« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 13 juillet 2017

Journée des femmes : Perlimpinpin à la Cour de cassation

Dans un arrêt du 12 juillet 2017, la Chambre sociale de la Cour de cassation affirme que l'octroi d'une demi-journée de congé aux femmes à l'occasion de la Journée internationale des femmes, le 8 mars, n'est pas une mesure discriminatoire à l'égard des hommes. 

L'auteur du pourvoi, Rachid X., était employé depuis 2008 comme conducteur de bus par une entreprise de transports niçoise d'où il a été licencié en octobre 2012. A l'occasion de son recours devant la juridiction prud'homale, puis devant la Cour d'appel, il estime, parmi d'autres moyens, avoir fait l'objet d'une inégalité de traitement injustifiée dont il demande réparation. En effet, étant de sexe masculin, il n'a pas pu bénéficier de la demi-journée de repos accordée aux femmes salariées dans l'entreprise le 8 mars. Derrière l'apparente futilité de ce moyen apparaît un réel problème juridique. A l'égalité devant la loi invoquée par le requérant, la Chambre sociale oppose en effet l'inégalité compensatrice.

Egalité devant la loi


Le requérant s'appuie sur l’article L. 3221-2 du code du travail relatif au principe d’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes. Grâce à ce congé exceptionnel, ces dernières travaillent une demi-journée de moins pour un salaire égal. Cette inégalité de traitement n'est pas contestée par Chambre sociale, mais elle fait observer que le principe d'égalité interdit de traiter de manière différente des situations comparables, sauf si la différenciation est objectivement justifiée. Rachid X. considère évidemment que cette différence de traitement est injustifiée. La Cour d'appel, quant à elle, l'a estimée justifiée "par la nécessité de favoriser la lutte des femmes dans leur combat pour une égalité avec les hommes non acquise dans le milieu professionnel"

Inégalité compensatrice


La Chambre sociale considère aussi que cette demi-journée de congé est objectivement justifiée. Elle opère cependant une substitution de motifs. Elle considère en effet que cette mesure ne relève pas de l'égalité de rémunération mais des conditions de travail et donc du titre IV du Livre I Egalité professionnelle entre les hommes et les femmes.  Au sein de ce titre IV, la Cour se fonde sur l’article L. 1142-4 du code du travail qui estime que le principe de non-discrimination ne fait pas obstacle "à l'intervention de mesures temporaires prises au seul bénéfice des femmes visant à établir l'égalité des chances (...), en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes". La demi-journée de congé accordée à l'occasion de la Journée des femmes s'inscrit donc dans une logique d'inégalité compensatrice.

Cette dernière est prévue par l'article 157 § 4 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) auquel la Chambre sociale se réfère expressément. Il énonce que "l'égalité de traitement n'empêche pas un Etat membre d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle". La Cour de justice de l'Union européenne admet donc les inégalités compensatrices en faveur des femmes. Dans un arrêt Badeck du 28 mars 2000, elle estime qu'une action visant à promouvoir prioritairement les femmes dans la fonction publique où elles sont sous-représentées est compatible avec le droit de l'Union. Cette préférence donnée aux candidates féminines ne doit cependant pas être automatique et inconditionnelle. Tous les candidats, quel que soit leur sexe, doivent ainsi faire l'objet d'une appréciation objective tenant compte de leur situation particulière. Ces principes sont ceux repris dans la directive du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.

Plantu. Le Monde. 8 mars 2014


Un accord d'entreprise


S'appuyant sur le droit européen, la Chambre sociale conclut donc que la demi-journée de repos "vise à établir l'égalité des chances entre les hommes et les femmes en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les femmes". Observons cependant que cette demi-journée de repos n'est pas offerte à toutes les femmes, et que la décision relève d'un accord d'entreprise. Sur ce point, l'arrêt se situe dans la continuité de la décision du 27 janvier 2015 qui affirme une présomption de conformité des accords collectifs au principe d'égalité de traitement. De manière plus générale, il semble anticiper sur l'actuelle réforme du code du travail, visant à redonner du poids aux accords entre partenaires sociaux au niveau de l'entreprise. Sans l'affirmer trop clairement, la Chambre sociale montre qu'elle est "en marche".

Une satisfaction symbolique


Il est probable que cette décision réjouira celles et ceux qui cherchent dans le féminisme des satisfactions symboliques. L'analyse juridique laisse tout de même une impression d'insatisfaction. Si l'on peut admettre des inégalités compensatrices, celles prévues par le droit de l'Union européenne, concernent directement la carrière des femmes : recrutement, avancement etc.. En quoi une demi-journée de congé apporte t-elle une inégalité compensatrice ? De deux choses l'une : soit les femmes bénéficient dans l'entreprise d'une égalité de traitement et elles n'ont pas vocation à obtenir un congé supplémentaire, soit elles demeurent moins bien rémunérées et moins bien traitées que leurs collègues masculins, et ce n'est pas une demi-journée de repos qui va compenser quoi que ce soit. La Chambre sociale est certainement consciente du problème comme en témoigne son communiqué de presse à propos de cet arrêt. Il y est affirmé, sérieusement, que les manifestations  "de quelque forme qu’elles soient, le 8 mars, permettent de susciter une réflexion sur la situation spécifique des femmes au travail et sur les moyens de l’améliorer". Un lien est donc mis en avant "entre cette journée et les conditions de travail, légitimant cette mesure en faveur de l’égalité des chances". L'argument n'est guère convaincant, d'autant que l'on ne voit pas pourquoi les hommes n'iraient pas, eux aussi, participer aux manifestations du 8 mars en faveur de l'égalité des femmes. En offrant aux femmes une satisfaction symbolique, la Chambre sociale, une nouvelle fois sensible aux propos d'Emmanuel Macron, la Chambre sociale aurait-elle souhaité saupoudrer le principe d'égalité des femmes de "poudre de Perlimpinpin" ?

Sur les droits et libertés des salariés  : Chapitre 13 section 2  du manuel de libertés publiques sur internet

dimanche 9 juillet 2017

Loyalisme et nationalité, la CEDH dans le flou

L'arrêt Boudelal c. France rendu le 6 juillet 2017 la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) apporte un éclairage utile sur le droit à la nationalité et surtout sur ses limites. De manière très claire, la CEDH affirme en effet que les autorités françaises ont pu, sans violer la Convention européenne des droits de l'homme, subordonner la réintégration dans la nationalité à une condition de loyalisme.

Le refus de réintégration


Le requérant, Chérif Boudelal, est un ressortissant algérien né en 1945 et résidant en France depuis 1967. Il demande en 2009 se réintégration dans la nationalité française, qui lui est refusée. Le motif essentiel de ce refus réside dans le fait que le requérant entretenait "des liens forts avec un mouvement responsable d'actions violentes et prônant une pratique radicale de l'islam (le collectif "Paix comme Palestine") dont il était le vice-président et qui était le "relai local du comité de bienfaisance et de secours aux Palestiniens, proche de l'idéologie du Hamas (Frères musulmans palestiniens"). Ses recours successifs devant le tribunal administratif de Nantes puis devant la Cour administrative d'appel (CAA) de la même ville n'ont pas abouti. Dans son arrêt du 31 mai 2013, la CAA ajoute que Chérif Boudelal "est un militant convaincu de la cause palestinienne, dont il est un ardent apologiste, et un virulent détracteur de la politique israélienne (...)". Le requérant estime donc que la nationalité française lui a été refusée en raison de ses opinions, parce qu'il milite en faveur de la cause palestinienne. Il invoque donc une violation des articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l'homme qui protègent les libertés d'expression, de réunion et d'association.

A titre préliminaire, on doit observer que le requérant a épuisé les voies de recours internes avec l'arrêt de la CAA de Nantes. En effet, il n'a pas eu la possibilité de saisir le Conseil d'Etat d'un recours en cassation, L'aide juridictionnelle lui fut en effet refusée, au motif qu'aucun moyen sérieux de cassation ne pouvait être invoqué contre l'arrêt. Cette décision prise par le bureau d'aide juridictionnelle près le Conseil d'Etat fut ensuite confirmée par le président de la section du contentieux. Le seul recours restant ouvert à Chérif Boudelal était donc celui devant la CEDH.

Michel Polnareff. Lettre à France. 1977

Le devoir de loyalisme

 

Le droit français soumet la réintégration dans la nationalité aux mêmes conditions que la naturalisation (art. 24-1 du code civil). Elle est prononcée par décret et n'est soumise à aucune condition de stage. Le refus éventuel doit être motivé. Sur le fond, le décret du 30 décembre 1993 organise la procédure. Dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits, mais sur ce point rien n'a vraiment changé, son article 36 prévoyait que toute demande de réintégration faisait l'objet d'une enquête "portant sur le loyalisme du postulant", enquête effectuée par les services de police ou de gendarmerie.

Sur ce point, le refus opposé par les autorités à la demande de réintégration du requérant est parfaitement conforme à la jurisprudence interne. Le juge n'exerce d'ailleurs qu'un contrôle minimum, estimant que l'octroi de la nationalité est une décision de souveraineté qui relève du pouvoir discrétionnaire des autorités. La CAA de Nantes a ainsi estimé, dans plusieurs décisions dont un arrêt du 1er octobre 2009, que n'était pas entachée d'erreur manifeste le refus fondé sur l'appartenance du demandeur à "une mouvance favorable à un islam radical". Les liens conservés avec l'Etat d'origine peuvent également être invoqués, à la condition qu'ils soient incompatibles avec l'allégeance à la France. Tel est le cas lorsque la demandeuse est mariée à un consul du Maroc en France et qu'elle exerce au consulat des fonctions rémunérées.

La Cour européenne, quant à elle, estime, depuis son arrêt Petropavlosvskis c. Lettonie du 13 janvier 2015, que les Etats sont en droit d'exiger un certain loyalisme des postulants à la nationalité. A l'inverse, ce même devoir de loyalisme, ou plutôt son absence, peut justifier une déchéance. Au passage, on observe que la déchéance de nationalité pour défaut de loyalisme n'est pas contraire à la Convention européenne des droits de l'homme. En l'espèce, la Cour estime que Chérif Boudelal ne s'est pas vu opposer son engagement pro-palestinien mais que celui-ci était de nature à créer un doute sur sa loyauté envers les institutions françaises. L'analyse n'est pas dépourvue d'une certaine dose d'hypocrisie dès lors que ce sont tout de même les convictions du requérant qui sont en cause. C'est d'autant plus évident que l'intéressé n'a jamais été condamné pénalement pour des faits liés à son engagement politique ou associatif. Il est vrai que la Cour était incitée à une telle analyse par la requête elle même qui invoquait une violation des libertés d'expression, de réunion et de manifestation. Il n'est absolument pas démontré en effet que le défaut de nationalité française entrave, en quoi que ce soit, l'action militante de Chérif Boudelal.

Questions non résolues

 

De cette décision, on doit déduire que la CEDH refuse de pénétrer dans ce qui relève du coeur même de la souveraineté des Etats. Mais le problème essentiel de la définition du "loyalisme" n'est pas résolu. Selon la formulation même employé par la CAA de Nantes, le simple fait d'être "un militant convaincu de la cause palestinienne (..)  et un virulent détracteur de la politique israélienne" peut donc provoquer un doute sur le loyalisme de l'intéressé à l'égard de la France. Aucun juge n'est en mesure d'apprécier cette justification, la CAA parce qu'elle n'exerce qu'un contrôle minimum, la CEDH parce qu'elle laisse aux Etat une très grande autonomie sur ces questions. N'est-il donc pas possible de critiquer la politique israélienne sans être déloyal envers la France ? Rappelons que les Franco-Israéliens qui servent dans l'armée israélienne ne sont pas, quant à eux, considérés comme déloyaux. On le constate, la définition du loyalisme demeure dans le flou. Et sur ce point, la Cour européenne des droits de l'homme "imite de Conrart le silence prudent".


Sur le droit des étrangers  : Chapitre 5 section 2  du manuel de libertés publiques sur internet

jeudi 6 juillet 2017

GPA : la Cour de cassation ou le libéralisme contraint



La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a rendu, le 5 juillet 2017, quatre arrêts ouvrant la voie à une reconnaissance juridique des couples ayant eu recours à une gestation pour autrui (GPA). En effet, la Cour autorise désormais le membre du couple qui n'a pas de lien biologique avec l'enfant à procéder à une adoption simple. C'est un premier pas, mais certainement un grand pas pour la Cour de cassation qui a toujours témoigné de son rejet à l'égard de la GPA.

Celle-ci est et demeure formellement prohibée par le droit positif depuis la loi du 29 juillet 1994 qui énonce fermement que "toute convention portant sur (...) la gestation pour le compte d'autrui est nulle" (article 16 al. 7 du code civil). Bien qu'interdite, la GPA est cependant une technique courante et licite dans bon nombre d'Etats, situation qui incite des couples français à se rendre à l'étranger pour en bénéficier. Rappelons que la GPA a d'abord pour finalité de remédier à une forme de stérilité féminine liée à l'impossibilité de porter un enfant. Elle est aussi le seul recours des couples homosexuels masculins qui désirent fonder une famille. Bien entendu, cette technique peut s'articuler avec un don de gamètes lorsque le couple est à la fois dans l'impossibilité de concevoir et de porter un enfant. Les trois arrêts du 5 juillet 2017 ne concernent cependant que les GPA dans lesquelles l'un des parents d'intention est le père biologique de l'enfant.

Si l'on étudie précisément la GPA à partir de la situation du "couple d'intention", c'est-à-dire celui qui a recours à la GPA, on s'aperçoit que la situation du père ne pose pas de problème : il lui suffit de déclarer l'enfant à la naissance pour être son père légal. Il n'en est pas de même pour sa compagne ou son compagnon. En droit français, la mère d'un enfant est celle qui accouche, et la question posée est donc celle du statut juridique du parent qui n'est pas le parent biologique. Sur ce plan, les arrêts de la Cour de cassation répondent à deux situations bien distincte.

La transcription du nom de la mère d'intention


La première question est celle de la transcription à l'état civil français de l'acte de naissance d'un enfant né à l'étranger par GPA. Si la transcription du père ne pose pas problème, il n'en est pas de même pour la mère. Dans la décision n° 824, M. et Mme Y. demandent ainsi la transcription de l'acte de naissance de leurs jumeaux nés à Whittier en Californie. Or l'état civil californien mentionne le nom de la mère biologique et celui de la mère d'intention, la première déclarant renoncer à tout droit juridique sur l'enfant, au profit de la seconde. Le procureur de la République, puis la Cour d'appel avaient également refusé la transcription de l'état civil américain des enfants. 
 
La Cour de cassation leur donne raison, en s'appuyant sur deux motifs essentiels, également discutables.

Le premier réside dans l'article 47 du code civil qui autorise la transcription d'un acte d'état civil faits en pays étranger, sauf "si les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité". Or l'état civil californien fait figurer le nom de la mère biologique comme celui de la mère d'intention, la première déclarant renoncer à tout droit juridique sur l'enfant, au profit de la seconde. Pour la Cour de cassation, cet état civil "ne correspond pas à la réalité", et il ne peut donc être transcrit tel quel sur les registres français. 

L'analyse peut surprendre. Les mentions figurant dans l'état civil californien correspondent en effet doublement à la réalité. Sur le plan des conditions de la naissance des enfants tout d'abord, puisque l'état civil reconnaît la double intervention d'une mère biologique et d'une mère d'intention. Sur le plan du droit applicable ensuite, puisque l'état civil des jumeaux est conforme au droit applicable en Californie. Quoi qu'il en soit, pour la Cour de cassation, le fait de déclarer une mère d'intention ne correspond pas à la "réalité", puisqu'elle n'a pas accouché.

Heureusement, la Cour se montre un peu plus mesurée dans son appréciation de la conformité de cette décision extrêmement brutale à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantir le droit de mener une vie familiale normale. Elle fait observer en effet que rien n'interdit de transcrire un état civil mentionnant le nom du père, ce qui garantit à l'enfant un lien de filiation et la nationalité française. Elle précise également que l'adoption permet de créer un lien de filiation entre l'enfant et la mère d'intention.

Observons que ce libéralisme a quelque chose de contraint. Il est la conséquence directe des arrêts  Mennesson c. France et Labassee c. France du 26 juin 2014. La Cour européenne des droits de l'homme avait alors affirmé que l'intérêt supérieur de l'enfant, même né par GPA, exigeait qu'il ait un état civil français, comme la famille par laquelle il est élevé. Aux yeux de la CEDH, cet état civil est un élément de l'identité. La Cour de cassation a fini par se rallier à cette jurisprudence par un arrêt un 3 juillet 2015, mais les juges du fond ont bien souvent continué à faire de la résistance, suscitant une nouvelle condamnation de la France par la Cour européenne, dans l'arrêt Foulon et Bouvet c. France du 21 juillet 2016
L'acceptation de cet état civil français a finalement suscité la décision de permettre la délivrance à ces enfants d'un certificat de nationalité, avec la circulaire Taubira du 25 janvier 2013. Cette circulaire a vu sa légalité confirmée par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 12 décembre 2014 Association des juristes pour l'enfance. Contrairement à la CEDH, le Conseil d'Etat ne s'appuie pas sur l'intérêt supérieur de l'enfant mais sur son droit à la vie privée, c'est à dire concrètement le droit de l'enfant à avoir la nationalité de ses parents considéré comme un élément essentiel de sa vie familiale.

Au regard de l'ensemble de cette jurisprudence, il était donc bien difficile de ne pas considérer que le droit à la vie familiale de l'enfant impliquait aussi la création d'un lien de filiation avec sa mère d'intention.

L'adoption de l'enfant par l'époux du père


La seconde question résolue par les arrêts du 5 juillet 2017 est plus simple. Elle porte sur l'adoption de l'enfant né par GPA à l'étranger par l'époux du père. L'arrêt 826 évoque ainsi le refus pur et simple opposé à l'époux du père d'un enfant également né en Californie. Pour le tribunal de grande instance, puis la cour d'appel de Dijon, le refus d'adoption reposait simplement sur l'irrégularité de la GPA en droit français. On se trouvait alors dans l'application brutale de l'adage Fraus omnia corrumpit qui signifie que tous les actes qui s'analysent comme un effet d'une convention illégale sont eux-mêmes illégaux. L'enfant né par GPA se trouvait ainsi affligé d'une sorte de péché originel l'empêchant d'avoir ensuite un statut juridique, une filiation et une nationalité identiques à celle d'un enfant issu d'un papa et d'une maman plus conformes à la tradition.

Ce raisonnement était exactement celui de la Cour de cassation avant que l'intérêt supérieur de l'enfant lui soit rappelé par la jurisprudence Mennesson. Depuis la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe, le code civil énonce qu'un lien de filiation peut être établi entre un enfant et deux personnes de même sexe. La loi n'énonce, sur ce point, aucune restriction attachée à la technique de procréation. Dans deux arrêts du 3 juillet 2015, la Cour de cassation accorde la transcription sur les registres de l'état civil de la filiation paternelle d'enfants nés par GPA. Encore faut-il que la reconnaissance de paternité repose sur un réalité biologique, au sens de l'article 47 du code civil. 

Comparés à la jurisprudence de la Cour de cassation traditionnellement très hostile à la GPA, les quatre arrêts du 5 juillet 2017 semblent témoigner d'un libéralisme tout à fait nouveau. En revanche, ces décisions risquent de susciter bien des difficultés. C'est ainsi que le refus de l'adoption plénière a pour conséquence de maintenir un lien juridique avec la mère biologique, alors même qu'elle a formellement renoncé à ses droits. Quel est l'intérêt d'une telle mesure ? Ne risque-t-elle pas de provoquer des contentieux ? En matière d'adoption, la mère biologique a renoncé à ses droits, et personne ne s'offusque de l'adoption plénière.. Il ne fait aucun doute que cette différence de traitement risque d'être mise en cause. 
Calvin et Hobbes. Bill Watterson

Définition de la parentalité


Surtout, la question posée est celle de la définition de la parentalité. Il est acquis, depuis bien longtemps, que la filiation paternelle peut être acquise par possession d'état. Autrement dit, le père est celui qui se comporte comme tel, qui élève l'enfant, pourvoit à ses besoins et à son éducation, lui donne son nom.. Le lien biologique est alors écarté au profit d'une conception sociale de la paternité. Aujourd'hui la Cour de cassation nous affirme que le conjoint ou la conjointe du père biologique ne peuvent pas bénéficier d'une adoption plénière. Or ils sont à l'origine du désir d'enfant avec leur conjoint. Ils se sont engagés aussi à l'élever, à pourvoir à ses besoins, et, le cas échéant à lui donner leur nom... Un enfant ne peut donc avoir un second père sans lien biologique avec lui, et ne peut davantage avoir une mère qui n'accouche pas. Ceux-là n'ont pas droit à se voir reconnaître une possession d'état. Au contraire, ils sont renvoyés à leur seule existence biologique. Comment osent-ils réclamer, puisqu'ils n'ont pas accouché ? 

Sur la GPA : chapitre 7, section 2 § 3-B  du manuel de libertés publiques sur internet.


dimanche 2 juillet 2017

La CJUE et le Concordat

La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans un arrêt Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania contre Ayuntamiento de Getafe, aborde le principe de laïcité sous l'angle inhabituel du droit de la concurrence et pose des limites aux aides apportées par l'Etat aux établissements scolaires confessionnels. 

La CJUE était saisie d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation de l'article 107 § 1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) : "Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises (...)". 

En l'espèce, la congrégation des écoles pies de la province de Betania (Frères Piaristes) se plaint du refus de la municipalité de Getafe de lui rembourser une somme de 23 730 €  dont elle s'est acquittée au titre de l'impôt sur les constructions. Il faut savoir que l'Espagne est un pays concordataire, et que la place des congrégations y est régie par des conventions passées avec le Saint-Siège. L'une des quatre conventions du 3 janvier 1979, celle "relative à des sujets économiques", prévoit ainsi une exemption au profit de l'Eglise des impôts réels relatifs tant au revenu qu'au patrimoine. Sur le fondement de cette convention, les textes espagnols prévoient une exemption totale de l'impôt sur la construction pour tous les immeubles dont elle est propriétaire, quelle que soit leur affectation. Dans le cas présent, les Frères Piaristes se sont acquittés de cet impôt préalablement à l'obtention d'un permis de construire portant sur l'extension d'une salle de réunion de 450 places au sein de leur établissement d'enseignement. La municipalité refuse de rembourser car elle considère que cette construction est dépourvue de finalité religieuse. Pour pouvoir statuer, les juges espagnols demandent à la CJUE si l'exonération totale dont bénéficie l'Eglise espagnole, y compris pour des activités qui ne sont pas exclusivement religieuses, est conforme à l'article 107 CJUE. 

Exonération, sous bénéfice d'inventaire


Sur le fond, il n'est pas nécessaire que la CJUE s'intéresse à l'existence ou non d'un privilège fiscal qui serait accordé à l'Eglise en tant que telle. Si ce n'est pas l'institution, ce sont donc les activités qui doivent être étudiées de près, afin de vérifier si elles justifient, ou non, l'octroi d'une exonération fiscale. Encore faut-il que la situation spécifique des congrégations espagnoles puisse être considérée comme entrant dans le champ de l'article 107 § 1 du TFUE. La CJUE reprend donc différents critères permettant de définir l'aide d'Etat, critères mentionnés dans l'arrêt du 21 décembre 2016 Commission c. World Duty Free Group SA.

Il est en effet nécessaire que la congrégation des Frères Piaristes puisse être qualifiée d'"entreprise" au sens de l'article 107. Ce critère est facilement rempli, car la Cour considère traditionnellement, et en particulier dans sa décision du 10 janvier 2006 Cassa di Risparmio di Firenze e.a., que toute entité exerçant une activité économique peut être qualifiée d'entreprise. Dans un arrêt du 1er juillet 2008 MOTOE, elle a même considéré qu'une activité sans but lucratif peut être considérée comme exercée par une "entreprise", dès lors qu'elle se trouve en concurrence avec celle d'autres opérateurs, qui, eux, ont un but lucratif. En l'espèce, il n'est pas contesté que la nouvelle salle de conférence sera utilisée à des fins d'enseignement. Mais l'Ecole a différents types d'activités dans ce domaine. Elle assure d'abord l'enseignement obligatoire primaire et secondaire, entièrement intégré au système scolaire espagnol et financé par l'Etat. Il s'agit alors d'une mission d'enseignement, mission culturelle et éducationnelle et l'on peut penser que l'on est en présence d'une activité non économique. En même temps, les Frères Piaristes dispensent aussi des enseignements facultatifs de nature religieuse, formations payantes qui ne sont donc pas financés sur fonds publics. Ceux-là ont un caractère commercial et doivent donc être considérés comme une activité économique soumise au principe d'interdiction des aides d'Etat.

La CJUE, intervenant sur renvoi préjudiciel, n'est pas suffisamment informée des détails du dossier pour apprécier la pondération entre les différents types d'activités de la congrégation. Les conclusions de l'avocat général Kokott donnent cependant aux juges du fond une sorte de mode d'emploi, en précisant que ce n'est que dans le cas où l'enseignement commercial représenterait moins de 10 % de l'ensemble de l'activité, et serait donc tout à fait accessoire, on pourrait poser comme principe que l'ensemble des missions de la congrégation est de nature non-économique. Autrement dit, le remboursement de l'impôt devrait être calculé au prorata du pourcentage d'activité non-économique, sauf si les formations payantes détachées du service public de l'enseignement sont inférieures à 10 % de l'ensemble. 

Si les juges espagnols devaient considérer que l'activité économique est suffisamment substantielle, il ne fait aucun doute que l'exonération fiscale dont elle demande le bénéfice pourrait être considérée comme une aide, dès lors qu'elle conférerait un avantage économique à la congrégation. Ce seul avantage serait en effet susceptible de fausser la concurrence en empêchant d'autres entités économiques de pénétrer le marché. L'article 107 du TFUE serait alors pleinement applicable.

Don Carlo. Verdi. Le Grand Inquisiteur.
Paul Plishka et Jerome Hines, Met. 1980

Renégocier avec le Pape ?


La spécificité de la décision du 27 juin 2017 réside cependant dans le fait qu'elle concerne un Etat concordataire et que le principe de l'exemption d'impôt au profit de l'Eglise résulte d'un traité international de 1979.  En vertu de l'article 351 TFUE, les droits et obligations résultant de conventions de droit international public conclues entre un Etat membre et un Etat tiers ne sont pas affectées par le droit de l'Union. Aux yeux de l'avocat général Kokott, cette disposition donne seulement aux Etats la possibilité de respecter d'éventuelles obligations issues d'une convention contractée avant leur adhésion à l'UE, ce qui est le cas en l'espèce. L'article 351 § 2 TFUE imposerait cependant aux autorités espagnoles confrontées à une incompatibilité entre les deux traités de "recourir à tous les moyens appropriés" pour l'éliminer. Une dérogation au droit de l'Union ne peut donc être mise en oeuvre que si l'Etat ne dispose d'aucune marge de manoeuvre. Dans le cas contraire, il doit utiliser cette marge de manoeuvre pour agir conformément au droit de l'Union. En tout état de cause, cette appréciation relève des juges espagnols et pas de la CJUE qui n'est pas compétente pour apprécier la portée des obligations qui pèsent sur l'Espagne du fait de l'accord concordataire de 1979. 

Si les juges du fond décidaient que l'Accord de 1979 exige une exonération totale de l'Eglise, l'affaire serait loin d'être terminée.  Or l'Accord de 1979 prévoit un mécanisme de résolution des litiges qui permet une renégociation avec le Vatican. En cas d'échec, l'Espagne devrait même aller jusqu'à dénoncer l'Accord, si l'on en croit la jurisprudence de la Cour citée par l'avocat général (Par exemple : CJUE, 4 juillet 2000 Commission c. Portugal)

L'arrêt du 27 juin 2017 Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania contre Ayuntamiento de Getafe ignore donc le régime concordataire, dès lors que la CJUE n'est pas juge des relations entre l'Espagne et le Vatican. Reste évidemment à se demander si, dans l'hypothèse où les juges du fond refusent la mise en oeuvre de l'exemption fiscale, les autorités espagnoles accepteront de se plier à une telle renégociation. Seul l'avocat général évoque cette hypothèse, la CJUE préférant garder sur ce point un silence prudent. Quant aux autorités espagnoles, elles sont pour le moment abimées dans la prière et demandent à Dieu de faire en sorte que les activités commerciales des Frères Piaristes ne dépassent pas 10 % de l'ensemble de leurs missions. Mais chacun sait que les voies du Seigneur sont impénétrables.  

Sur les subventions aux cultes  : Chapitre 10 section 2 § 1 B du manuel de libertés publiques sur internet

mercredi 28 juin 2017

L'étrange avis du Comité d'éthique

L'avis publié par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) le 27 juin 2017 porte sur "les demandes sociétales de recours à l'assistance médicale à la procréation". Cette référence aux demandes "sociétales" pourrait surprendre mais le Comité veut ainsi montrer que sa réflexion n'est pas de nature médicale. 

Son objet est de réfléchir sur la réponse qu'il convient de donner aux différentes pressions sociales qui s'exercent en faveur de certaines techniques de procréation. Elles ont toujours existé dans en matière de procréation. On sait que la loi Neuwirth de 1967 est le produit d'une revendication en faveur de la contraception comme la loi Veil celui d'une demande très forte de libéralisation de l'IVG. Il en a été de même des revendications en faveur de l'insémination avec donneur (IAD) et de la fécondation in vitro avec réimplantation (Fivette). Dans tous les cas, on a souvent présenté ces techniques comme étant de nature médicale, alors qu'elles n'avaient pas pour objet de soigner une pathologie et de guérir un patient. Leur but était soit de permettre aux femmes de gérer leur propre fécondité en planifiant les naissances, soit d'offrir à un couple confronté à des des problèmes de fécondité la possibilité de donner naissance à un enfant. 

Aujourd'hui, le CCNE assume parfaitement cette distinction et affirme que son avis n'a pas pour objet de réfléchir sur des techniques médicales nouvelles, mais de répondre, positivement ou négativement, à une demande sociale en faveur de l'accès à l'assistance médicale à la procréation (AMP). Les réponses données sont très nuancées selon les demandes identifiées et le CCNE oscille entre libéralisme, statu quo, et rigueur.

Libéralisme : l'ouverture de l'IAD  aux homosexuelles


Libéralisme tout d'abord, et les médias retiennent surtout de l'avis du CCNE qu'il ouvre l'AMP aux femmes seules et aux homosexuelles, en couple ou seules. La demande sociale était très forte, en faveur d'un accès des femmes homosexuelles et des femmes seules à l'insémination avec donneur (IAD). Elle permet en effet de procréer avec les gamètes d'un donneur anonyme.

La lecture de l'avis montre que le Comité est parfaitement conscient du caractère sensible de cette demande, à un moment où des lobbies issus de La Manif pour Tous ou de Sens Commun s'efforcent d'empêcher l'accès des homosexuels à l'AMP.  Il reprend donc toutes les critiques d'ordre général adressées à l'assistance médicale à la procréation  : rupture avec les origines, risque de grandir sans père, coût du traitement et rareté des dons de gamètes, risque de marchandisation du corps humain etc.

Ces arguments sont tous écartés par le CCNE. Il fait  observer que les études portant sur les enfants élevés par des femmes seules, ou d'une manière générale par des familles mono-parentales ne permettent pas de déceler des effets négatifs pour les enfants. Au demeurant, le CCNE fait observer  qu'il n'est pas interdit à une femme seule de concevoir un enfant qu'elle entend élever seule. De même, s'il est vrai que les dons de gamètes sont insuffisants, les interdire aux couples d'homosexuelles ou aux femmes seules revient à favoriser la création d'un marché de la procréation qui se développerait en dehors de tout cadre juridique. Déjà 2000 à 3000 femmes seules se rendent à l'étranger chaque année pour bénéficier d'une IAD. In fine, le Comité s'appuie sur l'autonomie des femmes : la décision de concevoir  un enfant seule ou au sein d'un couple homosexuel est un projet réfléchi, programmé, concerté. Dès lors, la loi doit tenir compte de la diversification des formes de vie de famille et éviter de stigmatiser les couples homosexuels en leur refusant l'accès à l'AMP.

Certes, mais ce libéralisme du CCNE ne porte que sur l'insémination avec donneur (IAD) et non pas sur l'assistance médicale à la procréation en général, contrairement à ce qui est affirmé dans la presse. Or l'IAD n'est qu'une technique parmi d'autres, technique déjà ancienne et très facile à mettre en oeuvre. C'est si vrai que, jusqu'à présent, les femmes seules ou les couples d'homosexuelles se rendaient tout simplement dans un pays proche, par exemple la Belgique, pour obtenir une IAD. Elles rentraient ensuite tranquillement en France pour faire suivre leur grossesse et accoucher dans les conditions du droit commun. D'une certaine manière, le CCNE valide ce qui existe déjà depuis bien longtemps.

Ce libéralisme disparaît cependant si l'on considère les deux autres techniques d'AMP étudiées dans l'avis.

Voutch, les joies du monde moderne, 2015

 

Statu quo : l'autoconservation des ovocytes


L'autoconservation des ovocytes est demandée par des femmes jeunes qui souhaitent repousser une grossesse. Il s'agit très concrètement de prévenir d'éventuels problèmes de fertilité qui, selon l'état des connaissances médicales, sont susceptibles d'apparaître après l'âge de trente-cinq ans. Pour le moment, la conservation des gamètes n'est licite que dans deux cas. D'une part, et cela concerne aussi bien les hommes que les femmes, elle est autorisée depuis la loi du 6 août 2004 au profit des personnes qui suivent un traitement médical susceptible d'altérer leur fécondité. D'autre part, la loi du 7 juillet 2011 offre aux donneurs de sperme et aux donneuses d'ovocytes qui n'ont pas encore procréé la possibilité de recueil et de conservation de leurs gamètes, pour qu'ils puissent ultérieurement les utiliser s'ils rencontrent, plus tard, des difficultés à procréer. 

Convient-il d'offrir cette autoconservation des ovocytes "de précaution" à toutes les femmes qui la souhaitent ? Le CCNE estime qu'une telle généralisation est "difficile à défendre". 

La première réserve formulée par le CCNE est d'ordre psychologique. Aux yeux du Comité, proposition l'autoconservation à toutes les femmes jeunes pourrait leur faire croire qu'elles souscrivent une sorte d'assurance leur garantissant de pouvoir mener à bien une grossesse, plus tard. Le problème est que précisément cette assurance n'existe pas. D'abord, parce qu'elles auront aussi besoin de gamètes masculins lorsqu'elles solliciteront une Fivete, technique qui suppose l'existence d'un couple demandeur et non pas d'une femme seule. Ensuite, parce que le succès n'est pas garanti. Les statistiques montrent qu'en l'état actuel de ces techniques, seulement 60 à 70 % des couples qui y recourent parviennent à mettre un enfant au monde. Aux yeux du CCNE, l'autoconservation est donc trompeuse car elle laisse croire qu'il sera facile de réutiliser ces ovocytes.

La second réserve réside précisément dans la pression sociale qui risque de s'exercer sur les jeunes femmes, pression sociale à double tranchant. D'une part, à un âge où elles sont plus préoccupées par leurs études et leur premier emploi, l'autoconservation de leurs ovocytes risque de présenter la maternité comme une fin en soi, sorte de nécessité sociale sans lien avec un désir d'enfant qui ne s'est pas encore manifesté. D'autre part, et c'est un risque plus grand, les entreprises risquent de faire pression sur les jeunes femmes pour qu'elles recourent à l'autoconservation de leurs ovocytes. Celles qui s'y refuseraient risqueraient ainsi d'être écartées des postes les plus élevés. En 2014, NBC annonçait ainsi que Facebook et Apple envisageaient de subventionner la congélation des ovocytes de leurs employées dans le but affiché qu'elles "n'aient plus à choisir entre la carrière et les enfants". En réalité, le choix appartenait surtout à l'entreprise qui pouvait ainsi effectuer une pression sur ses salariées et limiter les congés-maternité.

A ces considérations psychologiques et sociales s'en ajoutent d'autres, financières. L'autoconservation implique un traitement contraignant et pénible pour celles qui s'y soumettent. C'est aussi un traitement onéreux. Le CCNE pose alors la question de sa prise en charge et se déclare opposé à ce qu'il soit financé par la solidarité nationale. En effet, l'autoconservation se situe hors de tout contexte de don ou de pathologie. Alors que la maîtrise des dépenses de santé est de plus en plus une nécessité, il ne fait guère de doute que cet élément a été déterminant dans l'avis du CCNE.  

Observons cependant que, sur ce point, le CCNE se démarque de la position de l'Académie de médecine, formulée le 19 juin 2017, c'est à dire une semaine avant son propre avis. Elle s'était déclarée favorable à l'autoconservation des ovocytes. Derrière les motifs liés aux droits des femmes peut-être peut-on cependant entrevoir une autre préoccupation. La généralisation de cette technique n'empêcherait pas, en effet, celles qui y ont eu recours de concevoir un enfant "à l'ancienne", sans avoir besoin d'une fivete. De nombreux ovocytes seraient alors inutilisés, mais potentiellement réutilisables à titre de don au profit de couples stériles. L'autoconservation aurait donc pour avantage de permettre la création d'une sorte de gisement d'ovocytes.

Rigueur : La GPA


La plus grande rigueur du CCNE s'exerce à l'égard de la gestation pour autruit (GPA). Dans son avis n° 110 du 1er avril 2010, il avait déjà refusé son introduction dans le droit français. On parlait alors  de l'ouverture de la GPA aux couples hétérosexuels, dont la femme est victime d'une infertilité liée à l'impossibilité de porter un enfant. A l'époque, le Comité avait estimé que la GPA portait atteinte à l'intégrité des mères porteuses, et que le désir d'enfant ne saurait emporter la consécration d'un véritable "droit à l'enfant". Il avait également insisté la marchandisation du corps humain entrainée par cette pratique.

Sept ans plus tard, le CCNE estime opportun de s'interroger une nouvelle fois sur la demande sociale en faveur de la GPA. Il parvient à une conclusion identique, en mettant cette fois l'accent sur le caractère inégalitaire du contrat de gestation pour autrui, notamment lorsque la gestatrice est recrutée dans un pays particulièrement pauvre, ce qui est souvent le cas. 

Le CCNE cherche donc des moyens pour lutter contre le "tourisme procréatif" qui consiste à aller chercher une mère porteuse dans un pays dont le système juridique accepte la GPA. Certes, il recommande "l'élaboration d'une convention internationale pour l'interdiction de la GPA", posture juridique dont il n'ignore pas qu'elle sera sans effet. On ne voit pas pourquoi les pays qui acceptent actuellement la GPA accepteraient brutalement d'y renoncer... En revanche, le CCNE se montre très sévère sur les conséquences d'une GPA pratiquée à l'étranger. Il suggère de refuser l'adoption plénière à la mère d'intention, c'est-à-dire à l'épouse du père biologique. Il préfère une simple délégation de l'autorité parentale qui ne rompt pas le lien avec la gestatrice. Cette solution est également celle envisagée par la mission d'information du Sénat en février 2016. En cas de doute sur la filiation biologique d'un enfant né à l'étranger, le CCNE propose de faire un test avant de décider de la transcription de son état civil sur les registres français. 

Sur le seul plan de la GPA, le Comité d'éthique se montre donc d'une rigueur particulière. On peut d'ailleurs s'interroger sur la conformité de ces recommandations à la jurisprudence Mennesson issue d'un arrêt de la CEDH rendu le 26 juin 2014. La Cour estimait alors que l'intérêt supérieur de l'enfant exigeait que les jumelles des requérants, nées au Texas, disposent d'un état-civil français, élément de leur identité au sein de la société de notre pays. Après bien des difficultés, la Cour de cassation s'était ralliée à cette position dans une décision du 3 juillet 2015. La circulaire Taubira du 25 janvier 2013 avait, sur les mêmes motifs, autorisé la délivrance d'un certificat de nationalité française à ces enfants. La situation s'était donc peu à peu normalisée. Si la GPA demeurait interdite dans notre pays, les enfants nés à l'étranger d'une mère porteuse n'étaient plus victimes d'un ostracisme juridique lié aux conditions de leur naissance. Le Comité d'éthique souhaite-t-il déterrer la hache de guerre ? On peut au moins se poser la question et on se la pose avec d'autant plus d'acuité qu'il est un peu surprenant de constater que les seuls professeurs de droit entendus par le Comité sont bien connus pour leur hostilité envers la GPA. Ils ont parfaitement le droit de faire connaître leur position, mais le CCNE pourrait peut-être, de son côté, mettre en oeuvre le principe du contradictoire.

La lecture de l'avis donne finalement une impression contrastée. Libéralisme pour l'IAD, statu quo pour l'autoconservation des ovocytes, et attaque contre la GPA pratiquée à l'étranger. Ce traitement différencié semble semble pour le moins surprenant, d'autant que l'objet de l'avis était d'étudier la demande sociétale. Or rien n'est proposé pour répondre à la demande des couples infertiles qui ne peuvent pas porter un enfant. La lecture de l'avis va certainement susciter un sentiment d'injustice ou, à tout le moins, d'atteinte à l'égalité devant la loi. Si l'on a un problème d'ovocytes, on peut le résoudre. Si l'on a un problème d'utérus, on ne peut rien faire. Il en est de même des couples homosexuels. Le CCNE reconnait que les femmes homosexuelles ont le droit de "faire famille" comme elles l'entendent, le droit d'engendrer un enfant par IAD, individuellement ou en couple. En revanche, les hommes homosexuels, qui auraient besoin d'une GPA, n'ont droit à rien si ce n'est à toute une série d'ennuis s'ils vont chercher une mère porteuse à l'étranger. L'analyse de la "demande sociétale" fonctionne décidément comme un couperet.

Sur la GPA : chapitre 7, section 2 § 3-B  du manuel de libertés publiques sur internet.





dimanche 25 juin 2017

Le FNAEG, le parapluie et le dialogue des juges

L'arrêt Aycaguer c. France rendu par le Cour européenne des droits de l'homme le 22 juin 2017 offre un bel exemple de "dialogue des juges". Cette formule est aujourd'hui largement répandue pour désigner les relations, que l'on espère harmonieuses, entre les juridictions de droit interne et les juges européens de Strasbourg et de Luxembourg. Elle a pour auteur Bruno Genevois, dans ses conclusions sur l'arrêt Cohn-Bendit rendu par l'Assemblée du Conseil d'Etat le 6 décembre 1978. Il affirmait à l'époque qu'il ne devait y avoir place "ni pour le gouvernement des juges, ni pour la guerre des juges, mais pour le dialogue des juges". 

L'arrêt Aycaguer illustre parfaitement ce dialogue. La CEDH ne ne se borne pas, en effet, à sanctionner une atteinte à la vie privée que constitue la condamnation d'une personne ayant refusé de se plier à un prélèvement ADN, en vue de son inscription dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Elle sanctionne aussi une négligence fautive des pouvoirs publics qui ont refusé de se plier aux réserves exprimées par le Conseil constitutionnel sur les conditions de fonctionnement de ce fichier. 

Un coup de parapluie 


Le requérant, Jean-Michel Aycaguer, a participé en janvier 2008, à un rassemblement organisé par un syndicat agricole basque pour donner un avis sur un projet de remembrement. A l'issue de la réunion, une bousculade a opposé manifestants et gendarmes. Après une garde à vue, le requérant a été condamné, en comparution immédiate, à deux mois d'emprisonnement avec sursis pour avoir commis des violences sur des militaires de la Gendarmerie avec usage ou menace d'une arme, en l'espèce un parapluie. Il ne fait pas appel de sa condamnation. Plus tard, en décembre 2008, il est convoqué par les services de police pour un prélèvement d'ADN sur le fondement des articles 706-55 et 706-56 du code de procédure pénale. Il s'agit concrètement de permettre son identification génétique en faisant figurer son profil ADN dans le FNAEG. Le requérant s'y refuse obstinément est finalement condamné à une amende de 500 € pour avoir refusé de se plier à cette injonction. C'est cette seconde condamnation, et non pas la première, qui est contestée devant la CEDH, après que le requérant ait épuisé les voies de recours internes. Il estime qu'un tel fichage constitue en effet une atteinte au droit au respect de la vie privée, garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.


Chapeau melon et bottes de cuir (The Avengers), saison 6. 1968

Une atteinte à l'article 8

 

La CEDH rappelle que "le simple fait de mémoriser des données relatives à la vie privée d'un individu constitue une ingérence dans la vie privée", principe déjà consacré dans son arrêt Leander c. Suède du 26 mars 1987. Cela ne signifie pas que le FNAEG emporte, en soi, une violation de l'article 8. Une ingérence dans la vie privée peut, en effet, être licite, à la condition qu'elle soit prévue par la loi, qu'elle poursuive un but légitime et qu'elle soit nécessaire dans une société démocratique, c'est à dire proportionnée à ce but. 

La Cour reprend chacun de ces éléments. La nature législative du fichage dans le FNAEG n'est pas contestée, puisque ce dispositif figure dans le code de procédure pénale. Son but légitime ne l'est pas davantage, car il s'agit de détecter et de prévenir, des infractions pénales. Reste la question de la nécessité du fichage et, sur ce point, la Cour se prononce au cas par cas, selon différents critères énumérés dans l'arrêt. 

Le premier d'entre eux réside dans les garanties apportées contre les usages non conformes à la finalité du fichier. En l'espèce, le FNAEG ne prête pas à critique et la CEDH observe que ses modalités sont convenablement encadrées. 

Les données stockées sont ensuite examinées, et la Cour note que les infractions justifiant un fichage génétique sont limitativement énumérées par le code de procédure pénale. Sur ce point, il est attesté que le requérant a donné "de simples coups de parapluie en direction de gendarmes qui n'ont même pas pu être identifiés" et qui n'ont eu aucune séquelle physique. L'infraction commise n'a rien à voir avec la liste de l'article 706-55 du code de procédure pénale qui prévoit l'inscription au FNAEG pour des infractions sexuelles, ou des actes liés au terrorisme, à la grande criminalité, voire aux crimes contre l'humanité. La CEDH n'hésite pas à affirmer la licéité d'un fichage des grands criminels. Dans un arrêt Gardel c. France du 17 décembre 2009, elle estime ainsi que l'inscription du requérant, condamné à quinze ans de réclusion pour viol sur mineure, sur le Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelle (FIJAIS) n'emporte pas une atteinte excessive à sa privée. Dans le cas du donneur de coups de parapluie, l'appréciation est évidemment différente. C'est d'autant plus vrai que ce dernier ne peut faire de demande d'effacement des données, procédure réservée aux personnes soupçonnées et interdite à celles qui ont été condamnées. Sur ce point, la Cour rappelle qu'elle estime que ces dernières devraient également pouvoir bénéficier d'une possibilité concrète d'obtenir un tel effacement (CEDH, 17 décembre 2009, B.B. c. France). Depuis 2009, rien n'a été entrepris pour mettre en oeuvre ce droit.

La durée de la conservation est le dernier élément examiné par la Cour, et celui qui fâche le plus. En effet, l'article R 53-14 du code de procédure pénale précise que la durée de conservation des profils ADN ne peut dépasser quarante ans pour les personnes condamnées aux infractions extrêmement graves mentionnées à l'article 706-55. Or il s'agit d'une période maximum qui aurait dû être aménagée par décret. Ce texte n'est jamais intervenu et la durée de quarante ans est devenue une norme générale, assimilée en réalité à une conservation indéfinie. 

La réserve du Conseil constitutionnel et le dialogue des juges


La Cour européenne pourrait s'arrêter à l'énoncé de ces motifs et déclarer que le fichage ADN de M. Aycaguer emporte une atteinte excessive à se vie privée. Elle va plus loin cependant en mentionnant expressément la décision Jean-Victor C. rendue sur QPC par le Conseil constitutionnel le 16 septembre 2010. Il y déclare que le FNAEG est conforme à la Constitution, mais formule une réserve d'interprétation. Cette conformité n'est en effet acquise qu'à la condition de "proportionner la durée de conservation de ces données personnelles (...) à la nature ou à la gravité des infractions concernées". La CEDH observe que cette réserve "n'a pas reçu de suite appropriée". Aucun décret n'est en effet intervenu pour moduler la durée de la conservation en fonction de la gravité des infractions. 

La CEDH sanctionne ainsi le non-respect par les autorités françaises d'une réserve d"interprétation formulée par le Conseil constitutionnel. Les plus souverainistes des commentateurs vont certainement y voir une intolérable intrusion du juge européen dans le droit interne. En réalité, la Cour se borne à tirer les leçons du maintien d'une situation irrégulière, car c'est la fragilité du droit interne qui entraîne la sanction européenne. Dès lors qu'une réserve formulée par la Conseil constitutionnel est dépourvue de l'autorité de chose jugée, le juge européen n'est-il pas le seul à pouvoir en imposer le respect ?

Sur le FNAEG : chapitre 7, section 2 § 2-B  du manuel de libertés publiques sur internet.