« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 22 septembre 2011

L'expression syndicale, droit de l'homme ou du syndicat ?

La liberté d'expression syndicale est-elle une modalité d'exercice de la liberté d'expression détenue par chaque citoyen ou l'accessoire indispensable de l'exercice du droit syndical ? On serait tenté de répondre que la question est futile dès lors que l'expression syndicale peut librement s'exercer.

La Cour européenne des droits de l'homme réunie en Grande Chambre vient pourtant de relancer le débat dans une décision Palomo Sanchez et a. c. Espagne rendue le 12 septembre 2011. Appelée à statuer sur le licenciement d'un groupe de syndicalistes qui avaient diffusé un dessin et des articles particulièrement insultants pour des cadres de l'entreprise, la Cour estime en effet que cette sanction ne constitue pas une violation de l'article 10 de la Convention européenne relatif à la liberté d'expression. 

Cette décision a suscité en France un certain nombre de critiques. Dès lors que le licenciement d'un représentant syndical est beaucoup plus difficile que celui d'un salarié non protégé, on considère implicitement que cette rupture du contrat de travail ne saurait intervenir pour des motifs tirés de l'usage de leur liberté d'expression par ces représentants syndicaux. 

On retrouve l'écho de ce raisonnement dans les  protestations et autres "appels à rassemblement" qui circulent actuellement sur internet pour contester la condamnation en mars 2011 d'un représentant de SUD du ministère du travail,  pour "injures publiques envers une administration publique". Il avait en effet appelé, dans un texte largement diffusé, à "brûler l'INT" (Institut nationale du travail).  Ces prises de position illustrent une tendance à considérer l'expression syndicale comme un élément du droit syndical, bénéficiant d'une protection identique. De fait, cette catégorie particulière de la liberté d'expression serait un droit du citoyen, de l'"homme situé", pour reprendre une formule chère à  Georges Burdeau, c'est à dire un droit de l'individu défini à travers la relation qu'il entretient avec son travail. 

Affiche des Jeunesses ouvrières chrétiennes (JOC) 1936

L'analyse est séduisante, mais juridiquement fausse. La liberté d'expression,  syndicale ou non, est un droit de l'homme, attaché à l'individu, et désigne simplement une des conditions d'exercice de la liberté d'expression. C'est un droit de l'homme, attaché à l'individu, consacré par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui considère "la libre communication des pensées et des opinions" comme "l'un des droits les plus précieux de l'homme".

De fait, la liberté d'expression, syndicale ou non, s'exerce dans le cadre des lois qui la réglementent. Selon le droit français, chaque citoyen a le droit de s'exprimer librement, à la condition de ne pas tenir des propos racistes, discriminatoires ou négationnistes, injurieux ou diffamatoires, toutes restrictions prévues par la rédaction actuelle de la célèbre loi du 29 juillet 1881 sur la presse. Il en est exactement de même pour les représentants syndicaux et l'article L 2142-5 du code du travail prévoit, en termes très clairs, que "le contenu des affiches, publications et tracts est librement déterminé par l'organisation syndicale, sous réserve de l'application des dispositions relatives à la presse". 

La Cour européenne ne dit pas autre chose, dans sa décision Palomo Sanchez. Elle se livre en l'espèce à une lecture de l'article 10 sur la liberté d'expression à la lumière de l'article 11 sur "la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats". Pour le juge européen, le droit syndical trouve ses limites dans la "bonne foi" qui doit exister dans les relations de travail. Une atteinte à l'honorabilité des personnes par des expressions grossièrement insultantes ou injurieuses a des effets perturbateurs sur ces relations, et justifient donc une sanction très lourde. 

Cette décision aura t elle pour effet de limiter la liberté d'expression syndicale ? On espère que non, car ce serait considérer qu'il n'est pas possible de diffuser ses idées, même les plus audacieuses, sans attaquer personnellement et de manière injurieuse des individus. 



mardi 20 septembre 2011

DSK face au choeur antique

Le 3 juin dernier, alors que DSK était encore emprisonné chez lui, portant un bracelet électronique, placé sous la surveillance constante de systèmes de vidéo-surveillance, il semblait indispensable de rappeler que le système pénal américain repose davantage sur un statut de l'accusé que sur un véritable respect de la présomption d'innocence. Celle-ci n'est pas ignorée, mais elle n'intervient que tardivement, après la mise en accusation par un jury. De fait, au moment où l'on nous exhibait avec complaisance le directeur général du FMI menotté, ses avocats n'avaient pas encore accès au dossier, et les services du procureur faisaient une enquête à charge, leur mission étant de trouver des éléments permettant la mise en accusation.

L'abandon des poursuites pénales aux Etats-Unis

A l'époque, une large partie de la presse française clamait son admiration pour la procédure pénale d'outre Atlantique. Quel magnifique exemple que ce procureur qui n'hésite pas à mettre en prison les puissants pour protéger les plus faibles... Ce beau discours, repris en choeur par les mouvements féministes, a cependant fait long feu, lorsque le procureur Vance a lui même reconnu que son dossier s'effondrait. 

Et voilà que DSK parle 24 minutes à la télévision.. 24 minutes, ce n'est pourtant pas bien long, surtout si on considère que tout le monde affirmait que la France entière attendait ses explications, et qu'il avait dû se taire pendant quatre mois, quatre mois durant lesquels il a fait l'objet de campagnes de presse souvent violentes. 

Quoi qu'il en soit, ces 24 minutes ont suscité des réactions analogues à celles de mai dernier, comme si personne n'avait rien appris. La justice américaine est toujours louée : quel magnifique exemple que ce procureur qui a su renoncer aux poursuites avec dignité, dès lors que la fiabilité de son témoin principal s'effondrait sous le poids de ses mensonges et que les rapports de police scientifique n'offraient aucune preuve convaincante !

Sans doute... mais le discours dominant d'aujourd'hui consiste à dire que DSK n'est pas "blanchi", que cet abandon des charges n'a rien à voir avec un non lieu, une relaxe ou un acquittement,  rien à voir avec quoi que ce soit de connu dans notre code pénal. En clair, DSK doit pouvoir être présenté comme coupable, d'une manière ou d'une autre.

Le déni médiatique de la présomption d'innocence en France

Examinons donc les termes employés. Les féministes affirment volontiers que DSK n'est pas "blanchi".  A leurs yeux, peu importe qu'il soit coupable ou innocent, il doit demeurer l'instrument d'une mobilisation féministe. On lui demande de s'excuser, encore et toujours, du crime commis envers Mme Diallo et, à travers elle, envers toutes les femmes. Et l'on affirme urbi et orbi que DSK n'est pas "blanchi". Ce terme est cependant dépourvu de contenu juridique, à l'exception du "blanchiment" d'argent, qui est sanctionné par le code pénal et qui n'a rien à voir avec l'affaire DSK.

On peut douter que de dignes représentantes d'associations féministes aient employé le verbe "blanchir" dans deux autres sens, l'un qui relève de la cuisine et qui désigne le fait de porter à ébullition un produit pour le refroidir ensuite, l'autre qui relève de la lessive, lorsque l'on lave du linge blanc. Ce dernier sens nous rapproche cependant du sens figuré qui renvoie à l'idée que les charges retenues contre un accusé sont désormais levées, lui permettant de redevenir un citoyen qui, comme tous les autres, bénéficie de la présomption d'innocence. N'est-ce pas le cas de DSK, dès lors que le procureur a renoncé à toute poursuite pénale ? 

Le directeur de la rédaction du célèbre "tabloïd" mis en cause par DSK affirmait ce matin, lors d'une émission spécialisée dans les discussions de comptoir, que cet abandon des poursuites n'est pas assimilable à un non-lieu. Sur le plan juridique, son ignorance n'affectait évidemment en rien son assurance.

Masques tragique et comique. Mosaïque romaine. IIè siècle apr. JC.

Le non-lieu se définit tout de même comme l'abandon d'une action judiciaire en cours de procédure par le juge, lorsqu'il s'aperçoit que les éléments rassemblés lors de l'enquête ne permettent pas de poursuivre l'instruction. Décidé par le juge, le non-lieu se distingue de l'opportunité des poursuites, qui permet au parquet d'abandonner les poursuites avant le projet. Bien entendu, les procédures américaine et française ne seront jamais totalement comparables. Dans la procédure inquisitoire française, la décision appartient au juge d'instruction. Dans la procédure accusatoire américaine, l'initiative est venue du procureur mais la décision a été finalement prise par le juge, dans le cadre d'une audience publique et contradictoire. En dehors de cette différence minime liée à l'absence de juge d'instruction, force est de constater que DSK a bénéficié de quelque chose qui ressemble fort à un non-lieu.

Ce rapprochement s'impose d'autant plus que la situation de DSK ne saurait être assimilée à une relaxe ou un acquittement, le premier prononcé par le tribunal correctionnel, le second par la Cour d'assises. Dans les deux cas, cependant, la décision est acquise à l'issue d'un procès, ce qui n'est évidemment pas le cas de DSK, puisque le procureur Vance a précisément décidé de ne pas aller au procès.

De ce fait, DSK, n'en déplaise aux sycophantes, se retrouve dans la position d'un citoyen bénéficiant de la présomption d'innocence. Et, jusqu'à présent, l'affaire Banon n'y change rien. En effet, la presse a fait preuve d'une remarquable absence de curiosité sur la procédure suivie. Pourquoi DSK a t il été entendu comme témoin et n'a t il pas été mis en garde en vue ? Tout simplement parce que cette procédure ne peut être mis en oeuvre que si les enquêteurs constatent l'existence d'"une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner l'intéressé d'avoir commis ou tenté de commettre une infraction punie d'une peine d'emprisonnement" (art. 62-2 cpp).  Ces raisons plausibles existent-elles ? La procédure suivie laisserait plutôt entrevoir la légèreté du dossier.

L'affaire DSK illustre ainsi une tendance générale à l'utilisation des termes juridiques à des fins purement politiques, voire polémiques. Ce n'est pas tant M. Strauss-Kahn qui en est victime que la justice elle-même, désormais considérée comme un simple instrument de communication.


dimanche 18 septembre 2011

Les peines plancher survivent à la QPC

On se souvient qu'en juin 2011, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait transmis au Conseil constitutionnel une QPC posée par la société Locawatt, portant sur la constitutionnalité de l'article 530-1 du code de procédure pénale. Celui-ci fixe un minimum de peine, une peine plancher, que le juge doit prononcer lorsqu'il condamne une personne qui conteste une amende forfaitaire ou une amende forfaitaire majorée.

LLC avait alors attiré l'attention de ses lecteurs sur le dilemme auquel se trouvait confronté le Conseil constitutionnel. Soit il faisait prévaloir le principe constitutionnel d'individualisation de la peine, et, dans ce cas, il mettait en question le principe même des peines plancher. Soit il écartait le principe d'individualisation de la peine, admettait la constitutionnalité des peines plancher... au risque de malmener quelque peu l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

C'est cette seconde option qui a été choisie par le Conseil, à partir d'un argumentation à la fois juridique et pragmatique.

Le principe d'individualisation interprété a minima

Selon une jurisprudence constante, le principe d'individualisation des peines est déduit de l'article 8 de la Déclaration de 1789 : "la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires". Dans sa décision du 22 juillet 2005 portant sur la loi mettant en oeuvre le "plaider-coupable", le Conseil a même consacré "le principe d'individualisation des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen". 

Il est vrai, et nous entrons dans le coeur du raisonnement du Conseil, que le principe d'individualisation des peines est loin d'être absolu. Dans une première décision sur les peines planchers, rendue sur la loi relative à la lutte contre la récidive le 9 août 2007, il considère que, compte tenu de la gravité de l'état de récidive légale, "l'instauration de peines minimales d'emprisonnement prononcées par la juridiction ne méconnait pas le principe de nécessité et d'individualisation des peines".  

Surtout, le Conseil considère que le principe d'individualisation est garanti de manière suffisante lorsque le juge conserve une possibilité, même minime, de moduler l'exécution de la peine. Dans une décision QPC du 29 septembre 2010, M. Thierry B., il est conduit à se prononcer sur la constitutionnalité de l'article L 234-13 du code de la route qui contraint le juge à prononcer l'annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d'un nouveau permis, lorsque les contrevenants sont récidivistes, auteurs d'infractions graves au code de la route. Le Conseil estime en l'espèce que le principe d'individualisation est respecté, dans la mesure où le juge peut librement apprécier la durée de l'interdiction dans la limite de trois ans. 

Dans l'affaire Locawatt, la situation juridique est à peu près identique. La disposition contestée n'établit pas une peine obligatoire ni une peine automatique, mais un seuil de peine. Le juge ne peut prononcer une peine inférieure au montant de l'amende forfaitaire ou de l'amende forfaitaire majorée. Rien ne lui interdit, en revanche, de dispenser l'intéressé de peine, si les trois conditions posées par l'article 132-59 du code pénal sont réunies (si le reclassement du coupable est acquis, le dommage causé réparé,  et si le trouble résultant de l'infraction a cessé). Il n'est pas davantage interdit au juge de moduler la peine entre le seuil ainsi imposé et le maximum encouru. 

Le principe d'individualisation est donc interprété a minima... mais il n'a pas disparu.


Caillebotte. Les raboteurs de parquet. 1875



L'argument pragmatique : la bonne administration de la justice

Disons le franchement. Le Conseil aurait sans doute été critiqué s'il avait déclaré inconstitutionnelle une loi prévoyant des peines-plancher pour sanctionner les chauffards, alors que, quelques années auparavant, il avait admis ces mêmes peines-plancher à l'encontre de multirécidivistes de droit commun..

On sait que la sécurité routière est considérée comme une priorité nationale, et que toute mesure visant à adoucir les peines infligées aux mauvais conducteurs est toujours mal perçue par les pouvoirs publics, et notamment par les services qui ont en charge cette sécurité. On se souvient de la levée de boucliers de septembre 2010, lorsque les sénateurs ont voté un amendement à la Loppsi 2, visant à réduire la durée de récupération des points perdus sur le permis de conduire..Nul doute que le Conseil ne souhaitait pas apparaître à son tour comme le protecteur des chauffards.

Une petite phrase de la décision témoigne de ce pragmatisme du Conseil. Il affirme en effet que "le législateur a, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et pour assurer la répression effective des infractions, retenu un dispositif qui fait obstacle à la multiplication des contestation dilatoires". Les peines plancher ont donc pour objet de dissuader les recours dilatoires.

Le principe de bonne administration de la justice est certes sollicité pour justifier une préoccupation très pragmatique visant à ne pas encombrer les prétoires. Cette "bonne administration de la justice" est un "objectif de valeur constitutionnelle" surtout utilisé, sans fondement textuel bien défini, lorsqu'il s'agit d'unifier les règles de compétence juridictionnelle pour faciliter les démarches contentieuses du requérant, voire pour alléger certaines formes afin d'accélérer les procédures. Il est donc généralement invoqué dans l'intérêt de l'administré ou du requérant. Dans l'affaire Locawatt, le Conseil s'y réfère cependant dans l'intérêt de des autorités chargées de gérer un contentieux particulièrement abondant.

Cette décision illustre la difficulté pour le Conseil constitutionnel de concilier des intérêts contradictoires, ceux des pouvoirs publics qui veulent, à juste titre, des sanctions exemplaires en matière de sécurité routière, mais aussi ceux des justiciables qui doivent pouvoir contester la sanction qui les frappe.


vendredi 16 septembre 2011

M. Hortefeux, injures publiques, injures privées

Brice Hortefeux, a été relaxé le 15 septembre 2011 par la Cour d'appel de Paris dans l'affaire des "Auvergnats". Lors de l'Université d'été de l'UMP organisée à Seignosse dans le département des Landes, en septembre 2009, il discutait avec un groupe de militants, parmi lesquels M. Amine Benalia-Brouch présenté par une responsable locale du parti comme "notre petit Arabe". M. Hortefeux, alors ministre de l'intérieur, avait répondu : "Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes". Il avait ensuite affirmé qu'il parlait des Auvergnats... 

Poursuivi par le MRAP, il avait été condamné à 750 € d'amende par le tribunal correctionnel en juin 2010 pour injures non publiques à caractère racial. A l'époque, les commentaires portaient surtout sur la condamnation du ministre de l'intérieur en exercice... mais personne ne s'était intéressé à la requalification de l'infraction, passant de l'injure publique qui est un délit (art. 23 de la loi du 29 juillet 1881)  à l'injure non publique qui est une contravention (art. R 624-5 c. pén.). Or, le débat en appel a précisément eu lieu à propos de cette requalification et des conséquences qu'elle emporte. 

L'injure 

La Cour d'appel ne conteste pas le caractère injurieux des propos tenus par M. Hortefeux. L'injure, au sens juridique du terme, est définie par l'article 29 al. 2 de la loi du 29 juillet 1881 comme "toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait". L'article 33 de la même loi définit un peine de 12 000 € d'amende, qui peut être étendue à un an d'emprisonnement et/ou 45 000 € d'amende lorsque l'injure est prononcée "envers une personne ou un groupe de personnes, à raison de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée (...)". 

Le juge se penche d'abord  sur une phrase prononcée par M. Hortefeux que le MRAP considère comme injurieuse. En réponse à une militante qui affirme que le jeune Amine "parle l'arabe", est "catholique", "mange du cochon" et "boit de la bière", M. Hortefeux s'exclame : "Ah mais, ça ne va pas du tout, alors il ne correspond pas du tout au prototype alors. C'est pas du tout ça". La Cour fait observer que ces propos témoignent d'un "évident manque de culture" et que "le ministre, notamment en charge des cultes, s'offre un malheureux trait d'humour...". Aussi détestable soit-il, cet humour n'est pas considéré comme outrageant ou méprisant, dès lors que les personnes d'origine arabe se voient seulement imputer une pratique généralisée de la religion musulmane.

Il n'en est pas de même des autres propos poursuivis, ceux qui avaient précisément été réprimés en première instance :  "Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes". Pour le juge, cette formule "qui vient conforter l'un des préjugés qui altèrent les liens sociaux, est outrageant et méprisant à l'égard de l'ensemble du groupe formé par les personnes d'origine arabe stigmatisées du seul fait de cette appartenance". L'injure est donc constituée. 

Mais s'il y a effectivement injure, pourquoi M. Hortefeux est-il finalement relaxé ? 

L'élément de publicité de l'injure

Selon l'article 23 de la loi sur la presse, le délit d'injures publiques est constitué lorsque les propos ont été "proférés dans les lieux ou réunions publics" ou exposés au regard du public par n'importe quel support, écrit, audiovisuel ou internet.

Les critères définissant le caractère public de l'injure sont au nombre de deux.

Le premier est l'absence de communauté d'intérêts entre les participants à la réunion. La terrasse d'un restaurant est ainsi considérée comme un lieu public (Cass. Crim. 15 mars 1983) car ceux qui y sont installés n'ont pas de lien entre eux. En revanche, une injure  figurant sur un document distribué aux seuls membres d'un parti politique n'est pas "publique" au sens de la loi car elle ne sort pas d'un groupe fermé (Cass. Crim. 27 mai 1999). Le second critère est le caractère intentionnel de la publicité. En clair, il faut qu'il existe une intention coupable de rendre publics les propos injurieux. Si les propos ont été tenus dans un lieu public, mais sans aucune volonté de publicité, le délit n'est pas constitué.




En l'espèce, le juge observe qu'il existe une communauté d'intérêts entre les participants à l'Université de l'UMP, et qu'ils pouvaient espérer que les propos de M. Hortefeux ne sortiraient pas du petit groupe qui les a entendus. Et il est vrai que la scène a été filmée à l'issue des acteurs. De fait, la publicité réalisée est donc dépourvue de tout caractère intentionnel.

Sur ce point, la position de la Cour est tout à fait soutenable... mais la position inverse l'aurait été tout autant. En effet, nul ne pouvait ignorer, parmi les dirigeants de l'UMP présents à cette manifestation, que les journalistes avaient été autorisés à y assister, et que les propos tenus risquaient fortement de sortir du cercle des militants..

Quoi qu'il en soit, le juge opère une requalification d'injure publique en injure non publique, et il en tire toutes les conséquences.

Irrecevabilité du recours du MRAP

L'article 48 al. 1 de la loi du 29 juillet 1881 autorise les associations régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans, et se proposant par ses statuts "d'assister les victimes de discrimination" à se porter partie civile dans un certain nombre de délits de presse, notamment ceux liés au négationnisme, à la haine raciale, à l'injure publique.... mais pas à l'injure non publique. De fait, dès lors que l'injure incriminée n'est pas publique, le recours du MRAP devient tout simplement irrecevable. Elle ne serait recevable que dans l'hypothèse où la qualification d'injure publique serait retenue, ce que la Cour de cassation pourrait éventuellement décider si elle était appelée à se prononcer.

Et M. Hortefeux est en conséquence relaxé. Il va pouvoir se consacrer avec sérénité à la préparation de la campagne du Président de la République.


jeudi 15 septembre 2011

L'Europe du renseignement, chantier en cours

Deux informations publiées cette semaine montrent que l'Europe de la police et du renseignement se construit... lentement. 

Les évolutions récentes

Dans le domaine de la lutte contre la grande criminalité, une ordonnance vient d'être présentée au conseil des ministres du 7 septembre 2011, visant à faciliter et accélérer l'échange d'informations et de renseignements entre les services de police et de douane. Il s'agit en fait de mettre en oeuvre la décision-cadre adoptée par l'UE le 18 décembre 2006, qui avait  été adoptée après les attentats de Madrid. Le texte exact de ce projet d'ordonnance n'est pas encore diffusé, mais le ministre de l'intérieur affirmé déjà qu'elle garantira "la confidentialité dans la transmission des informations".

Quelques jours après, le 12 septembre, le Conseil des affaires générales de l'Union européenne a approuvé la création d'une toute nouvelle "Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'informations à grande échelle dans le domaine de la liberté, de la sécurité et de la justice" qui devrait être installée à Tallin, en Estonie. Un "paquet législatif" adopté en juin 2009 comporte différents instruments juridiques nécessaires à cette création, à savoir un règlement du Parlement et du Conseil créant l'Agence et une décision du Conseil définissant ses missions.

Sur ce point, l'Agence sera, dès sa création en 2012, chargée de la gestion de trois grands fichiers : le Système d'information Schengen 2è génération (SIS II), le système d'information sur les visas (VIS) et le système Eurodac permettant la comparaison des empreintes digitales des demandeurs d'asile. Il s'agit là des tous premiers fichiers confiés à l'Agence, et elle se verra sans doute confier d'autres systèmes à grande échelle dans l'avenir. 

L'Agence aura en outre une fonction générale d'élaboration de véritables standards sur les conditions de développement des fichiers d'informations et de renseignements. Elle pourra ainsi adopter des mesures de sécurité et de contrôle, organiser des formations pour les agents ayant intérêt à en connaître, voire établir des rapports et publications sur son fonctionnement.

Michel Hazanavicius. OSS 117. Le Caire, nid d'espions. 2006

Une Europe du renseignement à deux étages


On assiste à la construction d'une Europe de l'information et du renseignement à deux étages. Le premier, illustré par l'ordonnance française met en oeuvre un système d'échange de données dans un but de coopération policière et de sécurité. Le second adopte au contraire une vision totalement intégrée, avec une gestion centralisée de fichiers communs. 

Comme l'ensemble de l'Union européenne, l'Europe des fichiers hésite entre ces deux mouvements de coopération et d'intégration. 

Le plus efficace des deux n'est pas nécessairement celui que l'on croit. L'intégration affichée par la création de la nouvelle Agence ne doit pas faire illusion, lorsque l'on sait à quel point les gouvernements sont réticents à échanger des données sensibles, particulièrement dans le domaine du renseignement. C'est ainsi que le "Centre de situation conjoint de l'Union européen" (SitCen), créé en 2001, n'est qu'une plate-forme d'analyse des informations que veulent bien transmettre les Etats membres, la collecte du renseignement restant le monopole des Etats. La lutte contre le terrorisme n'a d'ailleurs conduit qu'à la création d'un poste de "coordinateur". Son titulaire, le belge Gilles de Kerchove s'efforce de convaincre les Etats membres de la nécessité de coopérer dans ce domaine, sans réellement y parvenir. 

Le plus protecteur des deux n'est pas non plus nécessairement celui que l'on croit. Le système européen de protection des données a certes influencé le droit des Etats membres, dans la mesure où ils ont dû transposer les directives intervenues dans ce domaine. Mais l'intégration conduit souvent au nivellement sur le standard le moins exigeant. Elle crée en outre des vulnérabilités nouvelles liées à la centralisation qu'elle met en oeuvre.

Il ne reste plus à espérer que nous disposerons bientôt de davantage d'informations sur ces échanges d'informations...



mardi 13 septembre 2011

Le droit de se défendre seul devant le juge pénal

A un moment où on constate un accroissement considérable du rôle des avocats dans la procédure pénale, et plus spécialement lors de la garde à vue, une décision rendue sur QPC le 9 septembre 2011, M. Hovanes A. vient opportunément rappeler que toute partie à un procès pénal a le droit de se défendre seule.

En l'espèce, la QPC portait sur l'article 175 du code de procédure pénale qui définit les règles applicables lorsque le juge d'instruction considère que ses investigations sont terminées. Il transmet alors le dossier au procureur qui dispose d'un mois si la personne poursuivie est en détention, ou de trois mois dans les autres cas, pour lui transmettre ses réquisitions motivées. Le juge d'instruction doit ensuite donner copie de ces réquisitions aux "avocats des parties", accusé et partie civile, par lettre recommandée. Les destinataires sont donc les avocats des parties, et exclusivement eux. 

Qu'en est il de la personne qui n'est pas représentée par un avocat lors d'un procès pénal ? L'hypothèse est loin d'être impossible, dès lors que le recours à un avocat n'est obligatoire que devant la Cour d'assises et la Cour de cassation. Rien n'interdit donc aux parties de se défendre elles-mêmes devant le tribunal correctionnel. Hélas, aux termes de l'article 175 du cpp, celui qui a choisi cette formule ne peut avoir communication des réquisitions du procureur.

La Cour de cassation choisit de sanctionner cette discrimination en fonction du mode de défense choisi, et déclare non conforme à la Constitution cette référence aux "avocat" des parties. Il exige purement et simplement la suppression du mot "avocats", l'article 175 devant se lire désormais comme imposant au juge d'instruction l'obligation d'envoyer aux "parties" ces réquisitions. 

L'intérêt de la décision réside dans le fondement choisi par le Conseil pour déclarer cette inconstitutionnalité. Il évoque en effet les droits de la défense et la règle du procès équitable mais s'appuie directement sur l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et sur le principe d'égalité devant la loi. Il rappelle que "si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au principe du contradictoire et au respect des droits de la défense". En l'espèce, rien ne justifie un traitement différencié selon que la personne se défend seule ou est défendue par un avocat. Aux termes de l'article 6, la loi doit donc "être la même pour tous". 

Les bonnes causes. Christian Jaque. 1963

Comme tous les bons raisonnements, celui-ci a l'avantage de la limpidité. En cela, la solution du Conseil constitutionnel s'oppose à une jurisprudence pour le moins alambiquée de la Cour européenne des droits de l'homme. 

La Cour a été amenée à statuer, non pas sur la communication des réquisitions prévue par l'article 175 cpp, mais sur le principe même de la communication aux parties du dossier de l'instruction. Elle opère en sur ce sujet une distinction entre la phase d'instruction et la phase de jugement. 

Au stade du jugement, les parties, accusé ou partie civile, représentées ou non par un avocat, ont le droit d'accéder à l'ensemble du dossier, solution acquise depuis un arrêt du 18 mars 1997, Foucher c. France. En l'espèce, l'accusé faisait cependant l'objet d'une citation directe, et il n'y avait pas de phase d'instruction proprement dite. Cette solution avait été confirmée par un arrêt Menet c. France du 14 juin 2005, qui concernait cette fois l'accès de la partie civile au dossier d'instruction. La Cour fait donc, dans ce cas, prévaloir le principe de l'égalité des armes figurant à l'article 6 de la Convention. 

Au stade de l'instruction, la jurisprudence est plus restrictive. La cour estime en effet que les Etats peuvent décider de limiter l'accès au dossier d'instruction aux seuls avocats. Dans l'affaire Frangy c. France du 1er février 2005, elle fait en effet prévaloir le secret de l'instruction sur l'égalité des armes. Elle observe en effet que l'accusé ou les parties civiles ne sont pas soumises au secret professionnel, alors que leurs avocats le sont. Afin de préserver cette confidentialité, la Cour estime donc possible de limiter aux avocats ce droit d'accès, quand bien même la loi du 30 décembre 1996 autorise, sous certaines conditions et avec l'accord du juge d'instruction, la communication de certaines pièces par l'avocat à son client. La Cour européenne choisit donc de faire prévaloir le secret de l'instruction sur l'égalité des armes, choix hautement discutable et qu'elle ne justifie pas réellement dans sa décision. 

Sur ce plan, le Conseil constitutionnel a le mérite de rendre une solution de bon sens, en rappelant que le principe d'égalité devant la loi doit l'emporter sur toute autre considération.