« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


lundi 1 août 2011

Prêcheurs d'Islande : "constitution participative" et démocratie

A la suite de la crise financière de 2008, l'Islande a décidé d'élaborer une nouvelle constitution. L'ancienne Loi Fondamentale était directement inspirée de celle du Danemark, pays sous la domination duquel l'Islande a vécu plus de cinq siècles, jusqu'à l'indépendance survenue en 1944. Concrètement, il s'agit de renforcer la séparation des pouvoirs, d'améliorer le système démocratique par une plus grande intervention des citoyens, et d'assurer un meilleur contrôle de l'Exécutif.

Cette volonté d'"islandiser" les institutions n'a rien de surprenant au moment où ce pays est officiellement candidat à l'adhésion à l'Union européenne. En revanche, on doit s'interroger sur l'engouement que suscite le processus constitutionnel islandais dans les médias. On nous explique en effet que les Islandais sont en train de rédiger une "constitution participative", formule magique dont les Etats de la vieille Europe feraient bien de s'inspirer s'ils veulent devenir des démocraties "modernes". L'enthousiasme manifesté par certains devrait cependant être tempéré par une lecture attentive des textes.

En quoi consiste cette "participation" ? Si y regarde d'un peu plus près, elle est évoquée à propos de deux étapes du processus constitutionnel :

1° Un groupe de 25 citoyens islandais vient, le 30 juillet, de remettre un projet de "constitution participative" au Parlement, l'"Althing". Contrairement à ce qui a été parfois écrit, ces 25 citoyens ne forment pas une "assemblée constituante". Car si des élections au suffrage universel ont bien eu lieu le 27 novembre 2010 pour désigner cette assemblée, elles ont été invalidées par la Cour Suprême en janvier 2011 pour des motifs liés à la mauvaise organisation du scrutin (urnes qui ne fermaient pas, comptage des bulletins non public…).

Afin de ne pas allonger le processus, les partis politiques se sont prononcés en faveur de la désignation d'un "comité constitutionnel" par une résolution parlementaire votée par 30 voix pour, 21 contre et 7 abstentions. Et ce comité constitutionnel créé en avril 2011 comprenait finalement les 25 délégués dont l'élection avait été invalidée.

On nous dit que la composition de ce comité est remarquable, car la réflexion est confiée à des citoyens ordinaires, des paysans, des professeurs, des étudiants, des membres du clergé etc.. Sans doute, mais cette observation illustre avant tout une regrettable confusion entre la représentativité sociologique et la représentation politique. Un groupe peut être représentatif de la population, sans pour autant la représenter au plan politique. Le comité constitutionnel a finalement été désigné par nomination du parlement. Il n'est pas issu de l'élection et ne saurait donc être considéré comme représentant le peuple islandais.

2° - Ce "comité constitutionnel" a mis en œuvre des procédures tout à fait inédites pour parvenir à au projet aujourd'hui transmis au parlement. Les réseaux sociaux ont été mis à contribution, et les 320 000 Islandais pouvaient commenter les débats diffusés sur You Tube, faire des suggestions sur Facebook , voire sur Twitter, à la condition de pouvoir participer un débat constitutionnel en 140 signes.. Ce bel exemple de "Crowdsourcing" a été présenté comme un pas important vers un idéal de démocratie directe.

Le caractère inédit de la démarche n'est pas aussi évident qu'on veut bien l'écrire. Peut être a-t-on oublié que le projet de Constitution européenne avait été élaboré de manière tout aussi "démocratique", la Convention ayant développé un site internet sur lequel chacun pouvait exprimer son opinion ou faire des suggestions. Il ne s'agissait pas encore de "réseaux sociaux", mais l'idée d'utiliser internet comme instrument de participation était déjà bien présente. 

Que s'est il passé lors de cette expérience européenne ? Un petit nombre de ceux qui étaient favorables au projet de constitution européenne s'étaient exprimés sur ce forum, et les plus motivés d'entre eux étaient davantage soucieux de développer une action de lobbying que de participer à une expérience de démocratie directe par internet. On se souvient que l'enthousiasme manifesté sur ce forum n'était guère représentatif des sentiments de l'ensemble des électeurs concernés, notamment ceux qui ont pu s'exprimer par référendum.

Pour les mêmes raisons, la procédure organisée en Islande n'offre aucune garantie permettant de s'assurer que ceux qui s'expriment sur les réseaux sociaux sont effectivement des citoyens islandais, et qu'ils n'ont aucune arrière pensée en matière de lobbying. Le risque est grand que cette procédure soit accaparée par les électeurs les plus avertis, les plus intéressés par le débat public, laissant à l'écart les moins favorisés. A ce titre, internet n'est pas facteur d'égalité, mais d'inégalité, comme en témoignent aujourd'hui les débats sur la neutralité du net.

Nous constatons une seconde confusion, entre la liberté d'expression publique et le droit de vote. La première est un droit de l'individu ou du groupe, le second est un droit du citoyen. La première s'exerce librement, le second est organisé de manière à permettre une stricte égalité devant le droit de suffrage.

Cette utilisation des réseaux sociaux n'établit, somme toute, qu'un ersatz de démocratie, car elle n'offre aucune des garanties qui sont celles de la démocratie, qu'elle soit directe ou indirecte. C'est si vrai que la procédure islandaise s'achèvera, dans tous les cas, par un vote du parlement qui devrait avoir lieu à l'automne.. Et pourquoi pas un référendum, la seule consultation permettant une réelle démocratie directe ? Tout simplement parce qu'il n'existe pas en Islande…




samedi 30 juillet 2011

Outrage au drapeau et liberté d'expression

L'incrimination de l'outrage au drapeau illustre parfaitement une pratique récente qui consiste à créer des normes juridiques au fil de l'eau, pour réagir à tel ou tel fait divers. Après quelques années, on se retrouve face à une stratification normative, dont les couches superposées sans souci de cohérence s'accompagnent d'interprétations jurisprudentielles aussi diverses que subtiles. 

La décision rendue par le Conseil d'Etat le 19 juillet est le dernier épisode d'un feuilleton juridique commencé avec la Loppsi 1 de 2003, qui introduit dans le code pénal un délit d'outrage public à l'hymne national ou au drapeau tricolore, punissable de 7500 € d'amende et/ou de 6 mois de prison, si le délit est commis en réunion (art. 433-5-1). Cette législation avait été adoptée hâtivement, à la suite de divers incidents provoqués par des supporters de football ayant brûlé le drapeau français dans des stades.

 
A l'époque, le Conseil constitutionnel avait formulé une réserve d'interprétation, excluant du  champ d'application de cet article "les œuvres de l'esprit, les propos tenus dans un cercle privé, ainsi que les actes accomplis lors de manifestations organisées par les autorités publiques". En d'autres termes, le délit ne trouverait à s'appliquer que dans les cas de "manifestations publiques à caractère sportif, récréatif ou culturel, se déroulant dans des enceintes soumises par les lois et règlements à des règles d'hygiène et de sécurité en raison du nombre de personnes qu'elles accueillent". Le Conseil acceptait donc la sanction d'actes de hooliganisme mais cherchait à protéger les œuvres de l'esprit ainsi que les manifestations politiques.

Hélas, un nouvel incident intervenu en mars 2010 a mis à mal cette construction Une photo montrant un homme occupé à s'essuyer le postérieur avec le drapeau national est primée dans un festival niçois, organisé sur le thème du "politiquement incorrect". La photo, qui était bien loin de mériter un tel succès, est diffusée Urbi et orbi, suscitant réprobation et protestations multiples, notamment des associations d'anciens combattants.  Mme Alliot Marie, alors ministre de la Justice, annonce sa volonté de poursuivre les auteurs du scandale…Certes, mais cette démarche hautement morale se heurte à la réserve d'interprétation posée par le Conseil constitutionnel. La photographie en question est juridiquement une œuvre de l'esprit, même s'il s'agit en l'occurrence d'un très mauvais esprit. 

Cette fois, c'est le pouvoir réglementaire qui intervient avec un décret du21 juillet 2010. Il  introduit dans le code pénal un article R 645-15 punissant de l'amende prévue pour les contraventions de 5è classe (soit 500 € maximum) le fait de "détruire, détériorer ou utiliser de manière dégradante" l'emblème national, dès  lors que cette action se déroule "dans un lieu public ou ouvert au public" et qu'elle est commise dans "des conditions de nature à troubler l'ordre public et dans l'intention d'outrager le drapeau". Le fait de diffuser ou de faire diffuser les images d'une telle atteinte est passible d'une peine identique.

La Ligue des Droits de l'homme a introduit un recours pour excès de pouvoir contre ce décret, et c'est précisément cette requête que le Conseil d'Etat examinait le 19 juillet. 

Raoul Dufy. Drapeaux de rue
Le moyen tiré de l'incompétence du pouvoir réglementaire est rapidement écarté par le Conseil d'Etat. Selon une jurisprudence désormais bien établie, une contravention, peut parfaitement être décidée par la voie réglementaire, dès lors qu'il ne s'agit pas de réglementer l'ensemble d'une liberté publique, mais seulement d'y apporter les limitations nécessaires à la sauvegarde de l'ordre public (voir par exemple, l'arrêt du 23 février 2011, Syndicat nationaldes enseignants du second degré, à propos du décret du 19 juin 2009 interdisant la dissimulation du visage lors de manifestations publiques). 

Le moyen fondé sur l'atteinte à la liberté d'expression repose à la fois sur les articles 10 et 11 de la Déclaration de 1789 et sur l'article 10 de laConvention européenne. En l'espèce, appliquant le contrôle maximum qui est le sien depuis la célèbre affaire Benjamin, la Haute Juridiction énonce deux conditions cumulatives permettant de porter une telle atteinte à la liberté d'expression : une condition objective réside dans l'atteinte à l'ordre public provoquée par les auteurs de l'infraction, et une condition subjective doit être recherchée dans "l'intention d'outrager le drapeau tricolore". La conséquence en est que l'infraction nouvelle ne saurait incriminer que "les dégradations physiques ou symbolique du drapeau susceptibles d'entrainer des troubles graves à la tranquillité et à la sécurité publiques, et commises dans la seule intention de détruire, abîmer ou avilir le drapeau". A contrario, l'utilisation du drapeau pour manifester ses idées politiques ou philosophiques, ou encore comme élément d'une création artistique n'est pas prohibée.

Le Conseil d'Etat a voulu, comme le Conseil constitutionnel, préserver à la fois les manifestations politiques et les œuvres de l'esprit. Il n'empêche que l'on peut s'attendre à une jurisprudence particulièrement joyeuse lorsque le juge du fond devra apprécier si la photographie d'un homme qui s'essuie le postérieur avec un drapeau tricolore est, ou non, une œuvre de l'esprit…

A l'arrivée, on se demande tout de même si le jeu valait la chandelle. Cette question s'impose d'autant plus que cette protection judiciaire du drapeau n'est pas un principe reconnu par l'ensemble de la communauté internationale, loin de là. Aux Etats Unis, le 1er Amendement offre une protection très large de la liberté d'expression, et la Cour Suprême considère que cette protection s'étend au "Symbolic Speech". Le fait de brûler la bannière étoilée est donc un "droit constitutionnel" et les Américains peuvent serendre sur un site internet pour y brûler un drapeau virtuel. Cela ne les empêche de témoigner un réel respect pour la bannière étoilée, et un "FlagCode", texte purement déontologique mais très largement appliqué leur explique aussi bien comment il faut le plier que le respect qui lui est dû. 

Peut on imposer le respect du drapeau tricolore par décret ? La question reste posée.

jeudi 28 juillet 2011

Le divorce est-il un droit ? A propos de Malte

Après bien des difficultés, Malte vient enfin, le 25 juillet, de voter une législation sur le divorce. C'est l'aboutissement d'une bataille politique gagnée grâce à un référendum qui a vu 53 % des Maltais se prononcer en faveur de cette réforme. La loi qui a suivi cette consultation populaire a finalement été arrachée à un gouvernement conservateur hostile et à une Eglise très puissante dans un pays qui compte 95 % de catholiques.

Au-delà de la satisfaction de savoir que les Maltais peuvent désormais se dégager des liens du mariage s'ils sont devenus insupportables, cette législation nouvelle suscite des questions. Malte, pays de l'Union européenne, membre du Conseil de l'Europe, a donc attendu 2011 pour se doter d'une législation sur le divorce. N'existe-t-il aucun droit au divorce dont les Européens pourraient se prévaloir, alors même que le divorce est désormais acquis dans l'ensemble des Etats du Conseil de l'Europe ?

La réponse est négative, que l'on se tourne vers l'Union européenne ou la Convention de sauvegarde des droits de l'homme.

L'Union européenne n'appréhende le divorce qu'à travers les problèmes qu'il suscite en droit international privé. C'est ainsi que le réglement du 27 novembre 2003, dit "Bruxelles II" est entré en vigueur en mars 2005. Il a pour objet de déterminer le juge compétent, en cas de divorce entre deux époux de nationalité différente. En droit communautaire, l'organisation concrète du divorce est laissée à la compétence des Etats, ce qui explique les très grandes différences de régimes juridiques. C'est ainsi qu'à Malte, le divorce sera désormais possible à l'issue d'une période de quatre année de séparation, alors qu'aux Pays Bas, un "divorce éclair" permet de transformer le mariage en une union civile, dont la dissolution peut ensuite être très rapidement prononcée. Il n'existe donc pas de standard communautaire dans ce domaine.

La Convention de sauvegarde des droits de l'homme présente en revanche l'avantage de permettre d'envisager le divorcer sous l'angle des libertés fondamentales. Observons d'emblée que si le droit au divorce ne figure pas dans la Convention, le droit au mariage, quant à lui, est consacré dans l'article 12 : "A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit".

De la reconnaissance du droit au mariage, il est bien délicat de déduire l'existence d'un droit au divorce. Pourrait-on par exemple considérer que le droit au mariage implique un droit au remariage, et que le lien conjugal ne peut donc pas être indissoluble ?

Divorce à l'italienne
Film de Pietro Germi 1961
La Cour européenne n'a pas eu à se prononcer clairement sur la question. Dans une décision très récente, du 14 juin 2011, Ivanov et Petrova, elle refuse de sanctionner la législation bulgare qui ne prévoit que deux cas de divorce : le consentement mutuel et l'"altération de la vie conjugale". En l'espèce, un homme souhaitait se remarier avec sa compagne, dont il avait eu un enfant. Son épouse légitime dont il vivait séparé depuis quinze ans, elle-même mère de deux enfants, refusait pourtant de divorcer, estimant qu'une réconciliation était possible. Le juge bulgare lui a donné raison et a refusé le divorce, considérant que "les points de conflit ne sont pas insurmontables". Une telle décision peut sembler étrange, car elle conduit à conférer à l'épouse délaissée un véritable droit de veto en matière de divorce.

La Cour européenne ne voit rien de contestable dans cette solution, et feint de croire le juge bulgare, lorsqu'il voit un espoir de réconciliation dans un couple séparé depuis quinze ans, et dont l'un des membres a fondé une nouvelle famille. Cette fiction évite à la Cour européenne de se prononcer sur le fond et de rechercher si le conjoint abandonné a ainsi la faculté d'empêcher, ou non, l'exercice d'un droit.

La Cour refuse ainsi d'apprécier les mœurs et les sensibilités propres à chaque Etat et renvoie au législateur interne le soin de définir librement les principes gouvernant le droit du divorce. Quant au droit au divorce,  il attendra encore quelque temps sa consécration....




mardi 26 juillet 2011

QPC : la "Journée de solidarité" et l'égalité devant les charges publiques


Le Conseil constitutionnel, doublement saisi d'une QPC par le Conseil d'Etat et la Cour de cassation, a statué le 22 juillet sur la constitutionnalité du dispositif législatif mettant en oeuvre la "journée de solidarité" en faveur de l'autonomie des personnes âgées.
Cette "journée de solidarité" a été instituée par la loi du 30 juin 2004, et codifiée dans le code du travail. Elle prend la forme d'une journée supplémentaire de travail non rémunéré. D'abord fixée au Lundi de Pentecôte, elle a ensuite été assouplie dans ses modalités . Elle peut donc se dérouler sur tout jour chômé ou férié autre que le 1er mai, voire être organisée par une nouvelle répartition des heures de travail, nouvelle répartition négociée avec les salariés.
Les requérants ont invoqué l'inconstitutionnalité de cette "journée de solidarité" , non pas dans ses modalités, mais dans son principe même. En limitant le champ d'application du dispositif aux salariés, fonctionnaires et agents publics non titulaires, le législateur exonère en effet de cette contrainte nouvelle les professions libérales et les retraités. Il y aurait donc atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques.
Après avoir analysé les dispositions en cause, dont la complexité est sans doute un chef d'œuvre bureaucratique, le Conseil constitutionnel considère qu'elles n'impliquent aucune violation de l'égalité devant les charges publiques. Appliquant sur ce point la jurisprudentielle la plus traditionnelle, il observe que "le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu (…) que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de loi qui l'établit".


Giovanni Battista Pittoni.
Suzanne et les vieillards
En l'espèce, le législateur a choisi de faire peser l'effort de solidarité sur les salariés du secteur public comme du secteur privé, car ils bénéficient de la garantie offerte par la durée légale légale du travail. En outre, le dispositif s'accompagne d'une imposition spécifique pesant sur les employeurs, ces derniers participant ainsi à l'effort de solidarité. Le Conseil constitutionnel reprend donc les principes dégagés par la célèbre jurisprudence Couitéas du Conseil d'Etat, et conclut que cette "journée de solidarité" n'implique aucun dommage anormal et spécial pour les salarié.
On verra dans cette jurisprudence une double confirmation. D'une part, le Conseil confirme les principes traditionnels définis par la jurisprudence du Conseil d'Etat dès 1923, et déjà constitutionnalisés. D'autre part, et conformément aux principes gouvernant son contrôle de constitutionnalité, il rappelle qu'il "n'a pas un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement". Il ne lui appartient donc pas de rechercher si les objectifs assignés par le législateur auraient pu être atteints par d'autres moyens.
En clair, si la "journée de solidarité" n'apporte aucune aide concrète aux personnes âgées et constitue en fait une imposition déguisée, ce n'est pas au Conseil constitutionnel de le sanctionner, c'est à l'électeur…

En clair, si la "journée de solidarité" n'apporte aucune aide concrète aux personnes âgées et constitue en fait une imposition déguisée, ce n'est pas au Conseil constitutionnel de le sanctionner, c'est à l'électeur…


dimanche 24 juillet 2011

Avocat et garde à vue : la Cour européenne se convertit au réalisme

Dans une décision du 19 juillet 2011, la Cour européenne a enfin posé les limites du droit à l'assistance d'un avocat durant la garde à vue. En l'espèce, le requérant est un ressortissant roumain qui s'est refusé à un contrôle d'identité, a frappé un policier et dégradé son véhicule. Il a donc été arrêté, de manière peut être un peu musclée , et des poursuites pénales ont été engagées à son encontre.

Une partie de la décision, d'un intérêt limité, porte sur les mauvais traitements dont l'intéressé prétend avoir été victime. La Cour refuse de reconnaître l'existence de traitements inhumains et dégradants, en l'absence de preuve apportée par le requérant. Les autorités roumaines sont cependant sanctionnées, car M. Rupa s'était plaint d'avoir été battu dès la première audience pénale, et aucune enquête n'avait été diligentée pour vérifier ses allégations.

L'essentiel de la décision réside dans la violation invoquée du droit au procès équitable (art. 6 ). Elle proviendrait d'un ensemble de dysfonctionnements survenus lors de la garde à vue. M. Rupa se plaint en particulier d'avoir dû utiliser les services d'un avocat commis d'office, et qui n'aurait pas assuré la "continuité" de sa défense. Il a ainsi été amené à faire une déclaration hors de la présence de son conseil.

La Cour fait observer que M. Rupa a lui-même reconnu ne pas être en mesure de s'offrir les services de l'avocat de son choix, et qu'il a donc dû accepter un avocat commis d'office. Par la suite, au moment du procès pénal, le requérant a finalement pu solliciter les services des conseils de son choix, ce qui montre bien que les autorités roumaines n'avaient jamais eu l'intention de s'y opposer. Quant à l'audition faite hors la présence de son conseil, la Cour la considère comme un "acte isolé" qui n'a d'ailleurs eu aucune influence sur la procédure, le juge pénal s'étant toujours fondé sur les procès verbaux des auditions menées en présence de l'avocat.

En rejetant le recours de M. Rupa, la Cour fait preuve de pragmatisme. Nul n'ignore en effet que le recours à un avocat commis d'office, généralement prévenu au dernier moment et peu familier du dossier, n'est pas la solution idéale pour garantir les droits de la défense. Nul n'ignore non plus que dans la durée d'une garde à vue, il peut arriver que des propos soient échangés, surtout si l'avocat tarde à venir. D'une certaine manière, cette décision est rassurante, car elle tient compte des difficultés que présente aujourd'hui l'organisation de la garde à vue.

Si on s'en tient au cas français, les premiers bilans réalisés par le ministère de l'Intérieur et portant sur les 10 000 premières garde à vue "nouveau régime" ont montré l'importance de ces difficultés matérielles. Sur ces 10 000 gardes à vue qui ont eu lieu entre le 16 avril et le 2 mai, 4000 gardés à vue ont demandé l'assistance d'un avocat, soit 40 %. Surtout, il y a eu 889 carences, c'est-à-dire que des avocats sollicités ne se sont tout simplement pas présentés. Et ces chiffres excluent Paris et la petite couronne…

Bien sûr, on objectera que ces problèmes matériels sont provisoires, et que l'organisation des Barreaux permettra bientôt la prise en charge de l'intégralité des gardes à vue, d'autant que la rémunération des avocats est assurée sur le budget de l'Etat (voir sur LLC). Il n'empêche qu'il est bon de savoir que la Cour européenne n'est pas prête à utiliser le premier dysfonctionnement pour sanctionner l'intégralité d'une procédure.







samedi 23 juillet 2011

Cultes : l'éternelle jeunesse de la loi de 1905

Le 19 juillet, le Conseil d'Etat a rendu cinq décisions portant sur l'interprétation de la loi du 9 décembre 1905.

Observons d'emblée qu'il s'agit d'interpréter la loi de 1905 et non pas le principe même de laïcité. Celui-ci figure dans l'article 2 de la Constitution, selon lequel "la France est une République laïque. Elle respecte toutes les croyances". Le principe de laïcité suppose l'indépendance de la société civile à l'égard des institutions religieuses. Il repose finalement sur une idée simple : les convictions religieuses doivent demeurer dans la sphère privée.

La loi du 9 décembre 1905, de séparation des églises et de l'Etat, constitue l'instrument essentiel de  mise en œuvre du principe de laïcité. Elle définit les modalités d'organisation des cultes conformes au principe de laïcité. Dès lors que le Conseil d'Etat n'est pas juge de la constitutionnalité, il apparaît inévitable que son intervention dans ce domaine repose sur l'interprétation de la loi de 1905, et plus précisément aujourd'hui sur sa conciliation avec la libre administration des collectivités locales.

Dans ces décisions, la Haute juridiction aborde cette question avec libéralisme et pragmatisme.


Dans deux arrêts, la décision contestée porte sur l'acquisition d'un bien qui est utilisé dans l'exercice d'un culte. Tel est le cas de la commune de Trélazé, qui a contribué à l'achat et à la restauration d'un orgue pour l'église du village. Tel est le cas aussi de la ville de Lyon qui a subventionné la construction d'un ascenseur facilitant l'accès à la basilique de N.D. de Fourvière. Dans les deux cas, le juge a retenu l'intérêt général de ces deux opérations, la première permettant de développer l'enseignement de la musique et d'organiser des concerts, la seconde offrant aux personnes à mobilité réduite la possibilité d'accéder à un haut lieu du tourisme lyonnais. En d'autres termes, une décision prise par une commune est légale si elle répond à des motifs d'intérêt général, et tant mieux si, en prime, elle a pour conséquence de faciliter l'exercice d'un culte.

Les trois autres décisions, plus complexes, portent sur des biens communaux mis à disposition d'associations religieuses. C'est ainsi que la communauté urbaine du Mans a mis à disposition de la communauté musulmane un local spécialement aménagé pour l'abatage rituel de la fête de l'Aïd-el-Kébir.  De son côté, le conseil municipal de Montreuil a conclu avec une association musulmane un bail emphytéotique portant sur un terrain communal, dans le but d'y construire une mosquée. La ville de Montpellier a enfin décidé la construction d'une "salle polyvalente à caractère associatif" mise ensuite à la disposition de  l'"association des Franco-marocains" pour qu'elle soit utilisée comme lieu de culte.

Le juge admet la légalité de ces actes de mise à disposition, dès lors que les collectivités locales respectent deux conditions. D'une part, les décisions doivent reposer sur un intérêt public local. D'autre part, elles ne doivent pas pouvoir être considérées comme des libéralités accordées à un culte.
C'est ainsi que la mise à disposition d'un lieu d'abattage des ovins répond à une motivation d'hygiène publique, et sa légalité est acquise, dès lors que la redevance versée pour l'usage de cet équipement correspond exactement à son coût de fonctionnement. De même la mise à disposition d'un terrain communal par  bail amphytéotique  pour construire "un édifice cultuel ouvert au public" est autorisée expressément par l'ordonnance du 21 avril 2006 (art. L. 1311-2 du CGCT). Le Conseil d'Etat se borne donc à faire  observer que les bâtiments construits devront être rendus à la commune à la fin du bail, et qu'une redevance est perçue, bien que très modique pour tenir compte du fait que le locataire est une association sans but lucratif.

A contrario,  la décision de la  ville de Montpellier qui a construit une "salle polyvalente",  pour la mettre à disposition, deux ans plus tard et à titre gratuit,  d'une association musulmane ne répond pas aux critères posés par le Conseil. La Haute Juridiction fait observer que cette  construction a coûté  plus d'un million d'euros à la commune. Une somme aussi importante doit être considérée comme une libéralité accordée à un culte, en violation de  la loi du 9 décembre 1905.
Sur cette dernière affaire, on ne peut s'empêcher de penser que le juge a peut être été quelque peu agacé par la procédure suivie par la ville de Montpellier, qui a obtenu une majorité au Conseil municipal pour la construction d'une "salle polyvalente". Et deux ans plus tard, les élus, comme la population, se sont aperçus qu'ils avaient voté la création d'une mosquée...
Par ces décisions, le Conseil d'Etat offre aux collectivités locales une série de précisions relatives à leur intervention dans le domaine cultuel. Mais l'apport essentiel de ces décisions est sans doute de montrer l'immense qualité de la loi de 1905, qui demeure aujourd'hui le principe organisateur de la laïcité.
Ceux qui souhaiteraient modifier la loi de 1905 sont invités à y réfléchir à deux fois…