaction issue de la loi 26 novembre 2003 allongeant la durée de stabilité du lien matrimonial à deux années. Le requérant s'appuie alors sur la violation de sa vie privée et familiale, mais le Conseil fait observer, d'ailleurs très justement, que le fait de ne pas disposer de la nationalité française n'a aucune conséquence sur la vie privée ou familiale de la personne.


Jan Van Eick. 1380-1441. Le mariage de Giovanni Arnolfini


La communauté de vie entre époux

L'article 215 du code civil, applicable à tous les mariages, énonce que "les époux s'engagent mutuellement à une communauté de vie". La loi du 26 décembre 2003, celle qui précisément est contestée, exige en outre, lorsque l'un des époux veut acquérir la nationalité française, que cette communauté  soit "affective". A cet égard, la loi se montre, du moins en apparence, plus rigoureuse pour ces conjoints.

Ce caractère "affectif" manque cependant de clarté, d'autant que le droit positif, peu ouvert au romantisme, n'impose pas à ceux qui contractent mariage de s'aimer. Il tient d'ailleurs compte du fait que certains couples peuvent avoir deux domiciles distincts, par exemple pour des motifs professionnels, sans que cette séparation géographique porte atteinte à la communauté de vie (art. 108. c. civ.).

"Misérable est l'amour qui se laisserait mesurer"

Cette nécessité d'une communauté de vie "affective" dans le cas d'une acquisition de la nationalité a finalement été entendue de manière étroite par les juges du fond. Se refusant à entrer dans l'intimité des sentiments, ils s'inspirent de la célèbre formule de Shakespeare, dans Antoine et Cléopâtre : "Misérable est l'amour qui se laisserait mesurer". Ils se bornent à prendre acte de l'effectivité de la communauté de vie, reprenant finalement les dispositions de l'article 215 du code civil.

C'est également la position du Conseil constitutionnel, qui estime que cette nouvelle rédaction, n'emporte aucune violation de la vie privée et familiale. Il reprend ainsi sa jurisprudence de mars 2012, et considère que l'allongement de la durée de stabilité matrimonial exigée pour obtenir la nationalité, n'empêche pas les conjoints de mener une vie privée et familiale normale. Il rappelle cependant que la loi doit prévoir avec précision le délai durant lequel le procureur peut contester la déclaration d'acquisition de la nationalité, afin que les conjoints ne soient pas placés dans une situation d'insécurité juridique pendant une trop longue durée.

L'immobilisme même de cette jurisprudence révèle la volonté du Conseil de laisser le législateur jouer pleinement son rôle dans la lutte contre les mariages blancs, y compris en adoptant des dispositions rigoureuses pour les couples concernés. Il appartient donc au législateur, s'il le souhaite, d'alléger ces conditions d'acquisition de la nationalité, notamment lorsque le désir d'intégration du conjoint étranger ne fait aucun doute.



vendredi 13 juillet 2012

Le juge Courroye inaugure une nouvelle procédure

Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a décidé de confier à son conseil de discipline l'examen de la plainte déposée par Le Monde contre le procureur de Nanterre, Philippe Courroye. On se souvient que ce dernier est accusé de s'être fait communiquer les "fadettes", c'est à dire les factures détaillées de téléphone, d'un journaliste travaillant sur l'affaire Bettencourt.

Les deux volets de l'affaire

Le volet pénal de l'affaire est, pour le moment, en attente. La mise en examen du procureur pour violation du secret des sources et intrusion dans la vie privée du journaliste avait été décidée, mais cette décision a été annulée par la Cour d'appel de Paris. Le Monde a donc déposé un pourvoi en cassation, qui n'a pas encore été examiné. Reste le volet disciplinaire qui se limite, pour le moment, à cette décision d'examiner la plainte du journal. Son fondement est évidemment tout autre, dès lors que les faits reprochés au procureur doivent pouvoir faire l'objet d'une "qualification disciplinaire". En l'espèce, Le Monde l'accuse de ne pas avoir respecté ses devoirs de loyauté, de légalité et de délicatesse, imposés par le statut de la magistrature. 

Ecole française, vers 1740. Portrait d'un magistrat



La révision de 2008

Le procureur Courroye inaugure, certainement sans le vouloir, une procédure tout à fait nouvelle. La révision constitutionnelle de 2008 a en effet modifié l'article 65 de la Constitution, qui ouvre désormais aux justiciables la possibilité de saisir le Conseil supérieur de la magistrature, "dans les conditions fixées par une loi organique". Cette loi est précisément intervenue le 22 juillet 2010, et elle est en vigueur depuis 2011.

Elle précise que tout justiciable qui estime qu'à l'occasion d'une procédure judiciaire le concernant, le comportement adopté par un magistrat dans l'exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire, peut saisir le CSM. La plainte est examinée par une commission d'admission des requêtes composée de quatre membres (deux magistrats et deux personnalités extérieures au corps judiciaire). C'est exactement ce qui vient de se produire, la commission ayant décidé que la plainte du Monde est suffisamment sérieuse pour justifier qu'une procédure soit engagée, dans le respect des droits de la défense.

De la subordination à la soumission
Certes, on pourrait trouver cocasse une situation dans laquelle un procureur proche du Président Sarkozy, se trouve être la première victime d'une révision constitutionnelle initiée par ce même Président. Au-delà du cas du procureur Courroye, cette affaire constitue  une illustration presque caricaturale des liens entre les magistrats du parquet et l'Exécutif. La Cour européenne, elle, ne s'y trompe, qui refuse de considérer les membres du parquet comme des "magistrats" au sens de la Convention européenne, depuis le célèbre arrêt Moulin du 23 novembre 2010. Certes, il ne faut pas confondre les instructions formelles que peut recevoir un procureur pendant une instance et les relations d'amitié, voire de connivence, qu'il peut entretenir avec tel ou tel dirigeant politique. Mais, en tout état de cause, les premières favorisent les seconds, et la subordination hiérarchique conduit à la soumission.

mercredi 11 juillet 2012

Le football, ou la défaite des femmes

Le 5 juillet 2012, les règles internationales du football ont été modifiées, pour autoriser les joueuses à porter le voile dans toutes les compétitions officielles. Les autorités internationales chargées d'organiser ce sport ont cédé au lobbying de certaines monarchies du Golfe, qui financent de prestigieux clubs de football, Les femmes ont donc été sacrifiées sur l'autel d'une coopération internationale qui s'exprime en espèces sonnantes et trébuchantes. Bien sûr, la nouvelle règle est présentée comme expérimentale, et devrait faire l'objet d'un nouvel examen en 2014, mais il s'agit là d'une sorte de figure de style destinée à susciter l'adhésion.

L'IFAB, émanation du communautarisme britannique


L'auteur de la règle n'est pas, comme il a été dit, la Fédération internationale de football association (FIFA), association de droit suisse fondée en 1904, et qui regroupe 208 associations nationales. L'autorisation du voile a été décidée par l'International Football Association Board (IFAB), beaucoup moins connue, mais très influente. L'IFAB a été créée en 1886 dans le but d'harmoniser les règles du jeu qui, à l'époque, n'étaient pas identiques dans chaque pays. Elle réunissait quatre associations du Royaume-Uni, région qui a vu la naissance du football, représentant l'Angleterre, l'Ecosse, le Pays de Galles et l'Irlande du Nord. 

Après 1904, la FIFA a adhéré à l'IFAB, le principe étant qu'elle dispose du même poids juridique dans l'IFAB que les quatre membres fondateurs. Rien n'a changé aujourd'hui. Les fondateurs ont quatre voix et la FIFA, c'est à dire le reste du monde, a également quatre voix. Même si les décisions sont prises à une majorité pondérée des 3/4 des votants, le calcul est rapidement fait. Il suffit aux britanniques de réunir deux voix supplémentaires de la FIFA pour faire passer n'importe quelle décision. Or, chacun sait que le Royaume Uni pratique un communautarisme décomplexé, que le port du voile y est parfaitement autorisé, chaque communauté faisant l'objet d'un traitement séparé.

Il est vrai que l'IFAB est aujourd'hui étroitement rattachée à la FIFA, et que cette dernière s'estime liée par  ses décisions. En l'espèce, la décision nouvelle fait bien peu de cas du règlement sur "les lois du jeu", dont la "loi n° 4" prévoit que "l'équipement de base obligatoire ne doit présenter aucune inscription politique, religieuse ou personnelle". Certes, un voile n'est pas une "inscription", mais il permet tout de même d'affirmer une conviction religieuse, L'IFAB, prévoyant cette objection, précise qu'elle considère le voile comme un signe culturel et non pas religieux. Une telle affirmation, sorte de pirouette juridique, n'a pas d'autre objet que de contourner le principe de neutralité du sport, et d'autoriser finalement le port du voile,  y compris dans un but de prosélytisme religieux.




Les nouvelles règles du football
La Belle Verte. Coline Serreau. 1996

Mépris de la Charte Olympique


a Charte Olympique interdit pourtant tout prosélytisme religieux dans le cadre des Jeux Olympiques. Son article 50 al. 3 se montre très ferme sur ce point : " Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n'est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique". Doit on en déduire que les autorités internationales du football violent allègrement la Charte Olympique ? La question est évidemment posée, dès lors que la FIFA accepte désormais que des compétitions médiatisées servent de support à une pratique de prosélytisme religieux. Le football, largement professionnel, dont les joueurs bénéficient de financements exceptionnels, était déjà bien éloigné de l'idéal de Coubertin. Force est de constater qu'en acceptant des joueuses voilées, il s'en éloigne encore davantage. 

A dire vrai, cela n'a rien de surprenant, car le CIO s'est toujours montré tiède, pour ne pas dire inexistant, à l'égard de la question du voile. En 2008, aux Jeux Olympiques de Pékin, on a recensé pas moins de quatorze délégations comportant des athlètes voilées. Le CIO n'est donc guère plus courageux que la FIFA. Alors que l'Afrique du Sud de l'Apartheid était exclue des Jeux Olympiques, on autorise aujourd'hui un traitement séparé pour les athlètes des pays musulmans. Les femmes contraintes à porter le voile ne sont elles pas victimes d'une forme d'Apartheid ?

Le droit français 


Heureusement, les décisions de la FIFA, comme celles de l'IFAD, sont entièrement dépourvues de valeur juridique en droit français. La Fédération française de football est une association fondée en 1919, et reconnue d'utilité publique en 1922. Ses statuts indiquent qu'elle se propose d'"entretenir toutes relations utiles avec les associations étrangères affiliées à la FIFA, les organismes nationaux et les pouvoirs publics". Une association française n'est donc pas liée par les décisions d'une association de droit étranger. Au demeurant, son caractère d'utilité publique confère aux pouvoirs publics un certain nombre d'éléments de contrôle, pour s'assurer que la Fédération française respecte les principes généraux de notre droit, et notamment la laïcité. La Fédération en est d'ailleurs pleinement consciente, et elle s'est hâtée de diffuser un communiqué mentionnant son "souci de respecter les principes constitutionnels et législatifs de laïcité qui prévalent dans notre pays et figurent dans ses statuts". En conséquence, elle persiste dans son interdiction du port du voile dans les compétitions.

On pourrait alors considérer que le débat est clos et que la France est à l'abri de tels errements. Sans doute, mais cette délibération de l'IFAB constitue un précédent fâcheux, susceptible d'être utilisé à l'appui de revendications communautaires, pour ne pas dire obscurantistes. Sur ce point, c'est un mauvais coup pour la cause des femmes.