La présente proposition de loi a donc pour finalité de définir un cadre juridique à l'emploi des stagiaires, sans pour autant qu'une réglementation trop tatillonne dissuade les entreprises de les accueillir. L'équilibre entre ces deux impératifs est évidemment bien difficile à trouver.
Un empilement de normes
Dessin de Voutch |
Unification du régime
La première préoccupation de la proposition de loi Le Roux est de simplifier un régime juridique devenu trop complexe. Les règles posées concernent donc tous les stages, ceux organisés dans les formations dispensées par les établissements universitaires comme par les grandes écoles, ceux qui se déroulent dans les entreprises comme dans les services publics. Tous doivent désormais s'intégrer dans une démarche pédagogique clairement explicitée.
Elle se traduit par un approfondissement du contenu de la convention de stage, qui doit désormais préciser les compétences que le stagiaire doit acquérir ou développer à cette occasion. Un enseignant référent est désigné dans l'établissement (ce qui était déjà le cas), et un tuteur doit suivre le stagiaire dans le service ou l'entreprise qui l'accueille. Disons le franchement, ce type de disposition a quelque chose de cosmétique, et on imagine déjà les formulations stérétotypées, les universitaires contraints de suivre un trop grand nombre de stagiaires, et les tuteurs qui n'ont pas beaucoup de temps à consacrer à son encadrement. Quelles seront alors les sanctions si l'étudiant n'est pas suffisamment suivi ou si ses missions n'ont aucun intérêt au regard de sa formation ? La loi ne prévoit rien dans ce domaine.
Plus intéressantes sont les dispositions soumettant les stagiaires au droit du travail, et sur ce plan, la proposition de loi offre de nouvelles garanties. Ils pourront désormais bénéficier de temps de congé, précisés dans la convention de stage. D'une manière générale, les stagiaires sont désormais titulaires des droit fondamentaux ouverts aux salariés, contrôlés par l'inspection du travail, dans les conditions du droit commun.
Lutter contre le recours excessif aux stagiaires
Les résistances à cette loi, et notamment celles exprimées par le Medef, trouvent leur origine dans la seconde finalité du texte. Car il ne s'agit pas seulement de protéger les stagiaires, mais aussi d'éviter que les stages soient utilisés par les entreprises en substitution à la création d'emplois permanents. Dans certains secteurs comme l'audit, la finance ou le droit, la tentation est grande de recruter des stagiaires en fin d'études pour effectuer des tâches habituellement dévolues à des personnels d'encadrement à qualification élevée et à salaire confortable. De manière un peu solennelle, la proposition rappelle que "les stages ne peuvent avoir pour objet l'exécution d'une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent de l'entreprise (...)" ou de l'administration, ou "de tout autre organisme d'accueil". Certes, se pose de nouveau la question du respect de cette disposition, mais on peut penser que les syndicats ne manqueront pas de dénoncer les manquements à cette règle.
Pour assurer l'effectivité de ce principe, la proposition de loi reprend la limitation à six mois de la durée des stages, qui existait d'ailleurs déjà dans la loi du 22 juillet 2013 mais qui était assortie de nombreuses dérogations. Ces dérogations devraient, selon le législateur, disparaître dans un délai de deux ans.
Dans le même but, le nombre de stagiaires ne devrait pas dépasser 10 % de l'effectif global de l'entreprise ou de l'institution d'accueil. Reste que cette restriction donnera sans doute lieu à un robuste débat, et il est possible que les PME réussissent à obtenir un plafond plus élevé. Quoi qu'il en soit, il est bien difficile de déterminer l'impact de cette règle nouvelle. Permettra-t-elle d'accroître les offres d'emploi ? On peut en douter, si l'on considère que le Medef est vent debout contre le texte et qu'il n'est certainement pas décidé à travailler au succès du dispositif.
La violence de la réaction de M. Gattaz apparaît pourtant un peu surprenante. Il faut le reconnaître en effet, la proposition de loi prend en considération l'intérêt de l'entreprise. C'est ainsi qu'il se refuse à prévoir une gratification du stagiaire dès le premier mois de travail, et quelle que soit la durée du stage. Cette gratification "dès le premier mois", n'est due que si le stage est égal ou supérieur à trois mois. Autrement dit, il suffit à l'entreprise de limiter l'offre de stages à deux mois pour continuer joyeusement l'exploitation des jeunes diplômés. Quant au montant de la gratification due à partir du troisième mois, il n'est pas augmenté, sans doute pour les mêmes motifs. Le stagiaire demeure donc un employé sous payé, alors même qu'il est le plus souvent en fin d'études, c'est à dire doté de compétences utiles à l'entreprise ou au service qui l'emploie, et à la richesse de laquelle il contribue largement.
La proposition améliore un peu la situation des stagiaires, par une politique de petits pas destinée à lutter contre les abus les plus criants. Il ne s'agit pas d'établir un réel "statut" du stagiaire, ni de lui accorder un droit de ne pas être exploité. L'objet est surtout de rechercher un équilibre entre les intérêts des jeunes étudiants et ceux d'entreprises qui sont prêtes à tarir l'offre de stages si le texte ne leur convient pas.