Protégé derrière ses remparts, le Conseil se trouve aussi enfermé dans sa position défensive. Pourquoi remettre en cause une procédure contentieuse considérée comme parfaite ? Le Conseil d'Etat ne représente-t-il pas la perfection dans la protection de l'administré ? L'idée générale est donc de résister autant que possible aux assauts du juge européen, en acceptant des réformes minimalistes.
Après deux assauts successifs, la Cour européenne se prépare à en livrer un troisième qui pourrait être fatal à l'actuelle procédure.
Escarmouches
La première escarmouche est venue des arrêts Kress c. France du 7 juin 2001 et Martinie c. France du 12 avril 2006 qui ont sanctionné la présence du commissaire du gouvernement au délibéré. Dès lors qu'il était le dernier à s'exprimer lors de l'audience, sa participation au délibéré violait en effet l'égalité des armes et le respect du contradictoire. Un décret du 1er août 2006 a donc quelque peu amélioré la situation. D'une part, les conclusions sont communiquées aux parties qui peuvent y répondre par des observations orales. D'autre part, le commissaire du gouvernement est désormais exclu du délibéré, mais pas partout. Seuls les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel sont concernés par cette exclusion. Le Conseil d'Etat demeure, sur ce point, à l'abri de toute évolution, figé dans un isolement splendide. Son rapporteur est donc présent au délibéré, sauf dans l'hypothèse, fort rare, où l'une des parties demande qu'il en soit exclu.
Fortifications autour du Conseil d'Etat, assiégé par la Cour européenne |
1er Assaut
Hélas, cette première victoire, au demeurant fort modeste, a donné des ailes à l'agresseur strasbourgeois. Dans l'affaire UFC Que Choisir de Côte d'Or c. France du 30 juin 2009, l'attaque a porté cette fois sur l'absence de communication aux parties de la note du rapporteur et du projet de décision. Là encore, c'est évidemment le principe d'égalité des armes qui se trouve menacé.
La situation était grave, mais pas désespérée. Les stratèges du Conseil d'Etat ont su réagir, en alliant l'anticipation et les opérations spéciales.
L'anticipation tout d'abord, car le Conseil d'Etat s'est empressé de faire publier le décret du 7 janvier 2009, qu'il avait lui même rédigé, afin que ce texte intervienne avant la délibération de la Cour européenne. Ce décret met en place l'une de ces réformes en profondeur qui témoigne de l'esprit novateur du Conseil d'Etat. Le "rapporteur public" succède à l'ancien "commissaire du gouvernement". Cette nouvelle dénomination permet certes de lever enfin l'ambiguïté attachée à cette fonction, qui la faisait parfois présenter comme la voix de l'Exécutif. Mais que ceux qui redoutaient un changement d'envergure soient rassurés. Le Conseil s'est borné à appliquer la tactique du Prince Salinas qui, dans Le Guépard, appelait "à tout changer pour que rien ne change". De fait , le rapporteur public ressemble comme un frère à l'ancien commissaire du gouvernement, et il prononce ses conclusions devant la juridiction de juge après avoir eu communication de la note du rapporteur et du projet d'arrêt.
Les opérations spéciales ensuite, car l'affaire UFC Que Choisir a finalement fait long feu. Il est vrai que le juge français devant la Cour, membre du Conseil d'Etat, s'était déporté pour laisser la place à un juge ad hoc,... lui-même ancien membre du Conseil d'Etat. Surtout, un peu mystérieusement, l'association requérante avait retiré le grief portant sur l'absence de communication du rapport du conseiller rapporteur et du projet d'arrêt. La Cour a donc rendu une décision d'irrecevabilité, sauvant in extremis la procédure contentieuse.
2è assaut
Quelle sera la réaction de la citadelle assiégée face à ce nouvel assaut ? Bien sûr, le Conseil d'Etat peut organiser des colloques destinés à montrer la supériorité de sa procédure contentieuse. Il peut aussi obtenir des tierces interventions diverses et variées destinées à en convaincre la Cour. Mais cette défense un peu désespérée risque fort d'être contre-productive. La nécessité d'une réforme d'envergure touche aujourd'hui l'ensemble du monde de la justice. L'indépendance du parquet est à l'ordre du jour, après cinq ans de résistance à la jurisprudence de la Cour européenne, et d'efforts pour maintenir un contrôle de l'autorité judiciaire par l'Exécutif. Le camp retranché du Palais Royal n'aurait il pas intérêt à tenter une sortie, voire à engager des négociations en vue d'une mise en conformité de sa procédure avec le principe du contradictoire ?