Une journaliste manipulée
Mme Becker conteste donc cette injonction mais les juges norvégiens écartent ses recours. A leurs yeux, le secret des sources ne peut plus être invoqué à un moment où l'identité de la source est parfaitement connue. En l'espèce, M. X est lui-même poursuivi devant les tribunaux et ne nie pas avoir livré les informations contestées à la journaliste. Il reconnaît être sa source, et le témoignage de Mme Becker est sollicité pour confirmer cette identification. Le raisonnement semble parfaitement fondé, mais la Cour va pourtant l'écarter et admettre que le secret des sources peut s'appliquer, alors même qu'il est passablement éventé.
L'ingérence dans la liberté de presse
Nul ne conteste que l'injonction faite à la requérante s'analyse comme une ingérence dans la liberté d'expression d'une journaliste, garantie par l'article 10 de la Convention européenne. En effet, depuis l'arrêt Goodwin de 1996, le secret des sources est considéré comme l'une des conditions d'exercice de la liberté de presse. Cette ingérence peut néanmoins se révéler licite si elle est prévue par la loi, si elle répond à un but d'intérêt général et si enfin elle s'avère "nécessaire dans une société démocratique". Dans le cas présent, l'injonction de témoigner est prévue par le code pénal norvégien, et elle a pour but de réprimer une infraction.
Le débat juridique se concentre donc sur la dernière condition, celle qui repose sur la nécessité de l'ingérence dans une société démocratique. La Cour est ainsi conduite à apprécier la proportionnalité de la mesure d'injonction de témoigner à l'objectif poursuivi par les juges norvégiens.
La source de mauvaise foi
D'une manière générale, la CEDH a déjà amenée à se prononcer sur l'hypothèse dans laquelle la source est de mauvaise foi et vise tout simplement à manipuler la presse. Dans une affaire Financial Times Ltd et autres c. Royaume-Uni du 15 décembre 2009, elle a été saisie d'un cas assez proche dans lequel la presse belge s'était vue communiquer de fausses pièces soi-disant confidentielles sur le prix de vente d'une brasserie. En l'espèce, la Cour avait estimé que la mauvaise foi de la source ne saurait être le seul facteur à prendre en contact pour apprécier la conformité à l'article 10 d'une ingérence dans le secret des sources. Le droit du journaliste au secret n'est donc pas automatiquement levé, alors même qu'il a été manipulé par sa source.
Sans doute, mais la Cour ajoute immédiatement que le secret des sources a généralement pour objet de protéger la personne qui "aide la presse à informer le public sur des sujets d'intérêt général", formule employée par exemple dans l'arrêt Nordisk Film et TV A/S c c. Danemark du 8 septembre 2005. Tel n'est pas le cas en l'espèce, car M. X. a surtout l'intention de tirer profit d'une belle opération boursière. De cette situation particulière, la CEDH déduit que le secret des sources ne s'applique pas avec une intensité identique lorsque la source est de mauvaise foi.
Dès lors, la CEDH va simplement rechercher si le témoignage de Mme Becket était, ou non, nécessaire à l'enquête pénale visant sa source. Elle conclut par la négative, ce qui n'est guère surprenant, M. X. ayant été condamné avant même l'issue de recours engagé par la journaliste sur l'injonction de témoigner qui lui a été faite. Les juges norvégiens ont donc démontré, eux-mêmes, qu'ils n'avaient nul besoin de porter atteinte au secret des sources et qu'ils disposaient d'un dossier déjà substantiel pour prononcer cette condamnation. A l'issue du raisonnement, le secret des sources de Mme Becker est donc protégé, parce que personne n'en a plus besoin.
Secret des sources et blessure narcissique
L'arrêt apparaît donc comme un cas d'espèce, car on pourrait imaginer une situation dans laquelle le témoignage du journaliste est indispensable pour nourrir le dossier pénal d'une source indélicate. Rien ne dit que, dans ce cas, la Cour européenne ne déciderait pas d'écarter le secret des sources.
De manière plus générale cependant, l'arrêt pose un problème plus grave. La question posée doit-elle être celle de l'intensité du secret ou celle de la définition de la source ? La Cour décide que le secret pèse avec moins d'intensité lorsque la source est de mauvaise foi, mais la source indélicate est-elle encore une source ? En choisissant de maintenir cette qualification, même avec une protection réduite, la Cour laisse planer un doute fâcheux. Le secret des sources est d'abord le secret de la source elle même, souvent un lanceur d'alerte qui prend un risque pour diffuser une information d'intérêt général. En jugeant qu'il subsiste, alors même que la source est de mauvaise foi et a reconnu avoir manipulé la presse, la Cour fait du secret des sources une simple prérogative du journaliste qui ne veut pas que son propre rôle soit mis sur la place publique. Mais le secret des sources a t il réellement pour fonction de panser les blessures narcissiques ?
Sur le secret des sources des journalistes : Chapitre 9, section 2 § 2 du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.