« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 21 décembre 2011

Droit aux origines et accouchement sous X

La proposition de loi présentée par madame Brigitte Barèges (député UMP du Tarn et Garonne) et enregistrée le 7 décembre 2011 à l'Assemblée nationale vient, une nouvelle fois, poser la question du droit aux origines. Conformément aux conclusions du rapport parlementaire dont madame Barèges était rapporteur, rendu en janvier 2011, il  propose la suppression de l'"accouchement sous X".  Prévu par l'article 326 du code civil, celui ci est défini en ces termes  : "Lors de l'accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé". Lui serait substitué un "accouchement dans le secret", formule peu claire qui consiste à garantir la confidentialité jusqu'à la majorité de l'enfant. Une fois devenu adulte, celui-ci pourrait alors, s'il le désire, avoir communication du nom de sa mère.

A l'appui de cette réforme est avancée la notion de "droit aux origines" dont serait titulaire l'enfant né "sous X". On comprend en effet le désir qu'il peut exprimer de connaître le nom de sa mère, et ainsi de reconstituer son histoire personnelle. Force est de constater cependant que le droit d'accès aux origines n'existe pas vraiment dans le droit positif.

Le droit aux origines dans le droit positif

La référence toujours citée sur le droit d'accès aux origines est la Convention de New York sur les droits de l'enfant, dont l'article 7 al. 1 dispose : "L'enfant est enregistré dès sa naissance et a, dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans le mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux".  Cette formulation est doublement ambigue. D'une part, le droit de connaître ses origines n'existe que "dans la mesure du possible", c'est à dire qu'il peut disparaître dans certaines hypothèses, comme l'accouchement sous X. D'autre part, la Convention évoque le "droit de connaître ses parents" et non pas le "droit aux origines". Après un accouchement sous X, l'enfant fait l'objet d'une adoption plénière, ce qui signifie que ses "parents" sont le couple qui l'a adopté. Il a donc incontestablement le droit de connaître ses parents.

La Cour européenne des droits de l'homme, de son côté, a affirmé, dans un arrêt Odièvre du 13 février 2003 que l'accouchement sous X n'est pas contraire aux articles 8 et 14 de la Convention. Il ne porte donc pas atteinte à la vie privée et n'est pas discriminatoire. L'arrêt Kearns du 10 janvier 2008 confirme cette jurisprudence, en insistant sur le fait que la mère bénéficie d'un délai de rétractation de deux mois, qui lui offre l'opportunité d'apprécier les conséquences de sa décision. La Cour européenne refuse donc d'intégrer le droit d'accès aux origines parmi les éléments relevant de la vie privée et susceptibles d'être garantis par l'article 8. Elle estime d'ailleurs que la législation française offre un équilibre satisfaisant entre les intérêts en cause. 

Le droit interne, quant à lui, connaît l'accès aux origines, mais, jusqu'à aujourd'hui ne l'a jamais consacré comme un droit. La loi du 22 janvier 2002 a ainsi créé le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP). Cette autorité indépendante reçoit les demandes d'accès aux origines formulées par les enfants nés sous X. Le CNAOP prend alors contact avec la mère biologique et lui demande si elle est d'accord pour que son identité soit communiquée à l'enfant. Elle peut évidemment refuser d'accéder à cette demander, ce qui montre clairement que l'accès aux origines n'est pas un droit. 

Dans le droit positif, le droit aux origines n'existe tout simplement pas. Il est donc bien difficile de l'utiliser comme fondement d'une législation. Souvenons nous qu'en janvier 2011, les députés ont refusé de lever l'anonymat sur les dons de gamète, tout simplement parce que les professionnels de la procréation médicalement assistée redoutaient une chute considérable du nombre de donneurs de gamètes. Qu'il s'agisse des dons d'ovule ou des dons de sperme, le donneur n'agit pas pour donner naissance à un enfant, mais pour aider un autre couple à concrétiser son désir d'enfant. Il n'a donc pas envie de devoir répondre, des années plus tard, à une demande de contact formulée par l'un ou l'autre des enfants nés par une assistance médicale à la procréation.

Charlie Chaplin. Le Kid. 1921

Eléments du débat

La question de l'accouchement sous X peut évidemment être discutée.  Mais si le débat doit prendre en considération les droits de l'enfant, il doit aussi se préoccuper de ceux des autres acteurs intéressés. La mère tout d'abord a droit au respect de sa vie privée, et rien ne dit que dix huit années après son accouchement, elle souhaite voir ressurgir un passé qui peut être douloureux. Les parents adoptifs ensuite, qui ont bénéficié d'une adoption plénière, ne désirent pas nécessairement voir apparaître une mère biologique qu'ils peuvent percevoir comme une menace pour leur vie familiale. Dans tous les cas, la loi doit rechercher l'équilibre entre ces différents intérêts. 
 
 La loi doit également s'intéresser aux conséquences de la suppression de l'accouchement sous X. Ce dernier est apparu au XVIè siècle, pour lutter contre l'infanticide. Aujourd'hui, les partisans du droit d'accès aux origines nous montrent en exemple les législations allemande, autrichienne, belge, suisse, tchèque et slovaque qui refusent l'accouchement sous X, au nom du droit d'accès aux origines. On n'insiste guère en revanche sur le retour des "boîtes à bébé" qui permettent de déposer anonymement des nouveaux-nés dans  une niche creusée à l'intérieur du mur de l'hôpital. Au Moyen-Age, cela s'appelait le "tour", et c'est précisément pour éviter cela qu'a été créé l'accouchement sous X.

En donnant satisfaction aux enfants nés sous X, en leur offrant d'accéder à leurs origines, on leur permet de connaître leurs racines, de reconstituer leur histoire. Certes, mais en même temps, on risque de voir reparaître des accouchements clandestins, réalisés sans soutien médical, faisant courir des risques insensés à la mère et à l'enfant. Le débat sur le droit d'accès aux origines doit certainement se développer, mais encore doit-il être appréhender de manière globale, et pas seulement à travers le désir de ceux qui le revendiquent.


1 commentaire:

  1. Très bel article, vous présentez la chose d'une manière très poétique. J'ai été adoptée, et grâce à vous je comprends mieux un tas de choses.

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