La Cour d'appel de Paris, dans une
décision du 24 mars 2014, a fait échouer une nouvelle offensive des avocats dans leur combat pour obtenir l'accès à l'intégralité des pièces du dossier de la personne gardée à vue. La décision a donné lieu à une médiatisation bien inférieure à celle qu'avait suscité le jugement rendu par le tribunal correctionnel, le 30 décembre 2013. A l'époque, l'affaire avait été plaidée par le bâtonnier, Christiane Féral-Schuhl, assistée des deux premiers secrétaires de la conférence des avocats, démonstration destinée à afficher la mobilisation de l'ensemble des avocats parisiens. Et le tribunal correctionnel avait effectivement annulé le procès-verbal d'audition d'un ressortissant turc poursuivi pour violences sur des personnes, annulation obtenue pour violation de l'article 6 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Pour le tribunal correctionnel, l'absence de communication à l'avocat de l'ensemble du dossier de son client portait atteinte au droit au procès équitable.
La décision du 30 décembre 2013 est évidemment l'une de ces jurisprudences de combat que rendent les juges de première instance. Il y affirment leur position avec un éclat d'autant plus remarquable qu'ils savent parfaitement que leur décision sera annulée en appel.
C'est exactement ce qui s'est produit, la Cour d'appel appliquant simplement le droit positif, en s'appuyant à la fois sur le droit de la Convention européenne et sur celui de l'Union européenne.
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme
Les avocats parisiens invoquaient les arrêts
Dayanan c. Turquie et
Sapan c. Turquie rendus par la Cour européenne des droits de l'homme. Le premier, du 13 octobre 2009 imposait l'intervention de l'avocat dès le début de la garde à vue. Le second, du 20 septembre 2011, déclarait le droit turc non conforme à l'article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans la mesure précisément où l'avocat du requérant n'avait pas été autorisé à accéder aux pièces du dossier.
La Cour de cassation, à plusieurs reprises et notamment dans des décisions du 19 septembre 2012, du 31 octobre 2012 et du 6 novembre 2013, considère pourtant que le débat contradictoire sur les éléments de preuve ne se développe pas durant la garde à vue. Il intervient par la suite, devant le juge d'instruction, puis devant les juridictions de jugement. Pour les juges suprêmes, le refus d'accès au dossier est donc la conséquence logique de la procédure inquisitoire française, dès lors que l'enquête est réalisée à charge mais aussi à décharge. La Cour de cassation considère que l'
article 63-4-1 du code de procédure pénale (cpp), dans sa rédaction issue de la
loi du 14 avril 201, ne porte aucune atteinte au droit au procès équitable et à l'égalité des armes. L'avocat obtient donc communication du procès verbal de notification du placement en garde à vue, du certificat médical ainsi que des procès verbaux d'audition, une fois qu'elle a eu lieu. Le débat contradictoire sur les autres pièces est renvoyé à l'instruction ou au jugement.
Sur ce point, la jurisprudence de la Cour de cassation s'appuie sur celle du Conseil constitutionnel. Dans une décision rendue sur QPC le
18 novembre 2011, celui-ci a en effet considéré que la conciliation entre les nécessités de la recherche des auteurs d'infractions et les droits de la défense est parfaitement assurée par la loi du 14 avril 2011.
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Honoré Daumier 1808-1879. Avocat plaidant |
Le droit de l'Union européenne
Le second moyen de la défense reposait sur la
directive 2012/13/UE du 22 mai 2012, et plus particulièrement sur son article 7 § 1. Il énonce : "
Lorsqu'une personne est détenue à n'importe quel stade de la procédure pénale, les Etats membres veillent à ce que les documents relatifs à l'affaire en question détenus par les autorités compétentes qui sont essentiels pour contester de manière effective conformément au droit national la légalité de l'arrestation ou de la détention soient mis à la disposition de la personne arrêtée ou de son avocat".
La Cour observe, et ce n'est pas vraiment une surprise, qu'une directive de l'Union européenne ne peut être invoquée tant qu'elle n'a pas été transposée par le droit de l'Etat membre, ou plus exactement tant que le délai de transposition n'est pas écoulé. Dans le cas de la directive de 2012, le délai de transposition expire le 2 juin 2014. Avant cette date, aucun requérant ne peut donc invoquer le contenu de la directive devant les juridictions internes.
Les avocats étaient parfaitement conscients de cette impossibilité de s'appuyer directement sur la directive. Aussi ont-ils préféré invoquer le principe "d'interprétation conforme". Il repose sur une idée simple : lorsqu'une norme de droit communautaire ne peut pas recevoir directement application dans le litige qui est soumis au juge national, celui-ci doit interpréter son droit interne de manière à atteindre, dans la mesure du possible, le résultat voulu par le droit communautaire. On observe cependant que ce principe d'interprétation conforme est pour le moins fluctuant. La Cour de Justice permet ainsi aux juges internes de prendre en considération l'ensemble de leur droit national pour apprécier dans quelle mesure il peut être, ou non, modifié dans un sens conforme à l'objet de la directive. En l'espèce, la Cour estime que l'interprétation conforme serait de nature à compromettre la transposition de la directive et irait même à son encontre. Autrement dit, l'accès de l'avocat au dossier n'est pas, pour le juge français, un élément de cette transposition.
Cette interprétation survivra-t-elle à la transposition de la directive de 2012 ? On peut se poser la question, et il est très probable de que de nouveaux recours interviendront dès juin 2014, si la directive n'est pas encore transposée, ou dès la publication du texte la transposant. Les avocats semblent croire qu'ils obtiendront alors sans difficulté le droit d'accéder au dossier de leurs clients, la jurisprudence actuelle étant volontiers présentée comme un combat d'arrière-garde mené par des juges particulièrement réactionnaires.
Le problème est moins simple qu'il n'y parait. Même en laissant de côté la portée du renvoi au droit national opéré par l'article 7 § 1, les avocats semblent ignorer les dispositions de l'article 7 § 4 de cette même directive. Elles précisent que certaines pièces peuvent être refusées à l'avocat, en particulier "en vue de préserver un intérêt public important, comme dans les cas où cet accès risque de compromettre une enquête en cours". Or, la garde à vue se définit précisément comme une phase d'enquête, une période très courte durant laquelle il s'agit d'établir des faits et de démontrer l'existence d'une infraction. Il y a donc, par hypothèse, une "enquête en cours".
Le débat est loin d'être clos, et il devrait même s'amplifier dans les mois à venir. L'enjeu ne réside pas seulement dans l'accès au dossier de l'avocat, mais bien davantage dans les principes fondamentaux de notre procédure pénale. De plus en plus, les avocats français semblent inspirés par le droit américain, et voient la garde à vue, non pas comme une phase d'enquête à charge et à décharge, mais comme un combat entre l'avocat du gardé à vue et les enquêteurs. L'accès au dossier apparaît ainsi comme l'instrument du passage d'une procédure inquisitoire à une procédure accusatoire, instrument particulièrement commode puisqu'il permet de faire l'économie d'un débat parlementaire.
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