« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 8 août 2011

Facebook, la biométrie et la vie privée

La biométrie a d'abord été définie comme une science, celle qui "étudie, à l'aide des mathématiques, les variations biologiques à l'intérieur d'un groupe déterminé". Aujourd'hui, la biométrie est davantage perçue comme une technique d'identification de la personne à partir de ses caractères physiologiques reconnaissables et vérifiables, qu'il s'agisse de la paume de la main, de l'ADN, de l'identification par l'iris de l'oeil ou encore par la voix. Quant à ses utilisations, elles sont potentiellement d'une extrême diversité, allant de l'authentification des paiements au démarrage d'une voiture, en passant par l'accès des élèves à la cantine ou le contrôle du temps de travail. Ce glissement de la science à la technique a été perçu comme positif, dans la mesure où la biométrie était d'abord un instrument d'accroissement de la sécurité et de la fiabilité de certains échanges.

Aujourd'hui, le danger pour la vie privée apparaît au grand jour, alors que Facebook fait une utilisation de la biométrie qui ne présente qu'un intérêt ludique, voire pas d'intérêt du tout. En l'espèce, il s'agit d'utiliser un logiciel de reconnaissance faciale qui permet d'identifier les visages et d'y associer une identité. En soi, un tel logiciel peut être très utiles, par exemple pour les services de police, lorsqu'ils ont besoin d'identifier un suspect sur des photographies. Mais Facebook ne l'utilise que pour permettre à ses abonnés d'être "reconnus" lorsqu'ils apparaissent sur une photo diffusée sur le réseau social, le cliché étant alors automatiquement envoyé à leurs "amis". Chaque utilisateur de Facebook est présumé avoir accepté ce système de reconnaissance faciale. C'est donc à lui de prendre l'initiative de le désactiver, s'il parvient à trouver l'endroit où il peut cocher cette case…

Cette utilisation de la biométrie constitue une nouvelle incitation à la prudence vis-à-vis des données que nous laissons circuler sur les réseaux sociaux. Mais au-delà de cette observation de bon sens, on doit observer que, en l'état actuel du droit, cette fonction de reconnaissance faciale n'est pas conforme aux standards juridiques des Etats européens.

L'Union européenne

L'Union européenne, en tant que telle, n'éprouve aucune réticence à l'égard de la biométrie, dès lors que les fichiers sont dotés de systèmes de protection des données, et que leurs finalités sont parfaitement précisées . Le réglement du Conseil adopté le 13 décembre 2004 pose ainsi un certain nombre de principes gouvernant l'utilisation des passeports biométriques. De même, l'Union utilise désormais une base de données biométriques pour la gestion des demandeurs d'asile, qui utilise les empreintes digitales (Eurodac). Pour le reste, l'Union européenne considère que l'utilisation de la biométrie relève de la compétence des Etats membres. C'est donc au regard des droits internes des Etats que le reconnaissance faciale de Facebook pose d'abord problème.

L'Allemagne, le précurseur 

L'Allemagne a été le premier pays à manifester son opposition à cet outil nouveau. Ce n'est guère surprenant si on se souvient que la toute première loi au monde sur la protection des données a été votée par le Land de Hesse, en 1970. Depuis cette date, la vie privée est devenu l'objet d'un militantisme associatif particulièrement actif. C'est ainsi qu'une véritable levée de boucliers a accueilli la création, à l'été 2010, du service de cartographie interactive Google Street View, finalement contraint de "flouter" 200 000 bâtiments, à la demande de leurs occupants. A la même époque, des associations allemandes de consommateurs avaient déjà appelé à un boycott de Facebook, accusé de ne pas être suffisamment attentif à la protection de la vie privée.

En ce qui concerne la reconnaissance faciale mise en place par Facebook, son illégalité ne fait guère de doute au regard du droit allemand, ou plus exactement des droits allemands dès lors que la protection de la vie privée relève de la compétence des Länder. Ces législations ont toutes en commun de poser comme principe qu'une information nominative, y compris biométrique, ne peut être collectée qu'avec l'accord des intéressés. Or, Facebook a mis en place un système dans lequel l'utilisateur est présumé avoir donné son consentement, puisqu'il lui incombe, le s'il le souhaite, de désactiver le système.

L'agence de protection des données de la ville de Hambourg a été la première à réagir, et elle demande aujourd'hui à l'entreprise américaine de supprimer les informations collectées sans l'accord des internautes. Facebook dispose de deux semaines pour répondre, et risque une importante amende en cas de refus de modifier le système.



Et la France ? 

Et en France ? L'illégalité ne fait pas davantage de doute, dès lors que l'article 25 de la loi du 6 janvier 1978 soumet la collecte et le stockage de données relatives à la vie privée à autorisation de la CNIL. Et la jurisprudence française considère depuis bien longtemps que le droit à l'image est indissociable du droit au respect de la vie privée.

Une communication de la CNIL, relative à la mise en œuvre de dispositifs de reconnaissance par empreintes digitales pose les principes gouvernant l'utilisation de la biométrie. Pour que la collecte et la conservation de données biométriques soit légale, quatre conditions sont posées :
  1. Une finalité liée à un "enjeu majeur dépassant l'intérêt de l'organisme" (protection de l'intégrité physique des personne ou protection des biens). En l'espèce, on ne voit pas très bien l'"enjeu majeur poursuivi" par la reconnaissance faciale de Facebook, son seul objet étant de permettre des échanges de photographies à des fins de loisirs.
  2. La proportionnalité de la finalité du dispositif par rapport à l'atteinte à la vie privée qu'il implique. Là encore, la condition n'est pas remplie, dès lors que cet outil biométrique porte atteinte au droit à l'image, sans aucun motif d'intérêt général.
  3. L'existence d'un "impératif fort de sécurité", qui, à l'évidence n'existe pas.
  4. L'information préalable des personnes concernées sur les données collectées et stockées. En l'espèce, la technologie commence à fonctionner sans que l'internaute en soit informé.
Dès lors que ces données portent atteinte à la vie privée, le régime légal est donc celui de l'autorisation de l'article 25 de la loi du 6 janvier 1978. La CNIL n'a d'ailleurs pas hésité à refuser certaines autorisations, notamment lorsque l'impératif de sécurité ne lui semblait pas suffisamment "fort". Par une délibération du 26 juin 2008, elle a ainsi refusé à un établissement scolaire l'autorisation d'utiliser les empreintes digitales pour permettre le contrôle de l'accès et de la présence des élèves.


De cet ensemble normatif, on doit déduire que Facebook n'a pas d'autre choix que de faire une demande d'autorisation à la CNIL. A ce jour, il ne semble pourtant pas qu'une telle demande ait été déposée… L'entreprise américaine serait-elle au-dessus de la loi française ?

samedi 6 août 2011

Jurés populaires et justice des mineurs. Oui, mais...

La décision rendue le 4 août par le Conseil constitutionnel est de celles qui peuvent sembler relativement anodines. C'est si vrai que les journalistes ont privilégié une approche "quantitative", notant que le Conseil "n'a censuré que 4 des 54 articles de la loi" ou qu'il a validé "l'essentiel" de la loi. En clair, ce qui a été déclaré inconstitutionnel ne mériterait guère que l'on s'y attarde. Et les journalistes ne s'attardent d'ailleurs pas, d'autant que la décision ne brille pas par sa limpidité. 

Sur les jurés populaire en matière correctionnelle, le Conseil constitutionnel valide le dispositif, ce qui était d'ailleurs attendu, car on ne voit pas trop sur quel fondement il aurait pu déclarer l'inconstitutionnalité d'un système qui existait déjà en matière criminelle. Il précise cependant les conditions dans lesquelles ce "tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne" peut  fonctionner.

Trois conditions sont ainsi posées :
                - des garanties appropriées doivent être mises en place, pour satisfaire au principe d'indépendance, "indissociable de l'exercice de fonctions judiciaires" ;
                - l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 précise que "tous les citoyens sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents".  Pour le Conseil constitutionnel, ces dispositions imposent un contrôle préalable de la capacité des personnes figurant sur la "liste des citoyens assesseurs".
                - Enfin, les "citoyens assesseurs" doivent demeurer minoritaires dans  les formations correctionnelles de droit commun.

Le juge constitutionnel note que ces conditions sont remplies en l'espèce, puisque la loi confie à la commission mise en place par l'article 262 c.p.p., celle-là même compétente pour les jurys d'assises,  d'examiner la liste préparatoire des citoyens appelés à de telles fonctions. Cette commission peut exclure des personnes "notamment pour des raisons qui font douter de leur impartialité, leur honorabilité ou leur probité".  En outre, ceux qui seront effectivement appelés à exercer ce rôle d'assesseur bénéficieront d'une formation ad hoc dont les modalités seront précisées par un décret en Conseil d'Etat.  Enfin, le caractère minoritaire des "citoyens assesseurs" est garanti par la loi. 

Sur ces plans, la loi est donc parfaitement conforme à la Constitution… Mais le Conseil va plus loin en précisant les limites de la condition de capacité qu'il a lui-même posée. Il censure en effet deux alinéas  mentionnant que les tribunal pourra être réuni en "formation citoyenne" pour les délits relatifs à l'usurpation d'identité et à l'environnement. Pourquoi ceux-là ? Parce qu'ils "sont d'une nature telle que leur examen nécessite des compétences juridiques spéciales qui font obstacle à ce que des personnes tirées au sort y participent". Cette formule laisse donc penser que le "simple quidam" est assez malin pour comprendre un vol à main armée, mais pas assez pour une atteinte à l'environnement… Dès que l'affaire devient un peu compliquée, on exclut donc le "tribunal en formation citoyenne" pour revenir au tribunal correctionnel de papa… Autant dire que le "tribunal en formation citoyenne" relève d'une approche cosmétique de la procédure pénale, et que le Conseil constitutionnel veut sans doute montrer qu'il n'est pas dupe..

12 hommes en colère. Sidney Lumet. 1957
Sur la justice des mineurs, le juge constitutionnel se montre plus direct. Il est vrai que nous étions préparés à sa décision par la QPC du 8 juillet, intervenue à propos de l'état du droit antérieur à la loi qui vient d'être votée.  Le Conseil avait alors estimé que l'ancien article L 251-3 du Code de l'organisation judiciaire, en permettant au juge des enfants qui a instruit l'enquête de présider la juridiction de jugement, portait au principe d'impartialité une atteinte contraire à la Constitution. Moins d'un mois plus tard, il n'est guère surprenant que le Conseil confirme sa position sur ce point. Est également confirmée la date d'entrée en vigueur de cette déclaration d'inconstitutionnalité au 1er janvier 2013.

On se souvient, et LLC s'en était fait l'écho, que cette QPC du 8 juillet avait suscité les inquiétudes des juges des enfants. Ils redoutaient en fait la disparition pure et simple de la justice des mineurs, ces derniers étant finalement punis avec la même sévérité que les adultes.

Le Conseil s'est manifestement efforcé d'apaiser ces craintes. Il rappelle que la loi doit être appréciée par rapport au principe fondamental reconnu par les lois de la République qu'il avait déjà affirmé dans sa décision sur la loi Perben I du 29 août 2002. Ce principe implique "l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs et la recherche de leur relèvement éducatif et moral". En d'autres termes, ce PFLR impose une double contrainte, d'une part garantir la spécificité de la justice des mineurs, d'autre part assurer sa finalité éducative. 

C'est ainsi que le Conseil finit par déclarer inconstitutionnelles des dispositions qu'il juge trop sévères par rapport à ce principe. La possibilité d'assigner à résidence un mineur de 16 ans avec surveillance électronique est ainsi considéré comme "d'une rigueur d'autant moins nécessaire" que la même loi assouplit les  conditions permettant de placer un mineur sous contrôle judiciaire".

En définitive, une décision plus subtile que la manière dont elle a été présentée par les premiers commentateurs. Son importance ne réside sans doute pas dans l'importance des dispositions annulées, mais bien davantage dans l'étendue et  l'intensité du contrôle exercé par le Conseil..



jeudi 4 août 2011

La lettre du Président de la République aux parlementaires et la séparation des pouvoirs


Le 26 juillet dernier, le Président de la République a envoyé à tous les parlementaires une lettre leur demandant de "se rassembler au-delà des intérêts partisans". Après l'adoption du plan d'aide à la Grèce, il s'agissait en fait de faire la promotion de la réforme visant à intégrer le principe d'équilibre budgétaire dans le texte constitutionnel. 

On sait que cette réforme, si elle n'est pas soumise à referendum, devra obtenir la majorité des 3/5è des voix de l'ensemble des parlementaires, députés et sénateurs, réunis en Congrès à Versailles. L'objet de la lettre présidentielle est donc d'abord de mettre l'opposition en situation délicate en faisant peser sur elle la responsabilité de l'échec éventuel d'une réforme présentée comme un instrument essentiel dans la maîtrise des déficits. 

Au-delà de l'utilisation politique du procédé, il convient de revenir sur son utilisation juridique. La question est simple : le Président de la République a-t-il violé la Constitution en envoyant cette lettre aux parlementaires ?

Le sujet n'est pas aussi anodin que certains l'ont affirmé, car le débat porte sur le principe même de la séparation des pouvoirs, consacré par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyende 1789. Selon la lecture parlementaire de ce principe, le Président de la République, constitutionnellement irresponsable, ne doit pas pouvoir faire pression sur le parlement. Sa seule arme à son égard est le droit de dissolution.

On a toutefois admis un "droit de message" du Président, procédure conçue de manière minimaliste depuis la célèbre loi de Broglie de 1873, qui avait pour objet d'interdire à Adolphe Thiers d'intervenir en séance pour faire pression sur les députés. Conformément à la tradition parlementaire, l'article 18 de la Constitution de 1958 n'autorisait donc le Président de la République à s'exprimer que par un message lu par le président de chaque assemblée, et suivi d'aucun débat. La procédure était d'ailleurs relativement rare, 18 utilisations entre 1958 et 2007. 

Portrait de Louis-Adolphe Thiers, Président de la République

Le Président Sarkozy a souhaité étendre ce droit de message. Lors de la révision constitutionnelle de 2008, il a obtenu l'adjonction d'un second alinéa à l'article 18, qui l'autorise désormais à prendre directement la parole devant les assemblée réunies en Congrès. Sa déclaration peut ensuite donner lieu à un débat sans vote, hors de sa présence. Dès le 22 juin 2009, le Président a utilisé ce droit de message pour s'exprimer sur la politique sociale devant les parlementaires. 

Dès lors que le Président avait souhaité cette modification de l'article 18, on aurait pu penser… qu'il l'utiliserait. En juillet dernier, il a au contraire préféré envoyer une lettre à chaque parlementaire, procédure tout à fait inédite de communication entre le Président et les assemblées.

L'inconstitutionnalité du procédé ne fait guère de doute. En effet l'article 18 énonce que le Président "peut" prendre la parole devant le Congrès. La Constitution définit donc les possibilités d'intervention qui lui sont offertes… et l'envoi d'une lettre ne figure pas parmi ces instruments de communication. De toute évidence, l'article 18 est limitatif, comme l'affirme Guy Carcassonne dans "Le Monde". 

Didier Mauss reconnaît, quant à lui,  que cette pratique nouvelle n'est pas conforme à l"'orthodoxie républicaine", concept au contenu juridique très incertain. Il ajoute que "faire revenir les parlementaires fin juillet pour leur faire écouter un texte de cinq minutes n'aurait pas été populaire"…Sans doute, mais les procédures imposées par la Constitution ne sont tout de même pas écartées pendant les vacances ? 

Quoi qu'il en soit, s'il est entendu que les fameuses lettres sont inconstitutionnelles, il reste à se poser la question de l'éventuelle sanction. M. Emmanuelli a saisi le 1er août M. Accoyer, le Président de l'Assemblée, pour demander la saisine du Conseil constitutionnel afin qu'il déclare l'inconstitutionnalité de cette procédure. 

Cette demande a bien peu de chances de prospérer, car les compétences du Conseil constitutionnel sont limitées au contentieux électoral et à l'appréciation de la constitutionnalité des lois. Le seul juge compétent dans ce domaine serait évidemment "le parlement constitué en  Haute Cour", conformément à l'article 68 de la Constitution.. Mais la loi organique qui devait organiser le fonctionnement de cette instance n'a jamais été votée, et la sanction semblerait tout de même très disproportionnée.. 

L'inconstitutionnalité commise par le Président ne peut donc pas être juridiquement sanctionnée… Tant mieux, car l'envoi d'une lettre de propagande ne mérite tout de même pas la Haute Cour.  Mais elle doit tout de même attirer notre attention et susciter notre vigilance. Car le respect des procédures ne porte t il pas témoignage du respect porté aux institutions ?


mercredi 3 août 2011

La loi psychiatrie entre en vigueur... dans la douleur.

La loi a été complétée par un décret du 18 juillet relatif à la procédure de mainlevée ou de contrôledes mesures de soins psychiatriques, et par une circulaire interprétative du 21juillet.  Il s'agit très concrètement d'assurer la mise en œuvre des exigences posées par le Conseil constitutionnel, lors de deux QPC du 26 novembre 2010 et du 9 juin 2011. Il est donc désormais acquis que, conformément à l'article 66 de la Constitution, le juge judiciaire, en l'espèce, le juge des libertés et de la détention, devra systématiquement être saisi en cas d'hospitalisation sans le consentement de la personne concernée. Une décision judiciaire devra être rendue à l'issue d'une période de 15 jours d'hospitalisation complète, puis tous les six mois si le traitement doit être prolongé.
Jérôme Bosch. La Nef des Fous

On pouvait penser que cette intervention du juge judiciaire était de nature à calmer les inquiétudes des soignants en psychiatrie qui reprochaient au texte de "favoriser les internements administratifs". Il n'en est rien et son entrée en vigueur suscite de nouvelles manifestations de mécontentement de certains professionnels du secteur.
Ils  contestent aujourd'hui les modalités d'intervention du juge judiciaire.  Un "Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire" estime la loi tout simplement inapplicable.  Il fait observer que, pour respecter des délais très contraints, l'audience aura lieu le plus souvent par vidéo conférence. A leurs yeux, cette procédure, autorisée par la circulaire, ne permettrait pas au patient de s'exprimer dans des conditions satisfaisantes.  Le fait que la loi entre en vigueur un 1er août, à un moment où beaucoup de magistrats sont en vacances n'est évidemment pas de nature à lever ces inquiétudes.
De toute évidence, la procédure n'est pas le centre du problème et ces professionnels ne se satisfont pas des garanties exigées par le Conseil constitutionnel. Ils veulent en fait l'abrogation du texte, car ils contestent le principe même de l'hospitalisation sans consentement, qu'ils accusent d'être un élément de l'actuelle politique sécuritaire. Plus largement, il mettent en cause la spécificité de l'hospitalisation psychiatrique.  A leurs yeux, un patient psychiatrique n'est pas  différent d'un autre. On ne saurait donc lui imposer un traitement, alors que tout individu même atteint d'une pathologie, même grave, a le droit de refuser les soin. 
Les protestataires, parmi lesquels figurent  EELV, le Parti de Gauche ou le syndicat de la magistrature lancent aujourd'hui un appel à la "résistance", incitant les professionnels à ne pas appliquer les dispositions du texte relatives à l'hospitalisation sans consentement.
On peut comprendre leur démarche, dans la mesure où elle s'appuie sur la conviction que la psychiatrie a d'abord pour objet de soigner des patients, et non pas seulement d'enfermer des personnes dangereuses pour la société... Mais ces professionnels ne peuvent pas davantage ignorer qu'un patient psychiatrique peut constituer un danger, d'abord pour lui-même, mais aussi pour les autres, et pour l'ordre public en général.
Or la compétence en matière d'ordre public n'appartient pas aux psychiatres… mais au parlement

lundi 1 août 2011

Prêcheurs d'Islande : "constitution participative" et démocratie

A la suite de la crise financière de 2008, l'Islande a décidé d'élaborer une nouvelle constitution. L'ancienne Loi Fondamentale était directement inspirée de celle du Danemark, pays sous la domination duquel l'Islande a vécu plus de cinq siècles, jusqu'à l'indépendance survenue en 1944. Concrètement, il s'agit de renforcer la séparation des pouvoirs, d'améliorer le système démocratique par une plus grande intervention des citoyens, et d'assurer un meilleur contrôle de l'Exécutif.

Cette volonté d'"islandiser" les institutions n'a rien de surprenant au moment où ce pays est officiellement candidat à l'adhésion à l'Union européenne. En revanche, on doit s'interroger sur l'engouement que suscite le processus constitutionnel islandais dans les médias. On nous explique en effet que les Islandais sont en train de rédiger une "constitution participative", formule magique dont les Etats de la vieille Europe feraient bien de s'inspirer s'ils veulent devenir des démocraties "modernes". L'enthousiasme manifesté par certains devrait cependant être tempéré par une lecture attentive des textes.

En quoi consiste cette "participation" ? Si y regarde d'un peu plus près, elle est évoquée à propos de deux étapes du processus constitutionnel :

1° Un groupe de 25 citoyens islandais vient, le 30 juillet, de remettre un projet de "constitution participative" au Parlement, l'"Althing". Contrairement à ce qui a été parfois écrit, ces 25 citoyens ne forment pas une "assemblée constituante". Car si des élections au suffrage universel ont bien eu lieu le 27 novembre 2010 pour désigner cette assemblée, elles ont été invalidées par la Cour Suprême en janvier 2011 pour des motifs liés à la mauvaise organisation du scrutin (urnes qui ne fermaient pas, comptage des bulletins non public…).

Afin de ne pas allonger le processus, les partis politiques se sont prononcés en faveur de la désignation d'un "comité constitutionnel" par une résolution parlementaire votée par 30 voix pour, 21 contre et 7 abstentions. Et ce comité constitutionnel créé en avril 2011 comprenait finalement les 25 délégués dont l'élection avait été invalidée.

On nous dit que la composition de ce comité est remarquable, car la réflexion est confiée à des citoyens ordinaires, des paysans, des professeurs, des étudiants, des membres du clergé etc.. Sans doute, mais cette observation illustre avant tout une regrettable confusion entre la représentativité sociologique et la représentation politique. Un groupe peut être représentatif de la population, sans pour autant la représenter au plan politique. Le comité constitutionnel a finalement été désigné par nomination du parlement. Il n'est pas issu de l'élection et ne saurait donc être considéré comme représentant le peuple islandais.

2° - Ce "comité constitutionnel" a mis en œuvre des procédures tout à fait inédites pour parvenir à au projet aujourd'hui transmis au parlement. Les réseaux sociaux ont été mis à contribution, et les 320 000 Islandais pouvaient commenter les débats diffusés sur You Tube, faire des suggestions sur Facebook , voire sur Twitter, à la condition de pouvoir participer un débat constitutionnel en 140 signes.. Ce bel exemple de "Crowdsourcing" a été présenté comme un pas important vers un idéal de démocratie directe.

Le caractère inédit de la démarche n'est pas aussi évident qu'on veut bien l'écrire. Peut être a-t-on oublié que le projet de Constitution européenne avait été élaboré de manière tout aussi "démocratique", la Convention ayant développé un site internet sur lequel chacun pouvait exprimer son opinion ou faire des suggestions. Il ne s'agissait pas encore de "réseaux sociaux", mais l'idée d'utiliser internet comme instrument de participation était déjà bien présente. 

Que s'est il passé lors de cette expérience européenne ? Un petit nombre de ceux qui étaient favorables au projet de constitution européenne s'étaient exprimés sur ce forum, et les plus motivés d'entre eux étaient davantage soucieux de développer une action de lobbying que de participer à une expérience de démocratie directe par internet. On se souvient que l'enthousiasme manifesté sur ce forum n'était guère représentatif des sentiments de l'ensemble des électeurs concernés, notamment ceux qui ont pu s'exprimer par référendum.

Pour les mêmes raisons, la procédure organisée en Islande n'offre aucune garantie permettant de s'assurer que ceux qui s'expriment sur les réseaux sociaux sont effectivement des citoyens islandais, et qu'ils n'ont aucune arrière pensée en matière de lobbying. Le risque est grand que cette procédure soit accaparée par les électeurs les plus avertis, les plus intéressés par le débat public, laissant à l'écart les moins favorisés. A ce titre, internet n'est pas facteur d'égalité, mais d'inégalité, comme en témoignent aujourd'hui les débats sur la neutralité du net.

Nous constatons une seconde confusion, entre la liberté d'expression publique et le droit de vote. La première est un droit de l'individu ou du groupe, le second est un droit du citoyen. La première s'exerce librement, le second est organisé de manière à permettre une stricte égalité devant le droit de suffrage.

Cette utilisation des réseaux sociaux n'établit, somme toute, qu'un ersatz de démocratie, car elle n'offre aucune des garanties qui sont celles de la démocratie, qu'elle soit directe ou indirecte. C'est si vrai que la procédure islandaise s'achèvera, dans tous les cas, par un vote du parlement qui devrait avoir lieu à l'automne.. Et pourquoi pas un référendum, la seule consultation permettant une réelle démocratie directe ? Tout simplement parce qu'il n'existe pas en Islande…




samedi 30 juillet 2011

Outrage au drapeau et liberté d'expression

L'incrimination de l'outrage au drapeau illustre parfaitement une pratique récente qui consiste à créer des normes juridiques au fil de l'eau, pour réagir à tel ou tel fait divers. Après quelques années, on se retrouve face à une stratification normative, dont les couches superposées sans souci de cohérence s'accompagnent d'interprétations jurisprudentielles aussi diverses que subtiles. 

La décision rendue par le Conseil d'Etat le 19 juillet est le dernier épisode d'un feuilleton juridique commencé avec la Loppsi 1 de 2003, qui introduit dans le code pénal un délit d'outrage public à l'hymne national ou au drapeau tricolore, punissable de 7500 € d'amende et/ou de 6 mois de prison, si le délit est commis en réunion (art. 433-5-1). Cette législation avait été adoptée hâtivement, à la suite de divers incidents provoqués par des supporters de football ayant brûlé le drapeau français dans des stades.

 
A l'époque, le Conseil constitutionnel avait formulé une réserve d'interprétation, excluant du  champ d'application de cet article "les œuvres de l'esprit, les propos tenus dans un cercle privé, ainsi que les actes accomplis lors de manifestations organisées par les autorités publiques". En d'autres termes, le délit ne trouverait à s'appliquer que dans les cas de "manifestations publiques à caractère sportif, récréatif ou culturel, se déroulant dans des enceintes soumises par les lois et règlements à des règles d'hygiène et de sécurité en raison du nombre de personnes qu'elles accueillent". Le Conseil acceptait donc la sanction d'actes de hooliganisme mais cherchait à protéger les œuvres de l'esprit ainsi que les manifestations politiques.

Hélas, un nouvel incident intervenu en mars 2010 a mis à mal cette construction Une photo montrant un homme occupé à s'essuyer le postérieur avec le drapeau national est primée dans un festival niçois, organisé sur le thème du "politiquement incorrect". La photo, qui était bien loin de mériter un tel succès, est diffusée Urbi et orbi, suscitant réprobation et protestations multiples, notamment des associations d'anciens combattants.  Mme Alliot Marie, alors ministre de la Justice, annonce sa volonté de poursuivre les auteurs du scandale…Certes, mais cette démarche hautement morale se heurte à la réserve d'interprétation posée par le Conseil constitutionnel. La photographie en question est juridiquement une œuvre de l'esprit, même s'il s'agit en l'occurrence d'un très mauvais esprit. 

Cette fois, c'est le pouvoir réglementaire qui intervient avec un décret du21 juillet 2010. Il  introduit dans le code pénal un article R 645-15 punissant de l'amende prévue pour les contraventions de 5è classe (soit 500 € maximum) le fait de "détruire, détériorer ou utiliser de manière dégradante" l'emblème national, dès  lors que cette action se déroule "dans un lieu public ou ouvert au public" et qu'elle est commise dans "des conditions de nature à troubler l'ordre public et dans l'intention d'outrager le drapeau". Le fait de diffuser ou de faire diffuser les images d'une telle atteinte est passible d'une peine identique.

La Ligue des Droits de l'homme a introduit un recours pour excès de pouvoir contre ce décret, et c'est précisément cette requête que le Conseil d'Etat examinait le 19 juillet. 

Raoul Dufy. Drapeaux de rue
Le moyen tiré de l'incompétence du pouvoir réglementaire est rapidement écarté par le Conseil d'Etat. Selon une jurisprudence désormais bien établie, une contravention, peut parfaitement être décidée par la voie réglementaire, dès lors qu'il ne s'agit pas de réglementer l'ensemble d'une liberté publique, mais seulement d'y apporter les limitations nécessaires à la sauvegarde de l'ordre public (voir par exemple, l'arrêt du 23 février 2011, Syndicat nationaldes enseignants du second degré, à propos du décret du 19 juin 2009 interdisant la dissimulation du visage lors de manifestations publiques). 

Le moyen fondé sur l'atteinte à la liberté d'expression repose à la fois sur les articles 10 et 11 de la Déclaration de 1789 et sur l'article 10 de laConvention européenne. En l'espèce, appliquant le contrôle maximum qui est le sien depuis la célèbre affaire Benjamin, la Haute Juridiction énonce deux conditions cumulatives permettant de porter une telle atteinte à la liberté d'expression : une condition objective réside dans l'atteinte à l'ordre public provoquée par les auteurs de l'infraction, et une condition subjective doit être recherchée dans "l'intention d'outrager le drapeau tricolore". La conséquence en est que l'infraction nouvelle ne saurait incriminer que "les dégradations physiques ou symbolique du drapeau susceptibles d'entrainer des troubles graves à la tranquillité et à la sécurité publiques, et commises dans la seule intention de détruire, abîmer ou avilir le drapeau". A contrario, l'utilisation du drapeau pour manifester ses idées politiques ou philosophiques, ou encore comme élément d'une création artistique n'est pas prohibée.

Le Conseil d'Etat a voulu, comme le Conseil constitutionnel, préserver à la fois les manifestations politiques et les œuvres de l'esprit. Il n'empêche que l'on peut s'attendre à une jurisprudence particulièrement joyeuse lorsque le juge du fond devra apprécier si la photographie d'un homme qui s'essuie le postérieur avec un drapeau tricolore est, ou non, une œuvre de l'esprit…

A l'arrivée, on se demande tout de même si le jeu valait la chandelle. Cette question s'impose d'autant plus que cette protection judiciaire du drapeau n'est pas un principe reconnu par l'ensemble de la communauté internationale, loin de là. Aux Etats Unis, le 1er Amendement offre une protection très large de la liberté d'expression, et la Cour Suprême considère que cette protection s'étend au "Symbolic Speech". Le fait de brûler la bannière étoilée est donc un "droit constitutionnel" et les Américains peuvent serendre sur un site internet pour y brûler un drapeau virtuel. Cela ne les empêche de témoigner un réel respect pour la bannière étoilée, et un "FlagCode", texte purement déontologique mais très largement appliqué leur explique aussi bien comment il faut le plier que le respect qui lui est dû. 

Peut on imposer le respect du drapeau tricolore par décret ? La question reste posée.