Honoré Daumier. Les gens de justice. 1845 |
L'indépendance dans l'exercice de la fonction
D'un autre côté, les dix dernières années ont été marquées par une dénonciation constante d'un prétendu laxisme de la justice que la CNCDH qualifie de "mythe". Ce discours a été utilisé pour réduire les prérogatives des juges sans que l'opinion s'en inquiète réellement. L'institution des "peines planchers" a ainsi été considérée comme un moyen de lutte contre la récidive, alors que son caractère dissuasif n'apparait pas clairement. Mais elle réduit en même temps le pouvoir d'appréciation des juges. De même, la procédure de comparution immédiate accélère la procédure mais réduit aussi le temps laissé au juge pour prendre connaissance du dossier. La plupart des affaires pénales sont aujourd'hui jugées sans instruction, selon une logique purement quantitative.
Celle-ci est renforcée par la mise en place d'indicateurs de performance centrés sur le nombre de dossiers traités. Le bon juge est celui qui éponge le plus grand nombre d'affaires. Pour être bien noté, il doit "systématiser" son travail dit pudiquement la Commission, c'est à dire rendre une justice de masse. L'autorité politique n'y trouve que des avantages. D'une part, la justice est plus rapide. D'autre part, le contrôle des juges est renforcé par une centralisation de la gestion de leurs performances.
L'indépendance du parquet
Plus classique est sans doute l'analyse de la CNCDH déplorant l'absence d'indépendance du parquet. La Cour européenne, dans le célèbre arrêt Moulin du 23 novembre 2010, n'a t elle pas refusé de considérer le procureur comme une "autorité judiciaire", dès lors qu'il se trouve subordonné au ministre de la justice ?
La Commission aborde cependant la question de manière originale, à partir du droit comparé. Dans une recommandation 2000-19, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a observé que certains pays ont un ministère public indépendant, alors que d'autres ont choisi un système où il est hiérarchiquement soumis au ministre de la justice et est donc considéré comme un fonctionnaire ordinaire. Le problème est que le droit français hésite entre les deux options : les magistrats du parquet son rattachés à l'autorité judiciaire en principe indépendante, mais ils demeurent soumis au Garde des sceaux par un lien hiérarchique.
L'évolution récente interdit de considérer les procureurs comme des fonctionnaires ordinaires soumis au pouvoir hiérarchique. Leurs fonctions proprement juridictionnelles se sont élargies, notamment en matière d'orientation vers la procédure de comparution immédiate. Aux yeux de la Commission, ce choix a de telles conséquences pour les prévenus qu'il "peut être considéré comme un pré-jugement". Les membres du parquet sont désormais dotés d'une fonction juridictionnelle de plus en plus importante, qui rend indispensable l'octroi d'un statut d'indépendance réelle. Une telle réforme n'aurait pas nécessairement pour conséquence de priver le ministère de la justice de son pouvoir d'orientation de la politique pénale. Les "instructions générales de politique pénale" pourraient être abandonnées au profit de "circulaires d'orientation générale", que les procureurs généraux et procureurs de la République pourraient adapter en tenant compte du contexte dans lequel ils exercent leurs fonctions.
Le renforcement des pouvoirs du CSM, un voeu pieux
Une telle évolution devrait se traduire, aux yeux de la CNCDH, par une réforme globale du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Sur ce point, on sent que le projet actuellement en cour ne la satisfait pas totalement. Elle souhaiterait que lui soit confié l'ensemble de la gestion des carrières des magistrats, qu'ils soient du siège ou du parquet. Sur le plan constitutionnel, la Commission propose d'ailleurs une modification de la rédaction de l'article 64 : le CSM serait le seul garant de l'indépendance de la justice, et non plus le Président de la République.
Toute cette analyse ressemble terriblement à un voeu pieux, une idée d'autant plus audacieuse que les membres de la CNCDH ne peuvent ignorer qu'elle n'aura aucun effet. Le 4 juillet 2013, le gouvernement a en effet annoncé officiellement qu'il suspendait la réforme du CSM que le Sénat avait vidée de sa substance. Désormais certain de ne pas disposer de la majorité des 3/5è indispensable à la révision constitutionnelle, le gouvernement a préféré abandonner le projet.
Doit-on en déduire que l'avis de la CNCDH est un pur exercice de style, et qu'il finira sur une étagère poussiéreuse, à côté de nombreux rapports oubliés et d'études savantes jamais lues ? Peut être, dans l'immédiat. Mais la pression de la Cour européenne risque, à tout moment, de reposer certaines questions, notamment celle de l'indépendance des magistrats du parquet. Et cette réforme du CSM qui ne trouve pas de majorité pour la voter devra peut-être être adoptée dans l'urgence, d'ici quelques mois ou quelques années. Surtout, la réflexion engagée par la CNCDH pourrait connaître quelques prolongements. A t elle l'intention de rendre un avis sur l'indépendance de la juridiction administrative et plus particulièrement du Conseil d'Etat ? Le sujet mériterait certainement que l'on s'y attache.