Les emplois familiaux
Il affirme ainsi, dans une décision du 9 octobre 2013, que "le principe de séparation des pouvoirs ne fait pas obstacle" à ce qu'une autorité administrative soit chargée de contrôler la situation patrimoniale des parlementaires. Dans une décision du 10 décembre 2016, il autorise, sur le même fondement, la création d'un registre des lobbies actifs auprès du Parlement. La décision sur la loi ordinaire du 8 septembre 2017 reprend cette jurisprudence. D'une part, le Conseil note que l'interdiction ne concerne qu'un nombre limité de personnes, en l'espèce la famille de l'élu. Son autonomie dans le choix de ses collaborateurs n'est donc pas réellement atteinte. D'autre part, il note que la loi confère au bureau ou au déontologue de l'assemblée la compétence pour se prononcer sur d'éventuels manquements. L'interdiction des emplois familiaux est donc une règle d'ordre public sanctionnée pénalement. Elle s'impose d'autant plus facilement aux élus qu'ils l'ont eux-mêmes votée.
La réserve parlementaire
La séparation des pouvoirs est également invoquée pour contester la suppression de la réserve parlementaire, formulée clairement dans l'article 14 de la loi organique, " Il est mis fin à la pratique dite de la "réserve parlementaire". La loi organique s'imposait car il s'agit de mettre en oeuvre la loi de finances. En effet, la pratique de la réserve parlementaire n'est prévue par aucun texte. Elle repose sur un simple engagement du gouvernement envers les parlementaires d'exécuter le budget conformément à certaines demandes qu'ils ont formulées, portant sur des opérations déterminées. Concrètement, ces engagements se traduisent par des amendements gouvernementaux au projet de loi de finances. D'une certaine manière, le gouvernement accepte ainsi de lier sa compétence en matière d'exécution budgétaire. En supprimant la réserve parlementaire, la loi organique ne porte pas atteinte à la séparation des pouvoirs. Au contraire, elle en garantit le respect, puisque la compétence gouvernementale d'exécution budgétaire n'est plus entravée.
La réserve ministérielle
L'analyse n'est guère contestable. En revanche, elle ne s'applique à la réserve ministérielle et la suppression de cette dernière est donc déclarée non conforme au principe de séparation des pouvoirs. Des esprits taquins pourraient penser que le Conseil constitutionnel s'est fait un plaisir de censurer une disposition ajoutée par le parlement, désireux de se venger de la suppression de réserve parlementaire et supprimant une prérogative gouvernementale.
Rappelons que la réserve ministérielle consiste à attribuer des subventions aux collectivités territoriales et à leurs groupements, là encore pour mener à bien des projets spécifiques. Le seul point commun avec la réserve parlementaire réside dans le fait que cette enveloppe est souvent utilisée pour aider des amis politiques. Pour le reste, la situation est bien différente. La suppression de la réserve parlementaire renforce la séparation des pouvoirs en supprimant une pratique qui portait atteinte au pouvoir gouvernemental d'exécution budgétaire. La suppression de la réserve ministérielle s'analyse au contraire comme une ingérence dans une pratique qui ne concerne que le seul Exécutif, puisqu'il s'agit d'empêcher le gouvernement de subventionner les collectivités territoriales. Le pouvoir législatif s'ingère ainsi dans l'exécutif et porte atteinte à la séparation des pouvoirs.
Pour les mêmes motifs, le Conseil censure l'article 23 de la loi ordinaire qui imposait au Premier ministre de prendre un décret sur la prise en charge des frais de réception et représentation des membres du gouvernement. Là encore il s'agit d'une ingérence du parlement dans la fonction gouvernementale.
La seule satisfaction, bien modeste, obtenue par les auteurs de la saisine en matière de séparation des pouvoirs est l'inconstitutionnalité du § 4 de l'article 11, habilitant la Haute autorité pour la transparence de la vie publique à adresser une injonction tendant à ce qu'il soit mis fin à une situation de conflit d'intérêts liée à l'emploi de collaborateurs familiaux. Dans ce cas, le destinataire de l'injonction devrait, soit licencier son collaborateur, soit démissionner de ses fonctions. Or une autorité administrative, même indépendante, ne peut ainsi intervenir dans le fonctionnement du parlement sans porter atteinte à la séparation des pouvoirs. Sur ce point, le Conseil s'appuie sur la réserve qu'il avait formulée dans sa décision du 9 octobre 2013 qui affaire que la loi ne saurait "sans méconnaître la séparation des pouvoirs, permettre à la Haute autorité d'adresser à un député ou un sénateur une injonction dont la méconnaissance est pénalement réprimée (...)". L'inconstitutionnalité était ici évidente, et on ne peut que déplorer que les rédacteurs du projet n'aient pas pris la précaution de regarder un peu soigneusement la jurisprudence du Conseil.
L'inéligibilité automatique
Il en est de même pour la dernière inconstitutionnalité constatée par le Conseil. Il sanctionne en effet l'inéligibilité automatique qui aurait dû être prononcée comme peine complémentaire en matière d'infractions contre la probité. Dans sa décision rendue sur QPC du 27 janvier 2012, il avait déjà déclaré inconstitutionnelle une disposition énonçant que toute peine de destitution d'un notaire devait automatiquement s'accompagner d'une interdiction définitive d'inscription sur les listes électorales. A ses yeux, les sanctions disciplinaires touchant les officiers ministériels ont pour objet "de garantir l'intégralité ou la moralité indispensables" à l'exercice de leurs fonctions. Tel n'est pas le cas de l'interdiction d'exercer ses droits civiques, mesure à la fois automatique et définitive. L'analyse est ici transposée au cas des parlementaires. Ce n'est donc l'inéligibilité qui est sanctionnée mais son automaticité. Elle porte en effet atteinte au principe d'individualisation de la peine, principe librement inspiré de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel "la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires".
Si le dispositif de moralisation est important, la décision du Conseil ne bouleverse pas, quant à elle, la jurisprudence constitutionnelle. Le juge saisit cependant l'occasion de rappeler les principes fondamentaux de la séparation des pouvoirs. Celle-ci ne peut tolérer l'ingérence du gouvernement dans la fabrication de la loi, pas plus que celle du parlement dans la politique gouvernementale. En revanche, la séparation des pouvoirs ne saurait être invoquée par le parlement pour soustraire ses membres à leur responsabilité pénale. Une affirmation utile alors que certains députés s'appuient sur la séparation des pouvoirs pour contester les enquêtes qui les visent. On a même vu récemment un président du Sénat refuser, sur ce même fondement, l'entrée des officiers de police judiciaire chargés d'effectuer une perquisition dans le Palais du Luxembourg... Un petit rappel du droit ne fait donc de mal à personne.