« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 16 juillet 2011

Les Anglais en Irak, rattrapés par la Cour européenne

La Grande Chambre de la Cour européenne vient de rendre, le 7 juillet, deux décisions très attendues sur diverses exactions à l’égard de civils commises par les troupes britanniques en Irak, dans le courant de l’année 2003.

La première requête,  Al Skeini c. Royaume Uni, a été déposée par les familles de victimes civiles. Trois ont été tuées par balles par des soldats britanniques, une a  reçu une balle perdue lors d’une fusillade, une autre a été battue par des soldats britanniques et contrainte de se jeter dans une rivière où elle se noya. La dernière enfin est décédée par asphyxie sur une base militaire anglaise, son corps portant 93 blessures constatées par un médecin légiste. 

La seconde affaire, Al Jedda c. Royaume Uni, porte sur un internement arbitraire de trois années infligé à un ressortissant britannique d’origine irakienne, dans un camp de Bassorah.

Dans les deux cas, la question principale porte sur l’application de la Convention européenne des droits de l’homme : les ressortissants irakiens victimes de ces exactions relèvent ils de la juridiction de la Grande Bretagne au sens de l’article 1er  ? Peuvent ils donc se prévaloir de l’article 2 protégeant le droit à la vie, et de l’article 5 § 1 relatif au principe de sûreté ?

On s’en doute, la position britannique sur la question était négative. Les mémoires en défense mentionnaient qu’assurer à des Irakiens la protection de la Convention européenne pouvait s’analyser comme une forme d’ « impérialisme des droits de l’homme ». 

Dans  l’affaire Al Skeini, la justice britannique refusait, depuis 2004, d’ouvrir une enquête sur ces décès, d’en accepter la responsabilité et donc d’indemniser les requérants. Le 13 juin 2007, la Chambre des Lords confirma cette position, estimant que ces victimes n’étaient pas sous la juridiction britannique. La seule exception à ce principe concernait celle qui était décédée sur une base militaire anglaise. 

Dans l’affaire Al Jedda, la Grande Bretagne estimait que l’internement était imputable à l’ONU et non pas aux autorités britanniques. La Chambre des Lords, qui a statué le 12 décembre 2007, a estimé que l’internement résultait d’une obligation posée par la résolution 1546 du Conseil de sécurité, qui faisait obligation aux alliés d’interner les individus constituant une menace pour la sécurité en Irak. Cette obligation posée par le Conseil de sécurité prévaudrait sur celles que la Convention européenne fait peser sur le Royaume Uni. 


Salvador Dali
Prémonition de la Guerre civile


La Cour européenne a balayé ces deux séries d’arguments. Reprenant l’historique de l’occupation de l’Irak par la coalition, elle constate qu’après la fin des opérations militaires le 1er mai 2003, les alliés ont créé une « Autorité provisoire », qui a reçu, par la résolution 1483 du Conseil de sécurité, la mission de « promouvoir le bien-être de la population irakienne en assurant une administration efficace du territoire, notamment en s’employant à rétablir les conditions de sécurité et de stabilité (…) »

De ces dispositions, la Cour déduit que le Royaume Uni a assumé en Irak (conjointement avec les Etats Unis) des « prérogatives qui sont normalement celles d’un Etat souverain ». Pendant cette période de circonstances exceptionnelles, les civils irakiens étaient donc placés sous l’autorité, mais aussi sous la protection, des forces d’occupation. Cette situation suffisait alors à créer le lien juridique entre les autorités britanniques et leurs victimes irakiennes. 

Dès lors, la solution s’impose d’elle même, et, dans l’affaire Al Skeini la Cour européenne engage la responsabilité du Royaume Uni en se fondant sur l’article 2 de la Convention (droit à la vie), précisant évidemment qu’il n’avait pas satisfait à son obligation de diligenter des enquêtes sur les conditions de ces décès. 

Dans l’affaire Al Jedda, la Cour reprend le même raisonnement, et en déduit que la victime de l’internement n’était pas placée sous l’autorité de l’ONU, mais sous celle des forces britanniques. Elle ajoute d’ailleurs qu’aucune des résolutions du Conseil de sécurité ne faisait obligation aux alliés de recourir à l’internement. Dès lors, il n’y avait aucun conflit entre les obligations imposées au Royaume Uni par la Charte et celles découlant de la Convention européenne. La Cour condamne en conséquence les autorités britanniques qui n’ont pas respecté le principe de sûreté figurant dans l’article 5 § 1. 


Au terme de l’analyse, on pourrait se réjouir de voir la Cour européenne donner quelques leçons d’ « habeas corpus » aux autorités britanniques. 

Souvenons nous en effet que ces dernières invoquaient devant la Cour l’idée qu’appliquer les droits de la Convention européenne en Irak traduisait une sorte d’ « impérialisme des droits de l’homme ». Sur ce point, on ne peut que reprendre la conclusion de l’opinion concordante, et particulièrement décapante, du Juge Bonello : « Il ne sied guère à un Etat qui, par son impérialisme militaire, s’est invité sur le territoire d’un autre Etat souverain sans l’ombre d’une caution de la part de la communauté internationale de craindre qu’on l’accusé d’avoir exporté l’impérialisme des droits de l’homme dans le camp de l’ennemi vaincu. C’est comme si un Etat arborait ostensiblement son badge du banditisme international et se montrait choqué à l’idée qu’on puisse le soupçonner de défendre les droits de l’homme ». 



jeudi 14 juillet 2011

La jutice des mineurs va-t-elle disparaître ?

Depuis la célèbre ordonnance du 2 février 1945, la justice des mineurs est conçue comme une exception. Il ne s’agit pas tant, comme pour les majeurs, de juger un acte de délinquance, mais bien davantage de s’intéresser à celui qui l’a commis, dans une perspective globale qui cumule sanction et assistance éducative.  De fait, le juge des enfants assure une sorte de continuum éducatif qui va de l’instruction de l’affaire, à la sanction, puis à l’application de la peine. Cette vision globale repose sur l’idée qu’un mineur délinquant est, avant tout, un enfant en danger. 

Même si ce système peut être justifié par des considérations de fait, même si on doit saluer le travail fait par les juges des enfants dotés de moyens dérisoires par rapport à l’ampleur de leur tâche, le problème constitutionnel existe bel et bien.  Le principe d’impartialité des juridictions interdit en effet qu’un magistrat ayant poursuivi ou instruit un dossier puisse ensuite le juger.  

Dans une QPC du 8 juillet, le Conseil constitutionnel, s’appuyant sur le principe d’impartialité, considère donc comme non conforme à la constitution l’article L 251-3 du Code de l’organisation judiciaire, qui prévoit que le juge des enfants qui procède à l’instruction de l’affaire est également le président de la formation de jugement. 

Le problème est que cette décision constitue l’épisode le plus récent, mais peut être pas l’ultime, d’une jurisprudence triangulaire faisant intervenir la Cour de cassation, la  Cour européenne des droits de l’homme, et le Conseil constitutionnel. 

- La Cour de cassation avait considéré, dès 1993 que cette organisation particulière de la justice des mineurs était conforme à l’article 6 al. 1 de la Convention européenne, qui « ne fait pas obstacle à ce qu’un même magistrat spécialisé dans les affaires des mineurs, prenant en compte l’âge du prévenu et l’intérêt de sa rééducation, puisse intervenir à différents stades de la procédure ».  La Cour a d’ailleurs confirmé sa position en refusant purement et simplement d’intégrer cette question dans sa décision de renvoi de la QPC du 27 avril 2011. En effet, ce renvoi ne porte que sur la présence d’assesseurs non professionnels parmi les membres du tribunal pour enfants, éventuellement susceptible de porter atteinte au caractère équitable du procès. Aux yeux de la Cour, l’article L 251-3,  qui prévoit que le juge qui instruit l'affaire préside également le tribunal pour enfants n’a pas à être déféré au Conseil constitutionnel.

- La jurisprudence de la Cour européenne n’est pourtant plus aussi claire, depuis sa décision Adamkiewicz rendue le 2 mars 2010. Il est vrai que le juge européen reconnaît « le caractère singulier » de la justice des mineurs. Il prend soin néanmoins de préciser qu’il ne lui appartient pas d’apprécier in abstracto la législation d’un Etat, mais seulement de contrôler si son application à un cas d’espèce est conforme à la Convention. Or, dans l’affaire Adamkiewicz, le juge des enfants, en l’espèce polonais, avait pris, comme juge d’instruction, différents actes augurant de la culpabilité du mineur poursuivi. Dès lors, « il peut difficilement être affirmé que ledit magistrat n’avait pas d’idée préconçue sur la question sur laquelle il a été appelé à se prononcer ultérieurement en tant que président de la formation de jugement ». Et la Cour européenne de conclure qu’elle ne voit pas exactement dans quelle mesure cette « double casquette » du juge contribue à promouvoir l’intérêt supérieur de l’enfant.

- Dans la QPC du 8 juillet, le Conseil constitutionnel ne s’attarde pas sur la question des assesseurs non professionnels qui ne lui semble pas en soi inconstitutionnelle.. et il soulève d’office la question de l’impartialité de ce même tribunal.

Le Conseil énonce très clairement que le principe d’impartialité ne s’oppose pas à ce que le juge des enfants puisse prononcer des mesures d’assistance, de surveillance ou d’éducation. Toutefois, il considère que l’article L 251-3 du Code de l’organisation judiciaire, en permettant au juge des enfants qui a « été chargé d’accomplir les diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et qui a renvoyé le mineur devant le tribunal de présider cette juridiction de jugement » porte au principe d’impartialité une atteinte contraire à la Constitution. 

François Truffaut
Les 400 coups
Le Conseil constitutionnel applique ainsi à la justice des mineurs les principes qui gouvernent celle des majeurs. Plus ou moins implicitement, il s’oppose à la thèse du caractère singulier d’une justice davantage tournée vers l’éducation que vers la répression, thèse précisément soutenue par la Cour de cassation. 

On comprend dès lors que cette QPC suscite les inquiétudes des juges des enfants qui y voient  l’instrument d’une lente destruction de la justice des mineurs. Le mineur délinquant n’est-il pas de plus en plus considéré comme délinquant, qui doit être puni comme un majeur ? Ces craintes sont accrues par les dispositions de la loi Mercier qui prévoient la création d’un tribunal correctionnel pour mineurs de 16 ans. Le juge des enfants devrait donc limiter son activité aux seuls enfants de moins de 16 ans… dispositions dont le Conseil constitutionnel a  précisément été saisi le 7 juillet. 

Doit-on en déduire que le Conseil constitutionnel reprend à son compte cette approche sécuritaire de la justice des mineurs ? Certainement pas, car celle ci dépend du législateur, et le Conseil n’a pas encore statué sur la loi Mercier. Quant à la présente QPC, il prend soin, en considérant les « conséquences excessives » d’une abrogation immédiate de l’article L 251-1 du Code de l’organisation judiciaire, de repousser cette dernière au 1er janvier 2013… c’est à dire après les élections présidentielles. 

mardi 12 juillet 2011

Egalité des salaires, un décret en trompe l'oeil

On ne change pas la société par décret,
disait Michel Crozier.


Garantir l’égalité salariale entre les hommes et les femmes est à l’évidence un objectif parfaitement louable, mais les moyens mis en oeuvre par le décret risquent fort d'être inefficaces.

Le décret oblige les entreprises de plus de 50 salariés à passer un accord sur l’égalité professionnelle, ou, à défaut, à engager un plan d’action dans ce domaine. Celles de plus de 300 salariés se voient en outre imposer les domaines dans lesquels ces actions doivent se développer (embauche, formation, qualification, conditions de travail, rémunération etc..).

Entendons nous bien… Ces documents, qui devront être adoptés avant le 1er janvier 2012, n’ont pas pour objet de réaliser concrètement et immédiatement l’égalité. Ils doivent seulement « fixer les objectifs de progression et les actions permettant de les atteindre ». Inutile de mettre en œuvre une égalité effective, il suffit de rédiger un plan…

Et si les entreprises n’ont pas adopté accord professionnel ou plan d’action dans le délai imparti, elles pourront se voir infliger des pénalités. Cette perspective, sans doute moyennement effrayante pour l’entreprise, est surtout satisfaisante pour l’Etat qui tire un bénéficie sonnant et trébuchant de la réforme.

Juin 1968. Manifestation de femmes conducteurs de bus.
Dagenham (Grande Bretagne)
Quant aux femmes travaillant dans les PME inférieures à 50 salariés (soit 97 % des entreprises françaises), elles sont purement et simplement exclues du dispositif, alors que ce sont probablement elles qui souffrent des plus grandes inégalités salariales. Mais qui pense à elles ?

Certainement pas les mouvements féministes, dont les méchantes langues diront qu’ils sont trop occupés à défendre les femmes de ménage new-yorkaises. 

lundi 11 juillet 2011

Les minarets suisses et la Cour européenne


En juillet 2008, une « initiative populaire » avait réuni 113 540 signatures de citoyens helvétiques « contre la construction de minarets ». L’introduction de cette prohibition dans la constitution avait ensuite été adoptée par référendum le 29 novembre 2009 avec 57, 5 % des voix, provoquant l’introduction dans la constitution d’un nouvel article 72 al 3 : « La construction de minarets est interdite ».

Ce bref rappel historique est indispensable pour comprendre le sens des deux décisions d’irrecevabilité rendues le 8 juillet par la Cour européenne des droits de l’homme (Ouardiri c. Suisse ; Ligue des Musulmans de Suisse et a. c. Suisse). Que l’on adhère ou non à l’interdiction des minarets, il n’en demeure pas moins qu’elle a été prise à l’issue d’un processus démocratique, qui plus est de démocratie directe, celle qui exprime avec le plus de justesse la volonté du peuple souverain.

La précision n’est pas mince, car elle conduit à se demander comment la Cour pouvait se tirer d’un bien mauvais pas. Déclarer qu’une législation votée dans le cadre d’un régime représentatif n’est pas conforme à la Convention européenne peut s’analyser comme la simple mise en œuvre du principe de supériorité du traité sur la loi interne. En revanche, déclarer non conforme une disposition constitutionnelle votée directement par le peuple reviendrait à affirmer qu’une cour de justice peut s’opposer à l’expression même de la souveraineté.. C’est une autre affaire.
Camoin
Le minaret

Ce défaut de légitimité conduit la Cour, dans l’affaire Ouadiri, à refuser de se fonder sur l’article 13 de la convention, le requérant se plaignant de l’absence de recours effectif lui permettant de contester une norme constitutionnelle. La Cour fait d’ailleurs observer que rien n’interdit un recours contre une règle d’application de la norme constitutionnelle,

Finalement, la Cour choisit la solution la plus simple, qui est de déclarer irrecevables les différents recours. Pour les juges européens, les différentes associations musulmanes requérantes ainsi que M. Ouadiri, lui même dirigeant d’une fondation musulmane, ne sont pas des « victimes » au sens de l’article 34 de la Convention.

Ils ne sont pas des victimes « directes », et la Cour prend soin de préciser qu’ils n’ont pas pour projet de construire eux mêmes une mosquée. Ils ne sont pas davantage des victimes « indirectes », puisqu’ils n’ont aucun lien de proximité avec une victime directe. Ils ne sont pas, enfin, des victimes « potentielles », puisqu’ils n’auront pas à subir directement les effets de la nouvelle disposition constitutionnelle. En effet, ils se fondement exclusivement sur le fait qu’elle heurte leurs convictions religieuses. Mais la Cour fait observer que l’interdiction de construire un minaret n’a pas pour effet de leur interdire l’exercice de leur religion et que leur comportement n’en sera en aucun cas modifié. Ayant la chance de résider au cœur de la démocratie suisse, ils pourront même développer un combat politique contre cette disposition qu’ils récusent.

En déclarant ces recours irrecevables, la Cour ne met pas fin au débat mais le repousse. Il est probable en effet qu’elle aura prochainement à se prononcer sur des mesures d’application refusant la construction de minarets.


dimanche 10 juillet 2011

Bioéthique : Beaucoup de bruit pour rien

Le 7 juillet est parue au JO loi la dernière loi de bioéthique. Ce sujet revient périodiquement devant le législateur, simplement parce que tous les textes intervenus dans ce domaine, depuis la loi de 1994, contiennent une clause de révision. Il s’agit en effet de permettre au parlement de réexaminer des dispositions dont le contenu est expérimental, lié autant à l'évolution de la science qu'à celle des idées.

La lecture de la loi récente laisserait supposer que ni la science ni les idées n’ont réellement évolué depuis 2004, voire depuis 1994. En effet, le texte se caractérise … par son vide abyssal. Le rapporteur du texte, le sénateur Alain Milon, a ainsi déclaré : « Nous n’avons pas su faire évoluer notre droit avec la société française ». Fait plutôt, rare, ce sénateur UMP a voté contre le texte..

La loi ne comporte aucune évolution substantielle, aucune innovation d’aucune sorte. Les esprits optimistes diront qu’il n’y a pas immobilisme, mais ancrage dans notre système juridique de principes fondamentaux qui constituent le socle de notre approche de la bioéthique :  la dignité de l’être humain, le principe d’inaliénabilité du corps humain, la protection de l’embryon, l’anonymat et la gratuité des dons de gamètes. Il est vrai que ces principes ont permis le développement d’un cadre juridique qui a au moins le mérite de placer le corps humain à l’abri des transactions commerciales. Mais ce résultat, loin d’être négligeable, doit-il pour autant figer toute évolution législative ?  

Le texte nouveau ne présente donc aucun intérêt.. si ce n’est pour évoquer  les questions qui n’ont pas été abordées et qui sont autant d’occasions manquées.

D’une part, la recherche sur l’embryon demeure interdite, solution acquise à trois voix de majorité. Alors même que cette recherche peut permettre de soigner de graves maladies génétiques, les scientifiques se voient interdire toute recherche dans ce domaine. Nul doute que cette législation soit une aubaine pour les chercheurs des autres pays, et notamment des Etats Unis. Ils ne sont pas soumis à de telles restrictions et vont pouvoir faire breveter leurs découvertes, sans craindre la concurrence française.

Berthe Morisot
Le berceau
D’autre part, l’assistance médicale à la procréation demeure inchangée. L’anonymat du don de gamètes est maintenu, ce qui était prévisible, dans la mesure où reconnaître un droit d’accès aux origines aurait pour conséquence de dissuader les donneurs. Surtout, la gestation pour autrui demeure interdite, tout comme l’accès des couples homosexuels à la procréation assistée. Cette prohibition relève d’une appréciation morale que l’on peut tout à fait respecter,  mais force est de constater qu’elle incite les couples à se rendre dans des « paradis de bébés ». Aujourd’hui, on s’offre une mère porteuse au Canada ou aux Etats Unis, sur catalogue, pour un prix somme toute relativement raisonnable. Interdire l’acte gratuit en France revient donc à accepter sa commercialisation à l’étranger, et à réserver l’accès à ces techniques aux couples les plus aisés, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels.

Reste à s’interroger sur les raisons d’un tel immobilisme. La sénatrice Françoise Laborde (RDSE) y voit « l’emprise des milieux religieux les plus conservateurs ». Il est bien difficile de se prononcer sur cette question.. mais on peut on moins adhérer aux propos d’une autre sénatrice, Mme Muguette Dini (centriste), présidente de la commission des affaires sociales, qui a fort opportunément cité Shakespeare : « Much ado about nothing ».


samedi 9 juillet 2011

Garde à vue : l'Etat au secours des avocats

Le décret n° 2011-810 du 6 juillet 2011 vient enfin répondre à l'une des principales interrogations posées par la loi du 14 avril 2011 sur la garde à vue. Combien vont gagner les avocats ? Durant tout le débat qui a précédé la réforme, ces derniers se sont volontiers présentés comme les généreux défenseurs du faible et de l'opprimé, dans une démarche aussi altruiste que désintéressée. Ils ont introduit les recours et QPC indispensables pour obtenir du législateur l'intervention de l'avocat dès le début de la garde à vue et durant les interrogatoires. Différents sites offraient même au jeune confrère peu informé des évolutions jurisprudentielles un "kit garde à vue" permettant d'obtenir du juge de la liberté la nullité d'une procédure, en s'appuyant directement sur la jurisprudence de la Cour européenne.

Le décret fixe un barème de rémunération très précis, de 61 € pour le premier entretien avec la personne gardée à vue, à 300 € pour l'interrogatoire, ce qui n'est pas négligeable si l'on considère que la loi du 14 avril 2011 prévoit un avocat "taisant" . Enfin, en cas de prolongation de la garde à vue, l'avocat recevra 150 € pour tout nouvel entretien ou confrontation. Dans sa grande sagesse, le pouvoir réglementaire a tout de même prévu qu'un conseil intervenant auprès de plusieurs gardés à vue durant la même journée verra sa rétribution plafonnée à 1200 €. Il s'agit certes d'éviter les cadences infernales, mais aussi de répartir équitablement ces nouvelles missions au sein des Barreaux.

On peut évidemment considérer qu'une telle rémunération est bien faible pour une tâche ingrate qui exige une si grande disponibilité que les Barreaux doivent mettre en place des astreintes. Certes, mais la garde à vue est aussi le premier contact avec un client, qui pourra ensuite rémunérer son défenseur, l'aide judiciaire venant assister les plus démunis. Le législateur a pourtant décidé que ces interventions seraient rémunérées sur le budget de l'Etat, et l'étude d'impact de la loi du 14 avril évalue le budget global de la réforme à 65,75 millions d'euros par an.

Cette réforme suscite des interrogations sur l'avenir de la profession d'avocat. Les professionnels affirment leur attachement au maintien d'une activité libérale, condition de l'indépendance de la profession. Mais nul n'ignore que les avocats sont nombreux, plus de 50 000, trop nombreux dans certaines régions (40 % d'entre eux sont inscrits au Barreau de Paris). On assiste dès lors à une paupérisation de la profession, qui semble bien incapable de gérer ses flux, alors même que la crise économique actuelle suscite les concentrations et fragilise les plus modestes.

Vue sous cet angle, la réforme de la garde à vue offre aux avocats la possibilité d'exercer une profession libérale rémunérée sur fonds publics.. Mais l'Etat doit-il voler au secours de la profession d'avocat ? Cette question n'a malheureusement pas été posée en ces termes lors du débat parlementaire…