Le juge des référés du Conseil d'Etat, statuant en formation collégiale, s'est prononcé, le 25 novembre 2020, sur l'appel formulé par l'association Barakacity, ses dirigeants et certains de ses salariés. Le juge des référés du tribunal administratif avait en effet refusé de suspendre, pour atteinte à la liberté d'association, le décret du 28 octobre 2020 prononçant sa dissolution. Aujourd'hui, la formation collégiale du Conseil d'Etat confirme ce refus, décision qui n'est, en soi, guère surprenante. L'interêt de cette ordonnance de référé réside toutefois dans sa motivation, car le Conseil d'Etat affirme clairement que le comportement de son Président n'est pas détachable de la gestion de l'association.
Rappelons que les statuts de l'association Barakacity ont été déposés à la préfecture du Val d'Oise le 9 janvier 2010. Son président est Driss Yemmou, dit Idriss Sihamedi, et l'association est dotée de statuts qui la font ressembler une organisation non gouvernementale (ONG) ordinaire. N'a-t-elle pas pour objet « la création, la promotion et le développement d'actions permettant de venir en aide aux démunis en France et à l'international, mais également de combattre le racisme ou d'assister les victimes de discrimination […], de défendre ou d'assister l'enfance martyrisée ou les mineurs victimes d'atteintes sexuelles, de combattre les crimes contre l'humanité ou les crimes de guerre ou de défendre les intérêts moraux et l'honneur de la résistance ou des déportés […] » ?
Messages et commentaires
Derrière le message humaniste véhiculé par les statuts se cache une démarche moins bienveillante. Les messages de Idriss Sihamedi figurant sur le site de l'association, ou dans des messages personnels sur les réseaux sociaux, traduisent des prises de position qui sont celles de l'islam radical. C'est ainsi que, durant la seule année 2020, il a glorifié la mort en martyr au moment du procès de l'attentat de Christchurch, a appelé de ses voeux des châtiments sur les victimes de l'attentat dirigé contre Charlie-Hebdo, et a exposé à la vindicte publique des personnes nommément désignées, notamment Mesdames Zohra Bitan et Zineb el Rhazoui. Sont également mentionnés par le juge des référés les commentaires suscités par les propos d'Idriss Sihamedi, contenant des appels à la discrimination, à la violence et au meurtre, sans oublier des propos ouvertement antisémites.
L'association Barakacity, après le passage du Conseil d'Etat
Asterix gladiateur. René Goscinny et Albert Uderzo. 1964
L'absence de modération
Pour le Conseil d'Etat, l'absence de modération des commentaires constitue ainsi un élément de nature à justifier la dissolution. Le responsable du site ou le titulaire du compte dans le cas d'un réseau social est en effet compétent pour mettre en place un système de modération, soit avant la publication du commentaire, soit après cette publication. En l'espèce, M. Sihamedi a laissé subsister des commentaires illicites sans mettre en place un système de modération. Cette lacune laisse présumer qu'il adhère aux propos tenus.
L'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 affirme ainsi que le responsable du service peut être poursuivi comme auteur des délits commis dans les commentaires, si "dès le moment où il en a eu connaissance, il n'a pas agi promptement pour retirer ce message". Appliquant cette disposition, la Cour de cassation, dans un arrêt du 3 novembre 2015 a ainsi déclaré auteur de la diffamation Le Figaro qui avait laissé subsister un commentaire diffamatoire sur son site pendant dix-neuf jours. A fortiori, doit-on considérer comme auteur des infractions le responsable d'un site ou d'une page sur Facebook qui n'a jamais effectué le moindre effort de modération.
Sur ce point, les avocats de Barakacity annoncent une saisine de la Cour européenne des droits de l'homme, mais les chances de succès paraissent bien minces. Certes, dans un arrêt du 2 février 2016, la CEDH a rappelé que les éditeurs de sites ou de pages ne pas, en principe, tenus pour responsables des commentaires rédigés par des tiers. Mais ce principe ne s'applique que lorsque ces commentaires ne sont pas "manifestement illicites". En l'espèce, le juge administratif affirme clairement que les propos tenus en commentaires par les sympathisants de Barakacity pourraient être poursuivis pénalement. Depuis une décision Delfi A.S. c. Estonie du 10 octobre 2013, la CEDH juge d'ailleurs qu'un Etat peut poursuivre le responsable d'un site ou la société propriétaire d'une plateforme d'informations à raison des commentaires insultants des lecteurs, sans pour autant porter atteinte à la liberté d'information.
Des propos imputables à l'association
L'essentiel de la décision réside dans le fait que les propos tenus par le président de l'association, ainsi que ceux dont il est responsable, peuvent être imputés à l'association. Mais le juge des référés se garde bien d'énoncer un principe général, et déduit cette imputabilité des circonstances. Dans le cas de Barakacity en effet, le président de l'association était le seul responsable de sa communication, et ses messages étaient indifféremment adressés de ses comptes personnels ou de ceux de l'association. D'une manière générale, aucune autre personnalité n'émergeait dans la mouvance de Barakacity. Cette analyse montre tout de même qu'une décision différente pourrait être prise concernant un groupement moins centralisé, dans lequel les liens entre le Président et l'association seraient moins imbriqués.
La décision du juge des référés repose ainsi sur un refus de distinguer entre un groupement et son leader. Une décision du même jour relative à la fermeture de la grande mosquée de Pantin repose sur une analyse à peu près identique. En l'espèce en effet, le décret de fermeture de l'établissement religieux s'appuie, en grande partie, sur la personnalité de l'imam principal de la mosquée, formé dans un institut fondamentaliste du Yemen et dont les prêches étaient diffusés sur un site diffusant des Fatwas salafistes. Là encore, la personnalité de l'imam n'est pas dissociable du lieu de culte qu'il anime et justifie sa fermeture.
Ces décisions étaient parfaitement prévisibles. Raisonnons-en effet a contrario : dissocier l'activité de Barakacity des propos de son président revenait à empêcher toute dissolution. Il suffisait en effet au président de se revendiquer comme le seul auteur de la propagande salafiste pour "sauver" son association et lui permettre de continuer à renforcer tranquillement ses liens avec l'islam radical. La décision du juge des référés empêche cette dérive, tout en permettant un contrôle juridictionnel très étendu sur le décret de dissolution.
Sur la dissolution administrative des associations : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 2, section 2 § 1 B.