La presse comme le monde politique se sont emparés de l'affaire de l'Ocean Viking, ce navire qui vient d'accoster à Toulon. Les 230 migrants qui étaient à bord et attendaient de pouvoir débarquer depuis vingt-et-un jours, sont donc accueillis dans l'enceinte militaire de la base navale. Comme toujours dans ce type de situation, les opinions se divisent entre ceux qui considèrent ces migrants comme une sorte d'avant-garde du "grand remplacement", et ceux qui, à l'inverse, trouvent scandaleux qu'ils ne soient pas libres de leurs mouvements pour circuler librement en France et dans l'Union européenne.
Ce militantisme, qu'il soit de droite ou de gauche, a pour effet d'opacifier le débat juridique. Le statut juridique de ces 230 personnes mérite pourtant d'être quelque peu éclairci.
La zone d'attente
Le préfet du Var, par un arrêté publié le 10 novembre 2022 au recueil des actes administratifs de la préfecture, a créé une zone d'attente temporaire. Située sur l'emprise de la base navale de Toulon et sur celle d'un village de vacances EDF de Hyères, elle est provisoire, son fonctionnement étant prévu "pour la période du 11 novembre au 6 décembre 2022".
Cette procédure n'a rien d'illégal. Le placement en zone d'attente est prévu par le Titre IV du Livre III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (ceseda). Ces zones d'attente concernent les "étrangers qui ne sont pas autorisés à rentrer en France", notamment parce qu'ils sont dépourvus des titres et documents nécessaires. Sur le plan juridique, l'étranger en zone d'attente n'est donc pas considéré comme étant sur le territoire français. Il est précisément en position d'attente d'une décision l'autorisant, ou non, à y pénétrer.
Des zones d'attente permanentes existent dans les aéroports, les gares ou les ports depuis la loi du 6 juillet 1992. Mais elles peuvent aussi être créées, pour une durée limitée, sur les lieux mêmes de la découverte d’un groupe de ressortissants étrangers. En l'espèce, une zone d'attente est donc créée jusqu'au 6 décembre, uniquement destinée aux migrants de l'Ocean Viking. Dans son arrêt Amuur c. France du 25 juin 1996, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) rappelle que ces zones d’attente relèvent de la souveraineté de l’État et que la décision d’y retenir un étranger est prise par la police chargée des contrôles aux frontières.
Il s'agit donc d'une mesure de police administrative qui n'a rien à voir avec une procédure pénale. Dans une décision du 6 décembre 2019 Mme Saisda C., le Conseil constitutionnel précise que « la décision de refus d'entrée, celle de maintien en zone d'attente et celles relatives à l'organisation de son départ ne constituent pas des sanctions ayant le caractère de punition mais des mesures de police administrative
La durée de rétention, elle aussi, répond à des conditions strictes. La CEDH considère qu’un étranger placé en zone d’attente n’est « privé de sa liberté » au sens de la Convention européenne que s’il y est maintenu au-delà de la durée normale pour répondre à sa demande d’asile. Dans un arrêt Z.A. c. Russie du 21 novembre 2019, elle sanctionne ainsi les autorités russes qui avaient retenu dans l’aéroport de Moscou quatre demandeurs d’asile durant des périodes allant de cinq mois à deux ans. Dans une décision du même jour Ilias et Ahmed c. Hongrie, elle admet en revanche que la Hongrie ait pu retenir les requérants vingt-trois jours dans une zone d’attente située à la frontière serbe, zone qu’ils pouvaient à tout moment quitter pour rentrer en Serbie.
La procédure française répond aux exigences européennes, et le maintien en zone d’attente ne peut dépasser, au maximum, une durée de vingt-six jours. Au-delà des quatre premiers jours, la prolongation ne peut intervenir qu'avec l'accord du juge des libertés et de la détention. L'étranger retenu en zone d'attente a le droit à l'assistance d'un avocat, en particulier pour préparer sa demande d'asile. La zone d'attente n'est donc pas une zone de non-droit. C'est au contraire un espace juridiquement très encadré. Il est certes incontestable que les moyens matériels mis en oeuvre dans ces zones sont loin d'être parfaits, mais le contrôle du juge existe tant sur la procédure que sur la durée de rétention.
Le droit d'asile
La presse affirme que tous les passagers de l'Ocean Viking ont l'intention de demander l'asile et donc d'obtenir la qualité de réfugié. Ils peuvent certes demander, mais l'obtention de la qualité de réfugié n'est pas simple. Rappelons qu'il existe trois fondements distincts au droit d'asile.
Le droit d’asile constitutionnel figure dans le Préambule de la Constitution de 1946, repris dans l’article L511-1 ceseda. Il affirme que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Le droit d’asile concerne donc une personne qui a effectivement subi des persécutions, principe confirmé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993.
Le droit d’asile conventionnel trouve son origine dans la Convention de Genève du 28 juillet 1951, à laquelle la France est partie. Elle énonce que le terme « réfugié » « s’applique à toute personne (…) qui (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Le statut de réfugié est donc accordé, sur le fondement direct de la Convention de Genève, à une personne menacée de persécutions.
La distinction entre le droit d’asile constitutionnel qui repose sur une persécution effective, et le statut de réfugié conventionnel qui est accordé en cas de menace de persécution est aujourd’hui assouplie, d'autant que le titre de séjour accordé à celui qui obtient le droit d'asile est de dix ans dans les deux cas.
Enfin La « protection subsidiaire », mise en place par la loi du 10 décembre 2003, est destinée aux étrangers qui sont menacés de persécutions, sans toutefois entrer dans l’un des cadres juridiques précédemment définis. C’est le cas de ceux qui ont à redouter une violence généralisée liée à un conflit armé. Ils doivent alors établir qu’ils ne peuvent pas se voir reconnaître la qualité de réfugié sur d’autres fondements.
Sur le plan procédural, le droit tend à l’unification des différents régimes juridiques. L’étranger ne fait qu’une seule demande auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Cette institution détermine elle-même la nature de la protection dont il peut bénéficier et lui accorde, ou non, la qualité de réfugié au regard des persécutions qu’il invoque. La décision, si elle est négative, peut faire l’objet d’un recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), puis, le cas échéant, d’un contrôle de cassation par le Conseil d’État.
Dans le cas des passagers de l'Ocean Viking, c'est l'OFPRA qui va venir jusqu'à eux.
La demande d'asile à la frontière
Zones d'attente : Chapitre 4 Section 2 § 2 C du manuel sur internet