« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 8 décembre 2023

Le Fact Checking de LLC : Eclairage sur la bougie de l'Elysée

Beaucoup d'internautes ont découvert sur les réseaux sociaux l'image du Grand-Rabbin de France allumant la bougie d'Hanouka, sous les ors de l'Elysée, en présence évidemment du Président de la République. La scène a d'abord suscité l'incrédulité, puis la surprise, et enfin la polémique. Elle se développe surtout au niveau politique. La Première Ministre, se déclare satisfaite que le Président de la République ait donné une satisfaction symbolique à une communauté juive déçue de ne pas l'avoir vu à la marche contre l'antisémitisme. Le président du Crif Yonathan Arfi l'analyse comme "une erreur" (...) Ce n’est pas l’endroit où allumer une bougie. J’ai été surpris. Je me demande pourquoi Macron l’a fait, ce n’est pas son rôle". 

Précisément, la question n'est pas celle de savoir si Emmanuel Macron a, ou non, fait une erreur politique. Rappelons que l'article 1er de la Constitution affirme que "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale" et que son article 5 déclare que "le Président veille au respect de la Constitution". Il incombe donc au Président de veiller au respect du principe de laïcité, et de le respecter lui-même.

La loi de Séparation du 9 décembre 1905 interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l'exercice d'un culte. Elle ne prévoit pas expressément le contraire, c'est-à-dire l'hypothèse d'un culte tenu dans un local public. A l'époque, l'idée même qu'un Président de la République puisse développer une activité cultuelle dans la salle des fêtes de l'Elysée était impensable. Mais cette absence de mention formelle ne signifie pas que le droit l'autorise, car la jurisprudence sur le principe de neutralité est aujourd'hui très claire.


L'existence d'un culte


Ecartons d'emblée l'argument selon lequel le Grand-Rabbin Korsia n'aurait pas célébré un culte en allumant la bougie, opération accompagnée d'un chant célébrant la fête de Hanouka. La notion de culte est, encore aujourd'hui, définie par référence à celle donnée par Léon Duguit dans son Traité de droit constitutionnel, daté de 1925 : "Accomplissement de certains rites, de certaines pratiques qui, aux yeux des croyants, les mettent en communication avec une puissance surnaturelle". Cette formule a été reprise ensuite par le Conseil d'État et le commissaire du gouvernement Arrighi de Casanova la cite dans un avis du 24 octobre 1997,  à propos du droit des Témoins de Jéhovah de gérer des associations cultuelles. 

A partir de cette définition, deux critères sont utilisés pour définir un culte, et tous deux sont remplis dans le cas de la cérémonie de l'Elysée. D'une part, un élément subjectif constitué par une croyance ou une foi en une divinité. On imagine mal le Grand-Rabbin n'ayant pas la foi... D'autre part, un élément objectif est constitué par la réunion d'un groupe de personnes en vue d'accomplir les rites nécessaires à l'expression de cette croyance. S'il est exact que la réunion de l'association des rabbins européens à l'Elysée avait, dans un premier temps, pour objet de remettre un prix à Emmanuel Macron, la nature de la réunion change au moment précis où le Grand-Rabbin allume la bougie. L'assistance participe alors à un culte, et elle y participe activement car on entend des réponses au chant. Un rite est donc effectivement accompli, au sens où l'entend la jurisprudence.

Manifestation extérieure d'une croyance religieuse à la fois individuelle et collective, le culte est donc, comme tel, soumis à certaines règles de droit, et notamment celles concernant le lieu où il peut s'exercer.

 


 Tiens ta bougie droite

Marie-Martine. A. Valentin. 1942 

Saturnin Fabre et Bernard Blier

 

L'Elysée, un bâtiment public comme un autre

 

Il ne fait aucun doute qu'Emmanuel Macron est le premier Président de la République à célébrer un culte public à l'Elysée. Même s'il abrite la présidence de la République, l'Élysée est pourtant un bâtiment public comme un autre, c'est-à-dire soumis aux mêmes contraintes.

Les trois arrêts rendus par le Conseil d'État le 9 novembre 2016 apportent des éléments précis sur l'obligation de neutralité pesant sur les bâtiments publics, quels qu'ils soient. Il s'agissait à l'époque de crèches de Noël érigées, tantôt dans des mairies, tantôt dans des hôtels de département ou de région. Le juge a alors posé une distinction qui demeure le fondement de toute la jurisprudence dans ce domaine.Lorsque la crèche est située sur un espace public, par exemple une place, la crèche de Noël est, en principe, autorisée, à la condition que l'installation ne contienne aucun élément de prosélytisme ou aucune revendication d'une opinion religieuse. En revanche, lorsqu'elle est installée dans un bâtiment public, elle est, en principe, interdite, sauf si "des circonstances particulières" permettent de considérer la m. Certes, il s'agit en l'espèce de savoir si la crèche est ou non un emblème religieux au sens de l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905, mais il n'en demeure pas moins que le principe de la neutralité s'impose aux bâtiments publics. 

C'est d'ailleurs exactement ce qu'a décidé le tribunal administratif de Bordeaux, dans un jugement du 15 décembre 2009 Solana.  Il annule en effet pour excès de pouvoir une décision du maire de Saint-Laurent-Médoc, autorisant la célébration d'une cérémonie religieuse dans la salle du conseil municipal. Il précise que l'élu a violé les « principes de laïcité et de neutralité qui s'imposent aux autorités administratives". Le tribunal précise même que cette règle de neutralité ne souffre aucune dérogation. En l'espèce, la chute de plusieurs mètres carrés de la voûte de l'église paroissiale avait conduit le maire à interdire son accès, et à ouvrir aux fidèles la salle du conseil municipal. Mais ces éléments ne sont pas suffisants, d'autant qu'il n'est même pas établi que la messe pouvait être célébrée ailleurs, en particulier dans une chapelle située sur le territoire de la commune. 

Le principe de neutralité est donc une contrainte lourde qui pèse sur tous les bâtiments publics, et sur les élus qui les occupent, à l'élu d'un village comme au Président de la République. Cette analyse s'appuie aussi sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Celle-ci a connu une évolution importante. De la neutralité du service public consacrée comme principe constitutionnel en 1986, il est passé à la neutralité de l'État, garantie dans la décision du 21 février 2013. Autant dire que celui qui est précisément le gardien de la Constitution doit être le premier à la respecter et à la faire respecter. 

Le plus étonnant dans l'histoire est sans doute ce quatuor du déni. Le Président de la République, la Première ministre, le ministre de l'Intérieur et le Grand Rabbin. Tous affirment que cette célébration de l'Elysée n'est pas un culte et est donc parfaitement conforme au principe de laïcité... A qui veut-on faire croire une chose pareille ?


Le principe de laïcité : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 10



1 commentaire:

  1. Il est toujours utile de rappeler l'existence du droit positif et son interprétation par le jurisprudence comme vous le faites régulièrement depuis plus d'une décennie. Et cela est d'autant plus important que le sujet prête à polémique.

    Dans le cas présent, la situation est parfaitement claire et ne laisse place à aucune discussion possible. La sauterie de l'Elysée constitue une violation du principe de neutralité.

    Les raisons de cette cérémonie doivent être recherchées dans le en même temps politique du président. Il prend une position jugée pro-israélienne après les attentats du 7 octobre. Il rétropédale ensuite pour ne pas mécontenter la communauté musulmane (Cf. non participation à la marche contre l'antisémitisme et condamnations des bombardements à Gaza ...). Enfin, il veut faire un geste vis-à-vis de la communauté juive en se livrant à cette "cérémonie" baroque à l'Elysée. Que va-t-il encore inventer demain pour virer de bord ?

    Une fois de plus, le chef de l'état évolue dans la confusion totale, foulant aux pieds les principes "sacrés" dont il est en principe le gardien. Ce faisant, il se met tout le monde à dos, y compris ceux à qui il croyait faire plaisir.

    Comment peut-il encore être respecté en agissant en permanence de la sorte ? A quoi sert la horde de conseillers qui l'entourent et qu'il n'écoute pas si tant est qu'e ces grands serviteurs de la France ils osent remettre en question ses idées les plus baroques ? Une fois de plus, il ouvre un boulevard au RN pour les prochaines échéances électorales.

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