« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


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samedi 13 décembre 2014

Circulaire Taubira : le refus du péché originel juridique

Dans un arrêt du 12 décembre 2014, le Conseil d'Etat a rejeté le recours déposé par l'Association des juristes pour l'enfance et différentes autres associations catholiques contre la circulaire Taubira du 25 janvier 2013. Rappelons que cette circulaire autorise la délivrance de certificats de nationalité française aux enfants nés à l'étranger de parents français, y compris « lorsqu’il apparaît, avec suffisamment de vraisemblance qu’il a été fait recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui ».

A l'époque de sa publication, ce texte avait suscité un regain d'agitation, d'ailleurs modeste, des milieux hostiles au mariage entre personnes du même sexe. Ils y voyaient une consécration indirecte de la gestion pour autrui (GPA), et l'annonce que cette GPA allait être autorisée pour les couples homosexuels. Mais rien de tout cela ne figurait dans la circulaire, situation qui rendait quelque peu délicate la recherche de moyens sérieux à l'appui du recours.

La recevabilité du recours 


La jurisprudence  Duvignères du 18 décembre 2002 distingue les circulaires non impératives des circulaires impératives : "Considérant que l'interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d'instructions l'autorité administrative donne des lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en oeuvre n'est pas susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu'en soit le bien-fondé, faire grief ; qu'en revanche, les dispositions impératives à caractère général d'une circulaire ou d'une instruction doivent être regardées comme faisant grief". Seules les circulaires impératives sont donc susceptibles de recours devant le Conseil d'Etat. 

La circulaire Taubira entre dans cette seconde catégorie, dès lors qu'elle produit des effets de droit à l'égard des enfants concernés et de leur famille. Le contrôle du juge consiste alors à regarder si la circulaire crée une ou plusieurs règles nouvelles, c'est à dire qui ne figurent dans aucune loi ou aucun règlement. Dans ce cas, la circulaire peut être annulée pour incompétence, dès lors que le ministre s'est attribué un pouvoir réglementaire dont il ne dispose pas.

En l'espèce pourtant, Christiane Taubira n'a pas violé la loi. Sa circulaire n'a pas pour conséquence de reconnaître un quelconque droit à la GPA, droit qui d'ailleurs ne pourrait être consacré par la voie d'une circulaire. Elle se borne à prendre en compte une situation de fait, dans le respect du droit positif, et plus particulièrement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

La GPA comme péché originel juridique


Le Conseil d'Etat prend la précaution de rappeler que la GPA ne figure pas dans l'ordre juridique français. Dans le chapitre II du Code civil consacré au "respect du corps humain" figure un article 16-7 qui énonce que  « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle ». L'article 16-9 c. civ. ajoute que ces dispositions présentent un caractère d'ordre public. La circulaire Taubira ne modifie en rien cette situation. Elle se borne à envisager le cas des enfants effectivement nés d'une GPA et dont il convient d'établir la nationalité.

Pour les requérants, ces articles imposent la nullité de tous les actes qui trouvent leur origine dans une GPA. Ils donnent ainsi une interprétation particulièrement étroite de l'adage ""Fraus omnia corrumpit", estimant finalement que tous les actes de la vie civile d'un enfant issu de GPA sont entachés de nullité en raison de l'origine frauduleuse de la convention qui a permis sa naissance. L'enfant est donc poursuivi par une sorte de péché originel juridique qui touche aussi bien sa nationalité que son état civil et qui devrait donc le poursuivre durant toute sa vie d'adulte.

Cette interprétation s'appuie sur une jurisprudence récente de la Cour de cassation. Dans deux décisions du 13 septembre 2013, la première Chambre civile a  refusé la transcription sur les registres de l'état civil français de l'acte de naissance d'enfants nés d'une GPA à Mumbay (Inde). Observons que les décisions de la Cour visent précisément l'état-civil alors que la circulaire Taubira concerne la délivrance de certificats de nationalité. Pour les requérants, le raisonnement par analogie s'impose cependant, puisque le fait d'être né à la suite d'une GPA entache de nullité tous les actes de la vie civile de l'enfant.


Agar et l'Ange. Ecole italienne. XVIIè siècle.

Les droits de l'enfant


Quoi qu'il en soit, le raisonnement par analogie développé par l'Association des Juristes pour l'enfance s'effondre de lui-même, dès lors que la jurisprudence de la Cour de cassation a été directement mise en cause par celle de la Cour européenne des droits de l'homme. Dans deux importantes décisions Mennesson c. France et Labassee c. France rendues le 26 juin 2014, celle-ci affirme que l'intérêt supérieur des enfants nés aux Etats Unis d'une gestation pour autrui (GPA) est d'avoir un état civil français, élément de leur identité au sein de la société de notre pays.

Le Conseil d'Etat, dans son arrêt du 12 décembre 2014, ne s'appuie pas directement sur "l'intérêt supérieur de l'enfant", et l'on observe que la Convention relative aux droits de l'enfant de 1989 ne figure pas dans les visas. Le Conseil d'Etat préfère considérer l'enfant, non pas comme objet de droit mais comme sujet de droit. Il énonce très clairement que " la seule circonstance que la naissance d’un enfant à l’étranger ait pour origine un contrat qui est entaché de nullité au regard de l’ordre public français ne peut, sans porter une atteinte disproportionnée à ce qu’implique, en termes de nationalité, le droit de l’enfant au respect de sa vie privée, (...), conduire à priver cet enfant de la nationalité française à laquelle il a droit". L'enfant est une personne, rappelle le Conseil d'Etat, et, dès sa naissance, il est titulaire de droits. L'article 18 du code civil énonce qu'"est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français". Dès lors que sa filiation avec un Français est établie, sa nationalité française est un droit, quelles que soient les circonstances de sa naissance, circonstances dont il n'est en aucun cas responsable.

Le refus d'une nouvelle forme de bâtardise juridique


Ce recours était peut-être le "recours de trop", porteur d'un effet boomerang. En rappelant que l'enfant est titulaire de droits, le Conseil d'Etat oppose une fin de non-recevoir à ceux qui voudraient créer des distinctions entre les enfants selon les conditions de leur naissance. Heureusement, car les arguments développés devant le juge rappellent ceux développés durant des siècles à l'encontre des enfants considérés comme illégitimes. En 1639, une ordonnance de Louis XIII ordonnait que tous les enfants nés hors mariage soient frappés d'indignité. Plus de trois siècles après, ce sont les enfants nés par GPA qui étaient menacés d'une nouvelle forme d'indignité ou de bâtardise juridique. Belle conception de la charité chrétienne.


samedi 14 septembre 2013

La GPA devant la Cour de cassation : immobilisme jurisprudentiel

Le vendredi 13 septembre 2013 n'est sans doute pas un jour de chance pour les enfants nés à l'étranger à la suite d'une convention de gestation pour autrui (GPA). La première chambre civile de la Cour de cassation a en effet rendu deux décisions dont il convient d'observer d'emblée qu'elles ne portent pas sur la légalité d'une telle convention que le droit positif considère comme parfaitement illégale. Elles portent sur la transcription sur le registre de l'état-civil français de l'acte de naissance d'enfants nés d'une GPA à Mumbay (Inde), des jumeaux nés en avril 2010 pour M. B. et une petite fille née en juillet 2009 pour M. F. Dans les deux cas, la Cour refuse purement et simplement cette transcription et va même jusqu'à annuler la reconnaissance de paternité de M. F. considérée comme frauduleuse.

Certains commentateurs ont déjà présenté ces décisions comme une sorte de camouflet infligé à la circulaire Taubira du 25 janvier 2013. L'analyse n'est pas si simple, car la circulaire a un objet différent de celui des décisions rendues par la Cour de cassation. En revanche, les raisonnements tenus sont parfaitement contradictoires.

Une étrange situation juridique

L'objet de la circulaire Taubira est de permettre la délivrance d'un certificat de nationalité française
aux enfants nés à l'étranger d'un parent français ayant "vraisemblablement" eu recours à une procréation médicalement assistée (PMA) ou à une GPA. Dès lors qu'est établi un lien de filiation entre l'enfant et un ressortissant français, lien établi par un acte d'état civil licite dans le droit du pays concerné, il est donc possible d'obtenir un certificat de nationalité. La circulaire repose ainsi sur l'intérêt supérieur de l'enfant : quelles que soient les conditions de sa naissance, même illicites au regard du droit français, il doit pouvoir être citoyen français, comme l'un au moins de ses parents.

Les présentes décisions de la Chambre civile portent, quant à elles, sur la transcription de l'état-civil et non pas sur la nationalité, et reposent sur un raisonnement rigoureusement inverse. Alors que la circulaire Taubira écarte la convention de GPA, la cour de cassation la considère comme une sorte de péché originel, un acte qui empêche l'enfant d'avoir le même statut juridique que tous les autres enfants nés d'au moins un parent français. Il se retrouve ainsi dans une situation ubuesque : il peut voir reconnaître sa nationalité française, mais sa filiation ne peut pas être établie en droit français.

"Fraus omnia corrumpit"

La Cour de cassation s'appuie sur un raisonnement à la fois simple et implacable qu'elle avait déjà développé dans la célèbre affaire Mennesson du 17 décembre 2008. Dès lors que la naissance est l'aboutissement d'un processus frauduleux comportant une convention de GPA, tous les actes qui en résultent sont entachés d'une nullité d'ordre public. Les juges invoquent ainsi l'article 16-6 du code civil portant sur l'indisponibilité du corps humain et l'article 16-9 qui énonce que ces dispositions sont d'ordre public.

Cette sévérité résulte d'une application rigoureuse de l'adage "Fraus omnia corrumpit", depuis longtemps intégré dans la jurisprudence de la Cour de cassation, et qui lui permet de prononcer la nullité de tous les actes issus d'une fraude. Le problème est tout de même que la fraude, qu'elle soit civile ou pénale, se définit par la volonté de nuire, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Les parties à un contrat de gestation pour autrui n'ont pas réellement le désir de nuire à qui que ce soit, seulement celui de mettre un enfant au monde.

L'intérêt supérieur de l'enfant ? 

Certes, nul ne conteste que la GPA n'est pas conforme à l'ordre public français. Mais que devient l'intérêt supérieur de l'enfant ? Il n'est tout simplement pas pris en compte par la Cour de cassation : "En présence de cette fraude, ni l'intérêt supérieur de l'enfant que garantit l'article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l'enfant, ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme ne sauraient être utilement invoqués". L'analyse suscite une certaine perplexité, car la Cour affirme que les dispositions législatives du code civil l'emportent sur celles des traités internationaux.

Ce refus d'examiner l'intérêt supérieur de l'enfant est d'autant plus surprenant que, dans sa décision du 17 mai 2013 sur le mariage pour tous, le Conseil constitutionnel a énoncé une réserve d'interprétation dont tout le monde se souvient. Il a en effet estimé que l'alinéa 10 du Préambule de 1946 qui énonce que "la Nation assure à l'individu et à la famille le conditions nécessaires à leur développement" devait s'entendre comme imposant le respect de l'intérêt de l'enfant pour toute procédure d'adoption. Certes, l'adoption n'est pas la GPA, mais il n'en demeure pas moins que l'intérêt supérieur de l'enfant dispose maintenant d'un fondement constitutionnel qui devrait s'imposer aux juridictions.

L'intérêt de l'enfant aurait pourtant mérité qu'on s'y attarde. Que va devenir la petite fille aujourd'hui âgée de quatre ans et qui se voit privée du lien de filiation avec M. F. ? Elle dispose actuellement d'un état civil indien, mais sa filiation paternelle est inopposable en France. Doit-elle résider en Inde, auprès de sa mère dont on nous dit qu'elle est "d'origine extrêmement modeste", et qui a mené à bien une grossesse pour le compte d'autrui ?  Ces enfants sont-ils responsables des conditions illicites de leur gestation, au seul regard du droit français. La cour reste muette sur ces points, car, à ses yeux, le caractère frauduleux du recours à la GPA suffit à fonder la nullité de tous les actes qui ont suivi.

Et maintenant ?

Que va t il se passer, maintenant que la Cour de cassation a soigneusement bloqué toute possibilité
Claire Bretécher. Le destin de Monique. 1983
d'évolution jurisprudentielle ?

Du côté des pouvoirs publics, on peut envisager le recours à la voie législative pour autoriser formellement la transcription dans les registres français de l'état civil de l'acte de naissance des enfants que l'on soupçonne d'être nés par une convention de gestation pour autrui. Le problème est évidemment de nature politique, car on imagine facilement les hurlements de ceux qui manifestaient à grand bruit contre le mariage pour tous.

Si le gouvernement écarte la voie législative, les intéressés devront se tourner vers la Cour européenne des droits de l'homme. Elle seule pourra exercer son contrôle au regard de l'intérêt de l'enfant et du droit au respect de la vie privée de ceux qui sont allés à l'étranger pour profiter d'un système juridique plus favorable. Peut-être songera t elle alors que le droit français est beaucoup plus indulgent à l'égard de ceux qui transfèrent leur fortune dans des paradis fiscaux qu'à l'égard de ceux qui vont faire des enfants dans des "paradis de mères porteuses" comme les Etats Unis ou l'Inde. Les premiers sont invités gracieusement à rapatrier leur argent, les seconds n'ont pas le droit de rapatrier leurs enfants.





jeudi 29 octobre 2015

Appel au boycott et liberté d'expression : Où est Charlie ?

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu, le 20 octobre 2015, une décision qu'elle n'a pas fait figurer parmi les "derniers arrêts mis en ligne", ceux sur lesquels elle attire l'attention des lecteurs de la page d'accueil de son site. La décision porte pourtant sur la question fortement débattue de l'appel au boycott, que la Cour refuse de rattacher à la liberté d'expression. 

En 2009 et 2010, des militants du mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) ont participé à différentes actions appelant au boycott des produits israéliens pour protester contre l'occupation des territoires palestiniens et les atteintes aux droits de l'homme commises dans ces mêmes territoires. Parmi ces actions, des interventions dans des supermarchés alsaciens, destinées à sensibiliser à cette cause les consommateurs. Ces militants ont été poursuivis pour "provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une race, une religion ou une nation déterminée", infraction prévue par l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881. Ils ont chacun été condamnés à 1000 € d'amende avec sursis, condamnation confirmée par la Cour d'appel de Colmar le 27 novembre 2013. 

Devant la Cour de cassation, ils invoquent l'atteinte à la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. 

Le refus de faire prévaloir la liberté d'expression


En l'espèce, la Cour refuse de faire prévaloir la liberté d'expression. Elle affirme que l'action visait à discriminer les produits venant d'Israël, incitant à les consommateurs à ne pas acheter ces marchandises "en raison de l'origine des producteurs et fournisseurs lesquels, constituant un groupe de personnes, appartiennent à une nation déterminée, en l'espèce Israël, qui constitue une nation au sens du droit international". Aux yeux de la Cour, l'appel au boycott est "un acte positif de rejet, se manifestant par l'incitation à opérer une différence de traitement à l'égard d'une catégorie de personnes, en l'occurrence les producteurs de biens installés en Israël". L'élément matériel de l'infraction est donc établi. 

A la lecture de ce raisonnement, on se réjouit qu'une telle jurisprudence n'ait pas été en vigueur à une époque où le boycott contre l'Afrique du Sud était un moyen de lutte contre l'Apartheid. Surtout, la formulation n'est pas dépourvue d’ambiguïté. Dans un premier temps, la Chambre criminelle affirme que les producteurs visés appartiennent à une "nation déterminée", avant de préciser que sont victimes de cette provocation à la discrimination tous ceux qui "sont installés en Israël". La formulation laisse penser que les entrepreneurs "installés" en Israël appartiennent nécessairement à cette "nation", ce qui est loin d'être évident. 

Quoi qu'il en soit, la Chambre criminelle reprend une jurisprudence constante, formulée exactement dans les mêmes termes dans un arrêt du 22 mai 2012, pour des faits identiques. D'autres décisions pourraient être citées, et on se prend à penser que les militants favorables au boycott d'Israël sont systématiquement poursuivis.

Les circulaires successives


C'est effectivement le cas. Une circulaire signée du ministre de la Justice, à l'époque madame Alliot-Marie, enjoignait déjà, en février 2010, aux procureurs de poursuivre systématiquement les appels au boycott de l'Etat d'Israël. Cette circulaire a ensuite été reprise dans un autre texte, signé cette fois de Michel Mercier le 15 mai 2012, soit deux jours avant qu'il ne quitte ses fonctions. Depuis l'alternance, force est de constater que Madame Taubira n'a pas abrogé ou modifié ces circulaires. Différentes analyses juridiques ont pourtant montré que leur légalité est loin d'être certaine.
On observe d'abord qu'elles ne portent pas sur la mise en oeuvre d'un délit qui serait constitué par des appels au boycott d'Etats dont la politique est critiquée. Elles ne visent que le boycott visant les produits en provenance d'Israël, les autres Etats ne faisant l'objet d'aucune circulaire spécifique. La date de la première est d'ailleurs fort intéressante, puisqu'elle intervient après l'opération militaire israélienne "Plomb durci" qui a fait plus de 1300 victimes dans la population palestinienne. Cette circulaire n'emporte-t-elle pas une rupture d'égalité devant la loi en visant expressément les militants hostiles à la politique de l'Etat d'Israël vis à vis des territoires palestiniens ? 

Par ailleurs, la légalité de cette circulaire pose un autre problème. Comment en effet peut-on considérer comme illicite une action qui n'a d'autre objet que permettre au consommateur d'assumer un choix licite ? Entre deux produits, un israélien et un en provenance d'un autre pays, l'acheteur est toujours libre d'acheter le second. En quoi ce choix peut-il être qualifié de discriminatoire ? Et sans discrimination, il n'y a évidemment pas de provocation à la discrimination. 

Ce doute sur la légalité de ces circulaires est certainement à l'origine d'une véritable opposition des juges du fond. Alors même que la jurisprudence de la Cour de cassation était déjà fixée, et parfaitement conforme aux prescriptions des différentes circulaires, le tribunal de Pontoise, le 20 décembre 2013, a ainsi prononcé la relaxe de militants appelant au boycott de produits israéliens par des actions dans les supermarchés, situation identique à celle de l'arrêt du 20 octobre 2015.

Il est vrai que ces circulaires expliquent que des poursuites soient systématiquement diligentées à l'encontre des militants appelant au boycott à l'égard des produits en provenance d'Israël. Elles ne permettent pas de fonder la décision de la Chambre criminelle. Pour apprécier si les condamnations pour provocation à la discrimination sont conformes à l'article 10 de la Convention européenne, elle s'appuie sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
Au pays des Charlie. Martin Handford. Où est Charlie ? 2011.


La Cour européenne et l'appel au boycott


Nul ne conteste que la condamnation emporte une "ingérence" dans la liberté d'expression des militants concernés. Une telle ingérence peut cependant être justifiée si elle est "prévue par la loi", dirigée vers un ou plusieurs "buts légitimes" et "nécessaire dans une société démocratique".

Dans son arrêt du 16 juillet 2009 Willem c. France, la Cour européenne s'est prononcée sur une situation proche, mais pas tout à fait identique. Le maire de Séclin avait en effet été poursuivi et condamné sur le même fondement, pour avoir déclaré en conseil municipal le boycott par sa commune des produits en provenance d'Israël, en particulier les jus de fruit. L'élu fut condamné à 1000 € d'amende, condamnation confirmée par le Cour de cassation en 2004. 

La Cour européenne considère que l'ingérence dans la liberté d'expression du maire est "prévue par la loi", en l'occurrence l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881. Le "but légitime" existe également à ses yeux, dès lors qu'il s'agit de protéger les droits d'autrui, en l'espèce les producteurs israéliens. 

La "nécessité" de l'ingérence est plus délicate. En effet, la Cour observe qu'un homme politique, même local, doit bénéficier d'une liberté d'expression plus étendue, principe déjà énoncé dans l'arrêt Mamère c.France du 7 novembre 2006. Il représente en effet ses électeurs, signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts. Pour toutes ces raisons, "on ne saurait restreindre le discours politique sans raison impérieuse". En l'espèce pourtant, la Cour européenne considère, comme les tribunaux français, que l'élu n'a pas été condamné pour ses opinions, mais pour une provocation à un acte discriminatoire. 

De la part d'une juridiction qui défend une conception très large de la liberté d'expression, une telle affirmation peut surprendre. La Cour européenne n'a t elle pas affirmé, à de nombreuses reprises, que  l'article 10 de la Convention, celui-là même qui consacre la liberté d'expression, protège aussi les propos ou les dessins qui "heurtent, choquent ou inquiètent", quel que soit le message considéré (Par exemple : CEDH, 25 juillet 2001, Perna c. Italie) ? Selon la jurisprudence de la Cour, on aurait donc le droit de traiter le Premier ministre israélien de criminel de guerre, mais pas d'appeler au boycott. 

Rien ne dit cependant que la jurisprudence Willem serait maintenue dans le cas d'un requérant qui ne serait pas un élu local. En effet, la Cour européenne prend bien soin d'affirmer "qu’en sa qualité de maire, le requérant avait des devoirs et des responsabilités. Il se doit, notamment, de conserver une certaine neutralité et dispose d’un devoir de réserve dans ses actes lorsque ceux-ci engagent la collectivité territoriale qu’il représente dans son ensemble. A cet égard, un maire gère les fonds publics de la commune et ne doit pas inciter à les dépenser selon une logique discriminatoire". La précision est importante, car le maire n'a pas seulement fait un appel au boycott. Il a aussi annoncé des mesures de boycott engageant le budget de sa commune. Les militants associatifs qui distribuent des tracts dans les supermarchés ne violent aucune obligation de réserve et n'engagent en aucun cas les finances publiques. Il ne reste donc qu'à espérer que le requérant fera un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme.

Au-delà de l'analyse juridique, l'arrêt de la Chambre criminelle suscite évidemment un certain malaise. Il y a quelques mois, en janvier 2015, des millions de Français, des chefs d'Etats, et même le Premier ministre israélien, défilaient en criant "Je suis Charlie". Il s'agissait alors d'affirmer la puissance de la liberté d'expression, y compris l'expression la plus provocatrice, face à ceux qui voulaient la faire disparaître. Aujourd'hui, on voit la juridiction suprême de l'ordre judiciaire considérer que l'appel au boycott ne relève pas de la liberté d'expression. Où est Charlie ?


 Sur les restrictions à la liberté d'expression : Chapitre 9 section 3 du manuel de libertés publiques



lundi 6 juillet 2015

Transcription de l'état civil de l'enfant né par GPA, dernier épisode

Les deux décisions rendues par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation le 3 juillet 2015 marquent la fin d'un conflit qui durait depuis trop longtemps. La Cour était saisie du refus de transcription sur le registre de l'état civil français de l'acte de naissance de deux enfants nés en Russie de pères français. Elle sanctionne ce refus, considérant que le fait que ces naissances aient été le fruit d'une gestation pour autrui (GPA) est sans influence sur le droit de ces enfants d'avoir un état civil français.

Bien entendu, cette décision ne remet aucunement en cause l'interdiction du recours à la GPA en droit français, interdiction qui n'empêche nullement un couple d'aller en bénéficier dans un pays où elle est licite. La question posée est donc celle du statut juridiques des enfants qui sont nés d'une GPA pratiquée à l'étranger.  Toute leur vie doit-elle être marquée par les conditions de leur naissance ? Convient-il, au contraire, d'oublier ces conditions pour leur permettre de mener une vie normale, comme n'importe quel autre enfant ? La Cour de cassation se prononce, enfin, pour la seconde solution.

GPA et nationalité


Observons qu'il ne faut confondre nationalité et état civil. La question de la nationalité de ces enfants nés par GPA est déjà résolue, à l'issue d'un autre combat, tout aussi rude. La circulaire Taubira du 25 janvier 2013 a en effet autorisé la délivrance de certificats de nationalité française aux enfants nés à l'étranger par GPA. Ce texte se borne à rappeler les termes de l'article 18 du code civil, selon lesquels : "Est français l'enfant donc l'un des parents au moins est français". Un enfant né par GPA à l'étranger est donc reconnu par son père français. Sur ce seul fondement, il a le droit d'avoir la nationalité française. 

Ce texte, qui ne fait qu'appliquer la loi, a pourtant suscité l'ire des milieux catholiques qui ont  voulu y voir un encouragement à la GPA pour les couples homosexuels. Ils ont donc saisi le Conseil d'Etat pour lui demander d'annuler cette circulaire. Dans un arrêt du 12 décembre 2014 Association des juristes pour l'enfant, le Conseil a rejeté leur requête. S'appuyant sur le droit de l'enfant au respect de sa vie privée, il estime qu'un enfant né par GPA a le droit d'avoir la nationalité de ses parents, élément essentiel de sa vie familiale.


La jurisprudence Mennesson



Les deux décisions du 3 juillet 2015 viennent compléter cette jurisprudence, cette fois en matière d'état civil. De prime abord, ces arrêts peuvent être analysés comme la mise en oeuvre des deux décisions de la Cour européenne Mennesson c. France et Labassee c. France rendues le 26 juin 2014. Les époux Mennesson avaient obtenu d'un tribunal californien la reconnaissance de la filiation de leurs deux jumelles nées à San Diego d'une convention de GPA. 

Dans un arrêt du 17 décembre 2008, la Cour de cassation avait, à l'époque, refusé la transcription de l'état civil de ces enfants dans les registres français, estimant que le jugement américain violait la "conception française de l'ordre public international".  Nés d'une convention illégale en droit français (mais légale dans le pays où ils sont nés), ces enfants devaient donc assumer, leur vie durant, les conséquences de cette illégalité.

Dans ses décisions du 26 juin 2014, la Cour européenne s'appuie sur l'article 3 de la Convention internationale sur les droits de l'enfant, disposition qui fait partie du droit positif français. Il affirme, ce qui devrait d'ailleurs être une évidence, que l'intérêt supérieur de l'enfant doit guider toutes les décisions le concernant. Dans le cas des jumelles Mennesson, l'intérêt des enfant est d'avoir un état civil français, élément de leur identité au sein de la société française à laquelle elles appartiennent.

La jurisprudence Mennesson a été immédiatement appliquée par les juges du fond français. Le tribunal de grande instance de Nantes a ainsi ordonné, le 13 mai 2015, au procureur de la République de cette ville la transcription sur les registres d'état civil français des actes de naissance de trois enfants né en Ukraine, en Inde et aux Etats-Unis par GPA.


 Dumbo. Walt Disney. 1941

 

La Cour de cassation, dernier bastion de résistance



La Cour de cassation, en revanche,  se présentait comme le dernier bastion de résistance aux droit des enfants nés par GPA. Elle se rend aujourd'hui, mais le rapport du procureur général montre que ce ralliement ne s'est pas fait sans difficultés. Le procureur regrette ainsi que la reconnaissance en France des actes d'état civil étrangers ne fasse pas l'objet d'un contrôle d'exequatur, c'est à dire d'un acte interne donnant force exécutoire à un jugement étranger. L'article 47 du code civil énonce au contraire que "Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi", sauf s'il est irrégulier ou falsifié. Tel n'est pas le cas en l'espèce, puisque les conventions de GPA sont licites en droit russe.

En l'absence de fondement textuel, le procureur général a suggéré d'accorder la transcription sur les registres de l'état civil des enfants nés par GPA à la condition que le reconnaissance de paternité repose sur une réalité biologique. A une époque où il est acquis que la maternité et la paternité relèvent davantage d'une possession d'état que de la biologie, cette position a quelque chose de surprenant. L'inscription sur les registres d'état civil ne peut pas être refusée aux enfants adoptée, ni à ceux nés par insémination avec donneur (IAD), voire à l'issue d'un double don de sperme et d'ovule avant réimplantation de l'embryon (Fivette). Le droit français a donc totalement détaché l'état civil du lien biologique et y revenir serait certainement apparu anachronique. C'est certainement la raison pour laquelle la Cour a refusé de se rallier à la position du Procureur général, et choisi d'appliquer simplement la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
 

La décision s'inscrit ainsi dans une évolution parfaitement logique. Elle assume la dissociation désormais actée entre le lien juridique de filiation et la réalité biologique. Surtout, elle place les opposants à cette reconnaissance en face de leurs propres contradictions. Pour eux en effet, le fait de recourir à une convention de GPA conduit à traiter l'enfant comme un objet. Ils en déduisaient, charitablement, que l'enfant né dans ces conditions devait être considéré comme un objet tout au long de sa vie. Il n'avait donc pas le droit d'obtenir la nationalité et l'état civil de ses parents, c'est-à-dire de ceux qui l'ont désiré et qui l'élèvent. La décision de la Cour de cassation considère au contraire, et c'est ce qu'affirme le droit positif, que l'enfant est un sujet de droit dès sa naissance, quelles qu'en soient les conditions. Il a donc le droit de mener une vie familiale normale au sein de la famille où il grandit.

On ne remerciera jamais assez les opposants au mariage pour tous et tous ceux qui considéraient que l'enfant né par GPA était marqué du péché originel. Grâce à eux, la jurisprudence sur les droits de l'enfant a fait des progrès considérables.

jeudi 6 juillet 2017

GPA : la Cour de cassation ou le libéralisme contraint



La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a rendu, le 5 juillet 2017, quatre arrêts ouvrant la voie à une reconnaissance juridique des couples ayant eu recours à une gestation pour autrui (GPA). En effet, la Cour autorise désormais le membre du couple qui n'a pas de lien biologique avec l'enfant à procéder à une adoption simple. C'est un premier pas, mais certainement un grand pas pour la Cour de cassation qui a toujours témoigné de son rejet à l'égard de la GPA.

Celle-ci est et demeure formellement prohibée par le droit positif depuis la loi du 29 juillet 1994 qui énonce fermement que "toute convention portant sur (...) la gestation pour le compte d'autrui est nulle" (article 16 al. 7 du code civil). Bien qu'interdite, la GPA est cependant une technique courante et licite dans bon nombre d'Etats, situation qui incite des couples français à se rendre à l'étranger pour en bénéficier. Rappelons que la GPA a d'abord pour finalité de remédier à une forme de stérilité féminine liée à l'impossibilité de porter un enfant. Elle est aussi le seul recours des couples homosexuels masculins qui désirent fonder une famille. Bien entendu, cette technique peut s'articuler avec un don de gamètes lorsque le couple est à la fois dans l'impossibilité de concevoir et de porter un enfant. Les trois arrêts du 5 juillet 2017 ne concernent cependant que les GPA dans lesquelles l'un des parents d'intention est le père biologique de l'enfant.

Si l'on étudie précisément la GPA à partir de la situation du "couple d'intention", c'est-à-dire celui qui a recours à la GPA, on s'aperçoit que la situation du père ne pose pas de problème : il lui suffit de déclarer l'enfant à la naissance pour être son père légal. Il n'en est pas de même pour sa compagne ou son compagnon. En droit français, la mère d'un enfant est celle qui accouche, et la question posée est donc celle du statut juridique du parent qui n'est pas le parent biologique. Sur ce plan, les arrêts de la Cour de cassation répondent à deux situations bien distincte.

La transcription du nom de la mère d'intention


La première question est celle de la transcription à l'état civil français de l'acte de naissance d'un enfant né à l'étranger par GPA. Si la transcription du père ne pose pas problème, il n'en est pas de même pour la mère. Dans la décision n° 824, M. et Mme Y. demandent ainsi la transcription de l'acte de naissance de leurs jumeaux nés à Whittier en Californie. Or l'état civil californien mentionne le nom de la mère biologique et celui de la mère d'intention, la première déclarant renoncer à tout droit juridique sur l'enfant, au profit de la seconde. Le procureur de la République, puis la Cour d'appel avaient également refusé la transcription de l'état civil américain des enfants. 
 
La Cour de cassation leur donne raison, en s'appuyant sur deux motifs essentiels, également discutables.

Le premier réside dans l'article 47 du code civil qui autorise la transcription d'un acte d'état civil faits en pays étranger, sauf "si les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité". Or l'état civil californien fait figurer le nom de la mère biologique comme celui de la mère d'intention, la première déclarant renoncer à tout droit juridique sur l'enfant, au profit de la seconde. Pour la Cour de cassation, cet état civil "ne correspond pas à la réalité", et il ne peut donc être transcrit tel quel sur les registres français. 

L'analyse peut surprendre. Les mentions figurant dans l'état civil californien correspondent en effet doublement à la réalité. Sur le plan des conditions de la naissance des enfants tout d'abord, puisque l'état civil reconnaît la double intervention d'une mère biologique et d'une mère d'intention. Sur le plan du droit applicable ensuite, puisque l'état civil des jumeaux est conforme au droit applicable en Californie. Quoi qu'il en soit, pour la Cour de cassation, le fait de déclarer une mère d'intention ne correspond pas à la "réalité", puisqu'elle n'a pas accouché.

Heureusement, la Cour se montre un peu plus mesurée dans son appréciation de la conformité de cette décision extrêmement brutale à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantir le droit de mener une vie familiale normale. Elle fait observer en effet que rien n'interdit de transcrire un état civil mentionnant le nom du père, ce qui garantit à l'enfant un lien de filiation et la nationalité française. Elle précise également que l'adoption permet de créer un lien de filiation entre l'enfant et la mère d'intention.

Observons que ce libéralisme a quelque chose de contraint. Il est la conséquence directe des arrêts  Mennesson c. France et Labassee c. France du 26 juin 2014. La Cour européenne des droits de l'homme avait alors affirmé que l'intérêt supérieur de l'enfant, même né par GPA, exigeait qu'il ait un état civil français, comme la famille par laquelle il est élevé. Aux yeux de la CEDH, cet état civil est un élément de l'identité. La Cour de cassation a fini par se rallier à cette jurisprudence par un arrêt un 3 juillet 2015, mais les juges du fond ont bien souvent continué à faire de la résistance, suscitant une nouvelle condamnation de la France par la Cour européenne, dans l'arrêt Foulon et Bouvet c. France du 21 juillet 2016
L'acceptation de cet état civil français a finalement suscité la décision de permettre la délivrance à ces enfants d'un certificat de nationalité, avec la circulaire Taubira du 25 janvier 2013. Cette circulaire a vu sa légalité confirmée par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 12 décembre 2014 Association des juristes pour l'enfance. Contrairement à la CEDH, le Conseil d'Etat ne s'appuie pas sur l'intérêt supérieur de l'enfant mais sur son droit à la vie privée, c'est à dire concrètement le droit de l'enfant à avoir la nationalité de ses parents considéré comme un élément essentiel de sa vie familiale.

Au regard de l'ensemble de cette jurisprudence, il était donc bien difficile de ne pas considérer que le droit à la vie familiale de l'enfant impliquait aussi la création d'un lien de filiation avec sa mère d'intention.

L'adoption de l'enfant par l'époux du père


La seconde question résolue par les arrêts du 5 juillet 2017 est plus simple. Elle porte sur l'adoption de l'enfant né par GPA à l'étranger par l'époux du père. L'arrêt 826 évoque ainsi le refus pur et simple opposé à l'époux du père d'un enfant également né en Californie. Pour le tribunal de grande instance, puis la cour d'appel de Dijon, le refus d'adoption reposait simplement sur l'irrégularité de la GPA en droit français. On se trouvait alors dans l'application brutale de l'adage Fraus omnia corrumpit qui signifie que tous les actes qui s'analysent comme un effet d'une convention illégale sont eux-mêmes illégaux. L'enfant né par GPA se trouvait ainsi affligé d'une sorte de péché originel l'empêchant d'avoir ensuite un statut juridique, une filiation et une nationalité identiques à celle d'un enfant issu d'un papa et d'une maman plus conformes à la tradition.

Ce raisonnement était exactement celui de la Cour de cassation avant que l'intérêt supérieur de l'enfant lui soit rappelé par la jurisprudence Mennesson. Depuis la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe, le code civil énonce qu'un lien de filiation peut être établi entre un enfant et deux personnes de même sexe. La loi n'énonce, sur ce point, aucune restriction attachée à la technique de procréation. Dans deux arrêts du 3 juillet 2015, la Cour de cassation accorde la transcription sur les registres de l'état civil de la filiation paternelle d'enfants nés par GPA. Encore faut-il que la reconnaissance de paternité repose sur un réalité biologique, au sens de l'article 47 du code civil. 

Comparés à la jurisprudence de la Cour de cassation traditionnellement très hostile à la GPA, les quatre arrêts du 5 juillet 2017 semblent témoigner d'un libéralisme tout à fait nouveau. En revanche, ces décisions risquent de susciter bien des difficultés. C'est ainsi que le refus de l'adoption plénière a pour conséquence de maintenir un lien juridique avec la mère biologique, alors même qu'elle a formellement renoncé à ses droits. Quel est l'intérêt d'une telle mesure ? Ne risque-t-elle pas de provoquer des contentieux ? En matière d'adoption, la mère biologique a renoncé à ses droits, et personne ne s'offusque de l'adoption plénière.. Il ne fait aucun doute que cette différence de traitement risque d'être mise en cause. 
Calvin et Hobbes. Bill Watterson

Définition de la parentalité


Surtout, la question posée est celle de la définition de la parentalité. Il est acquis, depuis bien longtemps, que la filiation paternelle peut être acquise par possession d'état. Autrement dit, le père est celui qui se comporte comme tel, qui élève l'enfant, pourvoit à ses besoins et à son éducation, lui donne son nom.. Le lien biologique est alors écarté au profit d'une conception sociale de la paternité. Aujourd'hui la Cour de cassation nous affirme que le conjoint ou la conjointe du père biologique ne peuvent pas bénéficier d'une adoption plénière. Or ils sont à l'origine du désir d'enfant avec leur conjoint. Ils se sont engagés aussi à l'élever, à pourvoir à ses besoins, et, le cas échéant à lui donner leur nom... Un enfant ne peut donc avoir un second père sans lien biologique avec lui, et ne peut davantage avoir une mère qui n'accouche pas. Ceux-là n'ont pas droit à se voir reconnaître une possession d'état. Au contraire, ils sont renvoyés à leur seule existence biologique. Comment osent-ils réclamer, puisqu'ils n'ont pas accouché ? 

Sur la GPA : chapitre 7, section 2 § 3-B  du manuel de libertés publiques sur internet.


vendredi 22 mai 2015

Enfants nés à l'étranger d'une GPA : normalisation en cours

Le 13 mai 2015, le tribunal de grande instance de Nantes a ordonné au procureur de la République de cette ville la transcription sur les registres d'état-civil des actes de naissance de trois enfants nés en Ukraine, en Inde et aux Etats-Unis d'un père français et d'une mère porteuse. Observons d'emblée que ce recours à la gestation pour autrui (GPA) était en l'espèce le choix de couples hétérosexuels, couples dont la femme n'était pas en mesure, pour des raisons médicales, de porter un enfant. Ces décisions montrent donc, une nouvelle fois, que le débat sur la GPA est totalement indépendant de celui sur les droits des couples homosexuels.

La jurisprudence Mennesson


A dire vrai, le jugement n'a rien de surprenant. Dans deux importantes décisions Mennesson c. France et Labassee c. France rendues le 26 juin 2014, la Cour européenne avait déjà affirmé que l'intérêt supérieur des enfants nés aux Etats Unis d'une gestation pour autrui (GPA) était d'avoir un état civil français, élément de leur identité au sein de la société de notre pays. Le tribunal de Nantes applique donc purement et simplement la jurisprudence de la Cour européenne.

De son côté, le Conseil d'Etat a adopté une position très proche dans un arrêt du 12 décembre 2014, dirigé contre la circulaire Taubira du 25 janvier 2013 qui porte sur la délivrance de certificats de nationalité française aux enfants nés à l'étranger de parents français, y compris « lorsqu’il apparaît, avec suffisamment de vraisemblance qu’il a été fait recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui ».  L'article 18 du code civil énonce qu'"est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français". Dès lors que sa filiation avec un Français est établie, sa nationalité française est un droit, quelles que soient les circonstances de sa naissance, circonstances dont il n'est en aucun cas responsable. Dans ce cas, le Conseil d'Etat s'appuie sur le droit au respect de la vie privée de l'enfant, le droit d'avoir la nationalité de ses parents et de pouvoir l'attester étant précisément un élément de cette vie privée.

Certes, la jurisprudence du Conseil d'Etat concerne la nationalité, mais le raisonnement peut parfaitement s'appliquer à l'état-civil. Le fait, pour un enfant, d'avoir un état-civil américain, ukrainien ou indien alors qu'il réside en France avec ses parents ne porte-t-il pas atteinte de la même manière à sa vie privée ?

La construction jurisprudentielle semble donc solide, et on peut s'étonner que le procureur de Nantes ait cru bon d'annoncer un appel contre la décision du TGI. S'agit-il d'une démarche purement idéologique manifestant une opposition personnelle à la GPA ? Ce n'est pas impossible, à moins qu'il espère le maintien par la Cour de cassation de sa jurisprudence antérieure à l'arrêt Mennesson de la Cour européenne.

La position traditionnelle de la Cour de cassation


Saisie le 17 décembre 2008 de l'affaire Mennesson, la Cour de cassation avait développé un raisonnement aussi simple qu'implacable : dès lors que la naissance est l'aboutissement d'un processus frauduleux comportant une convention de GPA, tous les actes qui en résultent sont entachés d'une nullité d'ordre public. Par la suite, cette position bien peu soucieuse de l'intérêt supérieur de l'enfant avait été confirmée dans deux décisions du 13 septembre 2013, dans lesquelles la première Chambre civile avait  refusé la transcription sur les registres de l'état civil français de l'acte de naissance d'enfants nés d'une GPA à Mumbay (Inde). 
Cette sévérité résultait d'une application rigoureuse de l'adage "Fraus omnia corrumpit", depuis longtemps intégré dans la jurisprudence de la Cour de cassation, et qui lui permet de prononcer la nullité de tous les actes issus d'une fraude. Le problème est tout de même que la fraude, qu'elle soit civile ou pénale, se définit par la volonté de nuire, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Les parties à un contrat de gestation pour autrui n'ont pas réellement le désir de nuire à qui que ce soit, seulement celui de mettre un enfant au monde.
Depuis la décision Mennesson, celle rendue par la Cour européenne des droits de l'homme en 2014, la Cour de cassation n'a pas eu l'occasion de se prononcer sur l'état-civil d'un enfant né d'une GPA à l'étranger. Le procureur de Nantes pouvait donc espérer que la juridiction suprême française maintiendrait sa position, envers et contre tous.

Gelück. Le Chat 1999,9999. 1999


Vers une évolution jurisprudentielle ?



Rien n'est moins sûr, du moins si l'on en croit les informations diffusées dans la presse, à propos de deux pourvois que la Cour de cassation devrait prochainement examiner. Ils sont dirigés contre deux décisions rendues par la Cour d'appel de Rennes à propos de l'état-civil d'enfants nés par GPA en Russie. Le 19 mai, le procureur près la Cour de cassation, Jean-Claude Marin, a fait savoir qu'il demanderait l'inscription de ces enfants à l'état-civil français. Reprenant l'argument du Conseil d'Etat, il affirme que "le droit au respect de la vie privée de l’enfant justifie que son état civil mentionne le lien de filiation biologique à l’égard de son père à condition que ce lien soit incontestablement établi". En d'autres termes, il suffira d'une expertise biologique prouvant la filiation paternelle avec un Français pour que l'inscription soit acquise.

Si les réquisitions du procureur sont suivies, la Cour de cassation fera un grand pas en avant dans le sens de la jurisprudence européenne. Il demeure tout de même deux interrogations.

La première réside dans cette répugnance un peu surprenante, que la Cour de cassation partage avec le Conseil d'Etat, à l'égard de la notion d'intérêt supérieur de l'enfant. Or, cette notion figure dans la Convention de 1989 relative aux droits de l'enfant, pourtant signée et ratifiée par la France. Son article 3 énonce que dans "toutes les décisions qui concernent les enfants (...) l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale". De toute évidence, les juges suprêmes internes préfèrent se référer à une notion tirée du droit interne, en l'espèce celle de vie privée. 

La seconde interrogation porte sur la situation des couples qui ont besoin non seulement d'une mère porteuse mais aussi d'une fécondation hétérologue. Autrement dit, ils ne peuvent procréer qu'avec des gamètes données par un tiers, soit par insémination avec donneur (IAD), soit par fécondation in vitro. Ces pratiques sont parfaitement licite en droit français. Or, l'exigence d'un lien de filiation biologique risque de conduire à interdire la reconnaissance de l'état-civil de l'enfant, s'il est né à la suite d'un tel don. L'objet d'une telle exigence n'est évidemment pas d'exclure les couples homosexuels, car rien ne les empêche de procéder à l'insémination de la mère porteuse avec les gamètes de l'un des conjoints. Cette exigence conduit cependant à empêcher la reconnaissance de l'état-civil français d'un enfant né par GPA à l'étranger d'un père stérile. Doit-on établir une discrimination uniquement fondée sur cette stérilité, alors que l'intervention d'un donneur est parfaitement licite ? C'est la question actuellement posée. Ceci dit, elle ne résout pas le problème du procureur de Nantes dont la position se trouve singulièrement affaiblie par l'annonce du procureur près la Cour de cassation.

D'une manière générale, ces hésitations jurisprudentielles, voire ces combats d'arrière-garde, ne modifient guère un mouvement global qui tend à reconnaître aux enfants nés à l'étranger par GPA les mêmes droits que les autres enfants nés de parents français. C'est, en soi, une évolution favorable. L'intérêt supérieur de l'enfant ne constitue peut-être pas le fondement de la jurisprudence mais il en est la conséquence.

jeudi 27 juin 2013

Le mariage pour tous, et l'obstacle de la hiérarchie des normes

Rue 89 attire l'attention sur l'obstacle opposé par certaines conventions bilatérales à la mise en oeuvre de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux personnes de même sexe. Dans sa rédaction issue de ce texte, l'article 202 alinea 2 du code civil énonce que "deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l'une d'elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l'Etat sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet". Le législateur français a adopté cette disposition pour permettre aux étrangers partageant la vie d'un Français ou d'une Française de se marier, alors même que le droit de leur pays d'origine n'autorise pas le mariage pour tous. Rien de plus logique, puisqu'il s'agit d'assurer le respect du principe non discrimination devant le mariage. 

Les étrangers et la liberté du mariage

Rappelons que le Conseil constitutionnel, depuis sa décision du 13 août 1993, consacre la "liberté du mariage" comme ayant valeur constitutionnelle, car elle est "une des composantes de la liberté individuelle". Dix ans plus tard, le 20 novembre 2003, le Conseil a également rattaché la liberté du mariage à la "liberté personnelle", et donc aux articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Dans les deux cas, le mariage a été consacré comme liberté, précisément dans le but d'apprécier la constitutionnalité de dispositions législatives soumettant l'octroi de la carte de résident au conjoint étranger à une condition de délai après l'union matrimoniale, un an en 1993 et deux ans en 2003. Dans les deux cas, le juge constitutionnel a estimé que ces délais ne portaient pas une atteinte excessive à la liberté du mariage.

La liberté du mariage existe donc aussi bien pour les nationaux que pour les étrangers, et c'est bien ce qu'affirme l'article 202 alinéa 2 du code civil. 

Les conventions bilatérales sur l'application du droit personnel

Tout serait parfait, si la France, bien avant que le mariage pour tous soit à l'ordre du jour n'avait signé et ratifié une série de conventions bilatérales avec la Pologne, le Maroc, la Tunisie, le Laos, le Cambodge, le Vietnam, l'Algérie, Madagascar et les Etats de l'ex-Yougoslavie. Lorsqu'un ressortissant de ces Etats veut contracter mariage avec un Français, c'est le droit du mariage de son pays d'origine qui s'applique. D'une manière générale, ces conventions sont relativement anciennes (par exemple, 1967 avec la Pologne et 1981 avec le Maroc) et conclues avec des Etats jadis colonisés par la France ou donnant lieu à une coopération juridique approfondie.

Aujourd'hui, ces conventions viennent porter atteinte à la liberté du mariage et introduire des discriminations. En effet, les couples homosexuels dont l'un des membres est originaire de l'un ou l'autre de ces onze pays se voit refuser l'accès au mariage, dès lors que l'union entre deux personnes de même texte est interdite dans leur pays d'origine. Le témoignage de Lise, sur Rue 89, qui a "fait l'erreur de tomber amoureuse d'une Polonaise" est particulièrement éclairant. Elle montre que la convention franco-polonaise n'a pas pour effet d'entrainer l'absence de reconnaissance du mariage en Pologne, ce qui ne serait pas très grave, mais qu'elle interdit bel et bien la célébration du mariage. 
La vie d'Aldèle. Abdellatif Kechiche. 2013. Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos
La hiérarchie des normes

Pourquoi cette rigueur ? Tout simplement parce que la hiérarchie des normes impose la supériorité du traité sur la loi. Dès lors que le traité impose l'application du droit polonais, la loi Taubira se trouve écartée. La règle est implacable et il est impossible de surmonter l'obstacle par la voie législative. On pourrait qualifier la situation comme une sorte de "zugzwang", puisque les autorités françaises n'ont pas d'autre solution que de refuser l'accès au mariage, au nom de la supériorité du traité et du respect des engagements internationaux. Mais agissant ainsi, elles établissent un régime discriminatoire au détriment de certains ressortissants étrangers. 

Il convient évidemment de s'interroger sur les moyens de sortir de cette situation. Certes, certaines conventions, comme celle liant la France et la Maroc, comportent une clause d'ordre public qui autorise le juge à écarter la convention, lorsque l'une de ses dispositions n'est pas conforme à l'ordre public français. Il faudrait donc saisir le juge préalablement à chaque mariage, et cette solution ne pourrait être appliquée que s'il existe une clause d'ordre public. D'autres, comme précisément la convention franco-polonaise, sont renouvelables par tacite reconduction, en l'espèce tous les cinq ans. Il faudrait alors attendre le moment opportun et dénoncer le traité archaïque. La procédure risque de susciter quelques difficultés diplomatiques et de se révéler fort longue, surtout pour ceux ou celles qui attendent depuis longtemps de pouvoir se marier.  Ces solutions ponctuelles sont donc bien peu satisfaisantes.

Les recours possibles 

Il n'est évidemment pas possible d'envisager un recours devant le Conseil constitutionnel, dès lors que ce dernier n'est pas juge de la conformité des traités à la Constitution. Les couples concernés doivent donc envisager d'autres recours devant les juges du fond et, le cas échéant, devant la Cour européenne des droits de l'homme. Ces possibilités sont parfaitement résumées dans la circulaire adressée par le ministre de l'intérieur aux élus le 13 juin 2013.

Le juge judiciaire peut être saisi, soit à la suite d'une demande adressée au procureur d'ordonner la célébration du mariage et demeurée sans effet, soit pour demander la cessation d'un refus qui s'analyse comme une voie de fait, c'est à dire une atteinte particulièrement grave aux libertés.  Rappelons en effet que le Conseil constitutionnel considéré le droit au mariage comme l'élément de la liberté "individuelle" ou "personnelle".

A cette occasion, le juge pourrait trouver dans une telle affaire l'opportunité de réaffirmer la jurisprudence de la Cour de cassation. Depuis sa décision Pauline Fraisse du 2 juin 2000, celle-ci reconnaît en effet que "l'article 55 de la Constitution ne s'applique pas dans l'ordre interne aux dispositions de nature constitutionnelle". Autrement dit, la supériorité des traités sur la loi trouve son fondement dans la Constitution, plus précisément dans son article 55. Rien n'interdit donc de faire prévaloir la norme constitutionnelle sur le traité, et, en l'espèce, d'écarter la convention bilatérale, car elle emporte une violation du principe d'égalité devant la loi. 

Une autre solution consisterait, pour les juges du fond, à s'appuyer directement sur la Convention européenne des droits de l'homme, et le principe de non discrimination qu'elle garantit, pour affirmer sa supériorité sur la convention bilatérale. La question du conflit de normes entre deux conventions internationales serait ainsi résolue. Rien n'interdirait d'ailleurs aux juges du fond de concilier les deux démarches, en se référant à la fois à la Convention et au principe d'égalité figurant dans la Constitution.

Supposons cependant que les juges du fond ne profitent pas de cette opportunité de développer une jurisprudence novatrice, et se bornent à refuser la célébration du mariage, en s'appuyant sur la convention bilatérale qui y fait obstacle. Une fois épuisées les voies de recours internes, les couples pourront alors saisir la Cour européenne des droits de l'homme. Et celle-ci constatera probablement que le droit applicable est discriminatoire et donc non conforme à la Convention européenne des droits de l'homme. Les autorités françaises pourront alors s'appuyer sur la Convention européenne pour écarter un traité bilatéral, et la question de la hiérarchie des normes sera enfin surmontée. Là encore, ce sera long, et il ne faut pas espérer que le droit polonais, qui refuse toujours l'IVG, rendra le recours sans objet en adoptant une loi sur le mariage pour tous. Mais les chances de succès à l'arrivée sont tout de même importantes. Espérons que Lise et sa compagne se lanceront dans le combat.



mercredi 28 juin 2017

L'étrange avis du Comité d'éthique

L'avis publié par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) le 27 juin 2017 porte sur "les demandes sociétales de recours à l'assistance médicale à la procréation". Cette référence aux demandes "sociétales" pourrait surprendre mais le Comité veut ainsi montrer que sa réflexion n'est pas de nature médicale. 

Son objet est de réfléchir sur la réponse qu'il convient de donner aux différentes pressions sociales qui s'exercent en faveur de certaines techniques de procréation. Elles ont toujours existé dans en matière de procréation. On sait que la loi Neuwirth de 1967 est le produit d'une revendication en faveur de la contraception comme la loi Veil celui d'une demande très forte de libéralisation de l'IVG. Il en a été de même des revendications en faveur de l'insémination avec donneur (IAD) et de la fécondation in vitro avec réimplantation (Fivette). Dans tous les cas, on a souvent présenté ces techniques comme étant de nature médicale, alors qu'elles n'avaient pas pour objet de soigner une pathologie et de guérir un patient. Leur but était soit de permettre aux femmes de gérer leur propre fécondité en planifiant les naissances, soit d'offrir à un couple confronté à des des problèmes de fécondité la possibilité de donner naissance à un enfant. 

Aujourd'hui, le CCNE assume parfaitement cette distinction et affirme que son avis n'a pas pour objet de réfléchir sur des techniques médicales nouvelles, mais de répondre, positivement ou négativement, à une demande sociale en faveur de l'accès à l'assistance médicale à la procréation (AMP). Les réponses données sont très nuancées selon les demandes identifiées et le CCNE oscille entre libéralisme, statu quo, et rigueur.

Libéralisme : l'ouverture de l'IAD  aux homosexuelles


Libéralisme tout d'abord, et les médias retiennent surtout de l'avis du CCNE qu'il ouvre l'AMP aux femmes seules et aux homosexuelles, en couple ou seules. La demande sociale était très forte, en faveur d'un accès des femmes homosexuelles et des femmes seules à l'insémination avec donneur (IAD). Elle permet en effet de procréer avec les gamètes d'un donneur anonyme.

La lecture de l'avis montre que le Comité est parfaitement conscient du caractère sensible de cette demande, à un moment où des lobbies issus de La Manif pour Tous ou de Sens Commun s'efforcent d'empêcher l'accès des homosexuels à l'AMP.  Il reprend donc toutes les critiques d'ordre général adressées à l'assistance médicale à la procréation  : rupture avec les origines, risque de grandir sans père, coût du traitement et rareté des dons de gamètes, risque de marchandisation du corps humain etc.

Ces arguments sont tous écartés par le CCNE. Il fait  observer que les études portant sur les enfants élevés par des femmes seules, ou d'une manière générale par des familles mono-parentales ne permettent pas de déceler des effets négatifs pour les enfants. Au demeurant, le CCNE fait observer  qu'il n'est pas interdit à une femme seule de concevoir un enfant qu'elle entend élever seule. De même, s'il est vrai que les dons de gamètes sont insuffisants, les interdire aux couples d'homosexuelles ou aux femmes seules revient à favoriser la création d'un marché de la procréation qui se développerait en dehors de tout cadre juridique. Déjà 2000 à 3000 femmes seules se rendent à l'étranger chaque année pour bénéficier d'une IAD. In fine, le Comité s'appuie sur l'autonomie des femmes : la décision de concevoir  un enfant seule ou au sein d'un couple homosexuel est un projet réfléchi, programmé, concerté. Dès lors, la loi doit tenir compte de la diversification des formes de vie de famille et éviter de stigmatiser les couples homosexuels en leur refusant l'accès à l'AMP.

Certes, mais ce libéralisme du CCNE ne porte que sur l'insémination avec donneur (IAD) et non pas sur l'assistance médicale à la procréation en général, contrairement à ce qui est affirmé dans la presse. Or l'IAD n'est qu'une technique parmi d'autres, technique déjà ancienne et très facile à mettre en oeuvre. C'est si vrai que, jusqu'à présent, les femmes seules ou les couples d'homosexuelles se rendaient tout simplement dans un pays proche, par exemple la Belgique, pour obtenir une IAD. Elles rentraient ensuite tranquillement en France pour faire suivre leur grossesse et accoucher dans les conditions du droit commun. D'une certaine manière, le CCNE valide ce qui existe déjà depuis bien longtemps.

Ce libéralisme disparaît cependant si l'on considère les deux autres techniques d'AMP étudiées dans l'avis.

Voutch, les joies du monde moderne, 2015

 

Statu quo : l'autoconservation des ovocytes


L'autoconservation des ovocytes est demandée par des femmes jeunes qui souhaitent repousser une grossesse. Il s'agit très concrètement de prévenir d'éventuels problèmes de fertilité qui, selon l'état des connaissances médicales, sont susceptibles d'apparaître après l'âge de trente-cinq ans. Pour le moment, la conservation des gamètes n'est licite que dans deux cas. D'une part, et cela concerne aussi bien les hommes que les femmes, elle est autorisée depuis la loi du 6 août 2004 au profit des personnes qui suivent un traitement médical susceptible d'altérer leur fécondité. D'autre part, la loi du 7 juillet 2011 offre aux donneurs de sperme et aux donneuses d'ovocytes qui n'ont pas encore procréé la possibilité de recueil et de conservation de leurs gamètes, pour qu'ils puissent ultérieurement les utiliser s'ils rencontrent, plus tard, des difficultés à procréer. 

Convient-il d'offrir cette autoconservation des ovocytes "de précaution" à toutes les femmes qui la souhaitent ? Le CCNE estime qu'une telle généralisation est "difficile à défendre". 

La première réserve formulée par le CCNE est d'ordre psychologique. Aux yeux du Comité, proposition l'autoconservation à toutes les femmes jeunes pourrait leur faire croire qu'elles souscrivent une sorte d'assurance leur garantissant de pouvoir mener à bien une grossesse, plus tard. Le problème est que précisément cette assurance n'existe pas. D'abord, parce qu'elles auront aussi besoin de gamètes masculins lorsqu'elles solliciteront une Fivete, technique qui suppose l'existence d'un couple demandeur et non pas d'une femme seule. Ensuite, parce que le succès n'est pas garanti. Les statistiques montrent qu'en l'état actuel de ces techniques, seulement 60 à 70 % des couples qui y recourent parviennent à mettre un enfant au monde. Aux yeux du CCNE, l'autoconservation est donc trompeuse car elle laisse croire qu'il sera facile de réutiliser ces ovocytes.

La second réserve réside précisément dans la pression sociale qui risque de s'exercer sur les jeunes femmes, pression sociale à double tranchant. D'une part, à un âge où elles sont plus préoccupées par leurs études et leur premier emploi, l'autoconservation de leurs ovocytes risque de présenter la maternité comme une fin en soi, sorte de nécessité sociale sans lien avec un désir d'enfant qui ne s'est pas encore manifesté. D'autre part, et c'est un risque plus grand, les entreprises risquent de faire pression sur les jeunes femmes pour qu'elles recourent à l'autoconservation de leurs ovocytes. Celles qui s'y refuseraient risqueraient ainsi d'être écartées des postes les plus élevés. En 2014, NBC annonçait ainsi que Facebook et Apple envisageaient de subventionner la congélation des ovocytes de leurs employées dans le but affiché qu'elles "n'aient plus à choisir entre la carrière et les enfants". En réalité, le choix appartenait surtout à l'entreprise qui pouvait ainsi effectuer une pression sur ses salariées et limiter les congés-maternité.

A ces considérations psychologiques et sociales s'en ajoutent d'autres, financières. L'autoconservation implique un traitement contraignant et pénible pour celles qui s'y soumettent. C'est aussi un traitement onéreux. Le CCNE pose alors la question de sa prise en charge et se déclare opposé à ce qu'il soit financé par la solidarité nationale. En effet, l'autoconservation se situe hors de tout contexte de don ou de pathologie. Alors que la maîtrise des dépenses de santé est de plus en plus une nécessité, il ne fait guère de doute que cet élément a été déterminant dans l'avis du CCNE.  

Observons cependant que, sur ce point, le CCNE se démarque de la position de l'Académie de médecine, formulée le 19 juin 2017, c'est à dire une semaine avant son propre avis. Elle s'était déclarée favorable à l'autoconservation des ovocytes. Derrière les motifs liés aux droits des femmes peut-être peut-on cependant entrevoir une autre préoccupation. La généralisation de cette technique n'empêcherait pas, en effet, celles qui y ont eu recours de concevoir un enfant "à l'ancienne", sans avoir besoin d'une fivete. De nombreux ovocytes seraient alors inutilisés, mais potentiellement réutilisables à titre de don au profit de couples stériles. L'autoconservation aurait donc pour avantage de permettre la création d'une sorte de gisement d'ovocytes.

Rigueur : La GPA


La plus grande rigueur du CCNE s'exerce à l'égard de la gestation pour autruit (GPA). Dans son avis n° 110 du 1er avril 2010, il avait déjà refusé son introduction dans le droit français. On parlait alors  de l'ouverture de la GPA aux couples hétérosexuels, dont la femme est victime d'une infertilité liée à l'impossibilité de porter un enfant. A l'époque, le Comité avait estimé que la GPA portait atteinte à l'intégrité des mères porteuses, et que le désir d'enfant ne saurait emporter la consécration d'un véritable "droit à l'enfant". Il avait également insisté la marchandisation du corps humain entrainée par cette pratique.

Sept ans plus tard, le CCNE estime opportun de s'interroger une nouvelle fois sur la demande sociale en faveur de la GPA. Il parvient à une conclusion identique, en mettant cette fois l'accent sur le caractère inégalitaire du contrat de gestation pour autrui, notamment lorsque la gestatrice est recrutée dans un pays particulièrement pauvre, ce qui est souvent le cas. 

Le CCNE cherche donc des moyens pour lutter contre le "tourisme procréatif" qui consiste à aller chercher une mère porteuse dans un pays dont le système juridique accepte la GPA. Certes, il recommande "l'élaboration d'une convention internationale pour l'interdiction de la GPA", posture juridique dont il n'ignore pas qu'elle sera sans effet. On ne voit pas pourquoi les pays qui acceptent actuellement la GPA accepteraient brutalement d'y renoncer... En revanche, le CCNE se montre très sévère sur les conséquences d'une GPA pratiquée à l'étranger. Il suggère de refuser l'adoption plénière à la mère d'intention, c'est-à-dire à l'épouse du père biologique. Il préfère une simple délégation de l'autorité parentale qui ne rompt pas le lien avec la gestatrice. Cette solution est également celle envisagée par la mission d'information du Sénat en février 2016. En cas de doute sur la filiation biologique d'un enfant né à l'étranger, le CCNE propose de faire un test avant de décider de la transcription de son état civil sur les registres français. 

Sur le seul plan de la GPA, le Comité d'éthique se montre donc d'une rigueur particulière. On peut d'ailleurs s'interroger sur la conformité de ces recommandations à la jurisprudence Mennesson issue d'un arrêt de la CEDH rendu le 26 juin 2014. La Cour estimait alors que l'intérêt supérieur de l'enfant exigeait que les jumelles des requérants, nées au Texas, disposent d'un état-civil français, élément de leur identité au sein de la société de notre pays. Après bien des difficultés, la Cour de cassation s'était ralliée à cette position dans une décision du 3 juillet 2015. La circulaire Taubira du 25 janvier 2013 avait, sur les mêmes motifs, autorisé la délivrance d'un certificat de nationalité française à ces enfants. La situation s'était donc peu à peu normalisée. Si la GPA demeurait interdite dans notre pays, les enfants nés à l'étranger d'une mère porteuse n'étaient plus victimes d'un ostracisme juridique lié aux conditions de leur naissance. Le Comité d'éthique souhaite-t-il déterrer la hache de guerre ? On peut au moins se poser la question et on se la pose avec d'autant plus d'acuité qu'il est un peu surprenant de constater que les seuls professeurs de droit entendus par le Comité sont bien connus pour leur hostilité envers la GPA. Ils ont parfaitement le droit de faire connaître leur position, mais le CCNE pourrait peut-être, de son côté, mettre en oeuvre le principe du contradictoire.

La lecture de l'avis donne finalement une impression contrastée. Libéralisme pour l'IAD, statu quo pour l'autoconservation des ovocytes, et attaque contre la GPA pratiquée à l'étranger. Ce traitement différencié semble semble pour le moins surprenant, d'autant que l'objet de l'avis était d'étudier la demande sociétale. Or rien n'est proposé pour répondre à la demande des couples infertiles qui ne peuvent pas porter un enfant. La lecture de l'avis va certainement susciter un sentiment d'injustice ou, à tout le moins, d'atteinte à l'égalité devant la loi. Si l'on a un problème d'ovocytes, on peut le résoudre. Si l'on a un problème d'utérus, on ne peut rien faire. Il en est de même des couples homosexuels. Le CCNE reconnait que les femmes homosexuelles ont le droit de "faire famille" comme elles l'entendent, le droit d'engendrer un enfant par IAD, individuellement ou en couple. En revanche, les hommes homosexuels, qui auraient besoin d'une GPA, n'ont droit à rien si ce n'est à toute une série d'ennuis s'ils vont chercher une mère porteuse à l'étranger. L'analyse de la "demande sociétale" fonctionne décidément comme un couperet.

Sur la GPA : chapitre 7, section 2 § 3-B  du manuel de libertés publiques sur internet.