Pages
« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
jeudi 8 septembre 2016
Les invités de LLC : Vida Azimi : Parole de Persane : ça commence toujours avec le « dérisoire »…
mardi 6 septembre 2016
Dire que le Premier ministre fume la moquette relève de la liberté d'expression
Réputation et vie privée
Rappelons qu'aux termes de l'article 10, une ingérence dans la liberté d'expression peut être licite si elle est prévue par la loi, si elle poursuit un but légitime et si elle se révèle nécessaire dans une société démocratique. En l'espèce, nul ne conteste, pas même les juges portugais, que l'article contesté contient une ingérence dans la vie privée de l'ancien Premier ministre. Il n'est pas davantage contesté que cette ingérence est prévue par la loi, le code civil portugais autorisant l'action en responsabilité en cas d'atteinte à l'honneur et à la considération d'une personne. Dans une jurisprudence constante, et récemment dans son arrêt Almeida Leitao Bento Fernandes c. Portugal du 12 mars 2015, la Cour affirme en effet que la protection de la réputation constitue un élément de la vie privée et qu'elle constitue donc un but légitime autorisant une restriction à la liberté d'expression.
Le débat d'intérêt général
Sa motivation aurait pu se limiter au rappel de la notion de "débat d'intérêt général" qui permet de justifier les intrusions de la presse dans la vie privée des personnes. Dans deux arrêts du 14 janvier 2014, Ojala et Etukeno Oy c. Finlande et Ruusunen c. Finlande, la Cour considère que les juges finlandais n'avaient pas à prononcer la saisie d'un livre écrit par une femme qui racontait sa liaison avec le Premier ministre. Ils pouvaient se borner à interdire les passages portant sur la vie sexuelle ou intime du couple. Pour la Cour, l'histoire de cette liaison contribuait donc à un débat d'intérêt général. Dans l'arrêt Medipress-Sociedade Jornalistica LDA, la Cour aurait pu simplement affirmer que le journaliste participait à un débat d'intérêt général en contestant, même en termes un peu vifs, le projet développé par le Premier ministre de modifier le droit de la presse. Le fait de l'accuser "d’un délire provoqué par la consommation de drogues dures" serait alors considéré comme une figure de style donnant à l'article un ton pamphlétaire qui n'est pas illicite.
Exagération et provocation
La décision Brasilier c. France du 11 avril 2006 offre un exemple réjouissant de ce raisonnement. Le requérant est un candidat malheureux aux élections législatives de 1997, très malheureux même car, dans la circonscription du 5è arrondissement de Paris où il était opposé à Jean Tiberi, il s'est aperçu qu'aucun des 60 000 bulletins à son nom n'avait été déposé dans les bureaux de vote. Il organise donc une manifestation où il brandit une banderole portant l'inscription : "Tiberi, tu nous casses les urnes". L'intéressé porte plainte pour diffamation, mais M. Brasilier est relaxé sur la plan pénal et condamné à verser 1 euro symbolique à Jean Tiberi sur le plan civil. La Cour européenne estime pourtant que cet euro est de trop, car un adversaire politique doit avoir la possibilité de discuter la régularité d'une élection et que, dans ce cas, "la vivacité des propos est plus tolérable qu'en d'autres circonstances".
Information factuelle ou jugement de valeur
Pour le requérant, il s'agit d'une affirmation factuelle mettant en cause sa probité et reprenant d'ailleurs des rumeurs malveillantes. C'est sensiblement la position adoptée par les juges portugais. Pour le journal, il s'agit d'un jugement de valeur qui s'inscrit dans un article dont la tonalité générale est extrêmement critique.
La Cour européenne adopte cette seconde thèse. Dans l'affaire Brasilier, elle avait estimé que le "Tiberi, tu nous casses les urnes" relevait à l'évidence du jugement de valeur, faisant toutefois observer qu'il avait une origine factuelle, le Conseil constitutionnel ayant annulé l'élection de l'intéressé pour fraude électorale. En l'espèce, la situation est plus délicate car la consommation de drogues dures imputée au ministre ne repose sur aucune base factuelle. La Cour préfère donc insister sur le caractère ironique de ce propos que les juges portugais ont refusé de voir, les prenant au pied de la lettre. Elle en avait fait de même dans un arrêt du 6 novembre 2007 Lepovic c. Serbie, à propos d'un élu local, accusé d'avoir dépensé l'argent de manière "presque insensée", formule qui, aux yeux de la Cour, ne mettait pas en cause sa santé mentale, mais traitait, ironiquement, de son honnêteté.
A l'issue du raisonnement de la Cour, on retrouve donc ce fameux débat d'intérêt général qui permet de faire prévaloir la liberté de presse, débat d'intérêt général qui peut être développé sur le ton satirique. La solution d'espèce est évidemment satisfaisante mais elle n'interdit pas de se poser des questions sur l'avenir de cette jurisprudence. Elle repose sur des faits, et sur l'appréciation que fait la Cour du caractère ironique ou non de l'article. Le sens de l'humour est-il identique à Lisbonne, à Belgrade et à Strasbourg ? On attend avec impatience les suites de cette jurisprudence pour le savoir et pour rire un peu.
vendredi 2 septembre 2016
Autorité des marchés financiers : L'apparence de l'impartialité
Dans un arrêt X. et Y. du 1er septembre 2016, la Cour européenne des droits de l'homme déclare que la procédure de sanction mise en oeuvre par l'Autorité des marchés financiers (AMF) ne porte atteinte à aucun de ces principes.
La prévisibilité de la loi
Ecartons rapidement le moyen invoquant un manquement à l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit le principe de légalité des délits et des peines. En l'espèce, les requérants ne contestent pas l'existence, l'accessibilité et prévisibilité des obligations professionnelles qui s'imposent à eux, mais ils soutiennent que le non-respect de ces obligations n'étaient pas constitutives d'un manquement sanctionné par l'AMF. A leurs yeux, il devait seulement donner lieu à des opérations techniques et non pas à des sanctions. Disons-le clairement : les malheureux banquiers ne connaissaient pas les règles gouvernant une augmentation de capital.
L'impartialité
BNP. Votre argent m'intéresse. Publicité. 1973 |
Impartialité subjective
Impartialité objective
Cette appréciation formelle de l'impartialité ne surprend guère. La Cour avait déjà conclu à l'impartialité de la Commission des sanctions de l'AMF dans son arrêt Messier c. France du 23 juin 2011. Cette jurisprudence témoigne d'une grande tolérance de la Cour à l'égard des autorités administratives indépendance, tolérance égale à celle dont elle fait preuve à l'égard du Conseil d'Etat. Rappelons en effet qu'avec deux arrêts, l'un du 15 juillet 2009 Yvonne Etienne c. France, l'autre du 4 juin 2014 Marc Antoine c. France, la Cour a admis la conformité de la procédure contentieuse mise en oeuvre devant le Conseil d'Etat à la Convention. Cette jurisprudence semble bien généreuse, si l'on considère que l'institution du rapporteur public mise en oeuvre avec le décret du 7 janvier 2009 ne modifie pas de manière substantielle une procédure qui avait été sanctionnée par la jurisprudence Kress c. France de 2001.
Le pouvoir de sanction des autorités administratives indépendantes est évidemment conforté par l'arrêt X. et Y. c. France. Mais le principe d'impartialité, quant à lui, en sort un peu malmené. On aurait nettement préféré que la Cour apprécie l'ensemble du dossier et pas seulement le contenu des textes en vigueur. Nul n'ignore que les relations entre les fonctions de régulation et de sanction ne sont pas toujours aussi cloisonnées que les textes l'affirment. Or l'impartialité n'est pas seulement une question d'apparence formelle. C'est aussi une question bien réelle qui exige que les requérants ou les personnes sanctionnées puissent avoir confiance dans les juges.
mardi 30 août 2016
Les droits des femmes, parlons-en
L'égalité des sexes
Du rôle passif au rôle actif du législateur
Les droits sociaux
Affirmative Action et non discrimination
La recherche de l'équilibre
samedi 27 août 2016
Les Invités de LLC : Serge Sur : Une ordonnance qui ne règle rien
Une version plus courte de cet article a été publiée dans Le Monde, daté du 27 août 2016.
Economie de moyens
De ce débat, de l’argumentation du maire et de celle du TA, le Conseil d’Etat ne retient rien. Balayée la laïcité, oubliée la discrimination, foin des droits des femmes. Il trace rapidement son chemin vers la suspension, par une série d’affirmations relevant de l’imperatoria brevitas qui lui est chère. L’ordonnance n’est certes qu’une mesure provisoire, sans autorité de chose jugée, mais en réalité il s’agit bien d’un jugement sur lequel le Conseil ne reviendra sans doute pas en raison de la force des termes qu’il utilise. Une justice rapide, mais un jugement accéléré, mais un jugement expéditif. Il repose en effet sur son interprétation de l’ordre public. Le Conseil déclare qu’il n’est pas troublé par le Burkini. Or cette appréciation est à la fois subjective et à géométrie variable dans sa jurisprudence.
Décision d'espèce
Le Conseil se réfère à une conception étroite de l’ordre public, celle de l’absence de violences ou de manifestations hostiles sur les plages. C’est très bien, mais le Conseil d’Etat n’a pas toujours eu cette conception restrictive. L’ordre public est avec lui une sorte de Fregoli du droit administratif. Dans d’autres affaires, il a incorporé à l’ordre public un principe de dignité, qui lui a permis par exemple de condamner le« lancer de nains » ou d’interdire un spectacle de Dieudonné alors qu’aucune manifestation hostile ne le visait. Dans l’affirmation du jour, le Conseil se comporte en juge du fait et substitue son appréciation à celle du maire, comme un supérieur hiérarchique. Ce faisant, il ne rend qu’une décision d’espèce, ce qui est au demeurant la nature du référé, puisque dans d’autres circonstances l’ordre public pourrait justifier l’interdiction du Burkini. Il est donc inexact de dire que cette ordonnance du 26 août « fait jurisprudence » ou tranche la question.
Une politique juridique en question
L’ordonnance ne peut trancher les questions de fond, et il reviendra éventuellement au Parlement de le faire. On ne saurait reprocher au Conseil d’Etat de rester sur le plan du droit positif et de ne pas se comporter en législateur. On peut en revanche lui demander neutralité et impartialité et de ne pas faire intervenir des positions militantes dans la décision. Or dans cette ordonnance, les déclarations antérieures de l’un des trois juges posent un sérieux problème d’impartialité. Dans un rapport sur la politique d’intégration de la France, en 2013, il a rejeté le concept d’intégration, remplacé par une « société inclusive » et dénoncé « la célébration du passé révolu d’une France chevrotante et confite dans des traditions imaginaires ». La laïcité est-elle au nombre de ces traditions imaginaires ? Au Coran et à son affirmation de l’infériorité des femmes, on peut préférer la Constitution de 1946 et l’égalité des sexes – un passé révolu ?
On lit notamment dans ce rapport les propos suivants (p. 10), à propos de l’intégration : « Encore plus périphérique, et stratosphérique même, l’invocation rituelle, chamanique, des Grands Concepts et Valeurs suprêmes ! Empilons sans crainte – ni du ridicule ni de l’anachronisme – les majuscules les plus sonores, clinquantes et rutilantes : Droits et Devoirs ! Citoyenneté ! Histoire ! Œuvre ! Civilisation française ! Patrie ! Identité ! France ! – on se retient, pour ne paraître point nihiliste… » Heureusement qu’il se retient ! Et à propos de la Burqa (p. 64) : « Qu’on sache, aucun mouvement de fond n’est venu exiger que les femmes de confession musulmane puissent déambuler en Burqa. C’est le gouvernement qui a décidé de cibler les quelques femmes ainsi vêtues pour les dévêtir de la toute puissance de la loi, inventant ce slogan, qui laisse encore perplexe, selon lequel la République se lit à visage découvert… ». Mieux vaut « une autre vision de l’espace public… » que celle dans laquelle « les pelouses de la laïcité sont défendues par de sourcilleux gardiens ».
C’est au demeurant la presque unique mention des femmes dans le rapport. Sur la base de ces propos et de cette idéologie, comment attendre un jugement serein sur le Burkini, dépassionné, en fonction du dossier et des circonstances locales ? D’autant moins que le même rapport observe à propos de l’ordre public (p. 63) que « la notion est vague, et pour tout dire, politique dans ses extrêmes et ses frontières ». Tiens, tiens… Il est triste d’observer qu’une décision rendue le jour anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ignore à ce point la dignité des femmes.
mardi 23 août 2016
Burkini : la jurisprudence s'affine
Un effort de motivation
La liberté d'exprimer ses convictions religieuses
Le contrôle de proportionnalité
Edna Boies Hopkins. The Waves. 1917 |
Fondamentalisme et démarche identitaire
Les droits des femmes
Espace public, espace privé
Une simple ordonnance de référé offre ainsi aux requérants un véritable cours de libertés publiques. Il est bon que les choses soient dites.