La décision du 16 mars 2017 ne saurait cependant être analysée comme une victoire des partisans de l'IVG. D'abord, parce que ce n'est pas l'intervention elle-même qui était menacée par ce délit, mais la communication sur l'IVG. Ensuite, parce qu'il faut bien reconnaître que l'infraction sort quelque peu éprouvée du contrôle de constitutionnalité. En effet, le Conseil constitutionnel formule des réserves d'interprétation qui encadrent strictement ce délit.
Le texte soumis au Conseil constitutionnel trouve son origine dans une proposition portée par Bruno Le Roux et plusieurs de ses collègues du groupe socialiste de l'Assemblée nationale. La loi ne comporte qu'un seul article dont l'objet est à la fois d'élargir et de "moderniser" le délit d'entrave à l'IVG. Cette infraction est apparue avec la loi du 27 janvier 1993, à une époque où l'IVG suscitait des actions violentes destinées à empêcher sa mise en oeuvre. Certains militants s'enchaînaient aux tables d'opérations, d'autres cherchaient à faire pression sur les femmes et sur les médecins par différents procédés d'intimidation. Il s'agissait donc d'une entrave physique à l'IVG et la loi punissait désormais de deux ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende, le fait de perturber " de quelque manière que ce soit l'accès aux établissements (...) , la libre circulation des personnes à l'intérieur de ces établissements ou les conditions de travail des personnels médicaux et non médicaux".
De l'entrave physique à l'intimidation sur internet
Aujourd'hui, ces procédés d'intimidation prennent une autre forme, à une époque où internet est souvent la source d'information privilégiée des femmes qui veulent recourir à l'IVG. On a vu ainsi se multiplier les sites de désinformation et de propagande hostile à l'IVG, souvent cachés sous l'apparence de sites plus ou moins rattachés au service public hospitalier. C'est ainsi qu'IVG.net se présente comme un site d'"écoute", d'"accompagnement", de "conseils spécialisés" et d'"informations complètes". Derrière ces préoccupations altruistes apparaît pourtant une démarche visant à dissuader les femmes de recourir à l'IVG. C'est ainsi que la page "Témoignages" ne comporte que deux types de points de vue : soit la femme a pris brutalement conscience des bienfaits de la maternité et renoncé à son projet, soit elle a procédé à l'IVG et le regrette amèrement car elle a de graves séquelles physiques ou psychologiques...
Pour essayer d'empêcher cette utilisation partisane d'internet, la loi du 4 août 2014 sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes a étendu le délit d'entrave à l'IVG au fait de perturber l'accès des femmes à l'information sur l'intervention. Aujourd'hui, le législateur vote donc un nouvel élargissement visant spécifiquement les sites de désinformation sur internet. L'article L 2223-2 du code de la santé publique est désormais augmenté d'un nouvel alinéa qui punit de la même peine le fait d'exercer "des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d'intimidation à l'encontre (...) par tout moyen de communication au public, y compris en diffusant ou en transmettant, par voie électronique ou en ligne, des allégations ou indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d'une interruption volontaire de grossesse". Ce sont ces dispositions qui sont soumises au Conseil constitutionnel.
Le moyen fondé sur l'atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi est rapidement rejeté par le Conseil constitutionnel qui estime ces dispositions suffisamment précises pour qu'il soit rejeté.
La liberté d'expression
Par leur second moyen, le plus intéressant, les parlementaires auteurs de la saisine invoquent une violation de la liberté d'expression et de communication, dont le fondement réside dans l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Sa valeur constitutionnelle a été affirmée dans la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 11 octobre 1984 mais cela ne signifie pas qu'elle ait un caractère absolu. Dans sa décision QPC du 28 mai 2010, le Conseil rappelle en effet que le législateur peut décider de porter atteinte à l'exercice de la liberté d'expression dès lors que cette atteinte est nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi.
En l'espèce, le Conseil constitutionnel affirme très clairement que l'IVG relève de "la liberté de la femme" qui découle de l'article 2 de la Déclaration de 1789. Il ajoute que les dispositions qui répriment les manifestations perturbant l'accès aux établissements pratiquant l'IVG ou les actes d'intimidation commis à l'encontre des médecins ou des femmes ne sont pas disproportionnées à l'objectif poursuivi.
Dans le cas des pressions morales et psychologiques, menaces et actes d'intimidation exercés au moyen de sites de communication en ligne, le Conseil constitutionnel se montre plus circonspect. Il admet le caractère proportionné de ce délit nouveau, mais énonce deux réserves aux conséquences particulièrement importantes pour sa mise en oeuvre.
Les réserves
Le Conseil affirme d'abord que "la seule diffusion d'informations à destination d'un public indéterminé sur tout support, notamment sur un site de communication au public en ligne, ne saurait être regardée comme constitutive de pressions, menaces ou actes d'intimidation au sens des dispositions contestées, sauf à méconnaître la liberté d'expression et de communication". De manière très claire, le Conseil constitutionnel affirme ainsi que les sites de propagande anti-IVG ne sont pas interdits. Il rappelle ainsi que la liberté d'expression protège toutes les opinions, y compris celles qui n'ont pas la faveur de la majorité de la population, surtout celles là puisque, par hypothèse, elles ont davantage besoin d'être protégées. Le délit ne sera constitué que lorsque les gestionnaires de ces sites entreprendront des actions concrètes destinées à empêcher ou dissuader une femme de s'informer sur l'IVG ou d'y recourir. Le site pourra donc expliquer Urbi et Orbi pourquoi l'IVG n'est pas conforme à la volonté de Dieu mais ses gestionnaires ne pourront user d'une pratique bien connue qui consiste à harceler l'intéressée de courriels ou de SMS en lui demandant de repousser l'intervention, jusqu'à ce que le délai légal ait expiré.
Reste à savoir si cette infraction demeurera dans le droit positif. François Fillon a en effet annoncé, dans une interview à Famille Chrétienne, sa volonté, s'il est élu Président de la République, de supprimer le délit d'entrave à l'IVG, qu'il s'agisse de l'entrave physique ou des pressions exercées sur internet. Un bon moyen de revêtir le costume de protecteur de la famille.