« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 5 août 2021

Crise sanitaire : Le Conseil constitutionnel valide l'essentiel de la loi


La décision rendue par le Conseil constitutionnel le 5 août 2021 sur la loi relative à la gestion de la crise sanitaire est exactement conforme à ce qui était attendu par celles et ceux qui connaissent bien sa jurisprudence. Le Conseil déclare conformes à la Constitution les éléments essentiels du texte. Mais il donne aussi une satisfaction symbolique aux auteurs des saisines et en déclarant inconstitutionnelles deux dispositions relativement secondaires, et en formulant une réserve purement déclaratoire.

Le passe sanitaire est intégralement déclaré conforme à la Constitution. L'argument juridique reposant sur une rupture d'égalité entre vaccinés et non-vaccinés est balayé, de même que celui selon lequel le passe sanitaire s'analyserait comme une obligation vaccinale. Ces deux moyens manquent en fait, dès lors que chacun peut bénéficier du passe sanitaire non seulement avec un justificatif de statut vaccinal, mais aussi avec un test de dépistage négatif, ou un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination. Ces dispositions n'entrainent donc pas de rupture d'égalité et n'imposent aucune obligation vaccinale. Le raisonnement juridique du Conseil est certes élémentaire, mais il se borne à rappeler qu'il est impossible de faire dire à la norme juridique ce qu'elle ne dit pas.

D'une manière générale, le Conseil constitutionnel ne nie pas que la loi impose des restrictions à certaines libertés. Il en dresse une liste et reconnaît ainsi que le passe sanitaires, en réduisant l'accès à certains lieux, induit des atteintes à la liberté d'aller et de venir, à la liberté de réunion et même à l'expression collective des idées et des opinions. Mais, comme toujours, il exerce un contrôle de proportionnalité et apprécie si l'ingérence dans ces libertés est proportionnée à la finalité poursuivie. Bien entendu, il écarte implicitement l'argument vu et revu, selon lequel la finalité de la loi serait de garantir la seule présence dans un espace donné des personnes ne présentant pas de risque de transmission de virus. Il affirme donc que la finalité de la loi est, tout simplement, de protéger la santé publique. Les restrictions à ces libertés ne sont pas la finalité poursuivie par le législateur mais le moyen de satisfaire une norme constitutionnelle figurant dans le Préambule de 1946.

Quant aux deux déclarations d'inconstitutionnalité, elles sont relativement secondaires et ne bouleversent en rien l'équilibre du texte.

 

CDI et CDD

 

La première réside dans la différence de situation, jugée excessive, entre les salariés en contrat à durée indéterminée (CDI) et ceux en contrat à durée déterminée (CDD) ou en mission d'intérim. L'article 1er de la loi prévoyait en effet qu'un CDD ou une mission d'interim d'un salarié ne présentant pas les justifications nécessaires à l'obtention du passe sanitaire pouvait être rompu, avant son terme, à l'initiative de l'employeur. 

Il est vrai que le principe d'égalité issu de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général. Encore faut-il cependant que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit, principe rappelé dans la décision du 18 mars 2009. Pour évaluer les dispositions de la présente loi, le Conseil se tourne vers ses travaux préparatoires, et il constate que le législateur a entendu exclure que la méconnaissance de l'obligation de présenter un passe sanitaire puisse constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement d'un salarié en CDI. 

Dès lors, la différence de situation entre les salariés en CDD ou en intérim et ceux en CDI est jugée excessive. En effet, l'objet de la loi, on l'a dit, est de protéger la santé publique et, par là-même, d'empêcher la diffusion du virus. Or tous les salariés, qu'ils soient en CDD ou en CDI ou en interim, sont soumis au même risque de contamination. La différence de traitement n'est donc pas justifiée au regard de l'objet même de la loi. 

L'analyse est conforme à la jurisprudence antérieure du Conseil constitutionnel. Il appartiendra donc au législateur de modifier ces dispositions, probablement en interdisant aux employeurs de mettre fin à un CDD au motif que le salarié n'a pas produit le passe sanitaire. Rien ne pourra cependant leur interdire de ne pas renouveler un contrat dans une telle situation, car il n'existe pas de droit au renouvellement d'un CDD.

 


 

La guerre du coronavirus. Les Gogettes en trio, mais à quatre. Avril 2020

 

Le placement automatique en isolement


La seconde disposition déclarée non conforme à la Constitution est l'article 9 de la loi qui imposait une mesure de placement en isolement, applicable de plein droit aux personnes faisant l'objet d'un test de dépistage positif à la covid-19. Défense était faite de sortir du lieu d'hébergement, sous peine de sanction pénale. Cette sanction demeurait d'ailleurs largement hypothétique car la personne pouvait sortir entre 10 h et 12 h, ou en cas d'urgence, ou "pour des déplacements strictement indispensables". 

Mais l'inconstitutionnalité ne repose pas tant sur le contrainte ainsi imposée que sur son caractère automatique. Le Conseil se fonde sur l'article 66 de la Constitution, selon lequel « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi »

Le Conseil ne conteste pas que cette mesure repose sur une volonté de protection de la santé publique. Mais elle l'estime disproportionnée dans la mesure où la décision d'isolement ne repose pas sur une décision individuelle mais sur le résultat d'un test. Il reprend donc le principe selon lequel toute mesure portant atteinte à une liberté doit être prise en considération de la personne, conformément au principe d'individualisation. Concrètement, cela signifie que l'intéressé doit pouvoir faire valoir sa situation personnelle, ses propres contraintes, pour solliciter un aménagement de son confinement par l'autorité administrative. Il doit aussi, conformément à l'article 66, pouvoir saisir un juge, en l'occurrence le juge de la liberté et de la détention, d'une éventuelle demande de main-levée. 

Le Conseil constitutionnel indique ainsi au législateur les dispositions à prendre pour rendre la procédure constitutionnelle, en prévoyant un recours gracieux auprès du préfet et un recours contentieux auprès du juge de la liberté et de la détention (JLD).

A ces deux déclarations d'inconstitutionnalité s'ajoute une réserve, d'un intérêt très relatif. Le Conseil observe en effet que le fait d'imposer le passe sanitaire pour accéder à l'hôpital ne saurait entraver le droit d'accès aux soins. Il s'agit là de sanctionner une erreur de rédaction, car tout le monde avait compris que ce passe sanitaire ne pouvait concrètement être imposé qu'aux visiteurs et aux personnes venant en consultation. Les patients hospitalisés, quant à eux, ne sauraient se voir imposer une contrainte qui serait d'ailleurs contraire au serment d'Hippocrate prêté par les médecins. Imagine-t-on que l'on puisse demander son passe sanitaire à un malade qui arrive aux urgences ? 

Le plus important dans cette décision est sans doute son caractère prévisible. Le Conseil a su ainsi se tenir à l'abri d'un débat juridique qui devenait parfaitement irrationnel, pour s'en tenir à une analyse juridique. Certes, on peut critiquer le contrôle de proportionnalité qui donne au Conseil un instrument de censure extrêmement large. Mais on peut aussi se réjouir lorsque le Conseil n'en abuse pas. En l'espèce, la lecture de la décision montre que le Conseil s'est montré sensible au fait que les contraintes imposées par la loi prendront fin le 15 novembre. A cette date, soit de nouvelles dispositions seront adoptées à l'issue d'un nouveau débat parlementaire, soit un retour à la vie normale sera possible. Mais cette dernière possibilité, celle que tout le monde souhaite, n'interviendra que si un très fort pourcentage de la population est vacciné. Ceux qui dénoncent une "dictature" n'ont donc qu'une chose à faire pour en sortir : se faire vacciner.

 


Sur l'état d'urgence sanitaire  : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 2, conclusion.


1 commentaire:

  1. Cette décision du Conseil constitutionnel était d'autant plus prévisible que son fondement juridique était faible (versant plus dans l'idéologie que dans le droit positif) et qu'elle fut précédée d'un entretien téléphonique entre le premier ministre, Jean Castex, l'homme à l'accent du terroir et le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, l'homme aux mains encore souillées par le scandale du sang contaminé.

    Au-delà de son aspect sanitaire qui cloue le bec à tous ces antivax (plus de 85% des personnes contaminées n'étaient pas vaccinées), cette décision pose le problème récurrent de l'indépendance du Conseil constitutionnel (organe plus politique que juridique) qui va de pair avec celui de son impartialité (condition sine qua non du droit à un procès équitable). Mais cela est une autre histoire à laquelle il faudra bien, un jour, trouver une solution conforme aux standards d'un véritable état de droit.

    En dernière analyse, et pour terminer sur une note positive, comme le relève le caricaturiste Chaunu : "Conseil constitutionnel, çà passe" (Ouest-France, 6 août 2021, p. 5). Tant pis pour le réduit des opposants à la vaccination qui participe, avec un certain talent, à la tyrannie de la minorité !

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